Déclaration de MM. Alain Juppé, Premier ministre, Jacques Toubon, ministre de la justice et Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, sur la situation en Corse, à l'Assemblée nationale le 28 mai 1996 et au Sénat le 6 juin.

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Circonstance : Débat sur la situation en Corse à l'Assemblée nationale le 28 mai 1996 et au Sénat le 6 juin

Texte intégral

(Discours de M. Alain Juppé, Assemblée nationale, le 28 mai 1996)
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis le drame d'Aleria, la République est confrontée au problème corse dont les composantes sont bien connues de tous.
L'opinion publique insulaire est fortement attachée au respect de son particularisme, mais elle est très largement et très profondément hostile à toute idée d'indépendance. Les revendications du mouvement nationaliste, quelles qu'en soient les motivations, touchent aux fondements de la République et sont trop souvent soutenues, hélas ! par la violence et par l'attentat.
Dans ce contexte, l'État se doit de tout faire pour maintenir les principes dont il est le garant, notamment l'unité de la République et le respect de la loi, et d'uvrer pour le développement économique et social de la Corse.
Les gouvernements socialistes ont cru trouver dans des réformes institutionnelles une solution durable au problème de la Corse. Tel a été le sens des statuts particuliers adoptés en 1982 et 1991 par la représentation nationale sous l'impulsion des ministres de l'intérieur de l'époque, M. Defferre et M. Joxe.
Ces réformes n'ont pas réussi, tant s'en faut, à résoudre le problème corse. Elles n'ont permis de mettre un terme, ni à la propagation de la violence, ni à l'oubli du civisme le plus élémentaire dans de nombreuses couches de la société corse. Ce double échec, hélas ! ne semble pas avoir dissuadé l'opposition d'aujourd'hui de retomber dans les erreurs d'hier.
Le Gouvernement que je dirige n'entend pas vous proposer d'autres réformes institutionnelles. Je l'ai dit dès le 16 janvier dernier en recevant à l'Hôtel Matignon tous les parlementaires corses, les problèmes institutionnels ne sont pas à l'ordre du jour.
J'ai, comme beaucoup d'entre vous dans cette assemblée, combattu les réformes institutionnelles proposées en leur temps, et je n'entends pas me laisser à nouveau attirer sur un terrain dont l'histoire a montré, hélas ! le caractère stérile.
Depuis 1982, la moyenne annuelle du nombre d'actions violentes - pour l'essentiel des attentats par explosif - commises en Corse s'est élevée à 500, soit plus d'un attentat par jour.
Cette situation, je le reconnais avec lucidité, ne s'est pas véritablement améliorée depuis le début de l'année.
Dans le même temps, les acteurs de l'économie corse voient celle-ci partir à la dérive puisque le tourisme, source essentielle de la prospérité de l'île, est chaque jour découragé par la recrudescence de la violence ou par des grèves irresponsables.
Pourtant réclamées avec insistance par les représentants des mouvements nationalistes, les réformes institutionnelles n'ont, de ce point de vue, servi à rien. Je le redis donc avec solennité : le Gouvernement n'entend ni modifier le statut de l'assemblée territoriale, ni supprimer les conseils généraux de Haute-Corse et de Corse du Sud, ni traiter la Corse comme un département ou territoire d'outre-mer. Il n'est pas question non plus d'une reconnaissance du " peuple corse ", concept déjà censuré par le Conseil constitutionnel.
En Corse, ma priorité est donc double : sécurité et développement économique.
Le retour à la paix publique est une absolue nécessité. Le Gouvernement ne saurait accepter les termes d'un prétendu " ultimatum " émanant d'une organisation qui semblait avoir fait le choix de renoncer à la violence et qui prétend aujourd'hui poser ses conditions, ce qui montre qu'elle n'a pas parfaitement compris ce que sont les fondements de la démocratie et de l'ordre républicain.
Dès la constitution du Gouvernement, j'avais donné aux ministres concernés, et singulièrement au garde des sceaux et au ministre de l'intérieur, des consignes de fermeté.
J'ai renouvelé ces consignes au mois de janvier et j'ai notamment demandé que la police nationale et la gendarmerie, à l'action desquelles je tiens à rendre un hommage solennel, soient très présentes sur le terrain et veillent à exploiter systématiquement les renseignements dont elles sont destinataires.
Cette attitude commence, commence seulement, à porter ses fruits. Dans le courant des mois de mars et d'avril notamment, plusieurs arrestations combinées avec des découvertes de caches d'armes ont montré que l'action de l'État, lorsqu'elle est résolue et déterminée, obtient des résultats dans la lutte contre toutes les formes de criminalité, au premier rang desquelles, bien sûr, le terrorisme.
La recrudescence, depuis deux semaines maintenant, d'actions terroristes ou de commandos en Corse ne saurait me conduire à dévier de cette ligne, pas plus d'ailleurs que les menaces, formulées par voie de presse, de tel ou tel dirigeant nationaliste.
Je le dis avec force : aucune organisation, aucun responsable ne saurait bénéficier de quelque impunité que ce soit dès lors que la loi aura été violée. Il faut que les choses soient bien claires : tous ceux qui commettent en Corse des crimes ou des délits, quelle qu'en soit la nature, doivent être interpellés et traduits devant la justice.
Le Gouvernement entend tout faire pour prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public en Corse comme sur n'importe quel autre point du territoire national.
C'est dans cet esprit qu'ont été engagées des procédures permettant de faire traiter par la quatorzième section du parquet de Paris des infractions à caractère terroriste, dont il est apparu qu'elles pourraient être instruites avec davantage de diligence à Paris, compte tenu de la charge de travail déjà écrasante qui pèse sur les magistrats affectés en Corse.
J'ai enfin demandé au ministre de l'intérieur et au ministre de la défense de me faire connaître leurs propositions pour renforcer encore l'efficacité des services de police et de gendarmerie en Corse et assurer la protection de leurs personnels.
Le principal atout dont doivent disposer ces services est la confiance du Gouvernement et, si vous me permettez de l'ajouter, de la représentation nationale.
Elle ne leur sera pas comptée. S'agissant du Gouvernement, elle leur est acquise, je l'ai réaffirmé à plusieurs reprises depuis ma nomination.
Je le dis sans ambiguïté et sans précaution : j'admire le courage de toutes celles et de tous ceux, policiers, gendarmes ou douaniers, qui sont affectés en Corse et assument dans des conditions souvent très difficiles leur mission.
Je les encourage aujourd'hui à poursuivre leurs efforts. Les résultats obtenus en mars et en avril doivent sans cesse inspirer leurs actions et nous montrer la voie.
Je n'oublie pas qu'un policier a trouvé la mort il y a quelques semaines alors qu'il poursuivait des terroristes. Notre fidélité à sa mémoire et, de façon plus générale, à la mémoire de tous ceux, policiers ou gendarmes, qui sont morts en Corse au cours des dernières années, victimes de leur devoir, suffirait à elle seule à nous dicter notre conduite : " force doit rester à la loi ".
Le rétablissement de la paix publique doit plus que jamais être un objectif pour tous : pour l'État, qui doit se mobiliser et mobiliser tous ses serviteurs afin d'agir dans la durée, sans complexe et sans compromission, et j'y veillerai personnellement ; pour les nationalistes, qui se sont trop souvent placés dans une situation inacceptable au regard des règles de la démocratie et dont certains ont pris de détestables habitudes relevant ni plus ni moins du droit commun ; pour l'opinion publique locale, enfin, qui peut, et elle le sait, faciliter l'action de la police et de la justice pour bannir la violence, même si c'est en abandonnant parfois des solidarités de groupe ou de famille.
