Texte intégral
Discours de François PATRIAT, Secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.
pour l'ouverture du Colloque Conso-France
22 février 2001
Je suis très sensible à votre initiative, Monsieur Huard, d'organiser ce colloque sur l'euro. C'est d'abord une occasion de réaffirmer notre intérêt pour les problèmes des consommateurs face à l'euro autrement que par les grandes campagnes, certes nécessaires, de communication. C'est une occasion, m'a-t-on dit de nous réunir entre associations de consommateurs à l'échelle européenne. C'est en effet l'occasion qui m'est ainsi donnée de souligner l'importance de cette année pour le passage à la nouvelle monnaie et la préparation de tous au basculement définitif à l'euro.
Le chemin vers l'euro est trop souvent perçu, voire vécu, comme un parcours difficile et long, qu'a incontestablement entretenu cette longue phase transitoire de trois ans pendant laquelle l'intérêt des consommateurs pour l'euro s'est émoussé. Il est vrai que pour une série de raisons pratiques et de contexte le scénario de passage précoce des consommateurs à l'euro scriptural ne s'est guère produit. Cette impression doit désormais être promptement dissipée. En fait, il s'agit non plus de haies à sauter, de pentes à gravir, de murs à escalader ou de ravins à enjamber mais, tout simplement, d'étapes successives. Etapes qui nous mèneront à un monde monétaire au langage différent. Etapes qui permettront à chacun de faire le point, d'adapter et de suivre son rythme, de reprendre son souffle pour avancer plus loin, jusqu'au but final : s'habituer aux échelles de prix et de valeur en euros, à raisonner en "tout euro" pour qu'en 2002, chacun d'entre nous puisse utiliser la nouvelle monnaie unique sans appréhension dans un climat de confiance.
L'effort d'adaptation n'est pas démesuré, il est humain, il est dosé, progressif, et c'est bien là le sens des étapes qui s'étalent au long de l'année 2001 :
le renversement progressif du double affichage francs-euros vers l'euro majeur mais avec toujours l'indication de la contre-valeur en francs, la présentation des factures en euros, le basculement des comptes bancaires au 1er juillet avec la montée en puissance des paiements scripturaux à partir du second semestre et enfin, l'arrivée de l'euro dans nos poches au 1er janvier 2002.
Sur ce chemin et les étapes qu'il comporte, nous ne sommes pas seuls. Loin s'en faut ! Nous nous tenons tous, à un moment ou à un autre, la main et surtout nous la tendons à ceux qui avancent plus lentement, pour les entraîner avec nous, en prenant garde de ne jamais laisser personne au bord du chemin. L'euro c'est, en effet, plus facile ensemble !
Les échanges entre les générations d'aujourd'hui et celles d'hier - pour les premières, le passage à l'euro est presque ludique ; pour les secondes, qui raisonnent encore parfois en anciens francs, l'exercice est sans nul doute plus délicat -, les conversations de voisinage, le dialogue avec ses commerçants habituels, ses fonctionnaires de proximité que sont les facteurs ou les instituteurs, ses prestataires ou les "brèves" de comptoir sont autant de moyens à développer pour échanger ses informations, partager ses inquiétudes. J'aurai scrupule à oublier qu'il appartient aux Pouvoirs publics de tracer la voie et de bâtir les passerelles ou les ponts qui feront le lien technique, psychologique et symbolique entre le franc et l'euro mais aussi entre nous tous et, avec nos partenaires européens. De construire ces fameux ponts, que vous découvrirez sur les billets en euros, symboles du passé et du présent, de la continuité d'une Europe qui va de l'avant et dont les bénéfices pour les consommateurs sont tangibles depuis maintenant près de cinquante ans que la construction et la paix européenne se poursuit.
Nous sommes tous partenaires de cette construction sans précédent dans l'Histoire et dont l'adoption d'une monnaie unique constitue un maillon capital. Avec l'euro, nous achetons la croissance et nous abandonnons le chômage.
L'année 2001 sera cruciale. 5 objectifs me paraissent pouvoir être atteints. Il faut rythmer la période transitoire, favoriser l'apprentissage de l'euro sous toutes ses formes, se familiariser avec les pièces et les billets, assurer la confiance des consommateurs, développer le dialogue entre consommateurs et professionnels.
1. Rythmer la période transitoire
Les études et les sondages réguliers effectués sur l'état de préparation des Français à l'euro ainsi que sur la pratique des moyens de paiement fiduciaires indiquent ne correspond, certes, pas encore à nos attentes. Mais les Français commencent à avoir une de conscience de l'importance de l'enjeu que représente l'échéance du 31 décembre 2001.
Il reste cependant encore du chemin à parcourir et les actions entreprises depuis le début de la période transitoire en 1999 vont être renforcées et accentuées pour accélérer le passage à la monnaie unique. Nous avons donc décidé de rythmer cette année 2001 avec un grand nombre d'événement significatifs : paie des fonctionnaires en euros, comptes bancaires en euros, chéquiers en euros, " euro - majeur " dans les commerces, sachets euros. Projetons-nous au 1er janvier 2002 : arriveront alors dans nos porte-monnaie 15 supports monétaires nouveaux (7 billets et 8 pièces) et les paiements scripturaux en euros (chèques, cartes bancaires ou virements) deviendront obligatoires.
