Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur "Radio classique" le 6 mars 2007, sur les pressions exercées auprès des maires ruraux par certains candidats à l'élection présidentielle pour obtenir les 500 parrainages nécessaires, sur l'évolution de l'agriculture française ces dernières années, ainsi que sur la politique européenne de la pêche.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Bonjour Monsieur le ministre. On va commencer par la politique, si vous le voulez bien, on parlera après des agriculteurs et puis des pêcheurs, parce que vous êtes en effet, comme le disait G. Moreau, le ministre de tutelle de ces deux secteurs. Politique : N. Sarkozy a déclaré hier qu'il se battra pour que J.-M. Le Pen et O. Besancenot aient leur parrainage. Vous le soutenez dans, ce, entre guillemets "combat " ?
R- Ecoutez, j'ai beaucoup d'antipathie et plus que cela même pour les idées de J.-M. Le Pen, je n'ai non plus aucune sympathie pour celles d'O. Besancenot. Ceci étant, il serait dommage qu'ils ne participent pas au combat électoral. Vous savez, dans cette affaire, il y a deux choses : un, moi je pense que cette règle des 500 est une bonne règle, sinon, on aurait des " zozos" qui se présenteraient ; deux, beaucoup de candidats qui n'ont pas les 500 signatures n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes, ils ont utilisé des méthodes de pression auprès des maires ruraux et j'ai vécu ça chez moi en Charente-Maritime, des pressions tout à fait inacceptables auprès des maires ruraux. Certains ont même employé des moyens plus ou moins honnêtes, vous voyez ce que je veux dire. Donc voilà, s'ils n'y arrivent pas c'est un peu de leur faute. Ceci étant, comme J.-P. Raffarin l'a dit hier chez vos confrères de France Info, soyons pluralistes et faisons en sorte, démocrates de droite, du centre et sociaux démocrates, que ces gens-là puissent participer au combat. Mais qu'ils s'y prennent mieux la prochaine fois et qu'ils n'accusent pas la terre entière de leurs propres turpitudes.
Q- Oui, mais Monsieur Bussereau, c'est vrai que la modification qui fait qu'aujourd'hui un maire est obligé de montrer pour qui il a signé a quand même pas mal changé la donne et les pressions viennent aussi de leurs propres concitoyens.
R- Eh bien écoutez, si un certain nombre de formations politiques avaient des idées plus respectables, il n'y aurait pas de pression des concitoyens. Deux, vous savez quand on est maire, c'est le métier le plus difficile, parce qu'en particulier, pour les maires de petites communes c'est un véritable bénévolat. On agit sous le contrôle des siens, de ses voisins, de ses amis, de ses concitoyens, donc, je pense que la règle de l'anonymat c'était la règle de l'hypocrisie. Donc, il faut faire des choix quand on est engagé dans la vie publique et les assumer.
Q- D. Bussereau, le score de F. Bayrou - vous, qui avez appartenu à l'UDF avec J.-P. Raffarin justement - qu'est-ce que cela vous inspire ? Vous ne dites pas : Tiens ! Tout compte fait, vous seriez bien resté à l'UDF ?
R- Ecoutez, moi je suis d'abord un militant du bipartisme. Je crois qu'une grande société moderne, comme la société française doit avoir un grand courant politique de droite et du centre et un grand courant politique social démocrate avec des alternances claires et nettes...
Q- A l'américaine, à l'anglo-saxonne quoi ?
R- Voilà, comme dans tous les pays, pas seulement, c'est aussi le cas de l'Espagne, de l'Italie, de l'Allemagne, donc cela va beaucoup plus loin que le monde anglo-saxon. Donc, ma préférence c'est cela. Maintenant si F. Bayrou progresse, c'est surtout parce que S. Royal fait du surplace et je vois comme tout le monde, beaucoup d'amis, instituteurs, enseignants...
Q- Il prend un peu quand même aussi chez ses amis, disons chrétiens démocrates.
R- Oui, c'est vrai, mais regardez ce matin le sondage de La Croix sur le vote des catholiques : N. Sarkozy au premier tour, comme au second tour est très très en tête, bien, bien loin devant F. Bayrou. Donc il prend un peu chez nous, c'est vrai, je le vois dans la ruralité où son image de fils de paysan de Bordères passe pas mal. Mais il prend surtout chez des gens de centre gauche ou des gens qui trouvent que, un, S. Royal fait beaucoup d'improvisations, deux, qu'elle n'a pas tout à fait le niveau de la femme d'Etat, même si c'est une femme politique de qualité.
