Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à LCI le 13 juillet 2007, notamment sur les discussions dans le cadre de l'euro groupe et sur la vie politique française.

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Q- Lundi dernier, N. Sarkozy a visiblement été chahuté par les ministres de l'euro groupe, à huis clos. Confirmez-vous qu'il y a eu une avalanche de reproches sur la politique budgétaire française ?
R- Non, on ne peut pas dire qu'il y ait eu une avalanche de reproches, il y a eu une discussion qui, dans le cadre de l'euro groupe, pour exceptionnelle qu'elle ait été, compte tenu de la visite du président de la République, s'est plutôt bien passée. Ce que je retiens, ce sont nos engagements de respecter le Pacte de stabilité, la réduction des déficits. Et ce que N. Sarkozy a dit, c'est-à-dire qu'en fonction de la croissance, arriver à l'équilibre budgétaire d'ici 2012 : si la croissance était moins bonne, y arriver en 2010, pardon, et si la croissance était moins bonne y arriver en 2012. Il y a une polémique là-dessus. Beaucoup de ministres de l'euro groupe disent : non, non, en 2010, il faut tenir 2010, ce n'est pas blanc bonnet et bonnet blanc 2010 ou 2012.
Q- On fera nos meilleurs efforts pour y arriver. Ce qui a convaincu nos partenaires, c'est d'avoir la politique de réformes la plus ambitieuse pour retrouver de la croissance, et d'autre part de respecter des engagements budgétaires, et de profiter des souplesses qui existent déjà dans le Pacte de stabilité pour pouvoir conjuguer ces deux éléments. Je note que notre démarche n'est pas très originale, puisque c'est la démarche qui a été suivie par les Allemands en 2004, qui, vous savez, ont un programme de réformes, si j'ose m'exprimer ainsi, en avance sur nous, et qui ont à cette époque demandé une adaptation du Pacte de stabilité pour mener au mieux leurs réformes. Ce sont les réformes qui créent la réduction des déficits et non pas le contraire.
Q- Et c'est aussi, vous le disiez, la croissance. Alors que faut-il comme croissance pour être vertueux dès 2010 ? Il faut 2,5 points, 3 points, 4 points, de croissance ?
R- Il faut arriver à une croissance qui tourne autour de 3 % et récupérer un point de croissance, c'est ce que nous faisons. Et toute la stratégie qui est mise en oeuvre, pour ce qui est relatif à plus de travail, plus d'activité, plus de pouvoir d'achat, débouche sur ce point de croissance supplémentaire.
Q- Alors, au passage, la France a-t-elle renoncé à se battre pour un euro moins fort, piloté comme un outil pour faire de la croissance et de l'emploi, et pas seulement lutter contre l'inflation ?
R- Pour nous, une monnaie forte n'est pas synonyme de puissance. Ce que l'on remarque, c'est que les puissances, au contraire, utilisent l'arme monétaire en fonction de leurs intérêts - c'est le cas de la Chine, du Japon, des Etats-Unis. Pour autant, un euro fort représente certains avantages. Vous l'avez dit dans vos titres, lorsque l'on voit la nouvelle flambée des prix du pétrole qui a des conséquences sur les tarifs aériens, avoir une monnaie forte protège des importations et les rend moins chères. Mais en revanche, et c'est vrai, nous le constatons, un euro fort pénalise, et ce n'est pas une bonne nouvelle pour les entreprises qui exportent et qui produisent
sur place.
Q- On prêche dans le désert, là, on est les seuls en Europe à prôner cela ?
R- Je pense qu'il est important de parler de cette matière et d'en dialoguer. Il est important d'en parler discrètement, car ce sont des matières importantes mais extrêmement sensibles, car vous savez qu'il y a des marchés qui observent l'ensemble des acteurs politiques. Après, il faut agir. Mais dans ce domaine plus dans d'autres, c'est un art d'exécution, et il faut agir au bon moment, et ensemble.
Q- La gouvernance économique de l'euro, de l'euro groupe, de l'Europe, ce n'est pas une chimère ?