Le rétablissement de l'ordre public qui est donc ma première priorité, la première priorité du Gouvernement, doit aller de pair avec la relance de l'économie locale.
L'étroitesse du marché intérieur de l'île, la paralysie périodique des transports maritimes ou aériens, les troubles à l'ordre public, la concurrence, notamment dans le secteur touristique, d'autres pays méditerranéens, ont beaucoup affaibli depuis plusieurs années l'économie corse.
Je regrette à cet égard que les gouvernements socialistes, qui n'étaient préoccupés que de réformes institutionnelles, aient été incapables de prendre à bras-le-corps les problèmes de l'économie corse. Depuis quinze ans, que de temps perdu dans ce domaine !
Même si l'inverse est vrai, comment imaginer que la paix publique puisse être durablement restaurée dans une région dont l'économie est à la dérive, voire complètement asphyxiée ?
C'est pour remédier à cette dégradation que, dès le début du mois de janvier, j'ai demandé aux ministres compétents d'organiser une concertation étroite avec les représentants des milieux socio-professionnels en Corse. Cette concertation, dont je persiste à penser qu'elle est un atout pour la Corse, a permis au Gouvernement, dès la fin du mois de mars, d'arrêter une série de mesures d'urgence qui ont concerné la modernisation de l'agriculture, la relance de l'activité touristique, l'assainissement de la situation financière des petites et moyennes entreprises corses. Sur tous ces points, des mesures ont déjà été prises.
Parallèlement, il m'a semblé nécessaire d'améliorer les conditions du dialogue social en Corse en permettant la reconnaissance des syndicats représentatifs à l'échelon local.
Enfin, diverses mesures destinées à faciliter l'enseignement de la langue corse et à étendre le rayonnement de l'université de Corse ont été prises.
Ce premier train de mesures, bien accueilli, ne pouvait à lui seul résoudre sans délai tous les problèmes : il manifeste cependant la volonté du Gouvernement de s'attaquer à toutes les facettes de la crise économique et sociale qui secoue la Corse.
Dans le même temps, le Gouvernement a fait le pari de la zone franche. L'économie de l'île bénéficie déjà, à bien des égards, d'un statut dérogatoire qui remonte, dans certains domaines, au Directoire.
Mais, pour relancer l'investissement et permettre le maintien de l'emploi en Corse, j'ai décidé d'aller plus loin et j'ai proposé que la Corse tout entière soit érigée en zone franche. La mise en uvre de cette décision fait actuellement l'objet de discussions avec les élus de l'assemblée territoriale et les milieux socio-professionnels concernés.
Le ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration et le ministre délégué au budget doivent se rendre demain et après-demain en Corse pour poursuivre les discussions engagées par le préfet de région et j'ai bon espoir que la création de cette zone franche puisse faire l'objet d'une décision définitive avant la fin du mois de juin. Je souhaite que l'ensemble des entreprises de l'île en bénéficie et que confiance en leur avenir soit ainsi rendue à tous les Corses.
Je sais que la décision de principe arrêtée le 27 mars a été bien accueillie. Je ferai tout pour ne pas décevoir l'espoir que, pour la première fois depuis longtemps, les Corses ont commencé de nourrir quant à la reprise des activités économiques sur l'île. Comme je l'ai annoncé, je me rendrai sur place pour annoncer, le moment venu, les modalités détaillées de cette innovation décisive.
J'aurais garde, enfin, d'oublier les problèmes de transports. Un projet de loi est en cours de préparation pour donner à ce secteur essentiel de l'économie sur l'île une stabilité qui lui a trop souvent hélas ! fait défaut dans le passé.
Je le dis cependant sans ambages : si la paix publique n'était pas rétablie en Corse, la création d'une zone franche apparaîtrait tôt ou tard comme une fausse bonne idée.
C'est peut-être déjà le cas, mais ce qui me frappe, messieurs les socialistes, c'est le vide sidéral de tous vos propos sur la Corse. Vous n'avez rien à dire et rien à proposer !
De façon plus générale, les mesures de soutien à l'activité économique se révéleraient inefficaces.
Si j'ai le projet d'ériger la Corse en zone franche, je n'accepterai pas qu'elle devienne une zone de non-droit ! J'en appelle donc à la responsabilité et à la loyauté de tous les Corses. J'en appelle à leur fidélité à la nation française.
Je le sais, dans leur immense majorité, ils sont attachés à la République et à la France. Je n'ai pas besoin de rappeler ici devant vous le rôle joué par la Corse dans notre histoire et, pour s'en tenir à la période contemporaine, dans la libération de notre pays à la fin de la seconde Guerre mondiale.
Chacune et chacun d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, l'a présent à l'esprit.
Je ne partage donc pas la réaction, que je veux espérer d'humeur, de celles et de ceux qui, sur le continent, font mine de vouloir renvoyer les Corses à un destin d'indépendance.
La Corse fait partie de la France. A ses heures les plus glorieuses, elle a été l'honneur de la France. Elle est capable, nous le savons, du meilleur, mais encore faut-il que les Corses le veuillent.
La Corse est aujourd'hui à un tournant.
J'en appelle donc à un sursaut de tous ses responsables, élus, chefs d'entreprise, syndicalistes, présidents d'association, forces vives, autorités morales.
Les élections prévues en 1998, et singulièrement le renouvellement de l'assemblée territoriale, donneront à tous les Corses qui veulent peser sur le destin de l'île l'occasion de s'exprimer dans le seul vrai cadre qui compte en démocratie : celui des élections.
D'ici là, beaucoup de travail reste à accomplir. Nous le ferons avec l'immense majorité des Corses, qui sont attachés à la France et qui sauront, je le sais, prendre leurs responsabilités. C'est sans faiblesse par contre que nous combattrons ceux qui défient la loi, ceux qui profèrent des menaces, des ultimatums ou des bons conseils, mais n'ont hélas ! pour programme que le malheur de la Corse.
La Corse, c'est la France. Tous ensemble nous croyons à son avenir. Tous ensemble, nous bâtirons pour elle un avenir digne de son histoire et digne de la République.

(Discours M. Jacques TOUBON, Assemblée nationale, le 28 mai 1996)
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les députés,
Alors que l'immense majorité des habitants de l'île réaffirme son attachement au débat démocratique, le seul légitime, je tiens à exprimer une nouvelle fois, après le chef du Gouvernement, que la justice entend bien contribuer pleinement à ce débat démocratique et à la paix publique.
Son action, ferme, équilibrée, humaine, doit permettre de conforter tous ceux qui souhaitent sincèrement s'inscrire dans la légalité et uvrer dans l'intérêt général.
C'est bien là le rôle et l'action de l'autorité judiciaire, dont les résultats en matière de lutte contre le banditisme et la grande criminalité méritent d'être particulièrement soulignés, dès lors que l'on veut bien analyser objectivement les faits.
Ainsi, le nombre de crimes et de délits constatés a connu une importante diminution en 1995 par rapport à 1994, de 40 p. 100 pour les vols et tentatives de vol à main armée.
Dans la première période de cette année, il y a eu deux fois moins d'attentats à l'explosif que dans la période comparable de 1995 et de 1994.
Cela signifie que, contrairement à ce que l'on dit, on avance sur la voie du rétablissement de l'ordre : 151 attentats dans les premiers mois de cette année, 350 dans la même période comparable de l'année 1995. Ce sont là des chiffres qui parlent !
Le taux d'élucidation des infractions a également connu une évolution variable mais généralement positive.
Les unités de gendarmerie de la Corse, par exemple, ont élucidé près de la moitié des faits qu'elles ont été amenées à constater. La police judiciaire d'Ajaccio a réalisé des résultats supérieurs à la moyenne nationale : près des deux tiers des affaires qui lui ont été confiées ont abouti.
