Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs,
« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté
a droit d'asile sur les territoires de la République » : cette formule
du Préambule de la Constitution de 1946 témoigne de l'attachement
ancien, et jamais démenti, de notre République pour le droit d'asile.
La France a été parmi les tout premiers Etats à mettre en application
la Convention de Genève du 28 juillet 1951 puisque l'office français de
protection des apatrides (OFPRA) a été créé moins d'un an plus tard,
par la loi du 25 juillet 1952, avec la mission d'accorder la protection
de la France à tout étranger persécuté dans son propre pays, ou
risquant de l'être. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis 1952, ce
sont près de 440.000 personnes, sans compter les mineurs accompagnants,
qui ont été admis au statut de réfugiés, dont plus de 150.000 ces vingt
dernières années.
Notre pays a donc une tradition ancienne, et bien ancrée, d'accueil des
réfugiés politiques.
Comme vous le savez, au sein du Gouvernement, c'est au ministère de l'
immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du
codéveloppement que revient aujourd'hui la responsabilité de perpétuer
cette tradition. Comme l'indique le décret d'attribution, sous réserve
des attributions de l'OFPRA et de la Commission des recours des
réfugiés (CRR), mon ministère est responsable de la préparation et la
mise en oeuvre de la politique de l'asile. Le projet de loi relatif à la
maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, qui sera
discuté la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, conforte cette
mission. Il s'agit d'une mission tout à fait éminente, au même titre
que la gestion concertée des flux migratoires, l'intégration des
étrangers en situation régulière à notre communauté nationale ou encore
l'aide au développement des pays sources d'immigration.
Conscient de la tradition historique dans laquelle s'inscrit mon
action, j'entends bien exercer ma mission avec tout le discernement et
la détermination nécessaires : je serai, pleinement, le Ministre de l'
asile.
Avant d'entrer dans le détail, je vous remercie pour votre invitation
au dixième anniversaire du centre de transit géré par Forum Réfugiés,
ici à Villeurbanne. Au nom du Gouvernement, je salue votre contribution
à la prise en charge des demandeurs d'asile et des réfugiés
statutaires. En particulier, depuis sa création il y a 25 ans, Forum
Réfugiés a su mener avec constance, dans la région Rhône-Alpes, ces
activités indispensables que sont l'accueil, l'accompagnement et l'
hébergement des demandeurs d'asile ainsi que l'intégration des
réfugiés. Je ne peux donc que me réjouir de vos projets d'extension à
la région parisienne, auxquels mes services apportent un soutien
financier.
Forum Réfugiés contribue également, par ses travaux de recherche et d'
études, par ses opérations de communication, par sa participation aux
actions de concertation animées par l'Etat, à une vision équilibrée,
constructive et non dogmatique de l'asile, à laquelle je tiens à rendre
hommage.
Au même titre que les autres associations impliquées dans le domaine de
l'asile - et je voudrais également rendre hommage à l'action de France
Terre d'Asile, de la Croix Rouge française ou encore de l'AFTAM - vous
exercez votre nécessaire vigilance avec une compétence reconnue et une
détermination sans faille, et, naturellement, en toute franchise et
indépendance. Parce qu'elles sont sincères, les critiques que vous
adressez à la puissance publique sont toujours écoutées.
Dans une démocratie comme la nôtre, cette vigilance est inévitable, et
je dirai même qu'elle est souhaitable. Vous, les associations engagées
dans la défense du droit d'asile et dans l'aide aux réfugiés, vous êtes
pour l'Etat non seulement un partenaire, mais aussi un contre-pouvoir,
une vigie. Et je m'en réjouis car j'ai la certitude que nous sommes en
mesure - au-delà de divergences certaines sur lesquelles il nous faudra
débattra en toute clarté - de créer entre nous un climat de confiance.