Q- Oui, mais affaiblir comme ça S. Royal, est-ce que vous ne risquez pas de vous retrouver justement avec votre ami François au deuxième tour, et là, rien n'est fait, si on en croit les informations.
R- Ecoutez, la gauche absente du deuxième tour, moi je ne pleure pas, voilà.
Q- Oui, mais est-ce que du coup, ce n'est pas un danger supplémentaire pour votre candidat N. Sarkozy ?
R- Ecoutez, cela apprendra au Parti socialiste à avoir des positions claires. S'il avait entièrement voté pour la Constitution européenne au lieu de se couper en deux et de faire s'emporter le non, s'il avait des positions claires sur l'économie au lieu d'hésiter sans arrêt entre le collectivisme à l'ancienne et la social-démocratie moderne, il n'en serait pas là. Donc qu'ils assument leurs responsabilités.
Q- Monsieur le ministre, dernier petit point d'actu, avant qu'on n'en vienne aux agriculteurs, le débat qui vient de prendre une nouvelle dimension hier sur Airbus et l'interventionnisme de l'Etat, il y a là, aussi, entre la gauche et la droite un clivage notoire - mais je note néanmoins que ce n'est pas L. Gallois, qui en tant que PDG, mais plutôt D. de Villepin en tant que Premier ministre qui a annoncé aux actionnaires d'EADS qu'ils n'auraient pas de dividendes cette année. Est-ce que c'était son rôle et est-ce que quelque part, en fin de compte on n'arrive pas à sortir de l'interventionnisme étatique dans ce pays ?
R- Je pense qu'il faut faire confiance à L. Gallois, je l'ai vu travailler à la SNCF, c'est un homme de grande qualité, il a l'habitude - et ce n'était pas simple à la SNCF - du dialogue social, donc il faut lui faire confiance. Deuxièmement, il faut plutôt que les Etats s'en mêlent un peu moins et en particulier qu'il n'y ait pas de rivalités franco-allemandes dont nous avons trop souffert. Et quatre, c'est avant tout un problème industriel : EADS a une gamme formidable d'avions mono couloir, les A320, 319, 318 ; a pris du retard pour des raisons de mauvaise organisation technique sur l'A380 et a complètement loupé l'idée d'avoir un avion intermédiaire, puisque l'A350 n'arrivera que quelques années après le 787 de Boeing. Donc c'est un problème avant tout commercial, nous avons le meilleur avionneur du monde, nous étions les premiers au monde - on est en train de régresser à la deuxième place, parce que l'entreprise n'a pas été gérée comme devrait l'être une entreprise de cette nature. C'est plutôt un problème de management qu'un problème de gouvernement.
Q- Et il faut laisser faire le management actuel, selon vous et que l'Etat s'en mêle...
R- Ecoutez, il est normal que les pouvoirs publics - quand on parle de 4.000 suppressions d'emploi, ce qui ne veut pas dire pour autant de licenciements - il est normal que les pouvoirs publics s'en mêlent, mais les idées saugrenues, comme l'entrée des régions dans le capital, comme le propose Madame Royal, tout ça n'est pas sérieux. Laissons Monsieur Gallois devant son ambition de faire redémarrer cette entreprise.
Q- Est-ce qu'il n'y a pas aussi, de la part des Allemands, un peu un côté réponse du berger à la bergère, après qu'on les ait quand même gentiment congédiés sur Alstom, quand Siemens voulait rentrer dans le capital, qu'on ait un petit peu de manière cavalière avalé Aventis avec le soutien, en tout cas de l'opinion publique française, Aventis était franco-allemand, et ça a disparu complètement, c'est passé à la trappe. Est-ce qu'il n'y a pas un petit côté comme ça "Tiens, je vous rends la politesse !"
R- "Vielleicht", ça veut dire "peut-être" en allemand... !
Q- On en vient aux agriculteurs et aux pêcheurs, Monsieur Bussereau. Malheureusement, là, on va peut-être un peu moins rire, le drame de cet agriculteur qui a tué deux inspecteurs du travail dont le procès a commencé hier à Périgueux. Votre réaction aujourd'hui, votre sentiment plutôt aujourd'hui ?
