Texte intégral
Q - Est-ce vraiment une marche en avant qui est enclenchée ou avons-nous seulement stoppé une marche arrière ?
R - Cela marque une marche en avant et une relance de l'Europe. Il y avait un blocage, une panne institutionnelle depuis deux ans, depuis les non français et néerlandais au projet de Traité constitutionnel. Cela clôt une période qui s'était ouverte juste après Maastricht, une période pendant laquelle la problématique institutionnelle était tout le temps sur le devant de la scène. Nous connaissions les problèmes de l'Europe, mais nous ne savions pas comment les résoudre. Depuis 15 ans, nous butions sur cette question : comment faire en sorte d'adapter des institutions aux élargissements successifs ? Amsterdam, Nice, la Convention, la Conférence intergouvernementale de 2004, c'était toujours le même processus. Nous étions dans une période, au mieux de doute institutionnel, au pire d'impuissance. La grande avancée de ce Traité est de clore cette impuissance.
Sans vouloir être trop technique, à Maastricht, nous étions partis sur des piliers, avec des politiques communes héritées du Traité de Rome, des politiques spécifiques en matière d'affaires intérieures et judiciaires, et des politiques spécifiques en matière de politique étrangère. Qu'avons-nous fait dans le cadre de ce compromis ? Nous avons dépassé cette architecture en piliers et nous avons des politiques communes pour le fonctionnement de l'Union européenne. Le Traité se divisera en deux parties. Il y aura le Traité de l'Union européenne qui fixe les principes et les bases de l'Union et vous aurez un Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui ne fera plus de distinction entre ce que sont les politiques communes traditionnelles du Traité de Rome, ce que sont les affaires intérieures et judiciaires et ce qu'est la politique étrangère commune. Et la principale avancée du compromis trouvé, c'est l'extension du vote à la majorité qualifiée.
Q - L'accord politique vous parait-il atteint ? Le texte qui aboutira ne sera qu'une mise en forme juridique ?
La Constitution européenne tenait une possibilité de dynamisme politique, notamment avec les symboles, ce Traité conservera t-il ce dynamisme " incorporé " ?
R - Premier point, nous avons un mandat très détaillé et qui peut donc paraître compliqué. Mais ce n'est pas parce que vous avez un mandat détaillé et compliqué que le Traité sera compliqué. Le Traité sera simplifié et plus court que le projet de Traité constitutionnel : c'est pour cela que vous avez des notes de bas de page, des annexes. Nous avons voulu avoir un mandat détaillé pour rompre avec une certaine tradition du Conseil européen qui fixait les principes généraux et les envoyait ensuite aux fonctionnaires dans le cadre d'une conférence intergouvernementale assez longue et arrivant à des dispositions compliquées. Cette fois, nous avons le détail tout de suite ce qui permettra plus de clarté dans le cadre du Traité. Il y aura, d'une part, un Traité de l'Union européenne qui sera très court, qui posera les principes de l'Union, et, d'autre part, un Traité sur le fonctionnement qui reprendra les différentes politiques communes et qui évitera les redondances qui existaient dans le Traité constitutionnel entre les traités de Maastricht et de Rome et les nouvelles dispositions. Le mandat est donc effectivement détaillé mais pour arriver à un Traité qui soit simplifié.
Sur la question des symboles, il faut voir d'où nous partions. Deux pays avaient voté non, dont le nôtre, justement par peur de la supranationalité, d'un certain fédéralisme, et nous avions sept Etats qui n'avaient pas ratifié le Traité, et non des moindres. Le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque ne s'étaient pas prononcés. Le compromis qui a été trouvé est de faire en sorte que nous gardions la substance à défaut des symboles. L'essentiel de ce qui existait reste dans ce nouveau Traité à quelques exceptions près, qui sont importantes pour les Français, comme le fait que la concurrence libre et non faussée ne fasse plus partie des objectifs de l'Union.
Q - Mais elle est dans le Traité de Rome.
