Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur les travaux de la deuxième conférence nationale de santé et la réduction des inégalités devant l'accès aux soins médicaux, Lille le 30 juin 1997.

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Circonstance : Réunion de la deuxième conférence nationale de santé à Lille du 30 juin au 2 juillet 1997

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse d'ouvrir aujourd'hui à Lille, avec Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la santé, les travaux de la deuxième conférence nationale de santé. L'ordre du jour de ces trois journées témoigne de la qualité de la préparation de cette conférence, grâce à la réflexion qui a eu lieu lors des conférences régionales et aux travaux menés par le bureau de la conférence nationale ainsi que par le Haut comité de la santé publique.
La santé est un bien précieux, ce qui explique qu'elle soit au coeur des préoccupations de nos concitoyens. Mais si ceux-ci entendent souvent parler de l'évolution des dépenses, de leur indispensable maîtrise, ils attendent de nous - responsables politiques, professionnels de santé, experts - qu'on leur offre une perspective. La perspective d'un système de santé qui réponde aux besoins, qui soigne mieux, qui prévienne les causes évitables de maladie et de décès, qui leur soit accessibles quand ils doivent y avoir recours. Les travaux que vous conduisez doivent nous y aider.
Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a tracé l'axe prioritaire du Gouvernement : garantir l'égalité d'accès aux soins. Notre action quotidienne, à Bernard Kouchner et à moi, sera guidée par cette occupation fondamentale.
Les Français ne sont pas égaux devant les soins, selon le niveau de leurs revenus et leur origine socioprofessionnelle.
En 1997, en France, l'argent reste un frein à l'accès aux soins. On se gausse souvent de la situation américaine où près de 40 millions de personnes n'ont pas de couverture maladie. On oublie qu'en France, la question de l'accès aux soins se pose aussi : certains de nos concitoyens sont contraints de renoncer à consulter un médecin. Le ticket modérateur et l'avance de frais peuvent être un obstacle insurmontable à des soins pourtant indispensables. Cette situation est d'autant plus choquante que notre pays consacre une large part de sa richesse nationale à la santé. Vous savez que la commission des comptes de la santé rendra publique cette semaine le bilan pour 1996.
Les études récentes, notamment celles conduites par le CREDES, indiquent que le comportement de la population est de plus en plus nettement influencé par des facteurs économiques. Elles mettent en lumière une augmentation de la consommation de soins des catégories sociales les plus aisés, qui sont celles qui bénéficient d'une meilleure protection complémentaire. Dans le même temps, la consommation de soins des ouvriers et les chômeurs diminue. Je ne sache pas pour autant, que les besoins de ces derniers soient plus faibles. Cette différence est particulièrement marquée par les soins les moins remboursés : les soins dentaires bien entendus, mais aussi le recourt au spécialiste.
À l'inverse, l'augmentation de la consommation de soins hospitaliers d'une partie de la population, notamment des recours de première intention aux consultations externes et aux urgences, s'explique davantage par des raisons économiques, que pour des motifs médicaux : aujourd'hui, les gens se rendent à l'hôpital parce qu'ils ne peuvent plus « s'offrir » une consultation en ville.
Le ticket modérateur se révèle aujourd'hui un frein pour ceux qui disposent de revenus les plus faibles. Dépourvus de couverture complémentaire, ils ont vu s'éroder leur « protection maladie » au fil des ans.
Force est de constater que pour des raisons financières, notre système ne permet pas toujours une réponse adaptée aux besoins de santé. Nous devons donc conduire une politique résolue permettant un réel accès aux soins selon une logique stricte de réponse aux besoins. C'est le défi de l'assurance-maladie universelle, et d'une meilleure prise en charge des plus démunis. C'est ce défi que nous entendons relever.
Vous allez examiner le rapport élaboré par le Haut comité de la santé publique, dont je salue aujourd'hui le remarquable travail. Ce rapport aborde un thème dont je tiens à souligner l'importance. C'est celui de la réduction des inégalités régionales de santé et par conséquent de l'allocation régionale des ressources.
Les Français ne sont pas égaux devant les soins, selon le niveau de leurs revenus, ils ne le sont pas non plus selon la région où ils habitent. Ce thème m'est cher, bien entendu, ne serait-ce que parce que je suis élue de cette région. J'en connais les réalités, et elles sont là pour me rappeler l'urgence nécessité d'agir.
Je crois aussi qu'il n'est pas nécessaire de tout savoir avant de commencer à agir. Agir, c'est lutter contre les inégalités, c'est donc recomposer le système de soins. Les travaux des conférences régionales le confirment : la région est l'échelon pertinent pour la mise en oeuvre d'une politique de santé.
Votre contribution, Mesdames et Messieurs, est essentielle : vous avez la lourde tâche d'éclairer, par vos travaux, le Parlement et au-delà, toute la collectivité. La première de vos missions, comme experts, est de caractériser les besoins de santé. C'est le préalable, indispensable à un vrai pilotage du système de soins. Elles sont ensuite de dégager les priorités de santé publique.
Je suis frappée par le paradoxe entre l'abondance de données d'origines variées et la pauvreté des informations qui en sont tirées. Or, nous ne saurions débattre ensemble utilement sans disposer d'informations précises, ordonnées et incontestables. C'est pourquoi je veillerai à ce que mon administration rende publics des éléments techniques servant de base à toute décision. C'est une exigence élémentaire de démocratie -et j'ai l'intime conviction qu'il n'a pas de bonne décision qui ne soit prise dans la transparence.
Je souhaite que le système de santé retrouve du sens. Le discours sur les moyens est et doit rester second par rapport au discours sur les fins. À quoi sert un système de santé, sinon à répondre aux besoins de la population. L'expression des besoins n'est pas une question technique, vous en conviendrez : cette question peut et doit être posée et débattue par les populations elles-mêmes et par les élus, nationaux comme locaux.
Je crois aussi utile de rappeler que les déterminants de la santé sont multiples. Le système de soins en est certes l'élément principal, mais d'autres ne peuvent être négligés.
Je tiens à affirmer ici la nécessité d'inscrire les questions de santé dans un cadre plus large. Le regroupement, au sein du ministère de l'emploi et de la solidarité, des compétences de plusieurs départements ministériels doit être mis à profit pour que la dimension sanitaire soit présence dans l'ensemble des actions menées. Je prendrai deux exemples.
En premier lieu, j'attacherai une importance particulière à la santé au travail. Les représentants du personnel dans les entreprises y sont à juste titre très sensible. La médecine du travail est un outil essentiel de notre modèle social ; elle est également un instrument précieux pour une politique active de prévention.
En second lieu, la politique de la ville devra prendre en compte la santé. On évoque souvent l'importance de la présence des services publics, de la réimplantation de commerce dans les quartiers en difficultés, désertés par les acteurs économiques. Celle de professions médicales et paramédicales, de structures de soins adaptés l'est tout autant. Je pense en particulier, parce que c'est une priorité, à la lutte contre les risques en toxicomanie, qui doit pouvoir disposer de relais médicaux forts dans le quartier où sévissent les drogues.
Nous attendons, Bernard Kouchner et moi-même, beaucoup de vos réflexions. Nous serons donc très attentifs à vos travaux, qui, comme vous le savez, seront pris en compte pour l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous avez donc une responsabilité particulièrement importante pour éclairer les débats du Parlement. Je ne doute pas que vous saurez, riches de la diversité des intervenants à cette conférence, faire émerger des propositions fortes dans les différents domaines que vous allez aborder au cours de ces trois journées.