Il en est de même de plus en plus des crimes, dont on prétend volontiers qu'ils ne sont pas poursuivis de la même manière que les autres. Je ne prendrai que quelques exemples.
Les auteurs de la fusillade du palais de justice d'Ajaccio au mois de novembre dernier, immédiatement poursuivis par les forces de police, ont été interpellés. Ils devraient très prochainement être jugés à Paris.
Le meurtrier du président du tribunal administratif de Bastia, rapidement identifié, a été déféré à la justice et l'instruction se poursuit activement.
Enfin, je voudrais donner un exemple peut-être moins connu, qui est tout récent. Le 13 mai dernier, à Bastia, un véhicule suspect était signalé aux services de police. Lors du contrôle qui a immédiatement suivi, les deux passagers ont cherché à s'enfuir en faisant usage de leurs armes. L'un d'eux a été blessé et interpellé, avant d'être présenté à la justice. L'enquête poursuit actuellement son cours. C'est un exemple de violence, parmi d'autres, qui n'est pas resté sans réponse. Il en est de plus en plus ainsi dans les deux départements de Corse.
N'oublions pas que le champ d'intervention de l'institution judiciaire ne se limite pas à la répression du grand banditisme et du terrorisme mais s'étend à bien d'autres situations qui peuvent être également très douloureuses.
Je pense bien sûr au drame de Furiani, qui a bouleversé toute la communauté nationale, et dont la procédure judiciaire a pu être conduite dans les meilleures conditions de sérénité possibles grâce aux efforts et à la dignité de tous, et en particulier des victimes auxquelles je rends une nouvelle fois hommage ici.
La justice et la police ont par ailleurs relancé la répression de la délinquance économique et financière.
Je saisis également l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour exprimer ma profonde considération et ma reconnaissance à tous ceux qui concourent à l'uvre de justice avec dévouement et parfois au prix de dénigrements ou d'actes inacceptables exercés sur leur propre personne ou sur leur famille. Ce week-end encore, le comportement professionnel d'un haut magistrat en fonction dans l'île a été mis en cause, par voie de presse, dans des conditions que je ne peux admettre, car elles sont sans aucun fondement.
Je ne resterai pas sans réaction devant de tels comportements, sans préjudice des suites judiciaires susceptibles de leur être réservées. Il est de mon devoir de garde des sceaux d'assurer le respect de l'institution judiciaire et des hommes et des femmes qui la servent. Je l'assumerai pleinement, en toutes circonstances, et sans me laisser influencer par des polémiques lancées à des fins purement politiciennes, parfois avec irresponsabilité.
Je redis de même fortement aux magistrats, officiers de police judiciaire, fonctionnaires de justice, agents de l'administration pénitentiaire, mais bien évidemment d'abord aux députés, qu'il n'y a pas de délinquant intouchable. J'indique de même qu'en ce qui concerne certaines déclarations faites dans une période récente, invitant à transgresser la loi pour faire obstacle, par la violence, au bon déroulement des investigations, je n'exclus aucune suite judiciaire éventuelle.
J'ai pour ma part, avant tout, le sens de l'État, et je crois savoir, après une assez longue carrière à la fois administrative et publique, discerner l'exigence du devoir et l'intérêt général.
C'est dans cet esprit que la justice doit permettre à chacun d'agir, de s'exprimer ouvertement et librement, dans le cadre des lois de la République.
En effet, je rappelle qu'il n'y a nulle part de violence justifiée, qu'il n'y a que des violations de la liberté de chacun, qu'il n'y a pas non plus de violence banale ou de seuil de tolérance dans ce domaine et que la moindre dérive vers ce qui pourrait apparaître comme une accoutumance à la violence ordinaire doit être dénoncée. Il n'y a pas de violence réservée, et il va de soi que les lois s'appliquent également sur l'ensemble du territoire de la République.
C'est ainsi que, lorsque sont réunies les conditions fixées par la loi, les procédures qui en découlent sont mises en uvre sous le contrôle souverain et naturel des instances judiciaires, jusqu'au degré le plus élevé : la Cour de cassation.
C'est dans cet esprit et conformément aux dispositions de l'article 706-18 du code de procédure pénale, que le Parquet a requis le dessaisissement de huit procédures relatives à des assassinats et tentatives d'assassinat.
Ces requêtes, fondées, comme il se doit en matière judiciaire, sur une analyse au cas par cas, tendent à assurer le meilleur déroulement possible des procédures et à leur donner leur pleine efficacité, en application des textes en vigueur et eu égard à l'expérience et aux moyens dont dispose la juridiction spécialisée parisienne. L'application de la loi pénale est un élément incontournable dans le processus de retour à une situation durablement stable.
J'ajoute, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté et pour que l'on ne dise pas qu'il y a des choix, qu'il y a deux poids et deux mesures, que ces huit demandes de dessaisissement seront bientôt suivies de onze autres, qui démontreront amplement qu'il s'agit là de bien administrer la justice, de faire poursuivre par les magistrats compétents les affaires pour lesquelles ils ont compétence, et non pas de je ne sais quelle manuvre politique trop complaisamment et injustement dénoncée.
Gardons toujours à l'esprit que l'État, c'est avant tout la loi et la justice. N'utilisons jamais celle-ci à des fins partisanes. Évitons de critiquer aujourd'hui des options que l'on réclamait hier. Laissons la justice, telle qu'elle est organisée par nos lois, jouer pleinement et sereinement son rôle.
Ne perdons pas de vue non plus que la justice n'est pas uniquement celle qui punit. Elle est aussi celle qui répare et qui réintègre chacun dans l'exercice de ses droits.
La justice, c'est donc l'impartialité, la neutralité, l'égalité entre tous. La justice, c'est enfin et surtout la paix, la paix civique, la paix sociale.
Son action doit permettre de répondre à tous ceux, de tous bords, qui entendent inscrire au grand jour, et dans le respect de nos lois, les actes de leur vie dans la voie apaisée que les Corses, comme l'ensemble de nos concitoyens, souhaitent et que le Gouvernement propose.
Cette justice, ai-je besoin de le souligner, est au cur de mon action. J'entends mener celle-ci dans le respect des règles de notre constitution et de nos lois qui sont les valeurs de la République. Seules, elles peuvent nous rassembler, ici comme ailleurs.

(Discours de M. Jean-Louis Debré, Assemblée nationale, le 28 mai 1996)
Mesdames, Messieurs les députés,
Depuis mon arrivée place Beauvau, il n'est pas de jour, en tout cas de semaine, sans que la Corse soit revenue, d'une façon ou d'une autre, au cur de mes préoccupations, parce que j'éprouve très profondément pour ce morceau de France un attachement particulier, presque charnel.
Mais surtout parce que je ressens chaque jour davantage l'angoisse qui monte de l'île et de ses habitants, qui ne se reconnaissent plus dans une évolution qui, si elle devait se poursuivre, les conduirait inexorablement à l'impasse politique, à la ruine économique, à l'anéantissement culturel, dans la délinquance, la drogue, la destruction sociale et la violence.
Et comment ne pas percevoir, dans le même temps, l'incompréhension et le désarroi croissant de l'opinion publique nationale face à cette dérive, tandis que l'effort de solidarité vers la Corse, jugé toujours insuffisant d'un côté, est déjà considéré comme exorbitant de l'autre ?
Et comment refuser de voir dans la situation actuelle le terme de vingt années où les réponses successives et parfois contradictoires qui furent apportées aux problèmes corses, qu'elles soient policières, institutionnelles ou économiques, quel qu'en ait été le bien-fondé, se sont révélées incapables de produire les résultats attendus ?
