Texte intégral
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Le discours d'ouverture de cette conférence a pour intitulé : "L'Europe, histoire d'un succès". Ce titre est particulièrement bien choisi car depuis bientôt 50 ans et la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, l'Europe s'est, en effet, construite avec succès: elle a ancré la paix, la liberté et la démocratie sur le continent. Cette incroyable réussite est d'ailleurs devenue si naturelle aujourd'hui qu'elle est parfois oubliée des jeunes générations. Pourtant n'oublions jamais de rappeler que ces biens si précieux ne sont jamais acquis si on ne les défend pas. Le devoir d'Europe est d'abord un devoir de mémoire. Car on ne peut pas comprendre ce que l'on est ni bâtir pour l'avenir si l'on ne sait pas d'où l'on vient : et nous venons d'un continent ravagé par la guerre, génération après génération, fracassé par les nationalismes et les totalitarismes, ruiné. L'Europe, c'est avant tout ce refus de la fatalité, ce courage de vouloir changer les choses et de construire un espace de paix, de prospérité et de liberté. Voilà son grand succès.
Mais il est vrai aussi que les aspirations de nos peuples à l'égard de l'Europe, loin de décroître, se sont élargies et diversifiées à des domaines pour lesquels l'Europe n'avait pas été conçue à l'origine. Indépendance énergétique, lutte contre le changement climatique, réduction des inégalités de développement dans le monde, sécurité ou lutte contre le terrorisme : à chaque fois, nos citoyens se tournent spontanément vers l'Europe, à juste titre d'ailleurs, pour en attendre l'impulsion ou l'action décisive.
Dans ce contexte, aux côtés de la paix et de la démocratie, l'Europe doit avoir une nouvelle ambition : devenir une puissance dans la mondialisation. Le XXIème siècle n'est pas pour l'Europe une menace qu'il faudrait craindre, c'est une chance qu'il faut saisir.
C'est ce dont je veux vous parler aujourd'hui.
1. Commençons par dire les choses comme elles sont : la mondialisation n'est pas une idéologie mais un fait, qui métamorphose les échanges internationaux, le travail, les équilibres, mais aussi notre vie quotidienne. Or l'Europe est bien le cadre qu'il nous faut pour nous adapter à la mondialisation : c'est sa taille, son espace, sa population - 3ème groupe humain avec près d'un demi-milliard d'habitants, après la Chine et l'Inde - et sa place de 1ère puissance économique mondiale qui la font écoutée et respectée sur la scène internationale.
Sur le plan économique, la France, comme la République tchèque, bénéficie tous les jours de l'ouverture de l'Europe au monde : mon pays est ainsi le 5ème exportateur mondial de marchandises, le 4ème exportateur de services, et, au sein de l'OCDE, la 3ème terre d'accueil des investissements étrangers. Le marché intérieur européen, qui représente les 2/3 du chiffre d'affaires de nos entreprises, constitue pour celles-ci une base solide. Les nouveaux Etats membres y contribuent chaque jour davantage : nos exportations y ont quadruplé en 10 ans pour atteindre 13 milliards d'euros en 2005. Contrairement à bien des idées reçues, ce sont donc d'ores et déjà des milliers d'emplois qui se sont créés ou ont été maintenus en France grâce à l'élargissement. Le retour des Etats d'Europe centrale dans la famille européenne non seulement permet à notre continent de se réunifier - ce qui est sans prix - mais offre à tous de grandes opportunités. Une des raisons du fort dynamisme actuel de l'économie tchèque repose ainsi sur une forte poussée des exportations au sein de l'Union ; 84 % de celles-ci sont en effet dirigées vers le reste de l'Union et 89% des investissements viennent de l'Union. L'Europe, c'est donc plus de croissance et d'emplois pour tous.
Les politiques communes européennes contribuent aussi à son dynamisme. Sur la scène internationale, la politique commerciale commune nous aide à défendre nos intérêts commerciaux : intérêts défensifs pour nous protéger contre les pratiques commerciales déloyales ; intérêts offensifs pour conquérir de nouveaux marchés dans les pays tiers, et spécialement les pays émergents. Qui peut sérieusement penser que nos Etats parviendraient à peser seuls, sans l'Union ?