R- Vous savez je connais bien les deux familles, je suis allé avec mon collègue G. Larcher l'an passé inaugurer une plaque en mémoire de D. Buffière et de S. Trémouille. J'ai reçu il y a peu de temps la famille de S. Trémouille au Ministère, puisque nous avons donné le nom de Sylvie à une des salles de réunions importantes du Ministère de l'Agriculture à Paris. C'est un drame pour ces deux familles. Et dans cette affaire, je manifeste tout mon soutien aux agents de contrôle du Ministère de l'Agriculture, qui font un travail difficile, c'est difficile aussi pour les agriculteurs contrôlés, parce que c'est toujours un moment compliqué. Mais ce qui s'est passé là est inacceptable. Je n'ai naturellement rien à demander à la justice, elle agit en équité, mais je souhaite une justice de fermeté, naturellement, et quelque chose qui soit un appel fort à la raison par le jugement.
Q- Néanmoins, est-ce que cela veut dire que c'est avant tout un acte isolé de quelqu'un qui était psychologiquement fragile ?
R- Oui, des contrôles de travail il y en a dans tous les... J'ai été responsable des inspecteurs du travail des transports lorsque j'étais aux transports, là j'ai ceux de l'agriculture, je vois bien que ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile non plus pour le contrôlé, quand un bus... Hier j'ai rencontré des gens qui sont allés au ministère de l'Agriculture en car, ils s'étaient levés à 4 heures du matin, ils ont été bloqués pendant une heure au péage par un contrôle des inspecteurs de transport sur l'autobus, sur les organes de roulement etc. Bon, ce n'est pas agréable, mais c'est utile, nécessaire et indispensable. Donc il faut accepter les contrôles, il faut que les contrôleurs le fassent dans un esprit de dialogue et dans un esprit je dirais de concertation avec celui qui est contrôlé. Mais on a besoin dans une société qui donne de l'argent public, qui a des règles d'hygiène, qui a des règles de sécurité, de contrôles. Et ce qui s'est passé en Dordogne il y a quelques années est franchement odieux et je souhaite vraiment que la justice agisse avec beaucoup de fermeté.
Q- Néanmoins reste un problème de fond, à savoir le statut social et économique, les conditions économiques des agriculteurs... Depuis la chanson de Jean Ferrat dans les années 60 " Sur la montagne " ou même les déclarations de M. Rocard il y a quasiment 20 ans, où déjà on s'alertait sur le problème du niveau de vie des agriculteurs et sur le fait qu'ils étaient trop nombreux, on a l'impression que les choses changent, alors là, pour le coup, très très lentement. Vous allez me dire, il faut suivre le rythme des saisons, mais quand même !
R- Non, je ne partage pas votre avis, G. Bonos, je trouve que l'agriculture française a terriblement évolué ces dernières années de bonne manière. Elle est devenue de plus en plus productive, elle est devenue de plus en plus une agriculture de petites et moyennes entreprises. Le modèle à la J. Bové qu'il nous montrait hier, avec ses chèvres etc. ça c'est un vieux relent des années soixante-huitardes. L'agriculture d'aujourd'hui c'est un couple qui a 150-200 hectares, qui a des productions diversifiées et qui agit comme un chef d'entreprise avec un ordinateur, qui passe beaucoup de temps à gérer économiquement son entreprise. Donc aujourd'hui l'agriculture française, elle marche bien, elle est la plus productive d'Europe. Nous sommes les premiers au monde pour l'exportation de produits alimentaires non transformés. Nous sommes les deuxièmes ou les troisièmes, selon les années, pour les produits transformés. Nous avons derrière ça une industrie agro-alimentaire qui
représente 13 % de l'emploi industriel, plus que l'industrie aéronautique dont nous parlions à l'instant. Nous sommes le premier site touristique au monde à cause de l'entretien de nos paysages. Le bilan de l'agriculture il est formidable. Et puis il y a les bioénergies, dans un petit moment je vais aller avec le président de la RATP voir tout ce que l'on fait en matière de bio-carburant pour le transport public. On va utiliser le tramway, naturellement, pour aller au Salon de l'Agriculture. Voilà ce qu'est le visage moderne de l'agriculture aujourd'hui.
Q- Oui, mais en même temps, une agriculture toujours, vous l'avez dit, un peu productive, ou productiviste...