R - Elle est dans le Traité de Rome, c'est pour cela qu'il n'y avait pas besoin de l'ériger en terme d'objectif de l'Union au même rang que la paix, la sauvegarde de la démocratie, les héritages culturels, un certain nombre de choses qui sont de vrais objectifs de l'Union européenne, ce pour quoi nous nous sommes battus. Nous avons rajouté, parmi les objectifs, la protection des citoyens parce qu'il y avait des inquiétudes dans un certain nombre de pays, dont le nôtre. La globalisation entraîne un monde plus dur aux yeux de nombre de nos concitoyens. L'objectif de protection, et non de protectionnisme était important. Les citoyens ont besoin également d'une Europe qui les protège et nous avons fait en sorte, avec nos amis néerlandais, d'ajouter les principes régissant l'organisation des services publics dans un protocole.
Le troisième sens du compromis qui a été trouvé est avec les Britanniques. Avec les Britanniques, pour résumer, le compromis est le "opt-out". Il y a un certain nombre de politiques dont ils ne feront pas partie mais, à la différence du Traité précédent qui était très ambigu sur ce plan là, ce nouveau Traité reconnaît que ceux qui veulent avancer sur un certain nombre de politiques le peuvent sans être bloqués. L'avantage de ce compromis est que ce sont les Britanniques qui devront choisir en fonction de leurs propres contraintes intérieures. Ils verront comment tout cela marche, ils verront à quel rythme ils seront en mesure d'avancer. Ils ne s'interdisent pas de nous rejoindre dans ces politiques de même que, théoriquement, ils ne s'interdisent pas de rejoindre l'euro à un certain moment. Mais ce qui est important dans ce compromis, c'est que les autres peuvent avancer au rythme qu'ils souhaitent, que ce soit dans le cadre de la politique de l'énergie, de la politique de santé, dans la coopération policière, la lutte contre la criminalité, le terrorisme, la politique judiciaire, la politique pénale ou sur d'autres aspects de politique économique. C'est le principal compromis qui a été trouvé avec les Britanniques. D'un côté, vous avez une phase un peu négative parce qu'il y a beaucoup de "opt-out" britanniques, ce contre quoi certains de nos partenaires, italiens ou belges, ont protesté, mais l'avantage est que cela permet aux autres d'avancer.
Q - Ce ne sont pas des veto.
R - Ce ne sont pas des veto et ce ne sont pas des domaines où les Britanniques ont un pied dedans, un pied dehors. Ils sont en dehors d'un certain nombre de politiques et ils laissent les autres progresser à la majorité qualifiée sur ces objectifs. C'est une avancée forte pour développer un certain nombre de politiques communes par la suite.
Q - Maintenant que ces possibilités d'avancer sont ouvertes, quelles sont les intentions de la France ? Dans quels domaines allez-vous tenter de faire avancer les choses avec ceux qui le veulent ?
R - Rappelons les principaux acquis. La présidence stable de deux ans et demi est une chose extrêmement importante et un symbole décisif. L'Europe va avoir un visage, il y aura une continuité entre les différents travaux des présidences. Cela existe aujourd'hui mais de manière pragmatique, avec les présidences tournantes qui essaient de travailler ensemble.
Le second symbole c'est le Haut représentant pour les Affaires étrangères. Il va avoir un service diplomatique important avec des moyens supplémentaires, il sera vice-président de la Commission européenne et il présidera le conseil des ministres des Affaires étrangères. Donc, là aussi, en terme de visibilité diplomatique de l'Union européenne, c'est quelque chose de fondamental.
Troisièmement, les pouvoirs du Parlement européen sont renforcés, les mécanismes de codécision élargis. Le Parlement européen va élire le président de la Commission, c'est aussi un symbole. Nous aurons donc une Europe qui sera plus visible, il y aura des mécanismes plus efficaces en matière de représentation et de coordination des politiques au niveau européen, et plus démocratiques.
Et j'ajoute un quatrième symbole, les parlements nationaux seront plus associés à l'idée européenne. Nous pouvons penser que, de ce point de vue là, l'idée européenne irriguera davantage les différents Etats nationaux, ce qui était sans doute une lacune des systèmes précédents.
Q - Le président reste renouvelable une fois c'est cela ?
