Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la gouvernance internationale de l'environnement et le projet d'organisation des Nations unies pour l'environnement, Genève le 5 juillet 2007.

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Circonstance : Sommet du Pacte mondial "Global compact" à Genève le 5 juillet 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation pour cet échange autour de la gouvernance internationale de l'environnement et en particulier du projet d'ONUE.
Le succès de ce sommet du Pacte mondial montre combien les entreprises sont conscientes de leur responsabilité. Mais elles sont encore insuffisamment associées aux réflexions sur l'environnement. Or, elles ne peuvent s'en désintéresser et nous ne pouvons nous passer d'elles.
C'est pourquoi je suis heureux de pouvoir dialoguer avec vous de manière très libre du projet d'ONUE.
Ce projet, vous le connaissez, c'est celui de créer une agence de l'ONU capable de donner aux enjeux environnementaux un vrai poids politique et de leur allouer de vrais moyens.
Si ce projet peut paraître innovant, je voudrais surtout remarquer que c'est l'absence d'une telle structure qui aujourd'hui nous interpelle : que serait le monde sans OMS ? Où en serions-nous dans la lutte face aux grandes pandémies ?

Quels enjeux pour les entreprises ?
L'environnement représente désormais un défi économique majeur pour les entreprises.
L'année dernière les investissements dans les énergies renouvelables ont franchi la barre des 100 milliards de dollars.
Au-delà de l'énergie, ce sont l'ensemble des modes de production qui doivent désormais être revus, pour répondre à des critères environnementaux et tendre vers une production "propre". Cela représente un coût significatif, qui affecte directement la compétitivité des entreprises.
Les actionnaires sont de plus en plus sensibles à la performance environnementale des sociétés dans lesquelles ils investissent. Les fonds d'investissement liés au thème de l'environnement sont en pleine explosion. On estime qu'ils représentent maintenant 10 à 15 % des flux d'investissement des fonds d'épargne collective.
A terme, les nouveaux capitaux iront en priorité vers les sociétés écologiquement responsables. Là comme ailleurs, il y aura les entreprises "triple A" qui auront accès facilement aux sources de financement, et les autres.
Cette préoccupation est bien évidemment partagée par les citoyens consommateurs, qui sont et seront de plus en plus attentifs à ces paramètres dans leurs choix de tous les jours.
La préoccupation environnementale est donc à l'intersection de la préservation d'un bien public mondial et des intérêts microéconomiques particuliers.
C'est pourquoi nous avons besoin d'un système de régulation performant, qui mutualise les coûts de l'action collective, permette de partager l'information et les bonnes pratiques, et contribue à une concurrence transparente.

Les limites du système actuel
Or le système actuel de la gouvernance internationale de l'environnement n'est pas à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face.
Le paysage institutionnel est à la fois éparpillé et cloisonné. On compte actuellement plus de 500 Accords multilatéraux de l'environnement (AME) et de nombreuses organisations et enceintes internationales traitent de l'environnement de façon non coordonnée : le Programme des Nations unies pour l'Environnement (PNUE), la FAO, le PNUD, la Banque mondiale, la Commission pour le Développement durable, l'OCDE, l'UNESCO, etc.
Cette situation entraîne une inefficacité à deux niveaux : des coûts bureaucratiques élevés, d'une part, et, d'autre part, une absence de visibilité, en particulier auprès des acteurs non gouvernementaux comme les entreprises.
La seule institution exclusivement dédiée à l'environnement, c'est le PNUE. Il a été créé en 1972, dans un contexte bien différent de celui d'aujourd'hui.