C'est ce constat que j'ai fait publiquement à Ajaccio le 12 janvier dernier.
C'est ce même constat qui m'a conduit à cette inébranlable conviction que le rétablissement du respect des lois de la République, parce qu'il en serait à la fois la condition autant que la conséquence, était indissociable des solutions qu'appellent les vrais problèmes de l'île.
Cette conviction, c'est aussi celle que la recherche de ces solutions passe tout aussi nécessairement par l'instauration d'un véritable dialogue entre Corses eux-mêmes autant qu'avec l'État.
Non pas le dialogue pour lui-même, dans l'espoir illusoire d'un consensus général. Mais un dialogue pour ouvrir l'espace à une vie institutionnelle normale, et pour permettre d'identifier en commun les moyens de réduire les blocages actuels, à l'abri des anathèmes, des incantations ou de l'inadmissible violence.
C'est à ce cheminement parallèle d'une fermeté résolue et comprise, parce que mieux expliquée, avec un travail méthodique et imaginatif sur toutes les questions de l'île, que le Gouvernement a appelé l'ensemble des personnes qui s'intéressent à la Corse.
C'est cette double démarche que j'ai souhaitée. J'en mesure la difficulté puisqu'elle suppose du temps et qu'elle est constamment menacée par tous ceux que la poursuite de la situation actuelle avantage dans le maintien des facilités acquises comme des illégalités.
Mesdames, Messieurs les députés, depuis janvier dernier, j'ai, sous l'autorité du Premier ministre, multiplié toutes les initiatives pour que, en tête-à-tête avec mes collègues, entre les services, les leurs et les miens, le travail interministériel progresse sur tous les plans et associe étroitement le monde économique et le monde politique dans la confiance réciproque.
J'ai moi-même reçu à deux reprises, et la dernière fois il y a un peu plus d'un mois, l'ensemble des représentants élus de l'assemblée territoriale. J'ai reçu de la même façon les parlementaires de l'île.
M. le Premier ministre a présenté un premier bilan de cette première étape.
Il a rappelé les décisions prises sur le plan économique et social, et il a tracé les perspectives des prochains mois, en particulier autour de cet outil de développement que doit représenter la zone franche.
Mais permettez-moi d'évoquer plus longuement et avec gravité ce qui constitue plus directement ma responsabilité ministérielle, c'est-à-dire l'ordre public.
L'année 1995 a été jalonnée de meurtres entre nationalistes et s'est terminée par une vague d'attentats.
Contrairement à l'opinion complaisamment répandue, cette violence n'est, hélas ! nullement exceptionnelle par son niveau.
C'est presque le contraire si l'on examine attentivement les chiffres. La violence de droit commun a même régressé très sensiblement puisque les crimes et délits constatés ont diminué de 22 p. 100 l'année dernière en Corse, contre 6 p. 100 au plan national.
La violence nationaliste - attentats par explosifs, par armes à feu ou par incendies - a, pour sa part, représenté cette même année 540 actes criminels, contre 559 en 1994, 573 en 1993 et 621 en 1992.
Mais le problème n'est pas dans cette comptabilité sans grande signification.
Ceux qui connaissent bien la Corse, et les Corses eux-mêmes, ont compris le changement fondamental intervenu en 1995. Désormais, la violence ouverte s'exerce, d'une part, entre les nationalistes, et souvent dans un contexte loin de toute considération politique, et, d'autre part, à l'égard non plus seulement de l'État, mais aussi de nombreuses collectivités publiques insulaires.
Peut-être est-ce dans ce bouleversement des choses que, paradoxalement, s'est ouvert l'espoir de les faire évoluer : la peur désormais affichée chez certains, la crainte de l'immense majorité devant l'abîme économique et social qui menace, les propositions de dialogue faites d'autre part sur tous les grands problèmes du développement de l'île, ont permis que s'amorce une autre voie.
Le silence des explosions durant ces derniers mois s'est conjugué à une efficacité policière nouvelle.
J'en donne des exemples, mêmes s'ils sont de natures différentes.
En quelques semaines, l'assassinat du président du tribunal administratif a été élucidé et l'auteur interpellé, une cache d'armes à Bastia découverte, des nationalistes de toutes tendances, je dis bien de toutes tendances, ont été appréhendés, les poseurs de bombes devant la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio ont été arrêtés, les auteurs d'un mitraillage de la préfecture et du conseil général identifiés et arrêtés.
Au cours des quatre derniers mois ont été déférés à la justice et écroués plus d'auteurs ou de complices d'attentats qu'au cours de la moitié de l'année dernière.
Cela a été compris, car, dans cette détermination à faire respecter la loi, aucune tendance n'est privilégiée et personne n'est oublié.
Je continuerai dans la voie de la fermeté. Le RAID retournera prochainement en Corse remplacer les fonctionnaires de l'Office central de répression du banditisme, qui l'avait lui-même remplacé. Tous les moyens nécessaires seront accordés. Des résultats ont été obtenus.
Et vous verrez, mesdames, messieurs les députés, que d'autres interviendront rapidement.
Nous connaissons tous les difficultés d'intervention de la police et de la gendarmerie dans l'île. Je veux leur dire ici toute ma gratitude et ma confiance. Et je n'oublie pas non plus qu'un policier a trouvé la mort au cours d'une récente opération d'interpellation.
Le directeur général de la police nationale et le directeur central de la police judiciaire, qui s'étaient rendus récemment sur place, y sont à nouveau aujourd'hui même, à ma demande, pour examiner avec les policiers la manière de rendre plus efficace encore leur action, avec toutes les garanties qu'elle doit comporter.
Je redis cependant ici avec force que ce ne sont pas les idées que l'on met en prison mais les délinquants. Il faut avoir cette règle abso-lue présente à l'esprit.
Mesdames, Messieurs, depuis quelques jours de nouveaux épisodes sont intervenus. L'irrationnel, le grossissement médiatique, l'agitation désordonnée et généralisée, parfois la provocation ont ressurgi pour une de ces périodes de pulsion comme la Corse en a tant connu, et qui pourraient constituer le pire des pièges pour ceux qui ne garderaient pas la tête froide.
Je souhaite - et je le dis gravement - que cela ne remette pas en cause le processus engagé, car cela donnerait raison aux extrémistes de toute nature.
Si, malheureusement, tel devait être le cas, qui ne pressent les conséquences d'un tel échec ?
L'efficacité policière et judiciaire appellerait d'autres moyens, matériels, mais surtout administratifs et juridiques. Sommes-nous prêts à les accepter ?
La solidarité insulaire traditionnelle offrirait une nouvelle chance à ceux qui, enfermés dans leurs fantasmes, apparaîtraient comme les victimes d'une répression dont certains exemples proches de nous montrent qu'à elle seule elle ne réussit guère, quels que soient les efforts consentis, à rétablir complètement l'ordre public.
Le courage comme le discernement doivent nous conduire à maintenir la logique que nous avons tenté d'ouvrir en début d'année.
Oui ! Si trop d'obstacles devaient nous imposer d'y renoncer, alors vraiment il faudrait craindre pour la Corse.
Mesdames, messieurs les députés, interrogez-vous au fond de vous-mêmes ! Existe-t-il une autre politique possible ? Qui a proposé une alternative ?
Constater l'échec relatif des autres approches au cours des vingt dernières années n'est pas désobligeant pour nos prédécesseurs.
Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est reprendre ce qu'il y avait de meilleur dans chacune de ces approches, les additionner, additionner leurs aspects positifs, en en retranchant les insuffisances.
Cela exige - mais je ne sais pas si vous êtes capables de le faire, messieurs les socialistes - de dépasser nos débats politiques traditionnels.