R - Effectivement. Il y a donc, de ce point de vue là, une architecture beaucoup plus claire. Il vaut peut-être mieux avoir des symboles concrets. Il est très symptomatique que, pour la première fois sur la photographie officielle du président de la République française, il y ait le drapeau européen. Ce qui important c'est que nous ayons le drapeau, que nous l'utilisions, qu'il soit de plus en plus visible, et que le reste des symboles soit bien dans les esprits. Concernant les priorités et la feuille de route que nous avons pour la présidence française, nous sommes en train de les préparer. Ce qui sera important pour le président de la République, c'est d'avoir une politique économique qui soit au service de la croissance. Il va se rendre à l'Eurogroupe le 9 juillet prochain pour présenter la politique économique française et pour dialoguer avec les ministres de l'Economie et des Finances et le président de la Banque centrale européenne. Ils verront ensuite comment améliorer le fonctionnement de cette zone euro, comment mieux coordonner les politiques économiques, comment faire en sorte que la zone euro ne soit pas assimilée à une seule zone de discipline budgétaire, même si la discipline budgétaire est importante et même si nous devons respecter les engagements qui sont contenus dans le pacte de stabilité et de croissance. Ils verront comment avoir un bon "policy mix", c'est-à-dire une politique monétaire et une politique budgétaire qui soient bien adaptées à la situation économique de l'Europe. Donc, un, mettre en commun un certain nombre de questions économiques. Deux, discuter davantage de réformes structurelles, que ce soit celle du marché du travail ou celle des retraites ; et trois, discuter de politiques d'avenir. Nous voyons déjà ce qui est fait en matière universitaire en France, mais aussi en matière de recherche et technologie. Renforcer tout ce rôle de la zone euro, c'est donc la première priorité.
La seconde priorité est de développer un certain nombre de politiques communes. Vous avez mentionné l'immigration. Avec la globalisation, vous avez des mouvements démographiques extrêmement importants et il est normal que l'Europe ait une politique d'immigration commune. Il serait également intéressant que l'Europe réfléchisse aux différentes méthodes d'intégration. Nous avons des traditions d'intégration qui sont différentes en Europe et il serait intéressant de voir comment développer ce que pourraient être les meilleures pratiques dans ce domaine, comment avoir des approches plus communes en matière d'intégration. Nous l'avons en matière de coopération policière, de sécurité, de lutte contre le terrorisme. Nous voyons ce qui s'est passé à Londres dernièrement et il est certain qu'il doit y avoir une coopération dans ce domaine. Nos amis britanniques y sont particulièrement sensibles et le souhaitent aussi.
Enfin, il y a un défi qui est extrêmement important, c'est le défi énergétique et tout ce qui est au coeur des relations entre l'Union européenne et la Russie, le Moyen-Orient ou le Maghreb sur ces questions. La question énergétique, la sécurité énergétique, l'approvisionnement énergétique, l'organisation du marché énergétique, seront très certainement au coeur des priorités françaises dans les prochains mois.
Voilà, dans les grands axes, ce que nous souhaitons développer et mettre sur la table. Une autre dimension importante est la politique de voisinage, notamment avec nos partenaires méditerranéens. Il faut voir comment nous pouvons mettre sur pied une véritable Union méditerranéenne qui complète le dialogue euro-méditerranéen qui existe déjà, en lui donnant plus de visibilité politique. Paradoxalement, dans la mondialisation, toutes les grandes zones sont visibles, l'Amérique, l'Europe, l'Asie, l'Afrique - même si l'on voit bien que celle-ci décroche et qu'elle est laissée pour compte - mais vous avez une volonté de la part du monde de ne pas laisser l'Afrique au bord du chemin notamment dans les réunions du G8. Mais il y a une zone dont on ne parle jamais alors que c'est une zone source de conflits, de déstabilisation, et où il y a très peu de coopération, c'est la Méditerranée. Il est important que la Méditerranée ait une visibilité politique beaucoup plus grande dans le cadre de la mondialisation, et c'est pourquoi nous souhaitons porter ce projet d'Union méditerranéenne.
Q - Pourquoi a-t-on dit que la politique étrangère reste du domaine de l'intergouvernemental ?
R - Il y a, là aussi, deux aspects. Le premier est que vous aurez un Haut représentant pour la politique étrangère. Cela va dans le sens d'une plus grande visibilité, d'une certaine communautarisation. Il aura des moyens accrus et nous essaierons de lui donner ce que sont les moyens de la Commission et du Conseil en ce domaine. L'autre aspect est la politique étrangère qui a une vocation intergouvernementale et qui peut rester efficace. Dans certains domaines il est nécessaire d'avoir une coopération importante avec les Britanniques pour résoudre un certain nombre de questions. Cela reste quand même essentiellement de nature intergouvernementale et je pense que les gens le comprennent. Il serait trop tôt pour confier à la Commission ou au Conseil l'ensemble de la politique étrangère. Qu'on le veuille ou non, vous avez une architecture internationale qui fonctionne encore sur la représentation de nations importantes. Au G8, vous avez la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Allemagne. Au Conseil de sécurité, vous avez la France et la Grande-Bretagne. Ce sont des réalités qui sont encore fortes sur le plan international et si vous voulez, là, être efficace, je crois qu'il est important, et il n'y a pas eu de débat sur ce point, de maintenir le caractère intergouvernemental de cette politique étrangère. Il ne faut pas brûler les étapes, cela est conforme à la réalité internationale.
