Déclaration de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, sur le sport dans l'Union européenne notamment les positions prises pour lutter contre le dopage, pour interdire les transactions sur les sportifs mineurs, la lutte contre les violences et l'accès des femmes au sport, Paris le 7 juin 2000.

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Circonstance : Colloque "L'Union européenne et le sport" à l' Assemblée Nationale le 7 juin 2000

Texte intégral

Dans trois semaines, la France va assumer la présidence de l'Union européenne. L'initiative que vous avez prise d'organiser ce forum parlementaire sur le sport dans l'Union illustre l'importance que la France entend donner à cette question au cours de ces six mois. Je vous en sais d'autant plus gré que la reconnaissance, au niveau européen, de la singularité du sport, exige un grand débat public. Cette rencontre est donc très utile, venant après votre rapport de novembre qui visait déjà à préserver les structures actuelles du sport et à définir une approche communautaire nouvelle.
Le sport a une fonction sociale éminente, puisqu'il contribue à l'apprentissage de règles communes, du respect de l'autre et de la maîtrise de soi : c'est un formidable outil pédagogique, en même temps qu'une source de plaisir. Son attrait, son caractère d'activité de proximité en même temps que son extension " planétaire " lui confèrent un rôle sociétal de premier plan ; ce n'est pas un supplément d'âme mais une activité essentielle au progrès, un outil de formation de l'individu comme du citoyen.
Pourtant, le monde sportif connaît dérives et difficultés : dopage, transactions commerciales sur de jeunes sportifs mineurs, tentatives pour organiser des compétitions en dehors de toute structure ou de tout règlement, pour ne citer que les manifestations les plus insupportables, celles qui portent atteinte à l'éthique du sport ou à l'intégrité même du sportif.
Votre rapport analysait certaines conséquences de l'arrêt Bosman de la Cour de Justice des Communautés : explosion du marché des transferts au sein de l'Espace économique européen, inflation des rémunérations sans qu'il y ait toujours contrôle des sources de financement des clubs, évasion de talents nationaux, fragilisation de la politique de formation des clubs, constitution par certains clubs d'équipes complètes à partir de joueurs non sélectionnables pour les équipes nationales... Ces conséquences sont connues depuis longtemps et je ne m'y attarderai donc pas.
Il n'est pas question pour le gouvernement de mettre en cause les principes démocratiques de libre circulation ou de liberté du choix du travail. Ce que nous voulons, c'est freiner, sinon éradiquer les dérives nées de l'utilisation qu'on a faite de l'arrêt Bosman et qui ne sont pas sans relation avec l'intrusion massive d'intérêts privés dans certains sports de haut niveau et avec une médiatisation parfois mal maîtrisée.
Une action résolue du mouvement sportif s'impose. Je sais que MM. Sérandour et Blatter en sont conscients et ont des projets en ce sens, comme d'ailleurs d'autres dirigeants. Mais toute l'expérience de ces dernières années montre que, face à de tels enjeux - le sport est une activité éminemment populaire, jouant un rôle économique et social important, mais il y va aussi de la protection des jeunes, de la santé publique et de l'identité culturelle -, une implication de l'Etat est également indispensable. D'où le travail législatif que nous avons mené à bien, en France.
Toutefois, sans prolongement européen, ces textes montreront vite leurs limites. Par exemple, quelle sera la portée de la loi votée en décembre pour interdire les transactions commerciales portant sur les sportifs mineurs si ces transactions peuvent être effectuées dans d'autres pays européens ?
Il faut donc saluer les positions prises les 11 et 12 décembre 1998 par les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du Conseil européen de Vienne, sur le problème du dopage, sur celui des structures sportives ou en faveur de la fonction sociale du sport. Sur la base de ces engagements, la Commission a remis un rapport lors du sommet d'Helsinki, en décembre 1999 : autre avancée considérable, et qui porte témoignage de l'urgence qu'il y a à apporter une réponse politique et juridique à toutes ces questions.
