Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur "LCI" le 21 septembre 2007, sur la réforme de la fonction publique, les régimes spéciaux de retraite, les prévisions de croissance ainsi que sur le déficit budgétaire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier Les syndicats de fonctionnaires doivent arrêter aujourd'hui leur stratégie, après les annonces de réforme de N. Sarkozy. Craignez-vous un conflit social dans la fonction publique ?

R.- Non, je ne crains par principe rien d'ailleurs. Les syndicats parlent entre eux, ce qui est assez naturel, nous parlons aussi beaucoup avec les syndicats, et puis on parle avec tous les fonctionnaires. Le président de la République a annoncé des mesures, qui sont des mesures de bon sens sur la fonction publique, ce ne sont pas de mesures stigmatisantes, ce ne sont pas des mesures qui caricaturent, ce sont au contraire des mesures qui sont faites pour valoriser la fonction publique. Il n'y a pas de raison que cela déclenche un conflit. Cela a, au contraire, toutes les raisons de déclencher des discussions avec les syndicats et avec les fonctionnaires d'une manière générale, sur beaucoup de sujets de fond.

Q.- La philosophie profonde de cette réforme, n'est-ce pas finalement "la privatisation" de la fonction publique, non pas au sens où "la vendrait", mais au sens où l'esprit de l'entreprise privée doit coloniser, va coloniser le service public ?

R.- C'est un mot impossible à prononcer "la privatisation" de la fonction publique, ce n'est pas du tout cela. Par principe, c'est une fonction publique, donc c'est le secteur public, et c'est cela qui est très important. Il y a des caractéristiques au secteur public qui n'en font absolument pas une entreprise privée ou des salariés d'une entreprise privée. Donc, il y a tout cela qui doit être pris en compte. Par contre, il faut beaucoup de souplesse dans le système, ou de mobilité. Le Président a appelé à une évolution du statut, parce que le statut aujourd'hui de la fonction publique, est un statut qui a évolué, plutôt dans lequel des règles se sont empilées, ont compliqué les choses et rendent pour un fonctionnaire d'ailleurs son parcours professionnel plus difficile, et rendent aussi pour son employeur une capacité plus compliquée à gérer ce qu'il y a de plus important dans une institution, c'est-à-dire la ressource humaine.

Q.- Alors, avec le recours aux contrats privés, aux contractuels, avec en fait une sorte d'individualisation du rapport entre l'Etat et ses agents, n'allez-vous pas essayer de noyauter complètement, d'inonder la fonction publique de contractuels, relevant d'un autre système que le statut général de la fonction publique ?

R.- Non, ce n'est pas non plus l'objectif. Il y a un statut, c'est une culture que nous avons depuis longtemps. Dans d'autres pays, il n'y a pas de statuts, il y a des contrats. Mais nous avons évidemment l'intention de faire évoluer ce statut dans la négociation avec les fonctionnaires, notamment parler des valeurs que porte aujourd'hui le fonctionnaire aujourd'hui. Quand on s'engage dans la fonction publique, ce n'est pas rien, on porte des valeurs, et pas uniquement celle de se dire qu'on a envie de profiter d'une protection de l'emploi. Cela va bien au-delà de cela, et cela pose la question du service publique. Par contre, par contre, il faut évidemment que cette fonction publique respire ! Il y a aujourd'hui 5 millions de fonctionnaires dans les trois fonctions publiques. Il faut qu'elles respirent, qu'elles s'enrichissent, parce que quand elles respirent, c'est le fonctionnaire lui-même qui est plus heureux dans son métier, et l'usager, que nous sommes tous, qui est le plus heureux aussi dans le service qui lui est rendu. Donc, il faut des fonctionnaires sous statut, avec un statut refondé, modernisé, d'aujourd'hui. Il faut aussi des contractuels parce que si on ne peut pas entrer dans la fonction publique, si c'est une cloison étanche, une boîte dans laquelle on ne peut pas pénétrer, d'où on ne peut parfois d'ailleurs pas sortir, ce n'est pas possible. Et il y a déjà des contractuels dans la fonction publique, il y a près de 200.000 contractuels aujourd'hui dans la fonction publique. Donc c'est important évidemment de développer cela. Et de développer tout ce qui tourne autour de la mobilité, c'est-à-dire le contraire de la rigidité.

Q.- Alors pour la mobilité, pour sortir notamment de la fonction publique, il y a "le pécule", c'est le mot de la semaine, qu'on doit à la plume d'H. Guaino, le conseiller du Président. Comment va être calculé ce "pécule" ?

R.- Non, c'est un mot qui existait déjà...

Q.-...On met les départs aux enchères. Alors, à partir de combien êtes-vous prêt à partir et à quitter la fonction publique ?

R.- Je ne sais pas. Donnez-moi un chiffre.

Q.- Est-ce qu'on calcule cela sur les derniers mois de salaires ? Comment fait-on ?

