Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les grandes orientations de la réforme de l'Etat et de la Fonction publique, Paris le 1er octobre 2007.

Prononcé le 1er octobre 2007

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Circonstance : Lancement des travaux de la conférence nationale sur "les valeurs, les missions et les métiers de la fonction publique" à Paris le 1er octobre 2007

Texte intégral

Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le secrétaire d'Etat, cher André,
Mesdames et messieurs les responsables d'organisations syndicales,
Monsieur le président Silicani,
Mesdames et messieurs,
J'ai une haute idée de l'État.
A l'heure où l'ensemble de notre pays est appelé à se réformer et se mobiliser pour aller à la conquête de la croissance, notre État doit être profondément modernisé.
"L'abondance est le fruit d'une bonne administration". Voilà ce que disait Jean Jaurès !
Cette phrase, je la fais mienne et je sais qu'Eric Woerth l'a en tête au jour le jour.
Je n'accepte pas que l'on oppose le secteur privé et le secteur public ; un secteur qui serait créateur de richesses et un secteur qui serait dépensier ; un secteur où l'on prendrait des risques et où tous les efforts seraient réclamés, et un autre qui en serait dispensé.
Je crois au contraire que notre Fonction publique est un capital formidable et un atout maître de la France dans la bataille pour la croissance et l'emploi qui s'engage.
Je crois qu'un environnement juridique et administratif performant est un avantage incomparable.
Chaque agent, quel que soit son niveau, doit en avoir conscience.
Il doit savoir que, par son exemplarité et sa motivation, il est la vitrine de la France qui innove et de dépasse pour répondre aux défis du XXIe siècle.
Il doit se dire que l'intérêt général auquel il contribue constitue, plus que jamais, une exigence et une force pour la France.
Quel est le point commun entre un enseignant, un chercheur, un praticien hospitalier, un policier, un ingénieur des eaux et forêts, ou un agent du service public des transports ?
La réponse n'est pas seulement qu'ils sont tous agents publics. La réponse est qu'ils sont tous au coeur des enjeux de demain : l'intelligence, l'éducation, l'environnement, la santé, la qualité de vie, l'emploi, la sécurité...
Nous avons la chance de pouvoir compter sur ces cinq millions de Français qui se sont engagés, non pas seulement dans un métier, mais dans une vocation, une vocation qui implique souvent un engagement personnel et une détermination particulière.
Je suis en accord avec Montaigne quand il écrit : "La plus noble vocation est de servir au public et être utile beaucoup".
Nous avons la chance d'avoir une Fonction publique de carrière qui s'appuie sur un socle de valeurs fondatrices : l'impartialité, l'intégrité, le professionnalisme, la laïcité, l'égalité, la continuité du service.
C'est l'héritage d'une longue tradition.
Celui des maîtres d'écoles, des soldats et des infirmières ; celui des sous-préfets, des ingénieurs des ponts-et-chaussées ; celui des assistantes sociales et des sapeurs-pompiers.
Celui de ces millions de fonctionnaires qui ont, par leur dévouement, leur professionnalisme, leur désintéressement, forgé notre identité nationale, consolidé notre cohésion sociale, accompagné notre prospérité économique et sociale.
Etre à la tête de l'Administration, c'est, pour moi, être le dépositaire de cet héritage.
C'est mon rôle de le préserver.
C'est aussi mon devoir de le faire fructifier.
Notre génération sera jugée pour une large part sur sa capacité à adapter l'Administration aux enjeux de son temps, à redonner du sens au lien qui unit les fonctionnaires et la nation, comme l'ont fait à leur époque Philippe Le Bel, les révolutionnaires puis les fondateurs de la Fonction publique d'aujourd'hui : le Général de Gaulle, Michel Debré et beaucoup d'autres qui, de droite ou de gauche,ont placé l'Etat au coeur de notre unité.