Depuis ma prise de fonctions, j'ai visité plusieurs centres d'accueil
des demandeurs d'asile (CADA), dont celui de la rue Léon Frot dans le
XIème arrondissement de Paris dès le lendemain de ma nomination. Vous
le savez, j'ai tenu à vous recevoir en premier et aussi souhaité
rencontrer les principales associations engagées dans la défense du
droit d'asile. Aujourd'hui, je suis devant vous pour échanger, avec une
conviction : nos points d'accord sont bien supérieurs à nos
divergences, car nous poursuivons, chacun à notre place, les mêmes
objectifs.
Du point de vue de l'Etat, qui a le devoir de respecter ses obligations
internationales et d'appliquer la loi sur son territoire, la «
politique de l'asile » a plusieurs dimensions, qui doivent être menées
de front car elles sont indissociables :
- l'accueil des demandeurs d'asile, qui sont en droit de déposer leur
demande et de recevoir une réponse rapide, quel que soit au final le
sens de la décision rendue ;
- l'intégration à notre communauté nationale des réfugiés, ce qui
suppose notamment leur insertion économique et sociale, qui doit être
accompagnée de la façon la plus active possible ;
- mais aussi, il ne faut pas l'oublier, le retour, volontaire ou
contraint, des déboutés dans leur pays d'origine.
Avant de revenir sur ces différentes composantes de la politique de l'
asile, je souhaiterais tout d'abord vous faire partager un constat.
1. Notre pays, la France, mène depuis des années une politique de l'
asile dont nous pouvons, collectivement, être fiers. La France est - et
restera - une terre d'asile pour les étrangers persécutés.
1.1. Analysons les principales comparaisons internationales qui sont
disponibles.
En 2006, la France a étudié 31.000 demandes d'asile, dont 26.000
premières demandes, ce qui la place au premier rang des pays de l'Union
européenne. A titre de comparaison, l'Allemagne a étudié 21.030
demandes d'asile, le Royaume-Uni 27.850. Au niveau mondial, la France
fait plus que soutenir la comparaison. En 2006, seuls les Etats-Unis
dépassaient la France en nombre de demandes traitées.
Même si les comparaisons internationales ne sont jamais exactes en
matière d'asile, en raison de différences méthodologiques réelles, les
ordres de grandeur demeurent valables : on le voit, la France prend
plus que sa part dans l'accueil des demandeurs d'asile dans le monde.
Nos résultats sont également très honorables s'agissant des demandeurs
auxquels est reconnu le statut de réfugié. En 2006, leur nombre s'est
élevé à 7.500 et, sur la période 2004-2006, à plus de 32.000. Au jour
d'aujourd'hui, l'OFPRA évalue à 124.000 le nombre d'étrangers placés
sous sa protection [hors mineurs accompagnants], avec pour une
écrasante majorité le statut de réfugié, ce qui signifie une carte de
résident de 10 ans et des droits sociaux comparables à ceux des
Français.
Je connais les craintes exprimées par les associations. La baisse
sensible du nombre de demandes d'asile constatée depuis 2005 fait
craindre une remise en cause progressive du droit d'asile. Les
engagements du Président de la République et du Premier ministre
concernant la lutte contre l'immigration irrégulière sont présentés par
certains, non sans arrière pensée, comme une possible atteinte au droit
d'asile.
Je veux vous dire que ces craintes ne sont pas fondées.
1.2. En effet, la baisse récente du nombre de demandeurs d'asile s'
explique largement par les mesures prises contre les réseaux d'
immigration irrégulière ; elle ne doit pas être interprétée comme une
remise en cause du droit d'asile.
Au tournant des années 2000, notre tradition d'accueil des réfugiés
était dévoyée pour en faire une nouvelle filière d'immigration. Alors
qu'en 1997 la France était le septième pays au monde pour le nombre des
demandes d'asile, elle avait pris, cinq ans plus tard, la première
place en Europe avant de devenir, sur cette lancée, le premier au monde
pour la demande d'asile en 2004, alors que nous représentons seulement
1% de la population mondiale !