Q - Quelle est votre appréciation de la situation économique de l'Union ?
R - La situation s'améliore, le chômage est en recul et les réformes progressent. Que devons-nous faire dans ce cadre-là ? C'est une question importante parce que lorsque nous avions discuté du projet constitutionnel, et au moment du référendum, nous avions un autre environnement économique, il ne faut pas l'oublier. Cet environnement était nettement moins bon et nous étions accusés de très mauvaises performances dans la zone euro, d'être en véritable recul par rapport, par exemple, aux économies anglo-saxonnes.
Aujourd'hui, les performances en terme de croissance et d'emploi convergent avec d'autres zones, ce qui est une très bonne chose. Pour nous, Français, ce qui est important, c'est de se mettre, à cet égard, aux standards européens et que nous fassions les réformes qu'ont fait les autres. C'est toute l'ambition du président de la République, c'est ce que nous voulons faire rapidement. Il faut que nos concitoyens comprennent que plus la situation de la zone euro s'améliore, plus la situation de l'Union s'améliore, moins nous pouvons nous permettre d'être décrochés. Ce serait véritablement un affaiblissement de la France. Nous devons faire ces réformes de manière urgente, y compris sur le plan fiscal puisque, comme nous l'avons vu, nous avons encore des taux de prélèvement obligatoires qui restent très élevés pour un grand pays européen. Vous êtes sur un marché unifié, il y a une compétition fiscale, vous pouvez le regretter mais c'est un état de fait. Nous avons tout de même plus intérêt à avoir des talents, des chercheurs, des gens qui innovent sur notre territoire plutôt qu'ailleurs.
Sur le dernier point, il y a un certain nombre de mécanismes à améliorer, notamment dans le dialogue avec la Banque centrale européenne. Il n'est pas question de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne, de toucher à ses statuts. De par ses statuts d'ailleurs, je note que c'est la banque centrale la plus indépendante au monde, même comparés à ceux de la Federal Reserve. En revanche, pour revenir aux mécanismes qui doivent être améliorés, il faut qu'il y ait une meilleure articulation entre les politiques monétaires et budgétaires. Il est vrai qu'il faut avoir une croissance non inflationniste, cela ne se discute pas. Mais vous pouvez discuter des raisons qui font que certains estiment qu'il y a des tensions inflationnistes fortes, et discuter de la hausse des coûts de production, des phénomènes de bulles qui existent en Europe ou du coût des importations.
Sur la question des taux de change, il y a une ou deux industries importantes et structurantes qui sont secouées par cela. L'aéronautique en fait partie, même si vous avez des mécanismes de couverture qui existent, et l'industrie automobile commence à être sérieusement affectée aussi. Nous ne pouvons pas bouger le dollar, le yen, le yuan comme cela, nous n'en sommes pas responsables. En revanche, il est normal et conforme aux traités de vouloir discuter dans la zone euro des orientations générales de la politique de change et de savoir si cette politique correspond bien à ce que nous voulons avoir en terme de taux de croissance. C'est tout ce que nous demandons. Dans certains cas, on nous reproche de ne pas assez appliquer les traités, là, nous avons le Traité en notre faveur. Il y a eu un certain nombre de dérives depuis 2000 sur l'interprétation du Traité. Le Traité est simple, les orientations de la politique générale de change ressortent des ministres et des gouvernements, l'exécution appartient à la Banque centrale européenne. Nous voulons donc revenir à ce fondamental. Et comme l'a dit Jaques Delors, qui est une grande personnalité et une référence en matière européenne, il convient d'avoir un pied qui soit budgétaire et monétaire et un autre pied qui soit le renforcement de la coordination économique avec, vraisemblablement, des prérogatives renforcées pour le président de l'Eurogroupe qui est Jean-Claude Juncker.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juillet 2007
R - Cela marque une marche en avant et une relance de l'Europe. Il y avait un blocage, une panne institutionnelle depuis deux ans, depuis les non français et néerlandais au projet de Traité constitutionnel. Cela clôt une période qui s'était ouverte juste après Maastricht, une période pendant laquelle la problématique institutionnelle était tout le temps sur le devant de la scène. Nous connaissions les problèmes de l'Europe, mais nous ne savions pas comment les résoudre. Depuis 15 ans, nous butions sur cette question : comment faire en sorte d'adapter des institutions aux élargissements successifs ? Amsterdam, Nice, la Convention, la Conférence intergouvernementale de 2004, c'était toujours le même processus. Nous étions dans une période, au mieux de doute institutionnel, au pire d'impuissance. La grande avancée de ce Traité est de clore cette impuissance.