L'Europe contribue aussi à la cohésion sociale et territoriale, au nom en particulier d'une de ses valeurs cardinales qui montre que, dès l'origine, le projet européen était politique et non seulement économique: je veux parler de la solidarité. Ainsi les fonds structurels, qui représenteront au total 308 milliards d'euros entre 2007 et 2013, permettent-ils à ceux qui en ont le plus besoin de refaire leur retard. Cette politique de cohésion devient, dans le nouveau budget, la première politique de l'Union. Votre pays touchera ainsi, entre 2007 et 2013, 26 milliards d'euros, soit dix fois plus que les sommes accordées entre 2004 et 2006. Ce qui s'est produit hier pour l'Irlande, l'Espagne et le Portugal en termes de rattrapage économique, social et environnemental est ainsi en train d'avoir lieu aujourd'hui pour les nouveaux Etats membres. Et c'est nécessaire car si l'Europe est l'histoire d'un succès, ce doit être celui de tous !
Enfin, avec la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, l'Europe s'est dotée des bons objectifs : relancer l'activité dans les Etats membres, faire les réformes nécessaires, investir massivement dans la recherche et le développement, pratiquer le développement durable. Et cette stratégie commence à porter ses fruits : en effet, en 2005-2006, l'activité repart et le chômage diminue dans l'Union. Cette stratégie est donc la bonne et il faut continuer de la reprendre dans les politiques nationales. Ces bons résultats sont aussi la preuve que la nouvelle méthode adoptée il y a deux ans, demandant aux Etats membres des Programmes nationaux de réformes, a permis d'avancer dans l'efficacité collective. Il faut donc appliquer résolument cette stratégie. Le budget communautaire pour 2007-2013, qui atteindra 864 milliards d'euros, va d'ailleurs dans la bonne direction: en effet, les dépenses liées à la stratégie de Lisbonne devraient représenter jusqu'à 30% de ce montant.
Nous bénéficions donc largement du nouveau jeu économique mondial. Mais la mondialisation suscite aussi des inquiétudes. Nombreux sont ceux qui redoutent ces évolutions ou qui pensent que la mondialisation de l'économie entraîne une remise en cause sans précédent de notre modèle social. Dans ce contexte, l'Europe elle-même a pu apparaître non comme une chance pour tirer le meilleur parti de ces réalités nouvelles, mais comme le symbole de notre impuissance, voire comme le symbole des excès de la mondialisation. C'est inexact. C'est injuste. Mais il faut tenir compte de cette perception.
Nous ne devons pas non plus nous voiler la face sur la réalité de notre performance collective : l'Europe est encore loin d'être la zone la plus compétitive du monde, comme les Etats membres s'en étaient donné l'objectif en 2000 à l'horizon 2010. Sa croissance est inférieure sur le long terme à celle de ses concurrents, ses investissements de recherche et développement trop modestes, sa population est vieillissante : autant d'indicateurs d'une certaine faiblesse de notre continent face au dynamisme de l'économie mondiale et notamment à celui des grands pays émergents. Cette atonie économique fait écho à la langueur politique qui menace le projet européen. De fait, elles ne sont pas étrangères l'une à l'autre.
2. Que devons-nous faire pour répondre à cette nouvelle donne ? Les réponses sont connues et des actions ont été engagées depuis un certain temps déjà. Elles mériteraient d'être rapidement approfondies.
Au plan économique, pour gagner et réussir la mondialisation, l'impératif pour l'Europe, c'est de jouer en équipe. Nous, les nations européennes, nous gagnerons ensemble, ou nous perdrons ensemble. C'est notre solidarité, et notre unité, qui feront la différence.
Ceci passe par le renforcement de la coordination des politiques économiques, la poursuite de la construction du marché intérieur fondé sur des règles, l'harmonisation lorsqu'elle est nécessaire, par exemple en matière fiscale, le renforcement du dialogue de l'eurogroupe avec la Banque centrale européenne, dans le respect de son indépendance.
L'adaptation économique de l'Union européenne passe aussi par l'accélération de sa politique d'innovation et de recherche. L'Union européenne ne consacre en effet à ses dépenses de recherche et développement qu'un peu moins de 2% de son PIB, contre plus de 2,5% pour les Etats-Unis et de 3% pour le Japon. Nous sommes conscients des efforts qu'il reste à produire, sur les dépenses privées comme sur les dépenses publiques. Au niveau européen, le budget de la recherche de l'Union dépassera 54 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une augmentation moyenne pour la période de plus de 36% par rapport à 2006. Nous devrons aussi améliorer les règles européennes en matière d'innovation, y compris en matière de brevets.