Il souffre de trois défauts majeurs, qui désormais font largement consensus au sein de la communauté internationale :

  • 1) tout d'abord, son autorité politique est faible. Son statut est celui d'un simple organe subsidiaire de l'Assemblée générale des Nations unies. Il ne dispose même pas de la personnalité juridique.
  • 2) Ses moyens restent dérisoires : environ 60 millions de dollars par an. A titre de comparaison, le budget annuel du GEF, sur lequel il n'a pas autorité, est plus de 10 fois supérieur.
  • 3) Enfin, sa performance opérationnelle reste perfectible. Deux programmes de réforme, dits de Carthagène et de Bali, sont restés jusqu'à présent lettre morte. Son nouveau directeur exécutif, M. Achim Steiner, s'est attelé à cette tâche de réforme avec beaucoup d'énergie. Nous soutenons ses efforts, mais, à eux seuls, ils ne suffiront pas.

Or, les reformes visant à renforcer le PNUE ne peuvent, par nature, améliorer la cohérence globale du système : ce programme n'a ni le mandat, ni l'autorité nécessaire pour cela.
Le projet d'ONUE
C'est pourquoi il nous faut une refonte globale du système, qui passe notamment par la création d'une agence spécialisée exclusivement dédiée à l'environnement, une Organisation des Nations unies pour l'Environnement (ONUE).

Cette ONUE nous permettrait trois avancées majeures :

  • Une autorité politique renforcée. Elle pourrait ainsi jouer un rôle d'impulsion politique et définir des priorités pour coordonner l'action de l'ensemble des institutions concernées.
  • Une rationalisation du système actuel de gouvernance et des économies d'échelles. Les ressources ainsi libérées seraient consacrées à des actions concrètes en faveur de l'environnement.
  • Une meilleure association de l'ensemble des acteurs : les processus de décision intergouvernementaux sont de plus en plus transparents. Tout le monde est concerné par l'environnement : il est normal que tout le monde soit associé aux prises de décision.

Ce projet a été présenté devant l'Assemblée générale des Nations unies fin 2003.A la suite de l' "Appel de Paris", il s'est constitué un Groupe des Amis de l'ONUE, qui compte désormais 52 Etats, et qui regroupe, outre l'Union européenne, des pays de toutes les zones géographiques.
Il nous reste à convaincre d'autres Etats, d'autres acteurs. C'est le rôle de la réunion d'aujourd'hui et d'autres qui suivront.

Conclusion : la nécessité du dialogue
Je le disais : les enjeux de ce projet sont planétaires. Il est essentiel que la concertation menant à sa réalisation soit globale et associe les Etats, les entreprises, les ONG, les citoyens. C'est ainsi que nous parviendrons à donner à l'ONUE à la fois de vrais moyens, une mission claire et une légitimité incontestable.
Soyons-en conscients : ce projet sera ce qu'en feront ceux qui participeront à son élaboration. Nul ne peut imposer un projet "clefs en mains". C'est pour cela que j'ai voulu avoir cet échange avec vous. Je vais donc vous donner la parole, vous écouter.

Pour lancer le débat, je voudrais simplement lancer trois champs de questions que je soumets à votre discussion :

  • 1) La question de la représentativité. Le temps est fini où les diplomates géraient entre eux les affaires du monde. Or, les entreprises font insuffisamment entendre leur voix dans ce débat. L'ONUE, de par son champ d'action, devrait innover en la matière et permettre aux entreprises de participer à la décision.
  • 2) Le pilotage des priorités et des flux financiers. Compte tenu de l'ampleur des flux financiers concernés, les acteurs économiques ont besoin de visibilité. L'ONUE pourrait jouer en la matière le rôle d'une tour de contrôle à un double niveau : d'une part, en dégageant quelques grandes priorités d'action, et, d'autre part, en pilotant vers ces priorités les flux financiers publics.
  • 3) La question des normes environnementales et des labels. Ces dernières années, les labels environnementaux ont proliféré. Certains, quasi autoproclamés, s'apparentent à des outils de marketing. Ce manque de coordination risque d'induire des distorsions de la concurrence internationale. Voici un domaine où l'ONUE pourrait apporter un support efficace aux firmes internationales.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2007