Sans vouloir être trop technique, à Maastricht, nous étions partis sur des piliers, avec des politiques communes héritées du Traité de Rome, des politiques spécifiques en matière d'affaires intérieures et judiciaires, et des politiques spécifiques en matière de politique étrangère. Qu'avons-nous fait dans le cadre de ce compromis ? Nous avons dépassé cette architecture en piliers et nous avons des politiques communes pour le fonctionnement de l'Union européenne. Le Traité se divisera en deux parties. Il y aura le Traité de l'Union européenne qui fixe les principes et les bases de l'Union et vous aurez un Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui ne fera plus de distinction entre ce que sont les politiques communes traditionnelles du Traité de Rome, ce que sont les affaires intérieures et judiciaires et ce qu'est la politique étrangère commune. Et la principale avancée du compromis trouvé, c'est l'extension du vote à la majorité qualifiée.
Q - L'accord politique vous parait-il atteint ? Le texte qui aboutira ne sera qu'une mise en forme juridique ?
La Constitution européenne tenait une possibilité de dynamisme politique, notamment avec les symboles, ce Traité conservera t-il ce dynamisme " incorporé " ?
R - Premier point, nous avons un mandat très détaillé et qui peut donc paraître compliqué. Mais ce n'est pas parce que vous avez un mandat détaillé et compliqué que le Traité sera compliqué. Le Traité sera simplifié et plus court que le projet de Traité constitutionnel : c'est pour cela que vous avez des notes de bas de page, des annexes. Nous avons voulu avoir un mandat détaillé pour rompre avec une certaine tradition du Conseil européen qui fixait les principes généraux et les envoyait ensuite aux fonctionnaires dans le cadre d'une conférence intergouvernementale assez longue et arrivant à des dispositions compliquées. Cette fois, nous avons le détail tout de suite ce qui permettra plus de clarté dans le cadre du Traité. Il y aura, d'une part, un Traité de l'Union européenne qui sera très court, qui posera les principes de l'Union, et, d'autre part, un Traité sur le fonctionnement qui reprendra les différentes politiques communes et qui évitera les redondances qui existaient dans le Traité constitutionnel entre les traités de Maastricht et de Rome et les nouvelles dispositions. Le mandat est donc effectivement détaillé mais pour arriver à un Traité qui soit simplifié.
Sur la question des symboles, il faut voir d'où nous partions. Deux pays avaient voté non, dont le nôtre, justement par peur de la supranationalité, d'un certain fédéralisme, et nous avions sept Etats qui n'avaient pas ratifié le Traité, et non des moindres. Le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque ne s'étaient pas prononcés. Le compromis qui a été trouvé est de faire en sorte que nous gardions la substance à défaut des symboles. L'essentiel de ce qui existait reste dans ce nouveau Traité à quelques exceptions près, qui sont importantes pour les Français, comme le fait que la concurrence libre et non faussée ne fasse plus partie des objectifs de l'Union.
Q - Mais elle est dans le Traité de Rome.
R - Elle est dans le Traité de Rome, c'est pour cela qu'il n'y avait pas besoin de l'ériger en terme d'objectif de l'Union au même rang que la paix, la sauvegarde de la démocratie, les héritages culturels, un certain nombre de choses qui sont de vrais objectifs de l'Union européenne, ce pour quoi nous nous sommes battus. Nous avons rajouté, parmi les objectifs, la protection des citoyens parce qu'il y avait des inquiétudes dans un certain nombre de pays, dont le nôtre. La globalisation entraîne un monde plus dur aux yeux de nombre de nos concitoyens. L'objectif de protection, et non de protectionnisme était important. Les citoyens ont besoin également d'une Europe qui les protège et nous avons fait en sorte, avec nos amis néerlandais, d'ajouter les principes régissant l'organisation des services publics dans un protocole.
