Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à "RTL" le 17 août 2007, sur l'évolution de la crise du marché financier, sur la stratégie bancaire concernant le crédit immobilier, sur les décisions du Conseil constitutionnel concernant la loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat, notamment sur la déductibilité des intérêts d'emprunts souscrits avant l'élection présidentielle.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt.- Hier, à Paris, le CAC 40 a baissé de 3,2 %, ce matin ; on a entendu qu'à Tokyo, l'indice Nikkei est en chute de + de 3 % ; à Wall Street, cela s'est terminé avec un léger rebond, in extremis. Ce comportement des Bourses mondiales vous donne-t-il une indication sur l'évolution de la crise ?
R.- Je crois qu'il faut bien requalifier ce dont il s'agit. Il s'agit d'un mouvement boursier qui caractérise un ajustement très brutal, qui s'est transmis, d'abord des places américaines vers l'ensemble des places financières mondiales. L'épicentre du phénomène, c'est bien les Etats- Unis. C'est une crise qui a affecté en particulier le marché immobilier, et une catégorie particulière du marché, qui sont les prêts consentis, de manière souvent très agressive, à des ménages, dont la capacité de remboursement est douteuse. Ces prêts sont ensuite "repackagés", si j'ose dire, et titrisés, c'est-à-dire qu'on les fait circuler sous forme de nouveaux actifs, et c'est ce petit élément du marché immobilier, cela concerne à peu près 13 % du marché immobilier américain, qui a déclenché ce phénomène de crise. Il en est résulté un phénomène de défiance des acteurs financiers les uns à l'égard des autres. C'est cela dont on parle aujourd'hui.

Q.- On ne sait plus très bien, qui possède quoi dans dans cette affaire ?
R.- C'est un peu la difficulté. C'est que les opérateurs sur les marchés financiers - on ne parle pas, là, des fondamentaux de l'économie, on parle des opérateurs sur les marchés financiers -, qui ne savent très bien ce qui se trouvent dans les différents fonds, et dans quelle mesure un certain nombre de fonds contiennent ou non du "subprime immobilier", dont je parlais tout à l'heure.

Q.- Faudrait-il, en France, que les pouvoirs publics soient mieux informés sur le niveau d'implication des banques, des compagnies d'assurance, dans ces fonds à risques américains ? L'opposition commence à demander une meilleure information.
R.- Je crois que l'industrie bancaire française est solide, que la commission bancaire joue son rôle pour vérifier le respect des ratios et la bonne qualité des bilans bancaires, on n'a pas de doute là-dessus. Mais je crois que circonscrire l'analyse au seul plan national serait faire une grossière erreur. Si c'est la demande du Parti socialiste, elle est très réductrice. Il faut, bien entendu, dans un monde financiarisé, global, tel qu'il opère actuellement - on le voit, la crise se propage rapidement -, il faut avoir des éléments de mesure, de transparence et de régulation au niveau mondial. C'est exactement ce qu'a demandé le président de la République dans sa lettre à Madame Merkel : amélioration de la transparence et de la régulation, au niveau du G7.

Q.- Vous l'avez eu au téléphone, plusieurs fois ?
R.- Régulièrement, bien sûr. Il est tout à fait en alerte.

Q.- En vacances...
R.- Non, il est très attentif à tout ce qui se passe dans le monde, et en France en particulier, où qu'il soit.
Q.- Quand même, en France, quand on voit que la BNP-Paribas a un certain rôle dans le déclenchement de la crise, le PDG disait que, "[il avait] une politique prudente de risques", et puis finalement, maintenant, il y avait trois fonds avec des crédits américains à risques qui ne pouvaient plus être cotés, il y a quelque chose à [leur] reprocher ?
R.- Je vais demander, évidemment, des explications à M. Probst, sur la manière, dont ils ont délibérément géré ce moment-là. Je pense que la stratégie adoptée était la leur, elle était, sans doute, conforme. Je pense qu'ils sont actuellement en train de rééxaminer la manière de communiquer et de gérer sur ce genre de questions.

Q.- Parlons des conséquences : les crédits immobiliers accordés par les banques aux particuliers, on entend dire de tous côtés, qu'ils vont être plus chers ?
R.- Alors, sur les crédits immobiliers aux particuliers, même s'il y avait un resserrement de la politique du crédit, et même s'il devenait plus cher, ce dont je me félicite, c'est du projet de loi que j'ai pu faire passer au mois de juillet, et qui permet la déductibilité des intérêts d'emprunt pour les acquéreurs de résidences principales. Je crois que, cette mesure, dont certains nous la reprochaient, est tout à fait bienvenue dans ce contexte-là. Cela va vraiment permettre aux particuliers, même si le crédit se resserre un peu, même s'il est un peu plus cher, au moins de déduire les intérêts d'emprunt.