En réalité, à côté de flux de demandes d'asile bien « réelles », la
procédure était détournée : les filières d'immigration clandestine
vendaient à leurs victimes, à des tarifs exorbitants, la possibilité de
demander l'asile en France, d'y rester pendant les longs mois et
parfois les années d'instruction de leur demande, avant d'entrer dans
la clandestinité et d'y demeurer dans l'espoir d'obtenir
automatiquement une carte de séjour après 10 ans de présence
irrégulière sur notre territoire.
Ainsi de nombreux étrangers étaient-ils incités - voire contraints - à
demander l'asile, non parce qu'ils estimaient y avoir droit, mais pour
bénéficier des avantages offerts par la procédure elle-même.
Fin 2003, le Gouvernement précédent a su casser ce cercle vicieux en
prenant plusieurs mesures fortes comme la suppression de l'asile
territorial ou l'adoption d'une « liste des pays d'origine sûrs ».
Enfin, des efforts considérables d'efficacité administrative ont été
réalisés pour réduire les délais d'instruction et de jugement.
Grâce à ces mesures, le nombre de premières demandes d'asile a
enregistré une forte diminution, de 16% en 2005 puis de 38% en 2006,
pour s'établir à 26.269 premières demandes.
Depuis le début de l'année 2007, cette tendance à la baisse se
poursuit, mais à un rythme moins soutenu : sur les 7 premiers mois de
l'année, le nombre de demandes a baissé de 17% par rapport à la même
période de 2006, soit environ 2.000 premières demandes par mois.
Cet « atterrissage en douceur » suggère qu'un palier a été atteint dans
la chute de la demande. On ne peut d'ailleurs pas exclure, dans les
années à venir, une stabilisation voire une augmentation des premières
demandes car, comme vous le savez, le niveau de la demande d'asile dans
un pays donné est largement tributaire de la situation dans les pays
d'origine qui sont historiquement ou géographiquement proches. J'en
veux pour preuve, en ce qui concerne la France, la stabilisation de la
demande d'asile en provenance de l'Algérie ou bien des Balkans.
Quoi qu'il en soit, les filières d'immigration clandestine et les
passeurs ont désormais compris que la procédure d'asile a uniquement
vocation à s'adresser aux personnes réellement en danger dans leurs
pays. Le droit d'asile ne doit pas devenir le prétexte d'une
immigration économique incontrôlée, situation qui finirait par se
retourner contre le principe même du droit d'asile.
Mais se montrer vigilant ne signifie ni porter atteinte au droit d'
asile ni l'assimiler à une forme d'immigration comme une autre.
1.3. Je souhaite le dire de la manière la plus solennelle et la plus
forte : la question de l'asile et celle de l'immigration sont
distinctes, et doivent le rester.
Nous sommes trop attachés à nos valeurs humanistes, à notre
Constitution et au respect de nos obligations internationales pour
subordonner notre devoir d'accueil des réfugiés politiques à l'
impératif de gestion des flux migratoires.
En d'autres termes, l'asile ne doit à aucun prix être conçu comme un
sous-ensemble de la politique de l'immigration. J'ai tenu à manifester
cette conviction lors de mes toutes premières décisions en tant que
Ministre : durant la préparation du budget 2008, j'ai tenu à ce que l'
enveloppe des crédits délégués au nouveau Ministère - ce que l'on
appelle en termes techniques une « mission LOLF », discutée chaque
année au Parlement - s'intitule « Immigration, asile, intégration ». En
conséquence, les moyens humains et budgétaires consacrés à l'asile, les
objectifs de notre politique seront affichés clairement et pourront
faire l'objet de comparaisons d'une année sur l'autre. De même, la
future administration centrale du Ministère, qui sera regroupée au 1er
janvier 2008 sous l'autorité d'un secrétaire général - Patrick
STEFANINI -, comprendra une entité exclusivement dédiée à l'asile et
aux réfugiés, et qui sera distincte de l'entité en charge de l'entrée
et du séjour des étrangers en France.