Oui ! Vous êtes, messieurs les socialistes, incapables de vous élever au-dessus de vos querelles personnelles et de vos réflexes partisans.
Seul l'effort de toute notre nation comme de l'ensemble de ses représentants pour trouver suffisamment de fraternité, de détermination et d'imagination permettra de redécouvrir pour la Corse les chemins de l'avenir.
J'avais dit à Ajaccio que l'État resterait en Corse comme la Corse resterait dans la France. Permettez-moi de le redire en cet instant.
La tentation du grand large n'existe d'ailleurs pratiquement plus.
Il faudra, pour que cette politique réussisse, beaucoup de temps, de la patience, de la ténacité et beaucoup de cur. Il y faudra peut-être aussi, hélas ! d'autres épreuves.
Si les pressions, les injonctions, les menaces, d'où qu'elles viennent, et quelle qu'en soit la nature, font partie de ces épreuves, elles ne changeront pas notre détermination, et le Gouvernement les assumera.
(Discours de M. Alain Juppé, Sénat, le 6 juin 1996)
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis le drame d'Aléria, la République est confrontée au problème corse, dont les composantes sont bien connues de vous toutes et de vous tous.
L'opinion publique de l'île, attachée - et on la comprend - au respect de son particularisme, est en même temps très largement hostile à toute idée d'indépendance ou de rupture avec la République. Les revendications du mouvement nationaliste, quelles qu'en soient les motivations, touchent aux principes fondateurs de la République et sont, hélas ! trop souvent soutenues par la violence et l'attentat.
Dans ce contexte, l'Etat se doit tout à la fois de maintenir les principes dont il est le garant - l'unité de la République et le respect de la loi - et d'oeuvrer pour le développement économique et social de la Corse. C'est dans cet esprit que le Gouvernement travaille.
C'est aussi dans cet esprit qu'il n'a pas l'intention de vous proposer de nouvelles réformes institutionnelles concernant la Corse. Je l'ai dit dès le 16 janvier dernier en recevant à l'Hôtel de Matignon tous les parlementaires corses, quelle que soit leur sensibilité politique : les problèmes institutionnels ne sont pas à l'ordre du jour, tout simplement parce que des solutions institutionnelles ne porteraient pas remède à la situation que nous connaissons.
Depuis 1982, la moyenne annuelle du nombre d'actions violentes commises en Corse - pour l'essentiel des attentats par explosif - s'est élevée à 500, soit plus d'un attentat par jour.
Cette situation, je le reconnais avec lucidité, ne s'est pas véritablement améliorée depuis le début de l'année.
Dans le même temps, les acteurs de l'économie corse voient celle-ci partir à la dérive puisque le tourisme, source essentielle de la prospérité de l'île, est chaque jour découragé par la recrudescence de la violence ou par des grèves irresponsables.
Pourtant réclamées avec insistance par les représentants des mouvements nationalistes, les réformes institutionnelles réalisées en 1982 et en 1991 n'ont donc, de ce point de vue de la violence, servi à rien. Je le redis ici en conséquence avec solennité : le Gouvernement n'entend ni modifier le statut de l'assemblée territoriale, ni supprimer les conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, ni traiter la Corse comme un département ou un territoire d'outre-mer, comme certains l'évoquent parfois. Il n'est pas question, non plus, je le dis bien sûr en toute sérénité, d'une reconnaissance officielle du " peuple corse ", concept déjà censuré par le Conseil constitutionnel. Dès lors, quelle est notre priorité si elle n'est pas institutionnelle ? Elle est double : sécurité et développement économique.
Pour ce qui concerne la sécurité, le retour à la paix publique est une absolue nécessité qui conditionne tout le reste.
Dès la constitution du Gouvernement, j'avais donné aux ministres concernés, et singulièrement au garde des sceaux et au ministre de l'intérieur, des consignes de la plus grande fermeté. J'ai renouvelé ces consignes au cours des derniers mois.
Cette attitude a commencé à porter ses fruits. Dans le courant des mois de mars et d'avril, notamment MM. Debré et Toubon reviendront sur ce point - plusieurs arrestations combinées avec des découvertes de caches d'armes ont montré que l'action de l'Etat, lorsqu'elle est résolue et déterminée, obtient des résultats dans la lutte contre toutes les formes de criminalité, au premier rang desquelles, bien sûr, le terrorisme.
La recrudescence, depuis le début du mois de mai, d'actions terroristes ou de commandos en Corse ne saurait nous conduire à dévier de cette ligne, pas plus d'ailleurs que les menaces, formulées par voie de presse, de tel ou tel dirigeant nationaliste.
Je le dis avec force : aucune organisation, aucun responsable ne saurait bénéficier de quelque impunité que ce soit dès lors que la loi aura été violée.
Il faut que les choses soient bien claires : tous ceux qui commettent en Corse des crimes ou des délits, quelle qu'en soit la nature, doivent être interpellés et traduits devant la justice.
Le Gouvernement entend tout faire pour prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public en Corse comme, bien sûr, sur n'importe quel autre point du territoire national.
C'est dans cet esprit d'ailleurs qu'ont été récemment transférées à la quatorzième section du parquet de Paris des infractions à caractère terroriste, dont il est apparu qu'elles pourraient être instruites avec plus de diligence à Paris, compte tenu de la charge de travail déjà très lourde qui pèse sur les magistrats affectés en Corse. Personne, je l'espère, ne s'est mépris sur la signification de ces décisions.
J'ai enfin demandé au ministre de l'intérieur et au ministre de la défense d'améliorer la coordination des services placés sous leur autorité - la police et la gendarmerie - en donnant toutes instructions utiles aux préfets dont la mission est et reste, plus que jamais, d'assurer cette coordination.
Parallèlement, il importe que soit assurée la protection des personnels de police et de gendarmerie dont nul ne saurait accepter qu'ils puissent être attaqués sans réagir, dans le cadre des lois de la République.
Le principal atout dont doivent disposer ces services est la confiance du Gouvernement ; sachez qu'elle ne leur sera pas comptée, elle leur est acquise depuis ma nomination.
J'admire le courage de toutes celles et de tous ceux - fonctionnaires, magistrats, policiers, gendarmes ou douaniers - qui sont affectés en Corse et assument dans des conditions souvent très difficiles leur mission républicaine.
Je les encourage aujourd'hui à poursuivre leurs efforts. Les résultats obtenus aux mois de mars et d'avril doivent inspirer leurs actions et nous montre la voie.
Le rétablissement de l'ordre public doit aller de pair en Corse avec la relance de l'économie locale.
L'étroitesse du marché intérieur de l'île, la paralysie périodique des transports maritimes ou aériens, les troubles à l'ordre public, la concurrence, notamment dans le secteur touristique, d'autres pays méditerranéens, tout cela a beaucoup affaibli depuis plusieurs années l'économie corse.
Même si l'inverse est vrai, comment imaginer que la paix publique puisse être durablement restaurée dans une région dont l'économie serait à la dérive, voire complètement asphyxiée ?
Une concertation étroite avec les représentants des milieux socioprofessionnels en Corse a permis au Gouvernement d'arrêter dès la fin du mois de mars - cela a déjà peut-être été oublié - une série de mesures d'urgence qui ont concerné la modernisation de l'agriculture, la relance de l'activité touristique et l'assainissement de la situation financière des petites et moyennes entreprises corses. Ces mesures sont déjà décidées et en vigueur.
Parallèlement, il m'a semblé nécessaire d'améliorer les conditions du dialogue social en Corse en permettant la reconnaissance des syndicats représentatifs à l'échelon local.