Le troisième sens du compromis qui a été trouvé est avec les Britanniques. Avec les Britanniques, pour résumer, le compromis est le "opt-out". Il y a un certain nombre de politiques dont ils ne feront pas partie mais, à la différence du Traité précédent qui était très ambigu sur ce plan là, ce nouveau Traité reconnaît que ceux qui veulent avancer sur un certain nombre de politiques le peuvent sans être bloqués. L'avantage de ce compromis est que ce sont les Britanniques qui devront choisir en fonction de leurs propres contraintes intérieures. Ils verront comment tout cela marche, ils verront à quel rythme ils seront en mesure d'avancer. Ils ne s'interdisent pas de nous rejoindre dans ces politiques de même que, théoriquement, ils ne s'interdisent pas de rejoindre l'euro à un certain moment. Mais ce qui est important dans ce compromis, c'est que les autres peuvent avancer au rythme qu'ils souhaitent, que ce soit dans le cadre de la politique de l'énergie, de la politique de santé, dans la coopération policière, la lutte contre la criminalité, le terrorisme, la politique judiciaire, la politique pénale ou sur d'autres aspects de politique économique. C'est le principal compromis qui a été trouvé avec les Britanniques. D'un côté, vous avez une phase un peu négative parce qu'il y a beaucoup de "opt-out" britanniques, ce contre quoi certains de nos partenaires, italiens ou belges, ont protesté, mais l'avantage est que cela permet aux autres d'avancer.
Q - Ce ne sont pas des veto.
R - Ce ne sont pas des veto et ce ne sont pas des domaines où les Britanniques ont un pied dedans, un pied dehors. Ils sont en dehors d'un certain nombre de politiques et ils laissent les autres progresser à la majorité qualifiée sur ces objectifs. C'est une avancée forte pour développer un certain nombre de politiques communes par la suite.
Q - Maintenant que ces possibilités d'avancer sont ouvertes, quelles sont les intentions de la France ? Dans quels domaines allez-vous tenter de faire avancer les choses avec ceux qui le veulent ?
R - Rappelons les principaux acquis. La présidence stable de deux ans et demi est une chose extrêmement importante et un symbole décisif. L'Europe va avoir un visage, il y aura une continuité entre les différents travaux des présidences. Cela existe aujourd'hui mais de manière pragmatique, avec les présidences tournantes qui essaient de travailler ensemble.
Le second symbole c'est le Haut représentant pour les Affaires étrangères. Il va avoir un service diplomatique important avec des moyens supplémentaires, il sera vice-président de la Commission européenne et il présidera le conseil des ministres des Affaires étrangères. Donc, là aussi, en terme de visibilité diplomatique de l'Union européenne, c'est quelque chose de fondamental.
Troisièmement, les pouvoirs du Parlement européen sont renforcés, les mécanismes de codécision élargis. Le Parlement européen va élire le président de la Commission, c'est aussi un symbole. Nous aurons donc une Europe qui sera plus visible, il y aura des mécanismes plus efficaces en matière de représentation et de coordination des politiques au niveau européen, et plus démocratiques.
Et j'ajoute un quatrième symbole, les parlements nationaux seront plus associés à l'idée européenne. Nous pouvons penser que, de ce point de vue là, l'idée européenne irriguera davantage les différents Etats nationaux, ce qui était sans doute une lacune des systèmes précédents.
Q - Le président reste renouvelable une fois c'est cela ?