En 1946, les termes du pacte étaient clairs : à la Fonction publique d'être le bras armé de l'Etat pour reconstruire et moderniser la France ; à l'Etat, en échange, de donner aux fonctionnaires un statut, une protection, des garanties individuelles et collectives.
Ce statut a doté notre pays d'une Fonction publique moderne, juridiquement neutre et indépendante par rapport au pouvoir.
Il a fait disparaître le spectre du favoritisme et de l'arbitraire grâce à des principes fondamentaux : l'égalité des candidats à l'entrée, le droit au déroulement de la carrière, le tableau d'avancement avant toute promotion, le droit à la protection fonctionnelle, la liberté d'opinion.
Nous pouvons être fiers du travail accompli : le pari de 1946 a été rempli.
Mais la donne de 2007 est radicalement différente.
Les mutations sociales, la mondialisation, la circulation des hommes, l'irruption du numérique, l'unification européenne : tous ces phénomènes lancent à notre Fonction publique des défis inédits.
Il en découle pour nos fonctionnaires deux nouvelles missions complémentaires :
- contribuer à la compétitivité et à l'attractivité de notre territoire pour faire face à nos concurrents ;
- retisser chaque jour le lien social pour que cette concurrence ne se fasse pas aux dépens des plus vulnérables et de la cohésion nationale.
Faire de notre Fonction publique un atout pour la France : voilà le credo de mon Gouvernement.
Nous partons avec une bonne longueur d'avance.
Et pourtant, il serait coupable de ne pas voir qu'insensiblement, nous nous sommes mis à nous mentir à nous même ; nous nous sommes mis en décalage par rapport à nos propres valeurs.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, la nation fait de la Fonction publique son premier poste de dépenses et, de l'autre, les agents ont le sentiment d'être mal-aimés et insuffisamment valorisés par la société.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, nous nous flattons - à juste titre - d'avoir très tôt organisé une Fonction publique de carrière et, de l'autre, nous constatons que les fonctionnaires français sont, en Europe, les plus inquiets pour leur avenir.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, nous affichons l'image d'Epinal d'une Fonction publique égalitaire, et, de l'autre, nous acceptons qu'un agent qui exerce les mêmes fonctions que son voisin de bureau gagne deux fois plus que lui uniquement parce qu'il appartient à un corps différent, et non en raison de sa valeur.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, nous proclamons le principe de la méritocratie républicaine, et, de l'autre, nous tolérons qu'un agent qui se donne à fond dans son service échoue à un concours interne parce qu'il n'a pas eu le temps de se remettre à la dissertation de culture générale.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, nous disons que les progressions de carrière doivent se fonder sur la valeur professionnelle et, de l'autre, nous notons presque tout le monde autour de 19/20, et faisons presque tous les avancements à l'ancienneté.
Nous sommes en décalage quand, d'un côté, nous inscrivons dans la loi le droit à la mobilité professionnelle et, de l'autre, c'est le parcours du combattant pour qui veut passer d'un ministère à l'autre, pour ne pas dire d'une Fonction publique à l'autre.
Si nous ne faisons rien, ces décalages finiront par devenir des fossés.
La qualité du service aux citoyens s'amenuisera.
La confiance de ces derniers envers l'Etat en sera affectée.
L'enthousiasme des agents finira par s'émousser.
Aujourd'hui, l'immense majorité d'entre eux se disent fiers de leur travail, mais cette fierté résistera-t-elle à la rigidité des procédures, au rouleau compresseur des logiques bureaucratiques ?
Ma conviction est nette : la rénovation de notre Fonction publique est une urgence nationale.
Les fonctionnaires eux-mêmes en sont convaincus, car ce sont les premiers à pâtir au quotidien des dysfonctionnements d'une gestion des ressources humaines trop souvent démotivante.
Ils ne réclament qu'une chose : pouvoir donner le meilleur d'eux-mêmes.