De même, il est nécessaire de mettre en place l'Europe de l'énergie. Lors du Conseil européen des 8 et 9 mars, les Etats membres en sont convenus et l'Europe dispose désormais d'un plan d'action ambitieux avec trois objectifs principaux : la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité, le respect de l'environnement. En particulier, le Conseil européen a confirmé le lien étroit entre la stratégie en matière énergétique et la lutte contre le changement climatique, en prenant notamment l'engagement ambitieux de réduire de 20% d'ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre. C'était capital car aucune politique ambitieuse n'est possible dans ce domaine sans la prise en compte de ce défi majeur pour l'avenir de la planète, et nous devons vraiment être fiers que l'Europe donne le bon exemple. Je suis convaincue que c'est là un sujet important de coopération entre la France et la République tchèque, en particulier dans la perspective de nos présidences successives de l'Union en 2008 et 2009.
Enfin, nous devons également muscler nos entreprises plongées au coeur de la mondialisation. Cela passe par l'évolution du droit de la concurrence, qui doit aller de pair avec la mise en place de véritables champions européens de taille mondiale. Cela passe aussi par une réorientation de la politique commerciale européenne vers de nouveaux partenaires (les grands pays émergents, l'Asie, l'Amérique du Sud), de nouveaux sujets (les services, l'investissement, la propriété intellectuelle) et de nouveaux équilibres (avec en particulier la promotion des normes sociales et environnementales). Cela passe enfin par le soutien aux PME - c'est tout le sens du projet de Small Business Act européen que soutient la France, et qui permettrait d'améliorer l'accès des PME aux marchés publics et serait donc favorable à l'innovation comme à l'emploi. D'autres, comme les Etats-Unis, le Canada, la Corée, le font déjà. Pourquoi pas l'Europe ?
3. Mais l'Europe doit faire plus. Elle ne doit pas seulement s'adapter à la mondialisation. Elle a l'opportunité de devenir une puissance globale dans un monde en pleine mutation, qui n'est plus bipolaire ni unipolaire et cherche ses nouveaux équilibres. Elle doit s'assumer comme une idée d'avenir, porteuse d'un modèle de développement économique et social propre. En réalité, elle a même pour vocation de contribuer à définir les règles du jeu d'une mondialisation maîtrisée.
L'équilibre entre ouverture et règles était d'ailleurs au coeur du traité de Rome : aux quatre grandes libertés (de circulation des personnes, des capitaux, des marchandises et des services) répondait, dès l'origine, l'élaboration de politiques communes destinées à poser des règles du jeu : politique de la concurrence, politique commerciale, harmonisation des règles du marché intérieur. Et l'intégration progressive du continent est allée de pair avec la poursuite de l'harmonisation, le développement de nouvelles politiques (protection des consommateurs, environnement, justice et affaires intérieures, défense) et, pour 13 Etats membres, l'adoption de la même monnaie, là encore sur la base de règles communes. Il faut bien sûr améliorer la législation et réduire les charges administratives, notamment pour renforcer notre compétitivité. Mais cela ne doit pas empêcher l'Europe de légiférer quand il le faut.
Cette capacité réglementaire de l'Union, lorsqu'elle respecte le principe de subsidiarité, n'est pas un fardeau supplémentaire destiné à compliquer la vie des citoyens, mais, au contraire, une chance pour en finir avec les zones de non-droit de la mondialisation. De fait, le seul poids du marché unique donne un écho planétaire aux normes industrielles définies par l'Europe. Je pense au règlement REACH adopté fin 2006, qui permet d'enregistrer et d'évaluer tous les produits chimiques en circulation dans l'Union : il constituera une législation de référence qui s'imposera aux entreprises du monde entier. En un mot, l'Union doit savoir exporter ses règles.