R.- Non. L'idée, là aussi, est très simple : c'est de se dire, il y a parfois, dans la fonction publique comme partout, des personnes qui n'ont plus d'espoir de progression, et qui souhaitent sortir de la fonction publique, mais elles ont peur de sortir. Finalement, les règles de protection à un moment donné aussi, jouent contre la protection. La personne n'est pas heureuse dans son travail, il n'y a plus de progression possible, on ne peut plus accomplir son parcours professionnel comme on a envie, on veut faire autre chose, un autre métier, voilà. Faire autre chose, tout simplement, parce qu'on en a envie, parce que sa famille en a envie. Eh bien, on peut partir de la fonction publique de cette façon-là, et c'est l'idée du Président, que nous allons mettre en oeuvre, avec un pécule, c'est-à-dire avec une possibilité de partir avec un peu d'argent, pour certains de placé ou d'investi dans un projet nouveau. Il n'y a rien de choquant là-dedans, c'est la vie ; il y a plein d'autres pays qui font cela. Et plutôt que d'avoir des gens qui se morfondent dans des missions qui ne leur conviennent pas, dans un univers professionnel qui ne fonctionne plus pour eux, pour telle et telle raison, c'est assez naturel de leur dire : écoutez, si vous sortez de la fonction publique, à ce moment-là, vous aurez évidemment la possibilité de bénéficier d'un petit "pécule", comme vous dites.

Q.- Le Président a rappelé que les régimes spéciaux des retraites seraient réformés. Alors, on sait que les mineurs ou les marins pêcheurs seront préservés, on gardera leur régime spécial. Et les parlementaires ?

R.- Les parlementaires entreront dans le lot commun. Il me semble que les parlementaires ont un régime aujourd'hui... C'est vrai, c'est un métier assez spécial, d'abord qui dure souvent assez peu de temps, les parlementaires cotisent, je crois double, bon. Tout cela est pris en compte. Mais bien évidemment, le régime des parlementaires sera examiné comme les autres, en toute transparence.

Q.- F. Fillon a eu droit à un bel hommage hier dans la bouche du Président...

R.- C'est vrai.

Q.-...Après quelques semaines un peu mi-figue, mi-raisin. Qu'est-ce que c'est ? C'est une espèce de jeu de rôles, on nous a menés en bateau ?

R.- Non, je n'en sais rien. Les commentaires vont toujours bon train, surtout au moment des rentrées, on examine les rapports entre les uns et les autres, le sourire qui a été fait, le sourire qui n'a pas été donné, la parole qui a été prononcée ou pas. Voilà. Hier, je crois que le Président a montré qu'il n'y avait aucun problème. Je connais bien les deux hommes, je connais vraiment bien les deux hommes et depuis longtemps ; on a travaillé ensemble depuis plusieurs années, et très sincèrement, il y a une très, très grande proximité entre le Premier ministre et le président de la République.

Q.- Alors, lequel rend les arbitrages dans le budget que vous allez présenter mercredi ?

R.- D'abord, le Premier ministre, et puis, après...

Q.- Et quand cela coince vraiment, on monte ?

R.-...après, le président de la République. On est dans un processus absolument normal et plutôt efficace.

Q.- Votre devoir de responsable du Budget, ce n'est pas de dire aujourd'hui : "nous n'aurons pas 2 % de croissance en 2007", nous serons à 1,7, à 1,8 ou à 1,9, peut-être, mais pas à 2 ?

R.- Non, mon devoir n'est certainement pas de dire cela. Mon devoir est d'abord de constater que la croissance n'a pas été bonne au deuxième trimestre, qu'elle sera peut-être meilleure au troisième. Souvenez-vous, l'année dernière, c'était le contraire. L'année dernière, le ministre de l'Economie disait : formidable, on a une croissance au deuxième trimestre comme jamais et donc, ça y est, la croissance est installée en France. Et puis, patatrac ! au troisième trimestre, cela n'a pas été le cas.

Q.- En fait, vous n'en savez rien ? Vous n'en savez rien ? Vous travaillez à vue ?

R.- J'en sais comme les économistes de tout poil, je connais cela comme les Prix Nobel, c'est-à-dire, qu'on ne sait pas, on ne prévoit pas d'une façon fine, parce que si on prévoyait, il n'aura pas d'incertitude, ni sur les marchés, ni sur l'économie mondiale. On peut en tout cas penser, lorsqu'on regarde aujourd'hui ce qui se passe dans les entreprises, lorsqu'on interroge les banques, lorsqu'on a des indicateurs avancés de tout cela, c'est que le troisième et le quatrième trimestres seront meilleurs, et donc que l'année 2008 pourrait être évidemment plus forte.

Q.- Alors, quand le Président nous dit : "En 2009, ce sera ma croissance, ce sera 3%", il tire des plans sur la comète, on n'en sait rien ?