Q.- Parmi "les reproches" - ce n'est pas exactement le mot, d'ailleurs -, le Conseil constitutionnel a annulé une partie de cette disposition pour les propriétaires de résidences principales qui avaient déjà emprunté. Là, on ne peut pas faire jouer ce crédit d'impôt. Qu'allez-vous faire ?
R.- D'abord, le Conseil constitutionnel a validé l'ensemble du projet...

Q.- Mais sur ce point précis ?
R.- ...Et en particulier, il a écarté tous les motifs de saisine qui avaient été utilisés par nos opposants. Le Parti socialiste avait décidé de saisir sur un certain nombre de point ; tous ces points ont été reconnus valides par le Conseil constitutionnel.

Q.- C'est absolument vrai, mais il y a quand même ce point...
R.- En revanche, le Conseil s'est saisi d'un point particulier qui concerne la déductibilité des intérêts d'emprunt pour le stock des prêts qui avaient été souscrits avant l'élection du président de la République, avant l'entrée en vigueur donc, des dispositions de son programme. On va rééxaminer ce point-là pour s'assurer que nous pouvons proposer une nouvelle mesure qui sera, elle, constitutionnelle, et qui permettra de tenir les engagements du président de la République, c'est ce que le Premier ministre, F. Fillon, m'a demandé de commencer à examiner dès hier. Donc, mes services travaillent depuis hier pour mettre en oeuvre les promesses électorales du président de la République sur ce point. Et aujourd'hui en tout cas, les promesses de ventes qui ont été signées depuis le 6 mai, nous nous efforcerons qu'elles puissent bénéficier de la déductibilité des intérêts d'emprunt.

Q.- Il serait préférable que la Banque centrale européenne n'augmente pas ses taux directeurs, en septembre ?
R.- J'observe que la Banque Centrale européenne a très bien fait son travail au cours des derniers dix jours. Et que, en particulier, les liquidités qu'elle a remises sur le marché, de manière decrescendo, en s'adaptant à la demande, ont été extrêmement efficaces et très coordonnées avec les autres Banques centrales mondiales, ce qui est exactement le métier des banquiers centraux.

Q.- Un autre sujet, nombreux sont les Français qui, actuellement, viennent de recevoir leur dernier tiers provisionnel, et trouvent que le montant est en contradiction avec les baisses d'impôts annoncées ?
R.- C'est vrai qu'on s'habitue à des baisses d'impôts, et que, ce qui avait souscrit comme engagement par le précédent gouvernement, c'est de baisser les impôts. Je rappelle, au passage, que la baisse totale des impôts représente 4 milliards d'euros, en total.

Q.- Et là, il n'y a donc pas baisse pour un certain nombre en tout cas ?
R.- Alors, le principe avait été que, à revenus constants, les tiers provisionnels baissaient de 8 % sous un plafond de 300 euros par tiers. C'était à revenus constants. Il se trouve que les Français, pour la plupart d'entre eux, voient leurs revenus augmenter d'une année sur l'autre. Donc, il est évident que, lors du troisième tiers, lorsque le revenu de l'année a augmenté par rapport aux revenus de l'année 2005, il y a un réajustement qui se fait. Mais il y a néanmoins une baisse réelle d'impôts à revenus constants.

Q.- Dans tout cela, avez-vous le temps de vous préparer à participer à la liste UMP pour les municipales au Havre ?
R.- Ecoutez, pour l'instant, je consacre mon énergie surtout à la situation actuelle, à l'économie française, et puis au projet de modernisation de l'économie, qui nous paraissent indispensables pour relancer la croissance française et la remettre dans le jeu international. Mes ambitions politiques personnelles viendront en leur temps et en leur heure.

Q.- Votre rôle, en fait, par rapport à la crise financière, c'est d'essayer de calmer le jeu, de remettre dans une perspective plus positive ?
R.- Je crois qu'il faut se placer pas seulement dans le très court terme de la journée ou du lendemain, ou d'un indice. Il faut véritablement s'appliquer à vérifier les fondamentaux. Or, les fondamentaux de l'économie française sont bons ; le chômage baisse, l'inflation est totalement maîtrisée, et on est sur des perspectives de croissance, si l'on s'en tient au moral des investisseurs, des industriels et des ménages, qui devraient nous permettre d'avoir un bon troisième et quatrième trimestre.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 17 août 2007