Il en va de même de certaines réformes d'ampleur que nous envisageons
sur le moyen terme. En particulier, la fixation de plafonds en matière
d'immigration, qui constitue l'une de nos pistes de travail, ne sera
pas appliquée aux demandeurs d'asile ni, à plus forte raison, aux
réfugiés.
L'asile a sa finalité propre, qui doit être de protéger les personnes
qui ne sont plus protégées par leur propre Etat.
Une fois ces principes fondamentaux rappelés, il convient de les ancrer
dans la pratique.
2. Cela suppose, en tout premier lieu, que le traitement des demandeurs
d'asile continue à être amélioré.
2.1. Ce sera, demain, ma responsabilité.
De ce point de vue, le projet de loi ne fait que tirer les conséquences
de la création du ministère dont j'ai la charge. Compte tenu de la
nouvelle organisation gouvernementale, il est naturel que la tutelle de
OFPRA passe du ministère chargé des relations internationales à celui
chargé de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
2.2. Il va de soi que l'indépendance fonctionnelle de l'OFPRA restera
entière, sous le contrôle de la Commission de recours des réfugiés
(CRR).
Pas plus qu'aujourd'hui le Ministre des affaires étrangères, ce n'est
pas moi qui, demain, déciderai si tel ou tel étranger doit être reconnu
comme réfugié. Si le projet de loi change le ministre responsable de la
tutelle de l'OFPRA, il ne modifie en aucune manière la nature de cette
tutelle. [Je tiens d'ailleurs à féliciter, puisqu'il est présent, Jean
-François CORDET pour sa nomination comme Directeur général de l'
OFPRA]. L'OFPRA restera souveraine dans ses décisions sur les cas
individuels, sous le contrôle juridictionnel de la CRR.
En revanche, il sera de mon responsabilité de donner à l'OFPRA et à la
CRR les moyens de leur indépendance et de leur efficacité, ce qui a
déjà été fait ces dernières années dans des proportions considérables :
entre 2002 et 2006, le budget de l'OFPRA a été multiplié par 2 [22,8
millions d'euros en 2001, 43,6 en 2006] et ses effectifs ont augmenté
de 60% (477 agents en 2002, 749 en 2006). Peu d'établissements publics
peuvent afficher une telle évolution budgétaire ces dernières années.
Pour 2007, la dotation budgétaire est restée stable en dépit de la
baisse des demandeurs, ce qui permet de continuer à améliorer la
qualité des procédures et à réduire les délais.
Dès le vote de la loi, je rendrai visite aux personnels de l'OFPRA et
je leur dirai à la fois ma détermination à garantir leur indépendance
fonctionnelle et ma gratitude pour les progrès accomplis à ce jour : de
plus de 324 jours en 2002, le délai moyen d'instruction par l'OFPRA est
tombé à 110 jours en 2006.
2.3. L'OFPRA, surtout, continuera à agir sous le contrôle d'une
juridiction, la Commission de recours des réfugiés, dont nous allons
conforter l'indépendance.
Cette ambition a plusieurs volets.
Tout d'abord, nous allons, au 1er janvier 2009, mettre en oeuvre l'
autonomie budgétaire de la CRR. Comme vous le savez, la CRR et l'OFPRA
sont aujourd'hui gérés au sein d'une entité budgétaire unique, ce qui
ne manque pas de susciter des interrogations. Le Gouvernement, en plein
accord avec le Conseil d'Etat, a décidé de donner à la CRR une
autonomie budgétaire totale par rapport à l'OFPRA et d'inclure ses
crédits dans la mission « Juridictions », au même titre que le Conseil
d'Etat ou les autres juridictions administratives.
Nous aurions même souhaité procéder à cette réforme dès le 1er janvier
2008 mais des considérations techniques nous ont conduits à privilégier
l'échéance budgétaire suivante.