Et au-delà de sa capacité normative, l'Union européenne représente une expérience sans précédent de 50 ans de vie commune. Quelles que soient ses difficultés actuelles, l'Europe peut ainsi faire bénéficier d'autres ensembles régionaux et les institutions multilatérales de son expérience unique à faire vivre concrètement une souveraineté commune à plusieurs Etats et à promouvoir l'unité dans la diversité, pour reprendre la belle devise de l'Union. Car l'Europe, ce n'est pas l'uniformisation des identités, c'est l'enrichissement des différences. Car l'Europe, ce n'est pas une opposition entre "anciens" et "nouveaux" Etats membres, ni entre "grands", "moyens" et "petits", c'est un projet collectif qui réunit aujourd'hui 27 pays à égalité de droits. Car l'Europe, ce n'est pas un simple espace économique, c'est un projet avant tout politique. Pour relever les défis du XXIème siècle, nous avons besoin d'une Europe forte, solidaire, organisée, non pas d'une Europe désorganisée, dérégulée et molle. La construction européenne, modèle d'intégration inter-étatique sans égal dans le monde, constitue ainsi une forme partielle, mais exemplaire, d'humanisation de la mondialisation à l'échelle d'un continent.
C'est aussi l'une des marques de fabrique de l'Europe que de contribuer activement à l'élaboration de règles internationales. Pensons au rôle de l'Union dans la négociation et l'entrée en vigueur des principaux grands traités internationaux de ces dernières années, qu'il s'agisse des Accords de Marrakech de 1994 créant l'OMC, du Protocole de Kyoto en 1997, ou de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle signée à Paris, à l'UNESCO, en 2005.
Exemple d'une paix retrouvée entre les nations grâce à un système juridique original, l'Union européenne a naturellement vocation à être le promoteur du recours à la négociation et au droit comme moyen de régler les différends entre Etats. Surtout, l'Europe est engagée pour ancrer dans le corpus juridique international les valeurs universelles qui ont présidé à la construction européenne, notamment dans les domaines des Droits de l'Homme, du droit du travail et de la défense de l'environnement, qui sont autant de valeurs qui rassemblent les Européens. Ces valeurs, l'Europe saura d'autant mieux les promouvoir qu'elle continuera de forger progressivement une véritable politique étrangère et de sécurité commune. A travers les nombreuses opérations militaires et civiles que l'Union déploie désormais dans le monde entier, en particulier dans les Balkans occidentaux, elle affirme de plus en plus son rôle dans la promotion de la paix et de la stabilité mondiales. Elle doit poursuivre dans cette voie, dans un esprit de complémentarité avec l'Alliance atlantique.
4. Devenir un acteur global dans la mondialisation est un bel objectif pour l'Europe. Il suppose volonté, conviction et courage. Il suppose aussi de réussir rapidement une réforme des institutions. Car, même si l'Europe n'est pas en panne, elle a besoin de moyens rénovés pour agir de façon plus efficace, transparente et légitime démocratiquement et pour relever les défis de demain. Nous devons trouver tous ensemble - car c'est ce qui compte - une solution, à partir d'une situation complexe : certains Etats membres ont dit oui au traité constitutionnel, d'autres ont dit non, d'autres enfin ne se sont pas prononcés. Chacun devra faire un pas vers l'autre car l'objectif est bien de forger un nouveau consensus à Vingt-sept à partir de cette réalité.
Sur le fond, je propose une démarche en deux temps : d'abord l'adoption d'un traité simplifié centré sur les questions institutionnelles et donnant rapidement à l'Union les moyens nécessaires pour mieux fonctionner. Dans ce cadre, il faut partir de la substance et des équilibres du Traité constitutionnel. Reprendre à zéro serait une erreur car alors le risque serait de voir l'ensemble de la négociation rouverte pour longtemps, et pour un résultat plus qu'incertain. Puis dans un second temps, une négociation pourra s'engager sur un texte plus large, plus ambitieux, portant notamment sur le contenu des politiques européennes et leur adaptation aux prochains défis de l'avenir. Nous savons tous qu'il ne sera pas facile de trouver à 27 une solution à la question institutionnelle mais cette démarche pragmatique en deux temps me semble être aujourd'hui la plus prometteuse et la plus réaliste.
