Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'efficacité du système de sanctions contre l'Irak et la recherche de nouvelles mesures pour assurer la sécurité de la région, la nouvelle crise des Balkans à Presevo en Macédoine et la situation au Kosovo, l'autonomie du projet de defense européenne par rapport à l'Otan et le projet américain de bouclier antimissiles, Bruxelles le 27 février 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion ministérielle du Conseil atlantique, à Bruxelles le 27 février 2001

Texte intégral

Je ne vais pas vous faire d'exposé, vous connaissez les sujets de la réunion d'aujourd'hui et je vais plutôt tout de suite vous demandez si vous avez des questions.
Q - Monsieur le ministre, on a entendu, il y a deux jours, que vous alliez avoir une réunion trilatérale avec ... (inaudible)
R- Je ne sais pas d'où venaient ces annonces. Donc que, je n'ai pas d'indications à vous donner sur des changements. Pour moi, il n'y a pas eu de changements. Je souhaitais profiter de cette réunion pour avoir des échanges avec Robin Cook, j'en ai déjà eu plusieurs fois sur le sujet. Et d'autre part avec Colin Powell. C'était notre premier contact. Vous savez que je vais à Washington dans trois semaines. Et nous avons parlé notamment de l'Iraq.
Alors à propos de l'Iraq. Je peux vous dire que nous avons relevé avec intérêt les différentes déclarations qui ont été faites du côté américain, notamment par le secrétaire d'Etat, ou par Robin Cook du côté britannique disant qu'il fallait rechercher un système de sanctions plus intelligent, si j'ai bien relevé ce qui a été dit. Cela nous a paru intéressant, parce que manifestement le système actuel ne marche pas. Il n'atteint pas ses objectifs. Vous vous rappelez à quel point la France avait été active dans la mise au point de la résolution 1284 pour sortir des blocages antérieurs. Mais cela n'a pas donné les résultats escomptés.
Dans la situation actuelle, en réalité, le terme "sanctions" est impropre. Ce dont la communauté internationale a besoin, par rapport à l'Iraq, ce n'est pas de sanctions. "Sanctions" est un terme purement punitif, tourné vers le passé. Nous avons besoin d'un système de contrôle et de vigilance internationale qui soit à la fois crédible et dissuasif et qui puisse empêcher à coup sûr tout réarmement prohibé de l'Iraq et qui puisse empêcher que ce régime ne redevienne une menace pour ses voisins, ou pour sa population d'ailleurs. C'est ce que les voisins demandent. Ils ne demandent pas des sanctions. Ils ne demandent pas une punition, on se trompe de concept. Ce dont on a besoin aujourd'hui c'est de ce système de contrôle. Alors naturellement, cela renvoie à tout ce qui permettrait, à l'Iraq, à travers des transferts de technologies, ou des trafics d'ailleurs, de reconstituer une menace.
Mais nous Français, nous considérons, depuis longtemps maintenant, que cette nécessaire politique de vigilance internationale, nécessaire et légitime, ne passe pas par le moyen de l'embargo, qui est un moyen dont j'ai dit, à plusieurs reprises déjà, que c'était un moyen cruel et inefficace.
Il faudrait donc se reconcentrer sur la question de la sécurité avec tout ce que cela comporte. A partir du moment où la nouvelle administration américaine dit vouloir réfléchir à cette politique iraquienne, à partir du moment où elle souhaite se concerter, notamment avec les membres permanents du Conseil de sécurité, nous sommes évidemment disponibles pour cette concertation et c'est cela qui a commencé aujourd'hui.
Q - Vous avez parlé sûrement de la nouvelle crise des Balkans, à Presevo. Quelle est votre opinion sur la situation actuelle, dans cette région avec 100 000 Albanais ethniques à Presevo ? Première question. Et deuxième question, aujourd'hui à Mitrovica, les Albanais et les Serbes vivent dans un apartheid. Quelle est la perspective de cette ville où se trouve votre troupe, KFOR française, dans cette ville partagée en deux ?
