Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à RTL le 27 septembre 2007, sur la situation en Birmanie et sur le débat autour de la politique de l'immigration en France.

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Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, R. Yade.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- La junte militaire réprime les manifestants à Rangoon qui essaie de s'en débarrasser. Comment la communauté internationale peut-elle aider les Birmans à retrouver la démocratie ?
 
R.- La Communauté internationale peut aider les Birmans, et elle doit aider les Birmans, en convoquant - comme le Conseil de Sécurité l'a fait hier - une réunion au niveau des ambassadeurs. C'est une manière de dire : nous sommes prêts à des sanctions, à les renforcer parce que ces sanctions existent déjà...
 
Q.- Quelles sanctions ?
 
R.- Les sanctions existent déjà : à deux niveaux, au niveau des Nations Unies, mais aussi au niveau de l'Union européenne. Par exemple, en ce qui concerne l'Union européenne, un embargo sur les armes a été décidé. La junte ne peut pas se déplacer sur le territoire européen comme cela. Nous-mêmes, officiels européens, nous ne pouvons pas nous rendre, sauf circonstances exceptionnelles, en Birmanie. Il est interdit pour nos entreprises de s'impliquer dans des actions entrepreneuriales détenues par la junte et par ailleurs, les avoirs des militaires de la junte ont été gelés.
 
Q.- Ces sanctions existent depuis 1996 ?
 
R.- Exactement.
 
Q.- Et elles n'ont pas - voyez, on est en 2007 - Elles n'ont pas empêché la junte de continuer à exercer le pouvoir en Birmanie.
 
R.- En vérité, ce n'est pas tant la faiblesse de ces sanctions qui est en cause que leur caractère partiel. Vous imaginez bien que des sanctions décidées par des Occidentaux alors que la junte birmane a surtout des relations économiques avec les pays asiatiques, cela peut expliquer le caractère relativement peu efficace de ces sanctions. Mais nous avons été au bout de ce que nous pouvions faire. C'est pour ça qu'il est important que nos amis asiatiques se joignent à nous...
 
Q.- La Chine ?
 
 R.-... comme, par exemple, la Chine qui s'était opposée avec la Russie, l'année dernière en vérité, à une résolution des Nations Unies. Donc, il est indispensable de faire avec les Asiatiques, pour que les sanctions soient efficaces mais aussi parce que tout ce que nous ferions sans les Asiatiques, nous le ferions contre eux.
 
Q.- Donc, la diplomatie va essayer de faire ce qu'elle peut. Elle ne peut peut-être pas grand chose ?
 
R.- La diplomatie encore et toujours. Si, elle peut quelque chose. Si la Chine qui est la clef du dispositif accepte d'assouplir sa position ou plutôt de la durcir vis-à-vis de la junte. On a vu qu'elle avait commencé à évoluer sur le Soudan dans la perspective des Jeux olympiques de Pékin. Il n'y a pas de raison de penser qu'elle ne fera pas de même concernant la Birmanie.
 
Q.- Vous l'avez dit, R. Yade, les entreprises occidentales ne devraient pas participer à des actions qui confortent le pouvoir de la Junte. Or, le groupe Total en Birmanie exploite le site gazier de Yadana, grâce à une concession que lui accorde la junte. C'est assez contradictoire. Comment l'expliquez-vous ?
 
R.- J'ai plutôt dit que les entreprises européennes ne peuvent pas être impliquées dans des entreprises détenues par la junte.
 
Q.- On joue sur les mots...
 
R.- Le fait que Total soit présente en Birmanie n'a jamais empêché l'Union européenne de proposer et de rendre effectives ses propres sanctions.
 
Q.- Total sert-il les intérêts de la junte ?
 
R.- Je ne pense pas qu'on puisse présenter les choses comme cela. Total sert d'abord ses intérêts, comme toute entreprise privée. Total est le quatrième producteur mondial de pétrole ; et N. Sarkozy, hier, à la sortie de la réunion avec le Premier ministre birman en exil, a franchi un pas supplémentaire en appelant les entreprises françaises, y compris Total - il a bien dit - à la plus grande retenue, voire même à un gel des investissements...
 
Q.- Des investissements ; mais la poursuite de l'exploitation, là en revanche, personne n'en dit rien ?
 
R.- Vous savez, sur cette question, il faut prendre les choses par étape. Il faut savoir que la France n'est pas l'un des partenaires principaux de la Birmanie, ni en terme de fournisseurs, ni en terme d'importateur, exportateur. Donc, nous sommes parmi les 130, 160 centièmes partenaires. Donc la France, elle seule, n'aura pas d'impact décisif, pas parce qu'elle est impuissante mais parce que ses relations avec la Birmanie sont très relatives. Il y a d'autres pays qui, par exemple les Américains ont Chelvron qui est sur place et qui n'est pas touché par les sanctions. Donc, il faut savoir ce qu'on veut...
 
Q.- J.-P. Dubois, président de la fédération des Droits de l'Homme, les auditeurs de RTL l'ont entendu dans le journal de 7h30, disait : "Ce serait tout de même cohérent de demander à Total de se retirer de la Birmanie. Ca ne peut pas continuer comme çà".
 
R.- Tout dépend jusqu'où on va. Mais pour l'instant, c'est vrai que ce n'est pas ce qui a été abordé. On procède par étape. Et puis, parce que je vous le dis : imaginons que Total sort de Birmanie, qu'est-ce que ça change ? Il faut aussi qu'on soit efficace.
 
Q.- Eh bien, le discours est en accord avec les actes. Ca change ça. Ce n'est pas rien.
 