A cette date, nous aurons eu six mois de préparation qui nous auront servi pour constituer notre nouveau référentiel de prix en euros à partir de l'utilisation de notre nouveau chéquier en euros. Bien entendu, il y aura eu le double affichage et l'utilisation de l'euro-logo.
2. Favoriser l'apprentissage
Nombreux sont les outils déjà existants qu'utilisent les relais associatifs dans le domaine de l'euro. Ils vont être actualisés et développés. Je demanderai aux Observatoires de l'euro et aux organismes ou instituts qui s'occupent de consommation, je pense particulièrement à l'INC, d'intensifier leurs campagnes d'information de façon parfaitement coordonnée.
Cela étant, 2001 va avoir pour objectif essentiel de développer, au-delà de l'information générale et de la campagne nationale de communication, des actions concrètes pour répondre à des questions très pratiques concernant l'utilisation de l'euro au quotidien, que nous nous posons.
Je ne citerai que quelques exemples :
Comment se repérer dans les montants exprimés en euro ?
Quelles sont les modalités pratiques pour utiliser simplement l'euro (éviter les confusions entre chéquiers euros et chéquiers francs) ?
Le rendu de monnaie en euros, durant la période de double circulation, sera-t-il systématique ?
Pourquoi subsistent-il des frais bancaires différents selon les banques pour les virements transfrontières ?
Comment atteindre efficacement les personnes en difficulté face à l'euro qui sont des publics, en fait, très divers ?
A cet égard, j'ai demandé à mes services, dont les agents ont reçu une formation "euro" adaptée à ce type de sollicitations, de participer, au plan local, à la sensibilisation et à l'information de tous les publics. L'objectif est de fournir rapidement une information exhaustive, claire et facilement compréhensible.
Il est de l'intérêt de tous, et aux associations en particulier, de faire connaître aux directions départementales de la CCRF ou à vos membres qui siègent au sein des Observatoires, toutes les questions que vous estimerez utiles pour faciliter la compréhension et l'appropriation des nouveaux outils monétaires. Comme je l'ai déjà indiqué, la remontée des attentes et des besoins est un élément capital pour nous permettre de vous satisfaire au mieux.
Les Observatoires pourront identifier les outils simples et pratiques les plus adaptés à ces populations, afin de faciliter cet accompagnement.
3. Se familiariser avec les pièces et les billets et faciliter le passage à l'euro concret.
Concernant les pièces, nous aurons déjà pu retirer, auprès des guichets des banques et de la Poste à partir du 15 décembre, un "kit" comprenant 40 pièces de l'ensemble des dénominations pour une valeur de 100 francs. Cette alimentation anticipée constituera un élément important d'appropriation de l'euro.
Les occasions de représentation des futurs billets et pièces en euros devront être multipliées, en particulier dans les magasins et les lieux publics. Un aide mémoire simple devra être diffusé par l'INC en direction des consommateurs.
Un effort particulier devra être effectué en direction des consommateurs les plus fragiles, en particulier les personnes âgées, les non-francophones et les publics en situation de précarité financière, pour montrer les nouveaux signes monétaires afin qu'ils évitent de se faire tromper. Je demanderai à la Banque de France et aux monnaies et médailles de faire plus d'effort dans ce sens encore.
De plus, je continue à ne pas comprendre les décisions prises à l'échelle européenne concernant les billets : une préalimentation des particuliers serait possible pour les pièces et non pour les billets. Que l'institut d'émission soit différent dans le cas des pièces et des billets, ne me semble pas en tous cas un critère véritablement opérationnel.
Enfin, il me semble que les banques devraient faire des efforts supplémentaires pour ouvrir leurs guichets en dehors des heures habituelles d'ouverture afin que les consommateurs puissent changer sereinement leur monnaie entre le 1er janvier et le 17 février 2002.
4. Assurer la confiance des consommateurs.
C'est notre tâche la plus délicate et la plus importante puisqu'elle consiste à stabiliser un élément d'appréciation subjectif, extrêmement volatil. En effet, du climat de confiance et de sécurité juridique viendra la réussite du passage l'euro.
La DGCCRF, les associations de consommateurs et les observatoires de l'euro seront pleinement mobilisés pour cela. A cet égard, les Observatoires, auront pour tâche de renforcer la promotion des "bonnes pratiques locales" en faveur de l'euro. Les Observatoires auront aussi pour mission de faire remonter les questionnements dont ils sont saisis
Outre leurs missions traditionnelles, elles devront, comme je l'ai mentionné plus haut, servir d'écoute aux attentes des uns et des autres mais aussi se faire en quelque sorte "le passeur du gué" en renforçant leurs missions de veille. J'animerai, d'ailleurs bientôt des conférences régionales des observatoires afin de les mobiliser vers leurs missions futures, fondamentales pendant le passage à l'euro fiduciaire. Je me rendrai donc auprès d'eux, sur le terrain. Les observatoires pourront ainsi faire connaître les actions déjà réalisées et celles qu'ils envisagent d'impulser pour renforcer la confiance et le dialogue entre consommateurs et professionnels.