Dans le même délai, nous songeons également à conforter l'organisation
de la CRR. Je ne suis pas sûr qu'il soit raisonnable que la première
juridiction administrative de France [en nombre de dossiers traités]
fonctionne avec plus de 130 présidents de chambres qui sont vacataires.
Je précise d'ailleurs que nous maintiendrons la participation du Haut
commissariat aux réfugiés aux instances de jugement, qui constitue une
garantie importante d'impartialité.
Enfin, le troisième objectif concerne la réduction des délais de
jugement de la CRR, qui restent trop longs et ont même augmenté
récemment (de 261 jours en 2003 à 314 jours en 2006), ce qui réduit la
portée des efforts réalisés par l'OFPRA. Or il est impératif, tant pour
la puissance publique que pour les demandeurs eux-mêmes que toute
demande d'asile reçoive une réponse rapide. Aujourd'hui, le délai
dépasse 12 mois, ce qui n'est pas satisfaisant, et je souhaite qu'une
réduction de ce délai soit amorcée très vite, pour atteindre rapidement
un délai consolidé de 6 à 9 mois.
Vous l'aurez compris, notre objectif est de rendre la CRR plus
autonome, plus professionnelle, plus diligente. J'ajoute que cette
évolution pourra se traduire par un changement de nom, en faisant de la
CRR une véritable « cour nationale du droit d'asile » comme l'a proposé
le 12 septembre la Commission des lois de l'Assemblée nationale.
2.4. Améliorer l'accueil des demandeurs d'asile suppose également de
conforter les efforts considérables d'ores et déjà réalisés en matière
de CADA.
Pour les demandeurs d'asile, obtenir une place en CADA est la garantie
d'avoir un logement mais aussi d'être accompagnés dans les procédures,
ce qui évite qu'ils soient livrés à eux-mêmes. L'équipement de notre
territoire en places de CADA a fait l'objet d'un effort sans précédent
: de 6.800 places en 2002, leur nombre est passé à 19.700 début 2007 et
atteindra 20.689 à la fin de l'année, soit un triplement en 5 ans.
J'ajoute que je réfléchis à donner aux demandeurs d'asile originaires
de « pays sûrs » le droit de séjourner dans des centres d'hébergement
d'urgence leur étant adaptés.
3. Un autre volet prioritaire de notre action en matière d'asile est
d'améliorer l'intégration des réfugiés à notre communauté nationale.
C'est une question de cohérence.
Dès qu'ils accèdent à leur statut, les réfugiés bénéficient d'une carte
de résident, c'est-à-dire un titre de séjour de 10 ans. Par rapport aux
autres étrangers en situation régulière, qui bénéficient d'un premier
titre d'un an, les réfugiés se trouvent placés immédiatement à une
étape plus avancée du parcours d'intégration.
Cette situation est tout à fait légitime. Parce qu'ils ont subi des
épreuves personnelles aux conséquences lourdes, ils ont vocation à
rester durablement en France et à s'y intégrer. Il est également
naturel que les réfugiés aient un accès facilité aux droits sociaux.
C'est par exemple le cas pour le revenu minimum d'insertion, pour
lequel la condition de 5 ans de résidence en France ne leur est pas
opposée, à la différence des autres étrangers en situation régulière.
Pourtant, les mesures existantes ne suffisent pas toujours à permettre
une bonne intégration des réfugiés à notre communauté nationale.
L'expérience montre que le délai de suivi en CADA, limité à trois mois,
est court. De même, les prestations du CAI ne sont pas toujours
suffisantes pour permettre un accès rapide à l'emploi. Et la crise du
logement rend quelquefois très longue la recherche d'une solution
adaptée.
Pour aider les réfugiés à faire face à ces difficultés structurelles,
des expériences novatrices sont menées et l'une des plus remarquables
est sans conteste le programme « AccelAIR Nouveau départ », conduit
dans le département du Rhône sous l'impulsion de Forum Réfugiés.