R- Ce n'est pas une chimère, c'est une nécessité. Il est très important, au moment où l'euro groupe va s'ouvrir, et vous savez qu'au 1er janvier 2008, la zone euro va accueillir deux nouveaux membres, Malte et Chypre. Pour nous, il est important que le renforcement de la gouvernance de l'euro, un bon dialogue entre les autorités monétaires et les ministres de l'Economie et des Finances aille de pair avec cet élargissement. Là, il faut vraiment suivre la méthode qui était celle de J. Delors : approfondissement avant qu'il y ait la riposte. De là dépend le succès de l'euro.
Q- Alors, A. Merkel semblait un peu irritée par l'attitude de N. Sarkozy. Est-ce vrai, elle s'est un peu fâchée ?
R- Oui, mais écoutez, je suis allé à Berlin il y a deux jours, et j'ai redit à nos partenaires allemands qu'il n'était pas question pour nous de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale, de remettre en cause leur statut. Ce qui était important, c'est qu'on trouve un véritable dialogue, en application du Traité, entre la Banque Centrale Européenne, et également les responsables politiques. Les responsables politiques ont leur mort à dire de par le Traité dans les orientations politiques de change. Après, comme je vous le dis, il y a une question de mise en oeuvre. Et les problèmes de change, tels qu'il existent pour nos entreprises, sont des problèmes de change qui concernent autant, au moins autant, les parités euro-yen que les parités euro-dollar. On se focalise toujours sur l'euro-dollar, mais il y a aussi les rapports euro-yen qu'il ne faut pas oublier.
Q- Le dialogue franco-allemand se poursuit avec le dossier EADS. Il y a une rencontre à Toulouse lundi. La gouvernance de EADS sera-t-elle clairement confiée au groupe Lagardère ?
R- La gouvernance de EADS sera au coeur des discussions entre la Chancelière et le président de la République, lundi, à Toulouse. Chacun est d'accord pour qu'il y ait une gouvernance qui fasse d'EADS une société comme les autres, une société dans laquelle, on sache qui décide quoi. Au-delà de cela, vous comprenez bien que, compte tenu du fait que les discussions sont en cours, je ne puisse pas aller davantage. Il conviendra au président de la République et à la Chancelière de s'exprimer sur ces sujets, et sur le résultat de ces discussions, lundi, à Toulouse.
Q- D. Strauss-kahn est le candidat de l'Europe pour diriger le FMI. On apprend subitement que le poste n'est plus réservé à un Européen. Va-t-on se faire berner ?
R- Je ne pense pas que l'on puisse dire que le poste ne soit plus réservé à un Européen. Cela voudrait dire que le poste de la Banque mondiale ne serait plus réservé à un américain. Je vois bien les tentations de certains de dire que ce n'est plus réservé à un Européen. Qu'ils sachent bien qu'ils remettraient en cause l'ensemble de l'équilibre des institutions financières internationales. Aujourd'hui, ce n'est l'intérêt de personne. D. Strauss-Kahn, et je m'en félicite, étant le meilleur candidat européen, a été désigné comme candidat européen. Nos partenaires américains ont fait savoir qu'ils respecteraient la décision des Européens. Il y a une décision claire des Européens, celle-ci doit s'appliquer. Ce qui ne veut pas dire, effectivement, que D. Strauss-Kahn n'aura pas à convaincre un certain nombre de grands émergents - je pense à la Chine, à l'Inde, un certain nombre de pays d'Amérique du Sud - que, de par ses compétences, il est légitime de poursuivre cette répartition des rôles entre Américains et Européens.
Q- Alors, sa réputation de "séducteur" fait une polémique sur le Net et dans la presse. C'est une atteinte à la vie privée ou c'est quelque chose qui compte vraiment, face à des pays puritains comme les Etats-Unis ?
R- L'important est qu'il soit "séducteur" dans le cadre de sa campagne. Il l'est naturellement, et cela me paraît être un atout dans le cadre de sa campagne. Je ne pense pas que cela jouera de manière négative, vis-à-vis de tel ou tel clan ultra conservateur aux Etats-Unis.
Q- Les bateaux français seront-ils interdits de pêche aux anchois jusqu'à juillet 2008 ?