Enfin, diverses mesures destinées à faciliter l'enseignement de la langue corse et à étendre le rayonnement de l'université de Corse ont été prises.
Dans le même temps, et c'est ce qui a le plus retenu l'attention, parfois en gommant tout ce que je viens de rappeler, le Gouvernement a fait le pari de la zone franche.
Pour relancer l'investissement et permettre le maintien de l'emploi en Corse, j'ai proposé en effet que la Corse soit érigée en zone franche. La mise en oeuvre de cette décision a fait l'objet, la semaine dernière, à l'occasion d'un déplacement en Corse du ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration, et du ministre délégué au budget, de discussions avec les élus de l'assemblée territoriale et les milieux socioprofessionnels concernés. Ce déplacement a été une étape importante sur la voie du dialogue auquel le Gouvernement est attaché.
Il va de soi que les mesures envisagées dans le cadre de la zone franche doivent profiter aux entreprises et non aux particuliers. Il s'agit de rendre son dynamisme à l'économie corse et non pas de créer des effets d'aubaine, ou de nouvelles " niches " fiscales.
Le ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration va se rendre prochainement à Bruxelles pour exposer notre projet, tel qu'il est issu des dernières concertations menées dans l'île. J'ai bon espoir que la création de cette zone franche puisse faire l'objet d'une décision définitive avant la mi-juillet. Comme je l'ai déjà annoncé, je me rendrai alors sur place pour annoncer les modalités détaillées de cette innovation que je crois importante.
Je n'aurais garde, enfin, d'oublier les problèmes de transports. Un projet de loi est en cours de préparation pour donner à ce secteur essentiel de l'économie de l'île une stabilité qui lui a, trop souvent hélas ! fait défaut dans le passé.
Je le dis cependant sans ambages : si la paix publique n'est pas rétablie en Corse, la création d'une zone franche apparaîtra tôt ou tard comme une fausse fenêtre, une fausse bonne idée. Les mesures de soutien à l'activité économique, dans leur ensemble, s'avéreraient inefficaces.
C'est la raison pour laquelle j'ai rappelé en commençant toute la priorité que nous attachions au maintien de l'ordre public.
Je le dis pour conclure : en Corse, le Gouvernement n'a pas deux discours, il n'a pas deux politiques, il n'a pas une politique qui serait différente de son discours et sa main droite ne saurait ignorer, ni a fortiori contredire, ce que fait sa main gauche.
Le Gouvernement veut rétablir la paix publique tout en favorisant le développement de l'île grâce à des mesures ayant fait l'objet d'une vraie concertation et d'un dialogue approfondi avec toutes les parties prenantes qui respectent le jeu démocratique, c'est-à-dire la règle de l'élection.
Voilà la politique que nous menons. Tout le reste est littérature ou procès d'intention !
Ces principes ayant été réaffirmés, je voudrais en appeler à la responsabilité et à la loyauté de nos compatriotes corses. J'en appelle à leur fidélité à la nation française.
Nous les savons attachés, dans leur immense majorité, à la République et à la France ; ils l'ont montré tout au long de l'histoire récente.
Je ne partage donc pas la réaction, qui est sans doute un mouvement d'humeur, de celles et de ceux qui, sur le continent, font mine de vouloir renvoyer les Corses à leur destin d'indépendance.
Certes, la Corse est aujourd'hui à un tournant ; on l'a dit à plusieurs reprises dans le passé récent.
Mais, dans mon esprit, dans l'esprit du Gouvernement, dans l'esprit de la majorité de votre assemblée, j'en suis sûr, et dans celui des Corses, la Corse fait partie de la France. A ses heures les plus glorieuses, elle a été l'honneur de la France. Elle est capable, nous le savons, du meilleur, mais encore faut-il que les Corses le veuillent.
Les élections prévues en 1998 et, singulièrement, le renouvellement de l'assemblée territoriale leur donneront l'occasion de le dire et de peser sur le destin de l'île de la seule manière acceptable, c'est-à-dire par l'expression du suffrage et de la démocratie.
D'ici là, beaucoup de travail reste à accomplir, j'en ai bien conscience. Nous le ferons avec nos compatriotes corses, qui sont attachés à la France et qui sauront, je le sais, prendre leurs responsabilités.
Nous le ferons sans faiblesse, nous combattrons ceux qui défient la loi, ceux qui profèrent des menaces, des " ultimatums " et n'ont, hélas ! pour programme, au bout du compte, que le malheur de la Corse.
Je le disais récemment à l'Assemblée nationale, je le répète devant le Sénat : la Corse, jusqu'à preuve du contraire, c'est la France. Tous ensemble, nous croyons à son avenir. Tous ensemble, nous bâtirons pour elle un avenir digne de son histoire et digne de la France !
(Discours de M. Jacques TOUBON, Sénat, le 6 juin 1996)
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
J'ai entendu, j'entends encore, et je lis beaucoup de commentaires sur la situation en Corse, notamment sur les questions qui me concernent plus particulièrement en tant que ministre de la justice.
Certes, le débat démocratique, sur ce sujet comme sur tous les autres, implique évidemment que toutes les analyses, que toutes les opinions puissent être développées. Mais je voudrais que le Gouvernement puisse, lui aussi, avoir sa part dans ce débat, ne serait-ce que pour rappeler quelques données objectives.
Croyez-moi, contrairement à ce que certains ont dit, il ne s'agit ni pour le Premier ministre, ni pour le ministre de l'intérieur, ni pour les autres membres du Gouvernement qui ont ce dossier sur leur bureau, ni pour moi-même, d'affirmer que tout va bien. Je suis conscient, préoccupé, attentif aux attentes et aux protestations. Je suis lucide sur la situation qui prévaut, mais je refuse qu'un seul côté de la vérité apparaisse toujours dans les débats et dans l'information. Aussi je souhaite que le présent débat nous donne l'occasion de faire apparaître toutes les faces de la vérité et de la réalité, dans l'esprit même de tolérance et de dialogue qui est celui de la Haute Assemblée.
N'en déplaise à tous ceux qui, pour des raisons diverses, ont un regard systématiquement critique sans pour autant proposer de réelles perspectives, l'action de la justice s'attache à conforter ceux qui s'inscrivent dans la légalité et oeuvrent dans l'intérêt général, et à réprimer ceux qui ont fait le choix de l'illégalité.
Pourquoi refuser de prendre acte de cette réalité, à savoir que le nombre de crimes et de délits est en forte diminution sur le territoire des deux départements de la Corse - on a recensé 40 p. 100 de vols et de tentatives de vol à main armée en moins entre 1994 et 1995 - que le taux d'élucidation des infractions a connu une évolution positive, y compris s'agissant des crimes pour lesquels d'aucuns prétendent qu'ils ne font pas l'objet d'un traitement réellement déterminé ; ainsi, les attentats par explosifs ont été deux fois moins nombreux au premier trimestre 1996 qu'au premier trimestre 1995.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer des affaires très récentes dans lesquelles les auteurs ont été rapidement identifiés et déférés à la justice, sans parler de cas plus connus qui sont encore dans toutes les mémoires : la fusillade du Palais de justice d'Ajaccio, dont les auteurs actuellement emprisonnés ne manqueront pas d'être jugés assez rapidement ; le meurtre du président du tribunal administratif de Bastia, qui a été très rapidement élucidé ; le drame de Furiani, qui a endeuillé la France tout entière - j'en profite pour rendre de nouveau hommage aux victimes qui, par leur dignité, ont permis à la justice de suivre un cours aussi satisfaisant que possible eu égard à l'émotion bien légitime éprouvée dans l'île et dans tout le pays.