Mesdames, Messieurs, l'histoire de notre continent nous a enseigné une vérité essentielle : l'Europe est avant tout ce que nous en faisons. Elle ne nous tombe pas du ciel, elle est le fruit de notre volonté collective. Je forme ainsi le voeu que la déclaration qui sera adoptée ce dimanche 25 mars à Berlin permette d'affirmer haut et fort notre engagement collectif pour l'Europe et d'exprimer notre ambition pour les 50 prochaines années. Car c'est grâce à l'Europe que nos nations pourront relever les défis de l'avenir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2007
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Le discours d'ouverture de cette conférence a pour intitulé : "L'Europe, histoire d'un succès". Ce titre est particulièrement bien choisi car depuis bientôt 50 ans et la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, l'Europe s'est, en effet, construite avec succès: elle a ancré la paix, la liberté et la démocratie sur le continent. Cette incroyable réussite est d'ailleurs devenue si naturelle aujourd'hui qu'elle est parfois oubliée des jeunes générations. Pourtant n'oublions jamais de rappeler que ces biens si précieux ne sont jamais acquis si on ne les défend pas. Le devoir d'Europe est d'abord un devoir de mémoire. Car on ne peut pas comprendre ce que l'on est ni bâtir pour l'avenir si l'on ne sait pas d'où l'on vient : et nous venons d'un continent ravagé par la guerre, génération après génération, fracassé par les nationalismes et les totalitarismes, ruiné. L'Europe, c'est avant tout ce refus de la fatalité, ce courage de vouloir changer les choses et de construire un espace de paix, de prospérité et de liberté. Voilà son grand succès.
Mais il est vrai aussi que les aspirations de nos peuples à l'égard de l'Europe, loin de décroître, se sont élargies et diversifiées à des domaines pour lesquels l'Europe n'avait pas été conçue à l'origine. Indépendance énergétique, lutte contre le changement climatique, réduction des inégalités de développement dans le monde, sécurité ou lutte contre le terrorisme : à chaque fois, nos citoyens se tournent spontanément vers l'Europe, à juste titre d'ailleurs, pour en attendre l'impulsion ou l'action décisive.
Dans ce contexte, aux côtés de la paix et de la démocratie, l'Europe doit avoir une nouvelle ambition : devenir une puissance dans la mondialisation. Le XXIème siècle n'est pas pour l'Europe une menace qu'il faudrait craindre, c'est une chance qu'il faut saisir.
C'est ce dont je veux vous parler aujourd'hui.
1. Commençons par dire les choses comme elles sont : la mondialisation n'est pas une idéologie mais un fait, qui métamorphose les échanges internationaux, le travail, les équilibres, mais aussi notre vie quotidienne. Or l'Europe est bien le cadre qu'il nous faut pour nous adapter à la mondialisation : c'est sa taille, son espace, sa population - 3ème groupe humain avec près d'un demi-milliard d'habitants, après la Chine et l'Inde - et sa place de 1ère puissance économique mondiale qui la font écoutée et respectée sur la scène internationale.
Sur le plan économique, la France, comme la République tchèque, bénéficie tous les jours de l'ouverture de l'Europe au monde : mon pays est ainsi le 5ème exportateur mondial de marchandises, le 4ème exportateur de services, et, au sein de l'OCDE, la 3ème terre d'accueil des investissements étrangers. Le marché intérieur européen, qui représente les 2/3 du chiffre d'affaires de nos entreprises, constitue pour celles-ci une base solide. Les nouveaux Etats membres y contribuent chaque jour davantage : nos exportations y ont quadruplé en 10 ans pour atteindre 13 milliards d'euros en 2005. Contrairement à bien des idées reçues, ce sont donc d'ores et déjà des milliers d'emplois qui se sont créés ou ont été maintenus en France grâce à l'élargissement. Le retour des Etats d'Europe centrale dans la famille européenne non seulement permet à notre continent de se réunifier - ce qui est sans prix - mais offre à tous de grandes opportunités. Une des raisons du fort dynamisme actuel de l'économie tchèque repose ainsi sur une forte poussée des exportations au sein de l'Union ; 84 % de celles-ci sont en effet dirigées vers le reste de l'Union et 89% des investissements viennent de l'Union. L'Europe, c'est donc plus de croissance et d'emplois pour tous.
Les politiques communes européennes contribuent aussi à son dynamisme. Sur la scène internationale, la politique commerciale commune nous aide à défendre nos intérêts commerciaux : intérêts défensifs pour nous protéger contre les pratiques commerciales déloyales ; intérêts offensifs pour conquérir de nouveaux marchés dans les pays tiers, et spécialement les pays émergents. Qui peut sérieusement penser que nos Etats parviendraient à peser seuls, sans l'Union ?