R - La situation à Presevo est une situation dangereuse. Nous souhaitons, comme tous nos partenaires européens et occidentaux que l'on trouve une solution pour en sortir. Nous pensons que d'une part, sur place, en ce qui concerne les Serbes et les Albanais où qu'ils soient, il faut évidemment s'abstenir de tout acte qui puisse être une provocation ou qui pourrait être considéré comme une provocation. Il y a une sorte d'exigence de retenue et de responsabilité, qui doit s'appliquer sur le terrain même en commençant par le niveau le plus modeste.
En ce qui concerne les différentes entités internationales, qui ont à intervenir, il y a l'action de l'Union européenne, il y a l'action de l'OTAN. Tout cela doit s'inscrire dans le cadre défini par les Nations unies. Il faut que les missions des uns et des autres soient bien précisées et bien combinées. Il y a la mission d'observation mais cela ne suffit pas, puisque cela ne suffit pas à régler les problèmes de fond. Pour aller au-delà et pour qu'il puisse y avoir des actions de médiation internationale utiles, il faut qu'il y ait un dialogue politique entre les responsables politiques à Belgrade et les Albanais du Kosovo. Donc il y a une dimension "dialogue politique", une dimension "retenue sur le terrain" et, après, la communauté internationale peut, peut-être, aller au-delà de l'observation, mettre en avant des médiations, des solutions. Mais cela ne peut pas être imposé par la KFOR ou imposé par des observateurs de l'Union européenne seuls, cela ne suffit pas.
Nous essayons, à travers nos réunions - on en a parlé hier au Conseil Affaires générales des Quinze à Bruxelles, nous en avons reparlé aujourd'hui à l'OTAN - nous essayons de créer le contexte et le climat international permettant de régler cette question.
Il faudrait la régler vite pour que cette question ne s'envenime pas. Alors qu'au contraire nous sommes, globalement dans les Balkans et globalement à propos de l'ex-Yougoslavie, dans une période qui est de redevenue prometteuse, même s'il y a des problèmes sérieux qui restent à régler.
Sur Mitrovica, le problème est bien connu. C'est l'action continue du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, appuyée par toute la communauté internationale, sous toutes ses formes, qui doit recréer, petit à petit, pour tous les habitants du Kosovo quels qu'ils soient, en fait, les conditions normales de vie, les conditions normales de dignité, les conditions normales de sécurité et de coexistence. On sait depuis le début que c'est quelque chose qui est difficile à reconstituer qui se bâtit pas à pas. Cela reste notre politique.
Q - Le président Bush a dit récemment que Tony Blair lui avait assuré que toute la planification de la défense européenne se ferait au sein de l'OTAN. Est-ce que d'après votre conversation avec Colin Powell vous avez eu l'impression que c'était également sa compréhension de la défense européenne ? Est-ce que vous avez essayé de corriger légèrement le tir à cet égard et si je peux me permettre une deuxième question, est-ce que vous pensez qu'il faut juger la réalité de la PESC à l'aune de l'incapacité des Européens à faire entendre leur voix après les bombardements contre Bagdad ?
R - Sur la première question, je n'éprouve pas le besoin de corriger le tir parce que je pense que Tony Blair a obtenu du président Bush un certain nombre de phrases qui sont très importantes du point de vue européen quant à l'attitude de la nouvelle administration à l'égard du projet de défense européenne. Donc ne nous perdons pas dans les détails, regardons cette prise de position, qui n'était pas évidente, compte tenu de ce qu'on avait pu entendre avant et des spéculations que cela avait entraînées. C'est une attitude plutôt confiante et nous n'avons cessé de répéter, ici je l'ai encore dit aujourd'hui - on l'a dit sous l'ancienne administration, nous le dirons sous la nouvelle - qu'il faut faire confiance aux Européens dans cette affaire. Les Européens savent bien qu'ils sont dans une démarche légitime quand ils bâtissent une défense européenne et ils savent bien aussi sans qu'il soit besoin de leur redire constamment que leur intérêt est que l'Alliance atlantique reste forte et fonctionne bien. Donc, il y a un principe de confiance entre les partenaires d'Amérique du Nord et les partenaires européens.