L'élan qui fait suite à l'élection de Nicolas Sarkozy nous offre l'occasion historique de prendre à bras-le-corps la réforme de l'Etat et de la Fonction publique ; de mettre en oeuvre un plan d'ensemble, une stratégie globale, une ambition qui dépasse les tentatives de modernisation du passé, qui ce sont trop souvent faites dans le désordre, au gré des contraintes budgétaires et des alternances politiques.
L'idée maîtresse de ce changement, c'est mettre le potentiel humain au centre du système.
Pour moi, l'Administration n'est pas un monstre froid.
C'est avant tout un ouvrage que des gens passionnées remettent chaque jour sur le métier.
J'ai même la conviction que si nous avons des services publics de qualité, cela est plus dû aux hommes et aux femmes qu'au système.
Encore faut-il leur retirer les semelles de plomb du formalisme et de l'inertie.
Mais mettre l'humain au centre du système, cela veut dire bousculer de vieilles habitudes.
Cela veut dire aller à l'encontre de certaines traditions administratives de verticalité, d'opacité et de corporatisme.
Cela veut dire remettre en cause un certain confort - un confort illusoire - qui prévaut dans le management public.
Au fond, il est plus facile de gérer des statuts de façon mécanique, juridique, anonyme que de s'occuper d'hommes et de femmes.
Il est plus confortable de prendre une mesure générale et impersonnelle qui vaut pour un million d'agents que de faire des choix qui marquent le parcours d'une seule personne.
Il est moins perturbateur d'en rester au système actuel des rémunérations que de sortir de l'ambiguïté que fait planer le maquis impénétrable des primes, indemnités, bonifications et autres avantages statutaires.
Il est plus propice à la paix sociale de répartir les primes de façon strictement égalitaire que de récompenser certains.
Il est moins prenant d'organiser la promotion interne par la voie de concours académiques et anonymes que de connaître intimement les compétences et motivations de chacun.
C'est surtout moins chronophage !
Gérer les hommes prend du temps. On dit souvent que les patrons des grandes entreprises consacrent la moitié de leur temps à choisir ses principaux collaborateurs et à manager ses équipes. L'Etat peut-il en dire autant ?
Vous le voyez, le chantier qui s'ouvre n'est, ni plus ni moins, qu'une révolution culturelle.
Il s'agit de construire un système basé sur la confiance, l'initiative et la responsabilité.
Vous dire que nous n'aurons pas d'effort à faire serait vous mentir.
Mais ce serait aussi inexact de croire que nous vous proposons des sacrifices, des menaces, des incertitudes.
Nous voulons une juste contrepartie de l'effort que nous demandons à la fonction publique.
Avec André Santini, nous voulons que la modernisation de la Fonction publique s'accompagne d'une revalorisation des carrières, des rémunérations et des conditions de travail.
Nous voulons que le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux - qui est la seule façon de donner plus de pouvoir d'achat aux fonctionnaires et de reconstituer des marges de manoeuvre - soit le corollaire d'une réorganisation des services et des méthodes.
C'est parce que les réformes viennent d'être lancées que, pour 2008, nous nous en sommes tenus au non remplacement d'un fonctionnaire sur trois.
Nous irons plus loin au fur et à mesure des réformes de structure.
Au bout de l'effort, il y a le projet ambitieux d'une nouvelle Fonction publique.
Cette nouvelle Fonction publique sera moins nombreuse, mais elle s'appuiera sur des fonctionnaires mieux payés, dont les perspectives de carrière seront améliorées.
Elle fera de la mobilité un droit effectif auquel l'administration ne pourra pas s'opposer ; elle permettra à ceux qui le souhaitent d'avoir une seconde carrière, à l'intérieur comme à l'extérieur du service public.
Elle offrira aux nouveaux agents la liberté de choisir entre le statut de fonctionnaire et un contrat de gré à gré ; elle permettra la gestion par métier qui prévaudra sur l'appartenance à un corps ; il n'y aura plus 500 corps différents pour la seule Fonction publique de l'Etat.