L'Europe contribue aussi à la cohésion sociale et territoriale, au nom en particulier d'une de ses valeurs cardinales qui montre que, dès l'origine, le projet européen était politique et non seulement économique: je veux parler de la solidarité. Ainsi les fonds structurels, qui représenteront au total 308 milliards d'euros entre 2007 et 2013, permettent-ils à ceux qui en ont le plus besoin de refaire leur retard. Cette politique de cohésion devient, dans le nouveau budget, la première politique de l'Union. Votre pays touchera ainsi, entre 2007 et 2013, 26 milliards d'euros, soit dix fois plus que les sommes accordées entre 2004 et 2006. Ce qui s'est produit hier pour l'Irlande, l'Espagne et le Portugal en termes de rattrapage économique, social et environnemental est ainsi en train d'avoir lieu aujourd'hui pour les nouveaux Etats membres. Et c'est nécessaire car si l'Europe est l'histoire d'un succès, ce doit être celui de tous !
Enfin, avec la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, l'Europe s'est dotée des bons objectifs : relancer l'activité dans les Etats membres, faire les réformes nécessaires, investir massivement dans la recherche et le développement, pratiquer le développement durable. Et cette stratégie commence à porter ses fruits : en effet, en 2005-2006, l'activité repart et le chômage diminue dans l'Union. Cette stratégie est donc la bonne et il faut continuer de la reprendre dans les politiques nationales. Ces bons résultats sont aussi la preuve que la nouvelle méthode adoptée il y a deux ans, demandant aux Etats membres des Programmes nationaux de réformes, a permis d'avancer dans l'efficacité collective. Il faut donc appliquer résolument cette stratégie. Le budget communautaire pour 2007-2013, qui atteindra 864 milliards d'euros, va d'ailleurs dans la bonne direction: en effet, les dépenses liées à la stratégie de Lisbonne devraient représenter jusqu'à 30% de ce montant.
Nous bénéficions donc largement du nouveau jeu économique mondial. Mais la mondialisation suscite aussi des inquiétudes. Nombreux sont ceux qui redoutent ces évolutions ou qui pensent que la mondialisation de l'économie entraîne une remise en cause sans précédent de notre modèle social. Dans ce contexte, l'Europe elle-même a pu apparaître non comme une chance pour tirer le meilleur parti de ces réalités nouvelles, mais comme le symbole de notre impuissance, voire comme le symbole des excès de la mondialisation. C'est inexact. C'est injuste. Mais il faut tenir compte de cette perception.
Nous ne devons pas non plus nous voiler la face sur la réalité de notre performance collective : l'Europe est encore loin d'être la zone la plus compétitive du monde, comme les Etats membres s'en étaient donné l'objectif en 2000 à l'horizon 2010. Sa croissance est inférieure sur le long terme à celle de ses concurrents, ses investissements de recherche et développement trop modestes, sa population est vieillissante : autant d'indicateurs d'une certaine faiblesse de notre continent face au dynamisme de l'économie mondiale et notamment à celui des grands pays émergents. Cette atonie économique fait écho à la langueur politique qui menace le projet européen. De fait, elles ne sont pas étrangères l'une à l'autre.
2. Que devons-nous faire pour répondre à cette nouvelle donne ? Les réponses sont connues et des actions ont été engagées depuis un certain temps déjà. Elles mériteraient d'être rapidement approfondies.
Au plan économique, pour gagner et réussir la mondialisation, l'impératif pour l'Europe, c'est de jouer en équipe. Nous, les nations européennes, nous gagnerons ensemble, ou nous perdrons ensemble. C'est notre solidarité, et notre unité, qui feront la différence.
Ceci passe par le renforcement de la coordination des politiques économiques, la poursuite de la construction du marché intérieur fondé sur des règles, l'harmonisation lorsqu'elle est nécessaire, par exemple en matière fiscale, le renforcement du dialogue de l'eurogroupe avec la Banque centrale européenne, dans le respect de son indépendance.
L'adaptation économique de l'Union européenne passe aussi par l'accélération de sa politique d'innovation et de recherche. L'Union européenne ne consacre en effet à ses dépenses de recherche et développement qu'un peu moins de 2% de son PIB, contre plus de 2,5% pour les Etats-Unis et de 3% pour le Japon. Nous sommes conscients des efforts qu'il reste à produire, sur les dépenses privées comme sur les dépenses publiques. Au niveau européen, le budget de la recherche de l'Union dépassera 54 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une augmentation moyenne pour la période de plus de 36% par rapport à 2006. Nous devrons aussi améliorer les règles européennes en matière d'innovation, y compris en matière de brevets.