R.- Bien sûr mais vous savez, quand j'assistais, hier, à l'entretien avec le Premier ministre birman, N. Sarkozy lui a demandé : qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que vous voudriez qu'on fasse ? Il a parlé d'abord de renforcer les sanctions mais à aucun moment, le Premier ministre birman en exil n'a parlé de Total, ce qui n'empêche pas, je vous dis, la France, l'Union européenne et la Communauté internationale d'avoir fait des sanctions.
 
Q.- Pourquoi voulez-vous recevoir la direction de Total prochainement ? Qu'est-ce que vous allez leur dire ?
 
R.- Parce que je voudrais connaître l'avis de Total sur cette question, parce qu'ils sont sur place, de comment ils vivent la situation...
 
Q.- Vous voulez savoir si ça les gêne moralement, c'est ça ?
 
R.- En fait, moralement, pour tout vous dire : Total depuis ces dernières années, a fait des programmes d'aide humanitaire d'un montant assez conséquent. Mais n'empêche, on pense quand même que nous devrions, lorsque nous menons ces discussions diplomatiques, connaître l'opinion de nos entreprises sur place : que font-elles ? Comment vivent-elles la situation ? Comment réagissent-elles aussi à ce que nous proposons, à savoir un gel des investissements ? Il vaut mieux se parler face à face plutôt que de le faire par médias interposés. Donc, vous me permettrez de garder la primeur de notre discussion...
 
Q.- On en reparlera après.
 
R.- D'accord.
 
Q.- Vous avez dit, R. Yade, à propos des reconduites à la frontière des clandestins, qui fait débat en France, que notre pays, je vous cite : "Ce n'est pas la Russie, ce n'est pas la Chine, ce n'est pas une dictature". Mais votre propos a été jugé fort peu diplomatique vis-à- vis de la Russie et de la Chine.
 
R.- Par J.-M. Le Pen.
 
Q.- Oui, peut-être par d'autres aussi. Les Russes ne se sont pas manifestés ?
 
R.- Non, non. Parce qu'évidemment...
 
Q.- Vous dites, en clair, que la Russie, c'est peut-être une dictature ?
 
R.- Non, non, ce que je dis, c'est que j'ai été interpellé par Mme N. Borvo, sénatrice PCF suite à la défenestration d'une ressortissante chinoise ; et elle présentait la France comme un pays...
 
Q.-... dont on a appris la mort il y a deux, trois jours.
 
R.-... comme un pays qui mettait en cause, portait atteinte aux Droits de l'Homme comme si c'était récurrent, comme si c'était l'essence de notre régime. J'ai trouvé le propos un peu excessif. Bien sûr, la défenestration de cette Chinoise est tragique, et résulte d'un concours de circonstances tout aussi tragiques et nous le déplorons. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut comparer notre pays à des régimes autoritaires. Mais le but n'est pas...
 
Q.- Donc, la Russie ou la Chine. Vous savez pourquoi je vous pose la question ? Parce qu'on a appris au début de la semaine, que J. Chirac, à l'invitation de V. Poutine, passait un séjour privé à Sotchi, ville balnéaire de Russie. Alors, l'ancien président de la République invité par V. Poutine, ça vous choque ou pas, R. Yade ?
 
R.- Comme il y a des touristes qui se rendent en Russie. La Russie...
 
Q.- Mais J. Chirac n'est peut-être pas un touriste comme les autres !
 
R.- Ah ça, moi je ne peux pas répondre de ce que fait J. Chirac. J'ai beaucoup de respect pour lui. Je pense qu'il a des raisons, en tant qu'ancien chef d'Etat, qui sont tout à fait légitimes.
 
Q.- Vous avez entendu A. Duhamel ?
 
R.- Oui.
 
Q.- Les sénateurs viennent d'enlever - du moins en commission - le test ADN. Vous êtes satisfaite, R. Yade ?
 
R.- Vous savez, je connais le Sénat de l'intérieur en tant qu'administrateur du Sénat ; et pour tout vous dire, M. Duhamel, ça ne m'étonne pas des sénateurs. Vous les soutenez ? Non, ce n'est pas ça. C'est qu'ils sont très sévèrement jugés sur le fait que le Sénat est une institution conservatrice mais au fond, c'est une institution qui défend les libertés publiques, c'est son essence. C'est sa naissance aussi qui l'explique. Et cela ne m'étonne pas des sénateurs. Mais laissons le débat aller jusqu'au bout.
 
Q.- C'est votre manière de dire que vous êtes opposée...
 
R.-...Comme a dit M. Duhamel, il y aura une commission mixte paritaire...
 
Q.- C'est votre manière de dire, R. Yade, sans langue de bois, que vous êtes opposée au test ADN ?
 
R.- M. Aphatie, vous êtes incorrigible ! Vous ne me ferez pas dire ce que je n'ai pas dit. J'ai dit simplement que moi j'étais favorable au débat. Cette proposition n'est pas une proposition gouvernementale. C'est une proposition parlementaire. On ne peut pas interdire au Parlement de faire des propositions sinon, nous ne serions pas dans un régime parlementaire.
 
Q.- Et les tests ADN, vous êtes contre ?
 
R.- Ah ! Je ne sais pas, moi.
 
Q.- Ah ! Vous ne savez pas !
 
R.- Je pense que c'est moins grave qu'on ne le dit mais j'aimerais voir le débat aller au bout parce qu'on ne sait pas, les amendements si on va assouplir ou non. Donc, on verra.
 
Q.- R. Yade, Secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme...
 
R.-... aux Affaires Etrangères et aux Droits de l'Homme.
 
Q.-... aux Affaires Etrangères et aux Droits de l'Homme.
 
R.- C'est vrai que c'est le jour et la nuit ; mais c'est justement la subtilité du portefeuille.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 septembre 2007