R- Non, le problème est un problème véritablement important qui combine des aspects économiques et des aspects scientifiques. Il convient de faire en sorte que les intérêts de nos pêcheurs, les pêcheurs espagnols, selon des règles de partage qui sont établies depuis longtemps, soient protégés. Mais en même temps, nous devons faire en sorte que l'avenir de l'espèce, l'avenir de la ressource soient également bien protégés, puisque s'il n'y a plus de ressources, à terme il n'y a plus de pêche, cela paraît évident. Et donc nous faisons en sorte - et il y a une démarche qui est entreprise dès aujourd'hui par les autorités françaises à Bruxelles - pour que nos éléments scientifiques, tels qu'ils ont été établis par l'Institut français de la mer, l'IFREMER, puissent être pris en compte de façon à desserrer les contraintes et faire en sorte que les quotas qui nous sont attribués puissent être utilisés.
Q- Ne serait-il pas plus honnête de dire aux restaurateurs français : vous n'aurez pas la TVA à 5,5 avant 2010 ?
R- Ce qui est important c'est l'évolution qui a été faite par la Commission en ce qui concerne l'évolution au taux réduit, puisque cela détend une certaine rigidité dans l'application des règles fiscales, et on s'aperçoit que le combat qu'a mené la France trouve sa justification à travers la dernière application de la Commission. Après, nous verrons sur le calendrier à faire en sorte que cela puisse être avancé, si c'est possible.
Q- Conseillez-vous à J. Lang, vous qui êtes un ministre d'ouverture, d'accepter d'entrer dans la commission de réflexion sur les institutions ?
R- Bien sûr. Je trouve que J. Lang a toutes les compétences pour cela. Ca a été un professeur de droit constitutionnel reconnu, il a écrit de nombreux ouvrages, il a de nombreuses idées en qui concerne la réforme des institutions, c'est un homme très dynamique. Je ne vois pas en quoi le fait que telle ou telle personnalité accepte d'entrer dans une commission, ce qui s'est déjà fait par le passé, soulève une telle polémique.
Q- Dans quel état trouvez-vous le PS en ce moment, vu de l'extérieur ?
R- Le Parti socialiste doit se refonder, doit se rénover. Je pense que la rénovation et la refondation du Parti socialiste c'est vraiment une très bonne chose pour la démocratie française.
Q- F. Hollande le dit ce matin : "Je veux refonder le PS". Il en est capable, il est l'homme de la situation ?
R- F. Hollande, comme vous le savez, a beaucoup de qualités, il est l'homme qui est capable de mener cette refondation et cette rénovation. Je pense qu'il en est convaincu, et il est à même de rassembler pour mener cette refondation, je le crois, oui.
Q- Vous étiez un intime du couple Royal-Hollande, le couple est séparé. Vous êtes dans un Gouvernement de droite. La politique vaut-elle tous ces dégâts ?
R- Je pense que la politique vaut engagement. Mon engagement est sur l'Europe, c'est un engagement transpartisan, il n'est ni de droite, ni de gauche. Je sers mon pays en servant l'Europe. Pour le reste, je n'ai pas de commentaires à faire. Il y a des situations qui me rendent, compte tenu de mes amitiés, assez triste.
Q- Le président de la République va s'adresser à l'UMP mercredi prochain, il veut garder un lien fort et personnel avec l'UMP. Vous êtes un ministre d'ouverture, vous pourriez protester en disant : attention, il est Président de tous les Français ?
R- Le président de la République est Président de tous les Français. Il doit également, compte tenu de la démarche d'ouverture qui a été la sienne, assumer les risques qu'il a pris, c'est ce qu'il fait. Il le explique sa démarche aux amis qui l'ont élu, et dont il a été le responsable politique depuis longtemps, cela me paraît normal. Et c'est une bonne chose pour l'ouverture qu'il fasse de la pédagogie à l'égard des réticences qui peuvent exister çà ou là.
Q- En un mot, Cécilia Sarkozy incarne-t-elle une contre-diplomatie ?
R- Non, elle incarne la diplomatie française, c'est un nouveau rôle, et c'est un rôle d'influence et nous avons besoin de toutes les bonnes volontés et des compétences à cet égard.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juillet 2007