Ce programme, qui vise à accompagner les réfugiés dans la recherche
simultanée d'un logement, d'une formation qualifiante et d'un emploi,
connaît un succès remarquable. En cinq ans, ce sont plus de 600 ménages
qui ont ainsi pu être relogés, et les deux tiers d'entre eux ont trouvé
un emploi plus rapidement que la moyenne des autres populations en
difficultés d'insertion.
Ce résultat a été rendu possible par l'intervention coordonnée d'
acteurs qui n'ont pas forcément l'habitude de travailler ensemble. Ce
programme est l'illustration parfaite que des progrès sont possibles
dès lors que les différents acteurs du parcours d'intégration
travaillent ensemble.
En s'inspirant du programme « AccelAIR », il faut maintenant réfléchir,
au plan national, à un dispositif renforcé d'accompagnement des
réfugiés, qui complèterait les mesures du contrat d'accueil et d'
intégration. Ce dispositif pourrait reposer sur les principes suivants
:
- il serait ouvert à tous les réfugiés ayant signé un CAI, car ils ont
ainsi manifesté leur volonté d'intégration ;
- il permettrait de faire travailler ensemble les différentes
collectivités publiques (Etat, région, département, communes), les
établissements publics concernés (ANAEM, ANPE, AFPA, ACSE) ainsi que
les associations volontaires ;
- à terme, on pourrait imaginer que chaque réfugié soit accompagné par
un interlocuteur unique, chargé de l'orienter dans l'ensemble de ses
démarches au regard du logement et de l'emploi.
Je ne verrais que des avantages à ce que le débat sur le projet de loi
permette d'aborder cette question.
4. Mais une politique responsable de l'asile implique également l'
éloignement des demandeurs déboutés.
Les demandeurs d'asile dont l'OFPRA puis la CRR ont successivement
rejeté la demande font l'objet, vous le savez, d'une obligation de
quitter le territoire français. Il s'agit d'un volet essentiel de la
politique de gestion des flux migratoires et cela peut passer par un
éloignement contraint de ces personnes.
Je crois toutefois que nous devons, collectivement, aller plus loin et
chercher à développer des solutions novatrices en vue d'un retour, dans
de bonnes conditions, des migrants qui acceptent de repartir dans leurs
pays d'origine. L'aide au retour volontaire est encore sous-utilisée
et, surtout, le partenariat entre les pouvoirs publics et les
associations reste insuffisant sur ce point. Nous devrons en reparler.
5. L'Union européenne joue d'ores et déjà, et sera amenée à jouer dans
l'avenir, un rôle considérable dans la politique de l'asile
Vous le savez, la première phase d'harmonisation communautaire, marquée
en particulier par la directive « Accueil » de 2003, la directive «
Statut » de 2004 et la directive « Procédures » de 2005, est
pratiquement achevée. La quasi-totalité de ces directives est
transposée dans notre droit interne.
La Commission européenne, avec la publication d'un Livre vert sur l'
asile en juin dernier, vient de lancer la seconde phase d'
harmonisation. Le pari est ambitieux : l'objectif du programme de La
Haye, réaffirmé par le Conseil européen, est d'adopter un régime commun
d'asile avant la fin 2010.
Au premier semestre 2008, la Commission présentera un plan d'action,
assorti de premières propositions de textes. Dans ce contexte, la
Présidence française, qui se déroulera au second semestre 2008, sera
l'occasion pour notre pays de participer activement à la construction
des différents volets du futur régime commun, dont la qualité du
processus décisionnel ou encore les procédures de recours.
Ce processus d'harmonisation communautaire est à la fois inéluctable et
positif. Inéluctable, car l'espace de sécurité et de justice, la
communauté de droits que constitue l'Union européenne ne peut se
satisfaire de régimes de l'asile par trop hétérogènes, sources d'
injustices et de mouvements migratoires secondaires entre Etats
membres.