Mais je voudrais également rendre un hommage particulier à tous ceux qui concourent, avec un dévouement exemplaire, à l'oeuvre de justice : fonctionnaires de police, militaires de la gendarmerie, fonctionnaires de justice - qu'ils exercent leur mission au sein des tribunaux ou au sein des services déconcentrés - magistrats, tous réunis au service de la justice.
En tant que garde des sceaux, je veille, et je continuerai de veiller à ce que le respect de l'institution judiciaire et de ceux qui la servent soit préservé en toutes circonstances, quels que soient les objectifs, plus ou moins avouables, des polémiques lancées ici ou là.
Je ne ménagerai pas mes efforts en ce sens, comme je continuerai de conduire une action déterminée pour assurer la juste répression de toute forme de criminalité. En effet, je le répète : il n'y a pas de délinquant intouchable ni d'infraction hors la loi.
A ceux qui mettent en cause la détermination de la justice, je redis, par exemple, que je n'exclurait aucune suite judiciaire en cas de propos ou de déclarations qui tendraient à la transgression de nos lois en vue de faire obstacle au bon déroulement de la justice.
De même, je ne cesserai de stigmatiser toute dérive vers ce qui est parfois présenté comme une violence banalisée.
Nos codes, le code pénal et le code de procédure pénale, sont les seuls instruments de l'action de la justice. Quant à moi, je ne me laisserai pas détourner par les critiques émanant de ceux qui, il y a quelques mois encore, soutenaient une position exactement inverse de celle qui est la leur aujourd'hui.
Cette volonté m'a conduit à demander l'application, dans un certain nombre de dossiers, des dispositions de l'article 706-18 du code de procédure pénale, qui permettent, en matière de terrorisme, de saisir la juridiction parisienne spécialisée.
Ces procédures n'ont qu'un sens et qu'un objectif : faciliter le bon déroulement des investigations en cours. Elles reposent, conformément à nos principes judiciaires, sur un examen au cas par cas de chaque dossier et s'exercent sous le contrôle souverain de la Cour de cassation, dont la chambre criminelle vient de faire droit à cinq des requêtes présentées en ce sens par le Parquet. Trois autres requêtes sont en cours d'examen ; une dizaine d'autres vont être présentées dans les prochains jours.
Rechercher la pleine efficacité de l'action de la justice dans des dossiers d'une particulière gravité, compte tenu des moyens et de l'expérience des instances judiciaires spécialisées, par la stricte application des textes en vigueur, voilà comment se traduisent concrètement les propos sur l'état de droit que j'ai été amené à tenir lors de mon déplacement dans l'île au mois de février dernier.
C'est dans ce même esprit que la répression de la délinquance économique et financière a fait l'objet d'un renforcement significatif au travers de l'accroissement des moyens, y compris humains, mis à la disposition des autorités judiciaires et policières.
L'application ferme de la loi pénale est une pièce maîtresse sur l'échiquier républicain et un facteur de retour à une situation durablement stable à laquelle aspirent tous nos concitoyens, en Corse comme sur le continent.
Est-il besoin de rappeler - M. le Premier ministre vient de le dire - que l'immense majorité des habitants de l'île ne reconnaît comme légitime qu'un seul cadre, celui de la démocratie au sein de la République française ?
Garantir ce débat, c'est donc, pour la justice, être tout à la fois ferme, équilibrée et humaine. C'est aussi pouvoir jouer pleinement son rôle, dans une totale sérénité. C'est punir, lorsqu'il le faut, mais aussi réparer et réintégrer chacun dans l'exercice de ses droits. J'entends assumer sans réserve la mission qui m'est ainsi dévolue en ma qualité de garde des sceaux, conformément aux règles de notre Constitution et de nos lois.
Le sens de l'Etat, celui de l'intérêt général, alliés au légitime attachement à la Corse, forte de ses richesses et de ses particularités, partie intégrante de la nation, constituent, j'en suis convaincu, mesdames, messieurs les sénateurs, autant de valeurs qui nous rassemblent et qui nous préserverons des logiques d'abandon ou de destruction.

(Discours de M. Jean-Louis DEBRE, Sénat, le 6 juin 1996)
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Si l'île de Beauté s'est trouvée constamment au coeur de mes préoccupations depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur, ce n'est pas simplement parce que j'éprouve pour ce territoire de la République un attachement profond. C'est aussi et surtout parce que je perçois l'angoisse qui s'est emparée de la Corse et de ses habitants. Cette angoisse, chaque jour plus présente, chaque jour lancinante, ne peut nous laisser indifférents ou silencieux.
Comment pourrions-nous en effet accepter, mesdames, messieurs les sénateurs, cette évolution désastreuse vers laquelle l'île semble dériver, sous le regard impuissant des Corses eux-mêmes ?
Cette dérive nous mène à l'impasse politique aussi bien qu'au déclin économique et à l'appauvrissement culturel.
Comment pourrions-nous laisser croître l'incompréhension, quand ce n'est pas l'exaspération de l'opinion publique nationale face à une évolution dont elle ne comprend pas les raisons ni ce qu'acceptent ou recherchent ceux qu'elle englobe injustement dans une même responsabilité ?
L'opinion publique est lassée de contribuer, sans en voir les fruits, à un effort de solidarité qu'elle estime considérable.
La gravité de la situation en Corse nous oblige d'abord à un constat lucide et sans complaisance.
En vingt ans d'approches successives, et parfois contradictoires, pour apporter des solutions aux problèmes de la Corse, qu'ils soient institutionnels, économiques ou tout simplement liés à l'ordre public, nous n'avons pas trouvé de réponses satisfaisantes, force est de l'admettre. Il nous faut aujourd'hui prendre acte d'un échec politique. Quelles qu'aient été leur inspiration, leur originalité et surtout leur bien-fondé, les initiatives prises jusqu'à présent n'ont pas été, soyons lucides, couronnées de succès.
Qu'il me soit donc permis de préférer aux idéologies, aux idées toutes faites, aux a priori, la mise en oeuvre d'une politique fondée sur des convictions simples et des mesures pratiques.
C'est cette voie que j'ai voulu inaugurer à Ajaccio, en janvier dernier. Je n'ai pas varié depuis, en dépit des heurts et des obstacles qui se sont dressés sur ma route.
Je demeure convaincu que le rétablissement du respect des lois de la République est le préalable à toute solution durable aux vrais problèmes de l'île. Il est de la responsabilité de l'Etat de rétablir la loi républicaine, et l'Etat la fera respecter.
Une fermeté résolue et comprise n'est cependant synonyme ni d'aveuglement ni de repli de part et d'autre sur des certitudes immobiles.
C'est dans cet esprit que j'ai appelé au dialogue, non pour le plaisir d'entretenir des contacts stériles, ni dans l'espoir illusoire d'un consensus général. Le dialogue n'est pas une fin ; il est un moyen au service d'une politique, qui vise à ouvrir l'espace indispensable à l'amorce d'une vie institutionnelle et politique normale, à identifier les moyens de sortir des impasses présentes, à l'abri des provocations, des menaces et de la violence, toutes inacceptables.
Plus que tout autre, je mesure les difficultés de la démarche. Mais elles ne sauraient être, pour moi, prétexte à renoncer.
Cette politique a besoin de temps, mais elle a surtout besoin de volonté. En effet ne nous leurrons pas, tous ceux que la poursuite de la situation actuelle avantage, dans le maintien des facilités acquises ou des illégalités trop longtemps tolérées, s'attacheront à faire échouer cette politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais indiqué à Ajaccio que la police devait se remobiliser contre la délinquance, d'où qu'elle vienne et quelles qu'en soient les formes. Regardons aujourd'hui les choses avec objectivité.