R - Effectivement. Il y a donc, de ce point de vue là, une architecture beaucoup plus claire. Il vaut peut-être mieux avoir des symboles concrets. Il est très symptomatique que, pour la première fois sur la photographie officielle du président de la République française, il y ait le drapeau européen. Ce qui important c'est que nous ayons le drapeau, que nous l'utilisions, qu'il soit de plus en plus visible, et que le reste des symboles soit bien dans les esprits. Concernant les priorités et la feuille de route que nous avons pour la présidence française, nous sommes en train de les préparer. Ce qui sera important pour le président de la République, c'est d'avoir une politique économique qui soit au service de la croissance. Il va se rendre à l'Eurogroupe le 9 juillet prochain pour présenter la politique économique française et pour dialoguer avec les ministres de l'Economie et des Finances et le président de la Banque centrale européenne. Ils verront ensuite comment améliorer le fonctionnement de cette zone euro, comment mieux coordonner les politiques économiques, comment faire en sorte que la zone euro ne soit pas assimilée à une seule zone de discipline budgétaire, même si la discipline budgétaire est importante et même si nous devons respecter les engagements qui sont contenus dans le pacte de stabilité et de croissance. Ils verront comment avoir un bon "policy mix", c'est-à-dire une politique monétaire et une politique budgétaire qui soient bien adaptées à la situation économique de l'Europe. Donc, un, mettre en commun un certain nombre de questions économiques. Deux, discuter davantage de réformes structurelles, que ce soit celle du marché du travail ou celle des retraites ; et trois, discuter de politiques d'avenir. Nous voyons déjà ce qui est fait en matière universitaire en France, mais aussi en matière de recherche et technologie. Renforcer tout ce rôle de la zone euro, c'est donc la première priorité.
La seconde priorité est de développer un certain nombre de politiques communes. Vous avez mentionné l'immigration. Avec la globalisation, vous avez des mouvements démographiques extrêmement importants et il est normal que l'Europe ait une politique d'immigration commune. Il serait également intéressant que l'Europe réfléchisse aux différentes méthodes d'intégration. Nous avons des traditions d'intégration qui sont différentes en Europe et il serait intéressant de voir comment développer ce que pourraient être les meilleures pratiques dans ce domaine, comment avoir des approches plus communes en matière d'intégration. Nous l'avons en matière de coopération policière, de sécurité, de lutte contre le terrorisme. Nous voyons ce qui s'est passé à Londres dernièrement et il est certain qu'il doit y avoir une coopération dans ce domaine. Nos amis britanniques y sont particulièrement sensibles et le souhaitent aussi.
Enfin, il y a un défi qui est extrêmement important, c'est le défi énergétique et tout ce qui est au coeur des relations entre l'Union européenne et la Russie, le Moyen-Orient ou le Maghreb sur ces questions. La question énergétique, la sécurité énergétique, l'approvisionnement énergétique, l'organisation du marché énergétique, seront très certainement au coeur des priorités françaises dans les prochains mois.
Voilà, dans les grands axes, ce que nous souhaitons développer et mettre sur la table. Une autre dimension importante est la politique de voisinage, notamment avec nos partenaires méditerranéens. Il faut voir comment nous pouvons mettre sur pied une véritable Union méditerranéenne qui complète le dialogue euro-méditerranéen qui existe déjà, en lui donnant plus de visibilité politique. Paradoxalement, dans la mondialisation, toutes les grandes zones sont visibles, l'Amérique, l'Europe, l'Asie, l'Afrique - même si l'on voit bien que celle-ci décroche et qu'elle est laissée pour compte - mais vous avez une volonté de la part du monde de ne pas laisser l'Afrique au bord du chemin notamment dans les réunions du G8. Mais il y a une zone dont on ne parle jamais alors que c'est une zone source de conflits, de déstabilisation, et où il y a très peu de coopération, c'est la Méditerranée. Il est important que la Méditerranée ait une visibilité politique beaucoup plus grande dans le cadre de la mondialisation, et c'est pourquoi nous souhaitons porter ce projet d'Union méditerranéenne.
Q - Pourquoi a-t-on dit que la politique étrangère reste du domaine de l'intergouvernemental ?
R - Il y a, là aussi, deux aspects. Le premier est que vous aurez un Haut représentant pour la politique étrangère. Cela va dans le sens d'une plus grande visibilité, d'une certaine communautarisation. Il aura des moyens accrus et nous essaierons de lui donner ce que sont les moyens de la Commission et du Conseil en ce domaine. L'autre aspect est la politique étrangère qui a une vocation intergouvernementale et qui peut rester efficace. Dans certains domaines il est nécessaire d'avoir une coopération importante avec les Britanniques pour résoudre un certain nombre de questions. Cela reste quand même essentiellement de nature intergouvernementale et je pense que les gens le comprennent. Il serait trop tôt pour confier à la Commission ou au Conseil l'ensemble de la politique étrangère. Qu'on le veuille ou non, vous avez une architecture internationale qui fonctionne encore sur la représentation de nations importantes. Au G8, vous avez la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Allemagne. Au Conseil de sécurité, vous avez la France et la Grande-Bretagne. Ce sont des réalités qui sont encore fortes sur le plan international et si vous voulez, là, être efficace, je crois qu'il est important, et il n'y a pas eu de débat sur ce point, de maintenir le caractère intergouvernemental de cette politique étrangère. Il ne faut pas brûler les étapes, cela est conforme à la réalité internationale.