Positif, car l'harmonisation communautaire peut contribuer à produire
des avancées positives en matière de droit d'asile, sans jamais nous
contraindre à nous aligner vers le bas. C'est, par exemple, sous l'
impulsion de la législation communautaire que, désormais, les
demandeurs d'asile non hébergés en CADA ont droit à l'allocation
temporaire d'attente pendant toute la durée de la procédure, et non
pendant un an comme par le passé. Il en va de même de l'aide
juridictionnelle devant la CRR, qui sera généralisée au 1er décembre
2008. Par ailleurs, le Fonds européen pour les réfugiés permet de
cofinancer, à hauteur de 10,5 millions d'euros en 2007, des projets
dans les domaines de l'accueil des demandeurs d'asile ou d'aide à l'
insertion des réfugiés. On pourrait multiplier les exemples.
Il faut s'engager avec confiance et enthousiasme dans le processus
communautaire d'harmonisation du droit d'asile. Sur cette voie, je sais
que votre contribution aux débats sera précieuse, soit directement,
soit au travers de votre participation au réseau ECRE [European Council
on Refugees and Exiles].
Je voudrais pour finir évoquer la question de la réinstallation, dont
je sais qu'elle tient à coeur à votre association. Il s'agirait en
particulier d'accueillir en France un nombre prédéterminé de réfugiés
irakiens, tant ceux qui se sont déplacés à l'intérieur de leur pays que
ceux qui vivent aujourd'hui dans les pays limitrophes de l'Irak. Nous
sommes bien sûr sensibles à la détresse des populations irakiennes et
notamment à celle de leurs minorités. Mais c'est un sujet délicat,
notamment du point de vue de la sécurité : comment assurer la
sécurisation des sorties de ces réfugiés d'Irak, comment protéger les
intervenants HCR et ONG ? Ce sujet difficile ne peut être traité par la
France seule car l'Irak compte aujourd'hui 1,8 millions de déplacés
internes et 2 millions de réfugiés installés pour l'essentiel en Syrie
et en Jordanie, ce qui dépasse très largement les flux annuels de
demandeurs d'asile en Europe. L'aide humanitaire aux pays frontaliers
de l'Irak est un élément essentiel de la réponse à l'exode massif des
Irakiens. La France a d'ailleurs consacré un million d'euros aux
réfugiés et déplacés irakiens, par le truchement du HCR, pour l'
amélioration de leurs conditions d'accueil là où ils se trouvent.
Nous sommes ouverts à un dialogue avec les ONG pour échanger sur l'idée
d'une coordination européenne mais à condition que le HCR soit
pleinement impliqué et que les dossiers puissent être étudiés
individuellement et selon les critères nationaux, c'est-à-dire qu'ils
puissent être éligibles au statut de réfugié. La France ne souhaite pas
l'instauration d'un objectif chiffré de ressortissants irakiens qui
serait fixé par pays. En revanche, nous sommes à l'écoute du HCR pour
les cas individuels qu'il pourrait être amené à nous transmettre, tout
en gardant à l'esprit que des mesures telles que la réinstallation ne
doivent pas conduire à créer un phénomène d'attractivité. Le Vice-
Président de la Commission, le commissaire Frattini, a sensibilisé les
partenaires de l'Union européenne sur ce sujet et a rappelé la
nécessité de s'harmoniser entre Etats Membres dans le traitement de ce
type de dossier. Je vous rappelle que la France plaide en faveur de la
mise en place d'une procédure d'asile unique dans l'Union européenne
afin de mettre fin aux disparités de procédure et d'octroi du statut de
réfugié.
Mesdames et Messieurs,
Je sais que vous observerez avec attention voire vigilance mon action
en matière d'asile à la tête de ce ministère.
Parce que j'entends défendre notre tradition de protection des réfugiés
tout en luttant contre ceux qui la dévoient, sachez que je serai à
votre écoute, toujours ferme sur les principes et chaque fois humain
dans leur application.
Je vous remercie.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 septembre 2007