Les services, pour leur part, devront accorder une priorité de contrôle aux modalités d'affichage et d'information sur les prix, qui ne doivent pas avoir pour effet d'induire en erreur le consommateur. En particulier, le double affichage doit permettre un étiquetage non équivoque, aisément identifiable et facilement lisible.
De même, les services devront assurer une protection efficace du consommateur en veillant au respect des règles de conversion et d'arrondi et à la conformité des convertisseurs.
Enfin, certaines pratiques commerciales, telles que ventes au déballage ou démarchage à domicile, feront l'objet d'une vigilance particulière, afin que le passage à l'euro ne soit pas utilisé pour surprendre la confiance des consommateurs, notamment les plus fragiles.
Pour les plaintes ne relevant pas des compétences de la DGCCRF ou les escroqueries qui pourraient être constatées dans le cadre des activités du service, un système de coopération efficace doit être mis en place pour orienter les consommateurs ou permettre la transmission des informations dans de bonnes conditions d'efficacité.
Enfin, pendant la période de double circulation des sept premières semaines de 2002, une véritable "veille active" de l'ensemble du réseau sera constituée pour relayer toute difficulté liée à l'utilisation concrète de l'euro, faire remonter très rapidement tout problème qui pourrait se poser, et aider ainsi à sa résolution.
5. Développer le dialogue entre les consommateurs et les professionnels.
Les travaux du Conseil National de la Consommation qui seront poursuivis dans la ligne de leurs développements antérieurs pour préciser, adapter, renouveler des recommandations déjà rendues et dégager des pistes nouvelles de réflexion. Je souhaite à cet égard vivement que les accords qui les ont vus naître, formalisés au sein du CNC, soient actualisés afin de tenir compte des développements nouveaux liés à l'euro majeur et à l'euro fiduciaire.
Les Observatoires de l'euro auront, quant à eux, à jouer un rôle actif dans un domaine bien spécifique : la prévention et le règlement des litiges entre consommateurs et professionnels qui surviendraient de l'utilisation concrète de l'euro.
Les litiges qui n'auraient pas été résolus sur place directement entre le consommateur et le professionnel, pourront être soumis à l'instance de règlement mise en place auprès des Observatoires. Des solutions simples peuvent être dégagées pour aplanir d'éventuels différends ainsi que pour éviter aux consommateurs d'entamer leur capital de confiance dans la nouvelle monnaie, et aux professionnels de voir leur image de marque mise à mal par une incompréhension mutuelle de l'utilisation de l'euro.
Afin de prévenir, le plus en amont possible, tout risque de cette nature, je dois insister sur le rôle pédagogique et psychologique qu'auront à jouer les commerçants, dans la relation de proximité qu'ils ont quotidiennement avec leurs clients, pour renforcer leur confiance dans la nouvelle monnaie et faciliter son appropriation. Il y a enfin la question que je ne résoudrai pas aujourd'hui mais qui devra l'être, d'éventuels accord de neutralité des arrondis ou d'accords d'arrondis à la baisse. C'est une bonne idée, surtout pour des branches particulières, mais il faut avoir conscience des effets pervers de tels accords qui pourraient avoir pour effet d'écarter une partie non négligeable du petit commerce et de ce fait des consommateurs de leur bénéfice. Il faudra vite avoir une idée plus claire de l'action des acteurs sur les prix psychologiques pour prendre une décision raisonnée sur cette question.
***
Au fil de ce discours, je n'ai pas pu m'empêcher de me remémorer les comparaisons hasardeuses souvent faites avec le passage à l'an 2000. Et si, en effet, le passage à l'euro ne posait aucun problème, comme cela a été le cas pour le bogue de l'an 2000 ? Et si les années englouties par l'ensemble des acteurs publics, du secteur privé et de terrain dans la préparation à l'euro passaient inaperçues, comme celles consacrées au bogue de l'an 2000 grâce à un passage harmonieux des consommateurs à la monnaie unique ? Et si d'aucuns reprochaient à l'Etat, comme pour le bogue, de se donner tous les moyens pour que tous se préparent sereinement, en donnant à tous l'égalité des chances face à l'euro ?
Le parallèle s'arrête cependant là. Car, si le passage à l'an 2000 s'est déroulé dans le calme, ce n'étaient que des machines, des ordinateurs, des horloges, des processeurs qu'il fallait paramétrer. Pour l'euro, ce sont nos concitoyens, avec leurs habitudes, leur psychologie, leur culture, leur âge, leur éducation, leurs difficultés et leurs spécificités propres, qu'il faudra préparer. Le passage à l'euro, après avoir touché les marchés financiers, doit s'intéresser désormais à l'humain. Ce qui n'est pas, d'après moi, une mince affaire.
(Source http://www.pme-commerce-artisanat.gouv.fr, le 26 février 2001)