De même, il est nécessaire de mettre en place l'Europe de l'énergie. Lors du Conseil européen des 8 et 9 mars, les Etats membres en sont convenus et l'Europe dispose désormais d'un plan d'action ambitieux avec trois objectifs principaux : la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité, le respect de l'environnement. En particulier, le Conseil européen a confirmé le lien étroit entre la stratégie en matière énergétique et la lutte contre le changement climatique, en prenant notamment l'engagement ambitieux de réduire de 20% d'ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre. C'était capital car aucune politique ambitieuse n'est possible dans ce domaine sans la prise en compte de ce défi majeur pour l'avenir de la planète, et nous devons vraiment être fiers que l'Europe donne le bon exemple. Je suis convaincue que c'est là un sujet important de coopération entre la France et la République tchèque, en particulier dans la perspective de nos présidences successives de l'Union en 2008 et 2009.
Enfin, nous devons également muscler nos entreprises plongées au coeur de la mondialisation. Cela passe par l'évolution du droit de la concurrence, qui doit aller de pair avec la mise en place de véritables champions européens de taille mondiale. Cela passe aussi par une réorientation de la politique commerciale européenne vers de nouveaux partenaires (les grands pays émergents, l'Asie, l'Amérique du Sud), de nouveaux sujets (les services, l'investissement, la propriété intellectuelle) et de nouveaux équilibres (avec en particulier la promotion des normes sociales et environnementales). Cela passe enfin par le soutien aux PME - c'est tout le sens du projet de Small Business Act européen que soutient la France, et qui permettrait d'améliorer l'accès des PME aux marchés publics et serait donc favorable à l'innovation comme à l'emploi. D'autres, comme les Etats-Unis, le Canada, la Corée, le font déjà. Pourquoi pas l'Europe ?
3. Mais l'Europe doit faire plus. Elle ne doit pas seulement s'adapter à la mondialisation. Elle a l'opportunité de devenir une puissance globale dans un monde en pleine mutation, qui n'est plus bipolaire ni unipolaire et cherche ses nouveaux équilibres. Elle doit s'assumer comme une idée d'avenir, porteuse d'un modèle de développement économique et social propre. En réalité, elle a même pour vocation de contribuer à définir les règles du jeu d'une mondialisation maîtrisée.
L'équilibre entre ouverture et règles était d'ailleurs au coeur du traité de Rome : aux quatre grandes libertés (de circulation des personnes, des capitaux, des marchandises et des services) répondait, dès l'origine, l'élaboration de politiques communes destinées à poser des règles du jeu : politique de la concurrence, politique commerciale, harmonisation des règles du marché intérieur. Et l'intégration progressive du continent est allée de pair avec la poursuite de l'harmonisation, le développement de nouvelles politiques (protection des consommateurs, environnement, justice et affaires intérieures, défense) et, pour 13 Etats membres, l'adoption de la même monnaie, là encore sur la base de règles communes. Il faut bien sûr améliorer la législation et réduire les charges administratives, notamment pour renforcer notre compétitivité. Mais cela ne doit pas empêcher l'Europe de légiférer quand il le faut.
Cette capacité réglementaire de l'Union, lorsqu'elle respecte le principe de subsidiarité, n'est pas un fardeau supplémentaire destiné à compliquer la vie des citoyens, mais, au contraire, une chance pour en finir avec les zones de non-droit de la mondialisation. De fait, le seul poids du marché unique donne un écho planétaire aux normes industrielles définies par l'Europe. Je pense au règlement REACH adopté fin 2006, qui permet d'enregistrer et d'évaluer tous les produits chimiques en circulation dans l'Union : il constituera une législation de référence qui s'imposera aux entreprises du monde entier. En un mot, l'Union doit savoir exporter ses règles.