La réunion des ministres des sports de Paderborn, il y a un an, puis celle de Lisbonne le mois dernier, ont permis de préciser dans quel sens la Communauté doit intervenir. A Lisbonne, nous avons adopté une déclaration appelant à prendre en compte la spécificité du sport, en matière sociale notamment, dans les politiques communautaires. Cette spécificité tient à la nature et à la finalité du sport, à la place originale de cette activité, au rôle tenu par les associations Cela dit, nous n'avons fait qu'ouvrir le chantier. A Lisbonne toujours, nous avons constitué un groupe de travail chargé de faire des propositions quant aux suites à donner au rapport d'Helsinki : il rendra ses conclusions sous présidence française, lors du forum européen du sport qui doit se tenir à Lille, fin octobre ; en novembre, à Paris, une nouvelle réunion des ministres des sports examinera ces conclusions et, je l'espère, pourra les valider - tout dépendra si nous aurons eu le temps d'organiser les contacts bilatéraux nécessaires. S'il y a consensus entre nous et avec la Commission, j'ai bon espoir que le Conseil de Nice fournira l'occasion d'une première action à réelle portée politique : l'adoption d'une déclaration marquant que le sport ne doit pas être considéré comme une marchandise, tributaire de la seule liberté de concurrence.
Le Premier ministre a décidé que cette question devait figurer parmi les priorités de la présidence française et Pierre Moscovici et moi-même unirons nos efforts sur le sujet, étant entendu que l'affaire doit être aussi celle des 15 chefs d'Etat.
Faudra-t-il aller plus loin demain, et modifier ou compléter le traité ? Nous devons y réfléchir. Je crois que cette évolution du cadre juridique devrait, dès la déclaration à laquelle j'ai fait allusion, aboutir à l'interdiction des transactions portant sur les sportifs mineurs et à la définition des conditions sous lesquelles les fédérations sont fondées à disposer d'un monopole pour l'organisation des compétitions et l'établissement des règles sportives. L'attribution de ces compétences apparaîtrait en effet normale, bien que dérogeant au droit de la concurrence, dès lors qu'on admet que le contrôle de la gestion des clubs, l'élaboration d'un mécanisme de solidarité et de répartition, d'un dispositif de lutte contre les violences ou d'un programme d'action en faveur de l'accès des femmes au sport relèvent de la responsabilité du mouvement sportif. Ces règles pourraient inclure des clauses de "sélectionnabilité" et une réglementation des transferts et des contrats de travail, dès lors qu'il y aurait eu dialogue entre les fédérations et les organisations représentatives des sportifs.
De façon plus générale, la reconnaissance du sport devrait permettre à l'Union européenne de développer des programmes de prévention, de formation et d'aide au développement des pratiques sportives.
En ce qui concerne la lutte contre le dopage, chacun reconnaît que la détermination de la France a contribué à créer une dynamique, à mobiliser les Etats, grâce à quoi a pu être créée l'Agence mondiale antidopage, en concertation entre le mouvement sportif international et les Etats qui y sont maintenant représentés à parité. L'Union européenne a participé à cette concertation mais, à Lisbonne, les Quinze ne sont pas parvenus à donner une base légale à leur participation à l'Agence elle-même. Or il y va du financement de celle-ci, notamment. Pour ma part, je pense que, plutôt qu'une adhésion volontaire des Etats, il vaudrait mieux envisager une représentation de l'Union elle-même, en tant que telle, au sein de l'Agence : cette dernière n'aurait sinon pas les moyens d'intervenir dans tous les pays de l'Union. Le point fait encore débat, cependant.
A terme, il faudra déterminer plus précisément les missions et compétences de l'Agence : doit-elle avoir la possibilité d'intervenir dans tous les Etats, pour y effectuer des contrôles ? Quant à son statut, il devrait évoluer vers un statut de droit public, fondé sur une convention internationale, afin de lui assurer de réels moyens d'intervention.
Cela étant, l'existence de l'Agence mondiale antidopage ne dégage pas les Etats membres de leurs responsabilités. Aussi la France a-t-elle accueilli très favorablement la proposition, avancée par la présidence portugaise, d'un protocole multilatéral autorisant des contrôles inopinés dans les 15 pays, ainsi qu'une coopération en matière de recherche et de prévention. Un groupe de travail étudie d'ores et déjà cette possibilité.
Réunis la semaine dernière à Bratislava, les ministres des sports du Conseil de l'Europe ont adopté une résolution approuvant tous ces principes. Je suis donc raisonnablement optimiste sur la possibilité d'aboutir. Faire une place au sport dans la construction européenne apparaît chaque jour plus indispensable, et ce aux yeux de l'opinion comme à ceux des gouvernements. Nous avons par conséquent la possibilité d'avancer et j'espère que la présidence française le permettra. L'apport du public, des élus, du mouvement sportif ne peut que nous aider, en tout cas, à franchir une nouvelle étape dans la reconnaissance du sport comme activité humaine essentielle.
(source http://www.assemblee-nat.fr, le 15 février 2001)