Q - Quelle est votre appréciation de la situation économique de l'Union ?
R - La situation s'améliore, le chômage est en recul et les réformes progressent. Que devons-nous faire dans ce cadre-là ? C'est une question importante parce que lorsque nous avions discuté du projet constitutionnel, et au moment du référendum, nous avions un autre environnement économique, il ne faut pas l'oublier. Cet environnement était nettement moins bon et nous étions accusés de très mauvaises performances dans la zone euro, d'être en véritable recul par rapport, par exemple, aux économies anglo-saxonnes.
Aujourd'hui, les performances en terme de croissance et d'emploi convergent avec d'autres zones, ce qui est une très bonne chose. Pour nous, Français, ce qui est important, c'est de se mettre, à cet égard, aux standards européens et que nous fassions les réformes qu'ont fait les autres. C'est toute l'ambition du président de la République, c'est ce que nous voulons faire rapidement. Il faut que nos concitoyens comprennent que plus la situation de la zone euro s'améliore, plus la situation de l'Union s'améliore, moins nous pouvons nous permettre d'être décrochés. Ce serait véritablement un affaiblissement de la France. Nous devons faire ces réformes de manière urgente, y compris sur le plan fiscal puisque, comme nous l'avons vu, nous avons encore des taux de prélèvement obligatoires qui restent très élevés pour un grand pays européen. Vous êtes sur un marché unifié, il y a une compétition fiscale, vous pouvez le regretter mais c'est un état de fait. Nous avons tout de même plus intérêt à avoir des talents, des chercheurs, des gens qui innovent sur notre territoire plutôt qu'ailleurs.
Sur le dernier point, il y a un certain nombre de mécanismes à améliorer, notamment dans le dialogue avec la Banque centrale européenne. Il n'est pas question de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne, de toucher à ses statuts. De par ses statuts d'ailleurs, je note que c'est la banque centrale la plus indépendante au monde, même comparés à ceux de la Federal Reserve. En revanche, pour revenir aux mécanismes qui doivent être améliorés, il faut qu'il y ait une meilleure articulation entre les politiques monétaires et budgétaires. Il est vrai qu'il faut avoir une croissance non inflationniste, cela ne se discute pas. Mais vous pouvez discuter des raisons qui font que certains estiment qu'il y a des tensions inflationnistes fortes, et discuter de la hausse des coûts de production, des phénomènes de bulles qui existent en Europe ou du coût des importations.
Sur la question des taux de change, il y a une ou deux industries importantes et structurantes qui sont secouées par cela. L'aéronautique en fait partie, même si vous avez des mécanismes de couverture qui existent, et l'industrie automobile commence à être sérieusement affectée aussi. Nous ne pouvons pas bouger le dollar, le yen, le yuan comme cela, nous n'en sommes pas responsables. En revanche, il est normal et conforme aux traités de vouloir discuter dans la zone euro des orientations générales de la politique de change et de savoir si cette politique correspond bien à ce que nous voulons avoir en terme de taux de croissance. C'est tout ce que nous demandons. Dans certains cas, on nous reproche de ne pas assez appliquer les traités, là, nous avons le Traité en notre faveur. Il y a eu un certain nombre de dérives depuis 2000 sur l'interprétation du Traité. Le Traité est simple, les orientations de la politique générale de change ressortent des ministres et des gouvernements, l'exécution appartient à la Banque centrale européenne. Nous voulons donc revenir à ce fondamental. Et comme l'a dit Jaques Delors, qui est une grande personnalité et une référence en matière européenne, il convient d'avoir un pied qui soit budgétaire et monétaire et un autre pied qui soit le renforcement de la coordination économique avec, vraisemblablement, des prérogatives renforcées pour le président de l'Eurogroupe qui est Jean-Claude Juncker.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juillet 2007