Et au-delà de sa capacité normative, l'Union européenne représente une expérience sans précédent de 50 ans de vie commune. Quelles que soient ses difficultés actuelles, l'Europe peut ainsi faire bénéficier d'autres ensembles régionaux et les institutions multilatérales de son expérience unique à faire vivre concrètement une souveraineté commune à plusieurs Etats et à promouvoir l'unité dans la diversité, pour reprendre la belle devise de l'Union. Car l'Europe, ce n'est pas l'uniformisation des identités, c'est l'enrichissement des différences. Car l'Europe, ce n'est pas une opposition entre "anciens" et "nouveaux" Etats membres, ni entre "grands", "moyens" et "petits", c'est un projet collectif qui réunit aujourd'hui 27 pays à égalité de droits. Car l'Europe, ce n'est pas un simple espace économique, c'est un projet avant tout politique. Pour relever les défis du XXIème siècle, nous avons besoin d'une Europe forte, solidaire, organisée, non pas d'une Europe désorganisée, dérégulée et molle. La construction européenne, modèle d'intégration inter-étatique sans égal dans le monde, constitue ainsi une forme partielle, mais exemplaire, d'humanisation de la mondialisation à l'échelle d'un continent.
C'est aussi l'une des marques de fabrique de l'Europe que de contribuer activement à l'élaboration de règles internationales. Pensons au rôle de l'Union dans la négociation et l'entrée en vigueur des principaux grands traités internationaux de ces dernières années, qu'il s'agisse des Accords de Marrakech de 1994 créant l'OMC, du Protocole de Kyoto en 1997, ou de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle signée à Paris, à l'UNESCO, en 2005.
Exemple d'une paix retrouvée entre les nations grâce à un système juridique original, l'Union européenne a naturellement vocation à être le promoteur du recours à la négociation et au droit comme moyen de régler les différends entre Etats. Surtout, l'Europe est engagée pour ancrer dans le corpus juridique international les valeurs universelles qui ont présidé à la construction européenne, notamment dans les domaines des Droits de l'Homme, du droit du travail et de la défense de l'environnement, qui sont autant de valeurs qui rassemblent les Européens. Ces valeurs, l'Europe saura d'autant mieux les promouvoir qu'elle continuera de forger progressivement une véritable politique étrangère et de sécurité commune. A travers les nombreuses opérations militaires et civiles que l'Union déploie désormais dans le monde entier, en particulier dans les Balkans occidentaux, elle affirme de plus en plus son rôle dans la promotion de la paix et de la stabilité mondiales. Elle doit poursuivre dans cette voie, dans un esprit de complémentarité avec l'Alliance atlantique.
4. Devenir un acteur global dans la mondialisation est un bel objectif pour l'Europe. Il suppose volonté, conviction et courage. Il suppose aussi de réussir rapidement une réforme des institutions. Car, même si l'Europe n'est pas en panne, elle a besoin de moyens rénovés pour agir de façon plus efficace, transparente et légitime démocratiquement et pour relever les défis de demain. Nous devons trouver tous ensemble - car c'est ce qui compte - une solution, à partir d'une situation complexe : certains Etats membres ont dit oui au traité constitutionnel, d'autres ont dit non, d'autres enfin ne se sont pas prononcés. Chacun devra faire un pas vers l'autre car l'objectif est bien de forger un nouveau consensus à Vingt-sept à partir de cette réalité.
Sur le fond, je propose une démarche en deux temps : d'abord l'adoption d'un traité simplifié centré sur les questions institutionnelles et donnant rapidement à l'Union les moyens nécessaires pour mieux fonctionner. Dans ce cadre, il faut partir de la substance et des équilibres du Traité constitutionnel. Reprendre à zéro serait une erreur car alors le risque serait de voir l'ensemble de la négociation rouverte pour longtemps, et pour un résultat plus qu'incertain. Puis dans un second temps, une négociation pourra s'engager sur un texte plus large, plus ambitieux, portant notamment sur le contenu des politiques européennes et leur adaptation aux prochains défis de l'avenir. Nous savons tous qu'il ne sera pas facile de trouver à 27 une solution à la question institutionnelle mais cette démarche pragmatique en deux temps me semble être aujourd'hui la plus prometteuse et la plus réaliste.
Mesdames, Messieurs, l'histoire de notre continent nous a enseigné une vérité essentielle : l'Europe est avant tout ce que nous en faisons. Elle ne nous tombe pas du ciel, elle est le fruit de notre volonté collective. Je forme ainsi le voeu que la déclaration qui sera adoptée ce dimanche 25 mars à Berlin permette d'affirmer haut et fort notre engagement collectif pour l'Europe et d'exprimer notre ambition pour les 50 prochaines années. Car c'est grâce à l'Europe que nos nations pourront relever les défis de l'avenir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2007