R.- Non, non. Il n'a pas donné de chiffre d'ailleurs, il a montré où était la responsabilité. Il a dit : 2007, si les mesures qui ont été prises auparavant, l'économie mondiale, mais aussi les mesures que nous prenons, nos responsabilités qui s'affichent, ce n'est pas évidemment celles d'un Président élu au mois de mai. Je vous prends, par exemple, l'exemple des heures supplémentaires. Les heures supplémentaires elles commencent à être détaxées, déchargées de cotisations sociales à partir du 1er octobre. Tout cela n'a pas encore produit ses effets. 2008 c'est un peu court, parce que nous sommes en train de réfléchir à une chose qui portera le budget 2008, qui est de dire : oui à la maîtrise des dépenses ; moi je veux porter cette idée qu'on est dans un exercice sans précédent de maîtrise de la dépense publique, vraiment la maîtrise de la dépense publique est très importante en France, on doit faire diminuer les dépenses publiques. Et en même temps, on ne peut les faire diminuer que si elles sont portées par des réformes de fond, par des réformes structurelles sur l'ensemble des politiques publiques, c'est ce que nous faisons. Et c'est en 2009, lorsque cet exercice va se terminer début 2008, un travail tout à fait considérable que nous menons, et à partir de 2009, l'ensemble des mesures structurelles que nous avons prises va commencer à porter leurs fruits. On ne travaille pas dans "le court-termisme", on travaille sur le fond. Cela ne sert à rien de travailler uniquement pour lundi, il faut travailler sur le fond si on veut que le pays retrouve la compétitivité qui doit être la sienne.

Q.- Alors, le déficit du budget l'année prochaine, vous le tenez à ?

R.- Le déficit du budget sera un peu inférieur au déficit de 2007.

Q.- Donc, tout de même, un effort qui continue ?

R.- Ah oui, un effort sans précédent sur la maîtrise de la dépense publique. La plupart des dépenses de l'Etat, en dehors des dépenses de charge de la dette, parce qu'on a une dette qui progresse, une dette trop lourde, on a une dette inacceptable...

Q.- Et vous allez rajouter 8 milliards qui viennent de la SNCF !

R.-...Donc, en dehors de la charge de la dette, la charge des pensions, parce qu'il y a plus de fonctionnaires qui partent en retraite, même si nous ne remplaçons pas, de loin, pas tous les fonctionnaires, avec l'objectif d'un remplacement ou d'un non remplacement sur deux, eh bien, lorsqu'on enlève ces dépenses, le reste ce sera les dépenses de l'année dernière. Il n'y a pas d'augmentation des dépenses, bien au contraire, il y a une maîtrise sans précédent, sans précédent.

Q.- Mais il y aura moins de recettes à cause du paquet fiscal ? Vous regrettez le paquet fiscal ?

R.- Oui, c'est vrai qu'il y a moins de recettes, parce que le paquet fiscal, comme on dit, est un paquet fiscal dans lequel on a libéré l'impôt. Mais cette libération de l'impôt, elle est là pour créer de la croissance, elle est là pour créer des conditions, et cela ne se mesure pas du jour au lendemain. Ce sont des conditions de fond de la croissance française. Vous savez, aller chercher 1 point de croissance supplémentaire, ce n'est pas aller le chercher pour 2008 ou pour 2009, c'est pour durablement inscrire la France dans un processus où elle gagnera en croissance sur le plan fondamental, pas conjoncturel.

Q.- C'est à la Banque centrale européenne de nous aider aussi en changeant de politique, à trouver ce point de croissance ?

R.- Oui, la Banque centrale, Dieu sait que le président Sarkozy l'a dit et redit. La Banque centrale est indépendante, évidemment elle est indépendante, c'est extrêmement important. Et en même temps, un politique peut parler de la Banque centrale et dire qu'une Banque centrale est là aussi pour prendre en compte les conditions de développement économique, et donc, veiller à l'inflation, parce que c'est une gangrène, mais également, également, veiller au coût de l'argent, au prix de l'argent, c'est-à-dire aux taux d'intérêt.

Q.- Le Gouvernement va-t-il interdire les OGM en France, comme l'a esquissé J.-L. Borloo. L. Wauquiez, le porte-parole, vient de dire que rien n'est décidé.

R.- Je ne sais pas. C'est un sujet que je... Je ne sais pas. Il y a "le Grenelle de l'environnement", formidable rendez-vous sur l'environnement, comme jamais cela n'a été fait, qui est en cours de préparation par J.-L. Borloo et N. Kosciusko-Morizet. Et nous verrons ce qui ressort de ce "Grenelle de l'environnement". C'est un rendez-vous comme jamais il n'y a eu sur les problématiques d'environnement. Cela touchera la fiscalité, d'ailleurs aussi, et aux recettes. C'est-à-dire que si on veut changer les modalités de ressources françaises, ce sera aussi une bonne façon de regarder la taxe sur le carbone, etc. Tout cela va être regardé très à fond.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 septembre 2007