Alors, il faudrait entrer dans le détail, après, en ce qui concerne la planification stratégique d'une part et la planification opérationnelle d'autre part. Nous avons eu l'occasion de nous prononcer là-dessus. L'Union européenne poursuit sa démarche. Ce qui est important ce sont les textes adoptés à Nice - qui eux-mêmes venaient consacrer une série d'efforts et de décisions entamés avant - textes dont nos amis britanniques sont tout à fait solidaires. Donc je crois que la démarche se poursuit et qu'il ne faut pas s'inquiéter sur ce plan. C'est une démarche ambitieuse, elle est importante. Il faut maintenant la concrétiser, de plus en plus. Et, je crois à la poursuite de cet effort.
Les premiers contacts établis avec les responsables de la nouvelle administration, à commencer, par le président lui-même, également le secrétaire d'Etat ou d'autres, montrent qu'un dialogue déjà très utile, et déjà visible dans ces résultats s'est établi. A propos de ce projet de défense européenne, dont nous redisons qu'il est dans l'intérêt général de l'Alliance.
Deuxièmement, en ce qui concerne la PESC, je crois avoir été un des premiers à écrire ce mot dans un projet de lettre Kohl-Mitterrand, il y a longtemps, "Politique étrangère et de sécurité commune", au moment où, il y une petite dizaine d'années, nous pensions que l'Union européenne atteignait un stade où elle pouvait se permettre d'avoir l'ambition de se fixer également ce type d'objectifs. Mais, je peux vous dire que cela a toujours été une erreur, après, de juger la PESC à l'instant "t". C'est une démarche, c'est une ambition. Et ceux qui ont enclenché cette grande ambition n'ont jamais pensé que, du jour au lendemain, parce qu'on avait mis quelques phrases importantes dans des traités, l'ensemble des Européens allaient avoir la même mentalité, la même réaction, se déterminer de la même façon par rapport à l'ensemble des événements se produisant dans le monde.
Il faut voir cela comme une sorte de germe qui grandit. Et petit à petit, je crois pouvoir dire, à l'intérieur de l'Union européenne, les sujets sur lesquels les Européens ont les mêmes réactions sont de plus en plus nombreux. Regardez, par exemple, ce qui s'est passé dans le sud-est de l'Europe - ou dans les Balkans comme on veut - à propos de l'ex-Yougoslavie. Les réactions il y a dix ans étaient très différentes, très disparates dans le monde entier - pas seulement en Europe, dans le monde entier. C'était très différent. Mais si vous prenez la zone européenne, les positions se sont rapprochés au point de former une vraie politique européenne commune aujourd'hui. Cela ne s'est pas fait, parce que ça a été décidé brusquement. Ca s'est fait par le travail des années, beaucoup de réunions, beaucoup d'ajustement, des évolutions.
Je crois donc qu'il faut raisonner comme cela par rapport à tout autre événement. Vous aurez encore pendant très longtemps des événements survenant dans le monde provoquant, en tout cas dans un premier temps, des réactions de certains Européens, qui ne sont pas les mêmes. Parce que ce sont des peuples différents, des pays différents, ils n'ont pas la même histoire, ils n'ont pas la même lecture. Tout cela se construit petit à petit et ne peut pas se trancher par une décision. C'est plus compliqué à trancher qu'une question relevant de la monnaie. Cela ne peut pas se faire de façon régalienne. Donc ayez confiance et soyez patients et mesurez d'où on vient.
Q - Avez-vous discuté des propositions alternatives russes concernant le projet NMD ?
R - Non, cela n'a pas été discuté à proprement parler. Cela a été évoqué pendant le déjeuner, puisque nous avons eu un échange à propos de la Russie, situation en Russie, politique de la Russie. Mais ce problème n'a pas été discuté de façon précise. Pas plus que les projets de NMD à proprement parler d'ailleurs. Evoqué non discuté.