Durant ces derniers mois, son efficacité comme celle de la gendarmerie ont incontestablement progressé. En voici plusieurs exemples, déjà rappelés d'ailleurs par M. le garde des sceaux.
En quelques semaines, l'assassinat du président du tribunal administratif de Bastia a été élucidé et son auteur interpellé. Une cache d'armes a été découverte à Bastia. Les poseurs de bombes devant la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio ont été arrêtés. Les auteurs d'un mitraillage de la préfecture et du conseil général ont été pris en flagrant délit et incarcérés.
J'ajoute que, au cours des quatre derniers mois, ont été déférés à la justice et écroués plus de responsables ou de complices d'attentats qu'au cours de la moitié de l'année passée.
Les personnes appréhendées appartiennent à toutes les tendances : à partir du moment où des actes criminels sont commis, ils doivent être réprimés, d'où qu'ils viennent.
Nous sommes fermes. Nous ne sommes certainement pas comme les socialistes qui, de juillet 1988 à septembre 1989, ont amnistié quarante-deux nationalistes. La majorité de l'époque avait en effet voté une loi d'amnistie, et trois personnes condamnées qui n'étaient même pas visées dans cette loi ont néanmoins été libérées.
Je redis ici que le respect de la loi vaut pour tous, que personne ne peut se prévaloir de sa situation, de sa tendance ou de son appartenance politique pour s'en affranchir.
Cette politique de fermeté sera poursuivie. Le RAID reviendra prochainement en Corse pour relever les fonctionnaires de l'office central de répression du banditisme.
Tous les moyens seront accordés pour que l'action de la police soit exemplaire.
Aux forces de police et de gendarmerie présentes en Corse, j'adresse à nouveau le témoignage de ma gratitude et de ma confiance. Je leur redis aussi mon émotion devant la mort de l'un des leurs, au cours d'une récente opération d'interpellation.
Je sais qu'entre la réalité et la perception des choses il existe une marge d'interprétation qui peut réduire à néant les arguments les plus solides et balayer les faits les mieux enracinés.
Je voudrais toutefois que l'on admette que, si l'année 1995 en Corse s'est trouvée entrecoupée de meurtres entre nationalistes et s'est achevée par une vague d'attentats inadmissibles, le niveau atteint par la violence n'est, hélas ! aucunement exceptionnel.
Au demeurant, les crimes et les délits de droit commun ont diminué sur l'île de 22 p. 100 l'année dernière, contre 6 p. 100 - faut-il le rappeler ? - sur le plan national.
L'inacceptable violence nationaliste, qu'il s'agisse des attentats à l'explosif, de l'usage des armes à feu ou des incendies, a représenté, en 1995, 540 actes criminels, contre 559 en 1994, 573 en 1993 et 621 en 1992.
Je ne tire nul argument de cette comptabilité. L'essentiel est ailleurs.
Prenons d'abord conscience qu'un changement fondamental est intervenu l'an passé. La violence s'exerce désormais aussi entre les Corses et entre les nationalistes, parfois en dehors de toute véritable considération politique.
Par ailleurs, les attentats sont dirigés non plus seulement vers l'Etat mais également vers toutes les collectivités publiques insulaires.
C'est peut-être, paradoxalement, dans la crainte du chaos que nous pouvons aujourd'hui puiser le fragile espoir de faire bouger les choses. La crainte de l'immense majorité des Corses devant l'abîme économique et social qui menace ainsi que le risque du discrédit politique général permettent que s'amorce, peut-être, une autre voie, celle qui conduirait la Corse à se réconcilier avec elle-même, dans le respect mutuel, le rétablissement de la loi et le développement économique et social.
Cela passe par le dialogue entre les Corses eux-mêmes autant que par un dialogue entre les Corses et l'Etat.
Le rôle du Gouvernement n'est pas d'imposer des solutions unilatérales et des schémas préétablis. Il consiste, d'abord, à faire renaître la confiance.
C'est dans cet esprit que, sous l'autorité du Premier ministre, j'ai multiplié les initiatives.
En tête-à-tête avec mes collègues, je me suis efforcé de faire progresser, sur tous les plans, le travail interministériel, afin que tous soient associés à la détermination de l'avenir de la Corse dans un climat de confiance réciproque.
M. le Premier ministre a reçu les parlementaires de la Corse. J'ai reçu à deux reprises, les représentants élus de l'assemblée territoriale. Quel que soit le courant d'idées auquel ils appartiennent, ils sont détenteurs de la légitimité que confère le suffrage universel.
J'ai voulu également écouter les parlementaires, qui sont les détenteurs de la souveraineté nationale.
Le suffrage universel, c'est la légitimité. La souveraineté nationale, c'est l'autorité.
M. le Premier ministre a présenté le bilan de cette première étape. Il a rappelé les décisions prises sur le plan économique et social. Il a tracé les perspectives des prochains mois, évoquant notamment la constitution de la zone franche, qui doit être un outil de développement pour l'île.
Pour cela, il faut que les Corses soient prêts à prendre en main leur destin, car rien ne se fera sans eux.
Bien sûr, je déplore que de nouveaux épisodes soient venus, encore récemment, menacer l'ébauche d'un rétablissement.
La Corse, pour ceux qui l'aiment, mérite mieux que les images d'Epinal par lesquelles certains s'obstinent à la décrire !
Le grossissement médiatique, l'agitation désordonnée, la multiplication des provocations ont semblé resurgir.
Ce serait là le pire des pièges, dans lequel les extrémistes veulent nous voir collectivement succomber.
Entre violence sur l'île et indifférence sur le continent, il existe, j'en suis convaincu, un chemin pour la raison et pour les hommes de bonne volonté.
Si celui-ci ne se dégageait pas, entravé par l'action de groupes extrémistes, il y aurait beaucoup à craindre pour la Corse.
Faudrait-il alors recourir à des solutions d'exception ? Serions-nous prêts à les accepter ? Seraient-elles admissibles pour la République qu'ensemble, et avec les Corses, nous formons ?
Mesurons aussi le risque d'une solidarité insulaire traditionnelle, qui offrirait une nouvelle chance à ceux qui, enfermés dans leurs fantasmes, se feraient passer pour les victimes d'une répression injuste.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, la lucidité comme le courage nous conduisent à maintenir la logique que nous avons tenté d'imposer en début d'année. Si trop d'obstacles devaient nous forcer à renoncer, il s'agirait d'un échec pour tout le monde, et d'abord pour la Corse.
J'ai ouvert ce dossier sans a priori. Comme vous, je me suis interrogé : existe-t-il une autre politique possible que celle fondée sur le dialogue, la fermeté et le développement ? Existe-t-il une alternative crédible à nos efforts ? Existe-t-il des solutions miracles pour faire avancer la Corse sur la voie de la prospérité et de l'harmonie retrouvée ? Je crois que non.
Il est temps pour nous, forts de l'échec relatif des approches des vingt dernières années, sachant en tirer les leçons, de dépasser nos clivages traditionnels.
Seul l'effort de toute la nation, et d'abord de l'ensemble de ses représentants, permettra à la Corse de redécouvrir les chemins de l'avenir.
C'est pour cela que l'Etat restera en Corse et que la Corse restera dans la France.
C'est, en tout cas, habité par cette espérance et par cette détermination que j'entends agir dans les mois qui viennent.
Quelles que soient les épreuves, les interrogations, les doutes, les menaces ou les intimidations, quels que soient les arrières pensées, le double langage ou les ambiguïtés de certains, le Gouvernement tiendra le cap.
Soyez assurés de notre ténacité et de notre volonté de promouvoir en Corse les valeurs de progrès qui sont celles de la nation et de la République.