Dans cette nouvelle Fonction publique, on pourra travailler plus pour gagner plus et chaque agent pourra, s'il le souhaite, effectuer des heures supplémentaires justement rémunérées.
Cette nouvelle Fonction publique, c'est celle qui mettra en place de véritables procédures d'évaluation, impliquant l'engagement des cadres, la fixation d'objectifs de travail précis et une formation exigeante.
Cette nouvelle Fonction publique sera celle dans laquelle la haute Fonction publique se montrera exemplaire dans le partage de l'effort et de la modernisation ; celle où la protection sociale complémentaire sera améliorée, débarrassée de la rigidité des statuts et négociée collectivement.
Et puis, cette nouvelle Fonction publique devra être celle du dialogue social ; du dialogue social enrichi par de nombreux sujets ouverts à la négociation collective ; du dialogue social défait des lourdeurs induites par la composition strictement paritaire des instances de concertation.
Vous le voyez, nous sommes ambitieux pour l'avenir de notre Fonction publique.
Nous sommes tout aussi ambitieux sur la méthode.
Ce projet n'est pas l'affaire des techniciens en chambre et des spécialistes.
Il touche à la vie de millions de Français.
Il mobilise à la fois l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements hospitaliers, les agents et les citoyens.
C'est pourquoi, avec le président de la République, nous avons voulu un très large débat public.
Nous en attendons beaucoup : organisations syndicales, fonctionnaires, employeurs, citoyens : chacun doit s'exprimer sans réserve sur les valeurs, les missions, les métiers de la Fonction publique !
Chacun, à l'extérieur et à l'intérieur, doit pouvoir dire ce qu'il attend de notre État, car il est l'expression de notre nation.
Dressons ensemble un diagnostic commun sur la situation.
Faisons ensemble un large tour d'horizon de notre système, de ceux de nos principaux partenaires, de nos avantages comparatifs et nos handicaps.
Vous aurez à répondre à des questions fondamentales : Quel est aujourd'hui le sens de l'action au service de l'intérêt général ?
Y a-t-il à cette question une réponse univoque, ou faut-il également y apporter des réponses propres à chaque métier public ?
Comment faire émerger un consensus autour des nouvelles valeurs que sont la qualité, l'efficacité, l'esprit de coopération entre les administrations et les services ? Comment tourner la page de la gestion "taylorienne", celle du "je sais, je décide en haut, et on exécute en bas" pour prendre le virage d'un management différent, où l'autorité se mérite, où la confiance s'allie à la responsabilité, où la transparence, l'information partagée viennent au soutien de l'efficacité et de la reconnaissance.
Comment faire en sorte que tous les agents publics perçoivent la recherche de la performance comme un levier de leur épanouissement personnel et une réponse aux attentes de la société ?
Il nous fallait une conférence à la hauteur de ces défis.
C'est pourquoi ce sont les ministres Eric Woerth et André Santini qui présideront eux-mêmes les séances plénières de la conférence.
Ils animeront les débats entre les trois collèges de membres permanents : celui des organisations syndicales, celui des employeurs publics et celui des personnalités qualifiées. Et je demande à chacun de s'impliquer à fond.
Les forces vives de la nation et les citoyens pourront s'exprimer à travers un forum internet et vous pourrez vous appuyer sur des sondages d'opinion.
Votre rapporteur général, le président Silicani, est un grand professionnel de la Fonction publique, auquel je renouvelle toute ma confiance. Il me remettra au printemps un livre blanc qui inspirera nos décisions.
Mesdames et Messieurs,
Le Gouvernement vous invite à un travail d'intérêt national.
Tous les défis de notre époque convergent vers la nécessaire et urgente réforme de l'État. Et ce qui est entre vos mains n'est rien d'autre qu'un large partie de son contenu et de ses modalités.
Rien ne serait plus grave pour notre Fonction publique qu'un énième coup d'épée dans l'eau.
Avec votre appui, nous allons changer l'État pour renouveler le pacte séculaire entre la France et son Etat.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 octobre 2007