Q - Les alliés européens essayaient de s'opposer au bouclier antimissiles américain. Ils sont maintenant prêts à discuter de la manière dont elle va se mettre en place. C'est un changement de position par rapport à l'année passée ?
R - A ma connaissance, il n'y a pas eu de prise position de ce que vous appelez les alliés européens sur ce sujet. Il y a eu un certain nombre de déclarations, de questions qui ont été posées, d'interrogations, de préoccupations qui ont été exprimées par un certain nombre de pays. Il n'y a pas eu de prise de position formelle des alliés. Et d'ailleurs, cela n'aurait pas été possible parce que le projet n'est pas encore assez connu pour pouvoir prendre position de cette façon.
En réalité, vous avez déjà, dans les systèmes stratégiques actuels une combinaison de systèmes défensifs, offensifs, et dissuasifs. Ce qui n'est pas la même chose. Les systèmes dissuasifs ne sont ni offensifs ni défensifs. Il y a trois catégories. La nouvelle administration américaine nous indique qu'elle voudrait modifier cette combinaison en donnant plus de place à certains systèmes défensifs qui n'existent pas aujourd'hui mais qui pourraient exister. Nous notons en même temps que, à aucun moment, les responsables de la nouvelle administration américaine n'ont indiqué qu'ils voulaient renoncer à la dissuasion. Donc il s'agit bien, éventuellement de modifier cette combinaison. Quand est-ce qu'ils le feraient ? Comment ? Est-ce que c'est réalisable ? En fait, on n'en sait rien à ce stade. Donc il est trop tôt pour se prononcer et réagir.
Nos questions et nos interrogations sont connues. Les responsables américains vont eux-mêmes travailler sur leur projet et à un moment donné ils seront en mesure d'en dire plus sur leurs intentions réelles. A ce moment là on verra. Mais l'élément nouveau c'est que des consultations ont commencé. Des échanges ont eu lieu, quelques-uns uns, et ils vont se poursuivre, puisque vous avez noté qu'il y a beaucoup de contacts euro-américains pendant tout ce semestre. Et c'est une très bonne chose que ces consultations aient lieu.
Q - Votre compatriote M. Kouchner vient de partir du Kosovo, comme chef de la MINUK, en disant qu'il faut organiser des élections générales au printemps. Est-ce que c'est nécessaire d'organiser ces élections plus vite pour arrêter la violence et le crime organisé ?
R- Quand Bernard Kouchner était encore le Représentant des Nations unies, il avait insisté sur la nécessité de préparer des élections générales dans le Kosovo, c'est normal, c'était l'application de l'étape suivante de la résolution 1244. Et, il avait parlé, à un certain moment, d'élections dans le courant de l'année. A d'autres moments, il a parlé d'élections au printemps. Mais, c'est une décision que le Représentant spécial du Secrétaire général ne peut pas prendre seul, elle se prend en consultation notamment avec les membres du Conseil de sécurité. Puisque le représentant au Kosovo agit par délégation du Secrétaire général, qui agit par délégation du Conseil de sécurité sur la base de la 1244.
Depuis lors, le nouveau Représentant spécial, M. Haekkerup, est arrivé sur place. Il a fait l'analyse de la situation. Il a fait des propositions. Nous en avons débattu, au sein des Quinze, hier au Conseil Affaires générales, et nous avons adopté un certain nombre de positions, je ne vais pas rentrer dans le détail là, sur les conditions à remplir pour que les élections puissent avoir lieu. On peut résumer les choses en disant que tout le monde souhaite qu'elles puissent avoir lieu assez vite, dans le courant de cette année, mais qu'il faut les faire dans de bonnes conditions. Ce sont des élections qui ont une signification plus importante que les élections municipales, qui se sont bien passées. Donc, voilà, on remplit les conditions et les élections auront lieu après.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2001)