R- Ecoutez, qu'est-ce qu'on demande à une entreprise sinon de produire ? Il faut quand même nourrir les Français : le pouvoir vert, l'autosuffisance alimentaire c'est l'indépendance d'un pays. Deux, il faut exporter et derrière ça, nous avons toutes les entreprises agro-alimentaires. J'oublie l'industrie du machinisme agricole, il y a 200.000 visiteurs qui se pressent actuellement au Salon du machinisme agricole à Villepinte, qui est un salon extraordinaire sur le plan de la technologie. Et puis il y a demain, produire l'énergie des Français, on ne sait plus si en 2050, on aura encore des carburants fossiles et donc la bioénergie, la chimie verte, tout ça c'est grâce à l'agriculture moderne, du type de celle qui existe en France aujourd'hui.
Q- Et cela peut se faire dans le respect de l'environnement dont on s'est rendu compte que les Français sont très soucieux maintenant.
R- Bien sûr, mais écoutez, il y a quelque temps, vous savez on utilisait beaucoup les pesticides, maintenant on a diminué quasiment par trois ou quatre la consommation de pesticides dans les entreprises agricoles. Les règles européennes d'aides et de compléments de revenus ne sont données, d'où les contrôles, qu'en fonction d'une conditionnalité environnementale. Donc le procès en mauvais défenseur de l'environnement de l'agriculteur, c'est un procès de citoyens urbains qui n'ont jamais vu ce qu'était une exploitation agricole moderne d'aujourd'hui. C'est d'ailleurs l'intérêt, en dehors du fait que l'agriculteur est un citoyen comme les autres, c'est d'ailleurs son intérêt d'avoir une production "environnementalement" très correcte.
Q- Un mot au ministre de la Pêche, Monsieur Bussereau : les pêcheurs. On dit, que là aussi, il y a quand même des fortes inquiétudes quant au poisson, quant à sa capacité à se renouveler. Là aussi, peut-être une productivité encore plus difficile à contrôler, parce qu'on ne peut pas être à 300 ou 400 milles des côtes pour vérifier ce que fait un pêcheur.
R- Vous avez, cela dépend des zones dans le monde, c'est vrai que certaines zones des mers autour de l'Europe ont été surpêchées, d'où la politique européenne qui consiste à mettre des totaux de captures autorisés.
Q- Et cela peut être efficace selon vous quand il y a des bateaux usines japonais qui viennent ?
R- Attendez, je précise : il y a des règles dans les mers appartenant à l'Union européenne, que nous gérons et que nous faisons appliquer très clairement, nous, les Européens. Ce n'est d'ailleurs pas facile pour nos pêcheurs, parce que souvent on leur demande d'arrêter la pêche, alors qu'ils ont besoin de pêcher pour vivre et donc travailler. Et puis il y a des zones dans le monde où il n'y a pas du tout ce type de problème et puis il y a en effet des prédateurs. C'est vrai que par exemple quand on parle du thon en Méditerranée, ce n'est pas les quelques navires thoniers français, ou italiens ou espagnols qui sont en cause, mais des grands équipements, des grands armements venus de l'Asie, qui surpêchent dans les zones internationales où là il n'y a pas de règle et donc, où il est difficile de faire appliquer une attitude environnementale.
Q- Il faudrait à votre avis un moratoire un peu plus large ?
R- Non, si vous voulez, je crois qu'il faut d'abord développer beaucoup l'aquaculture, il faut permettre à la pêche de travailler raisonnablement et il faut éviter la prédation d'un certain nombre de mers - par exemple dans le sud de l'Océan indien, nous travaillons avec les Australiens, les Néo-zélandais pour empêcher toute une série de pays de venir vider ces mers du sud où il n'y a pas beaucoup de surveillance et pas beaucoup de trafic. Nous avons mis en place tout un dispositif de surveillance par satellites et par radars et par nos flottes, pour éviter dans ces zones qui sont encore des zones préservées qu'on vienne les surexploiter.
Q- Monsieur Bussereau, un mot - je voudrais revenir à la politique - on disait que cette campagne électorale est une occasion unique d'avoir un vrai débat de fond qu'on n'a pas eu depuis pratiquement 1981. Vous êtes satisfait aujourd'hui de la nature et de la qualité du débat selon vous ?
R- Je trouve que nos concitoyens s'intéressent beaucoup à cette campagne, je regrette que les médias - mais vous n'êtes pas en cause, peut-être que ce sont les candidats qui le refusent - n'organisent pas encore de débats directement entre les candidats.
Q- Ce sont les candidats qui le refusent, si j'en crois ce que j'ai vu un
peu partout.
R- Oui, pas tous... mais je pense par exemple que Madame Royal fera tout pour éviter un débat avec N. Sarkozy et c'est bien dommage !
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 mars 2007