Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur l'accord agricole de l'OMC, Paris, le 6 décembre 2000.

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Circonstance : Conférence sur les négociations commerciales multilatérales à l'OMC à Paris, le 6 décembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres, Monsieur le commissaire, Monsieur le directeur général, Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici à Paris à l'occasion de cette Conférence sur " les négociations à l'OMC, l'agriculture et les pays en développement ". Nous sommes ici pour vous écouter, d'abord, et pour poursuivre un dialogue qui, je l'espère, s'inscrira dans la durée.
Je voudrais partager avec vous, en introduction à notre réunion de cet après-midi, quelques questions et quelques pistes de réflexion sur les thèmes qui nous réunissent aujourd'hui.
Un constat tout d'abord : l'échec de la conférence de Seattle a révélé l'insuffisante prise en compte des préoccupations des pays en développement dans la négociation multilatérale. Parmi ces préoccupations, l'agriculture figure au premier plan, compte-tenu de la part qu'elle occupe dans le PIB et dans l'emploi, en particulier des pays les plus pauvres.
Nous ne pourrons pas lancer un nouveau cycle de négociations commerciales global - ce qui reste, vous le savez, notre objectif premier- sans prendre en compte la dimension du développement et d'une répartition plus équitable des fruits de la croissance. Qu'avons-nous fait depuis Seattle pour davantage prendre en compte ces préoccupations ?
Nous avons mené à l'OMC un réel travail sur les problèmes de mise en uvre des accords de Marrakech rencontrés par les pays en développement. L'Union européenne a adopté une attitude ouverte et positive dans ces discussions qui, je l'espère, pourront faire l'objet de décisions formelles lors du Conseil général des 14 - 15 décembre prochains.
Nous avons ouvert un dialogue à Genève sur le fonctionnement de l'OMC et sur la façon de mieux assurer en particulier la participation effective de chacun de ses membres à ses travaux et à la préparation des négociations.
A cet égard, nous avons soutenu l'initiative qui a été prise par le Gabon d'organiser, sous l'égide de l'OMC, il y a moins d'un mois à Libreville, une conférence des ministres du commerce extérieur africains pour discuter ensemble des questions commerciales multilatérales. J'ai participé à cette conférence qui a montré que l'OMC n'était pas un " club de riches " comme certains la décrient parfois mais que chacun pouvait et devait y faire entendre sa voix.
Dans le domaine plus spécifiquement de l'agriculture qui nous réunit aujourd'hui, je rappellerai les mérites de la conférence qui s'est tenue en juillet dernier à Ullensvang en Norvège sur les " considérations autres que d'ordre commercial ". Cette conférence a, je crois, marqué une étape importante dans la recherche d'une approche commune entre pays développés et en développement dans le domaine agricole. Elle l'a fait en reconnaissant les aspects spécifiques et multifonctionnels de l'agriculture, ainsi que le droit de chaque pays, sur la base de règles définies d'un commun accord, de traiter de considérations comme le développement rural et la viabilité socio-économique, le renforcement de la sécurité alimentaire et la protection de l'environnement, la promotion de la coexistence de plusieurs types d'agriculture.
La discussion à l'OMC des documents issus de cette conférence d'Ullensvang a montré que cette approche était partagée par un grand nombre de pays en développement. Le processus d'ouverture des échanges agricoles doit se faire dans le respect de la diversité des systèmes d'agriculture. Quoi de commun en effet entre un grand pays exportateur de produits tropicaux, un pays en transition, une petite île dont l'économie agricole est fortement dépendante d'une seule culture et un pays en développement importateur net qui cherche à développer son agriculture vivrière à l'abri des forces du marché ?
Parce que l'agriculture est essentielle pour les pays en développement, et parce que la diversité des agricultures des pays en développement impose la définition de règles adaptées, les prochaines négociations à l'OMC devront donc définir des règles spécifiques pour ces pays. C'est tout l'objet du traitement spécial et différencié, qui est expressément prévu par l'accord agricole de l'OMC. Quelle forme celui-ci doit-il prendre ? La proposition globale de négociation que l'Union européenne vient d'adopter et qu'elle va transmettre à l'OMC esquisse plusieurs pistes de réflexion. Parmi celles-ci :
*en termes d'accès au marché, l'acceptation de la nécessité éventuelle, pour les pays en développement les plus fragiles, de conserver une protection afin de disposer du temps d'adaptation nécessaire ;
*l'octroi, par les pays développés et également par les plus nantis des pays en développement , de préférences commerciales importantes aux moins avancés des pays en développement;
*afin de favoriser la lutte contre la pauvreté, l'exemption d'engagements de réduction des mesures de soutien interne contribuant à la vitalité durable des zones rurales et répondant aux préoccupations relatives à la sécurité alimentaire dans les pays en développement
*la fourniture, aux pays les moins avancés et aux pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, d'une aide alimentaire intégralement à titre de don et dans des conditions qui ne portent pas préjudice à la production alimentaire locale, ni aux capacités de commercialisation des pays bénéficiaires.
Ce sont quelques pistes, non exhaustives.
Je voudrais ajouter quelques mots sur l'accès au marché pour dire que de manière générale, l'Union n'a pas à rougir en la matière de son degré d'ouverture aux exportations des pays en développement. Elle constitue de loin le premier débouché pour les produits en provenance de ces pays. Cette situation découle de la gamme étendue de préférences commerciales accordées par l'Union européenne aux pays en développement. Quelques données pour illustrer ces propos:
*l'UE est aussi le premier importateur mondial de produits en provenance des pays les moins avancés (elle en importe six fois plus que les Etats-Unis),
*elle absorbe 65 % des exportations des produits agricoles des pays ACP, contre 14 % pour les Etats-Unis.
*99 % de ses importations tous produits confondus en provenance des ACP se font à droit zéro, contre seulement 65 % pour les Etats-Unis.
Aucun pays au monde n'est plus ouvert aux pays en développement que l'Europe. Aussi, au titre de la présidence de l'Union européenne, permettez-moi de renouveler ici l'appel lancé aux autres pays développés pour qu'ils ouvrent davantage leurs marchés aux produits en provenance des pays les moins avancés. Comme vous le savez, l'Union européenne s'apprête elle-même à aller encore plus loin (nous sommes en train d'examiner une proposition ambitieuse de la commission). Il serait également hautement souhaitable que les pays en développement les plus avancés puissent, eux aussi, contribuer à cet effort, en fonction de leur niveau de développement.
Conclusion
Nous le savons, l'agriculture présente des enjeux plus complexes pour les sociétés, développées ou en développement, que la plupart des secteurs industriels ou financiers. Elle tient à l'équilibre des territoires et à la satisfaction des besoins vitaux de l'humanité. Pour cette raison, elle doit échapper aux principes du libre échange classique, non pour en prendre le contre-pied, en interdisant tout commerce, mais pour faire de l'échange international un élément, parfois subsidiaire, du modèle agricole que doit établir chaque pays.
Mais cela ne signifie pas que, sous ce prétexte, nous n'ayons pas besoin d'un cadre international négocié en commun. Le problème n'est pas de savoir si nous avons besoin de règles, mais de quelles règles nous avons besoin. Des règles qui ne découlent pas d'une pensée unique, fondée sur le primat de l'échange, mais de la prise en compte des situations de chacun sur la voie du développement et du besoin d'une alimentation saine et équilibrée. Ce sont ces nouvelles règles que nous avons commencé et que nous devons continuer à définir ensemble.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 8 décembre 2000)