Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à La Chaîne Info le 4 septembre 2007, sur la privatisation de GDF, la réduction des effectifs de la fonction publique et le contrat de travail unique.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- La CGT lance une pétition contre la fusion Suez-GDF, surtout contre la privatisation de GDF. A quoi cella peut-il donc servir alors qu les jeux sont faits ?
 
R.- Les jeux étaient faits quand Monsieur de Villepin en son temps avait annoncé la fusion GDF-Suez, et on a vu ce qu'il en avait été : c'est-à-dire plusieurs mois, des changements, des débats, y compris un candidat à la présidence de la République marquant ou essayant de marquer sa différence, et cherchant d'autres schémas, et en ce sens malheureusement, la décision prise par le nouveau Président est tout à fait contraire à des engagements antérieurs que lui-même avait pris. Souvenez-vous, lorsque le changement de statut de GDF avait été à l'ordre du jour, pour rassurer nombre de Français qui s'inquiétaient des conséquences de la privatisation possible par ce changement de statut, la garantie avait été donnée que jamais l'Etat ne descendrait en dessous de 70 % de propriété du capital.
 
Q.- Pour vous, c'est un homme qui n'a pas de parole alors : c'est un menteur. On ne peut pas lui faire confiance ?
 
R.- Je ne dirais pas que c'est un menteur. Je constate qu'il avait pris un engagement lorsqu'il était ministre de l'Economie, un engagement qui n'est pas respecté au moment où il est président de la République.
 
Q.- Donc, il peut encore changer d'avis et reculer ?
 
R.- C'est la raison pour laquelle nous ne renonçons pas. Une décision politique est annoncée, mais comme toute décision politique, en fonction des réactions de la mobilisation qu'elle peut générer, tout Gouvernement, quel qu'il soit, même un chef d'Etat, peut être amené à reconsidérer l'approche qui a été la sienne ou la décision initiale qui a été la sienne. Nous avons quelques mois devant nous puisque les directions d'entreprises, elles-mêmes, ont annoncé que tout cela allait nécessité encore d'autres étapes. Donc, mettons cette période à profit, dès lors qu'il y a en plus unanimité syndicale pour contester le bien-fondé de cette décision, et je confirme, aussi bien, du point du vue de l'intérêt des personnels de GDF, de Suez, que de l'intérêt des consommateurs à terme, c'est est une mauvaise décision, il faut la combattre.
 
Q.- Quelles actions concrètes : des grèves, des manifestations, des blocages ?
 
Nous lancerons dans un premier temps une pétition nationale adressée à l'ensemble de la population. Et je pense qu'elle est susceptible de recevoir un accueil important. Il n'est qu'à voir, cela va nous aider à nouer des débats, à ré-amener nos arguments, y compris expliquer ce que seront les conséquences à terme, notamment d'un point de vue consommation, nous allons faire des comparaisons européennes. Tous les consommateurs européens qui sont passés par les phases de privatisation dans le commerce du gaz ont pu constater une explosion des tarifs.
 
Q.- C'est vrai en Belgique. C'est moins vrai en Espagne. Il n'y a pas vraiment...
 
R.- C'est vrai en Allemagne, c'est vrai dans d'autres pays. Et, au plan syndical, nous avons aussi une démarche européenne pour promouvoir les services publics dont je remarque d'ailleurs, à l'occasion, permettez moi, que le Président revenant de la réunion intergouvernementale dans la perspective d'un mini Traité européen était revenu, nous disant qu'il avait obtenu des assurances pour que la concurrence ne soit plus un dogme économique, que les services publics soient préservés. Aujourd'hui, on voit ce qu'il en est.
 
Q.- Justement, vous êtes rassuré. L'Etat va garder une minorité de blocage dans le nouvel ensemble, donc le contrôle des prix, mais en plus une Commission de régulation des prix de l'énergie. L'intérêt du consommateur sera préservé par l'Etat.
 
R.- L'Etat sera minoritaire dans le futur ensemble.
 
Q.- Minorité de blocage ?
 
R.- Dans un premier temps, minorité de blocage. On nous avait dit auparavant qu'en aucun cas l'Etat descendrait en dessous de 70 % de la propriété de GDF. Vous comprenez bien qu'on ne peut pas prendre pour argent comptant, si je peux me permettre cette image, cette assurance que l'Etat resterait dans une minorité de blocage. On est bien sur une pente de disparition progressive de l'Etat dans ce secteur, pourtant stratégique.
 
Q.- Stratégique. La France se dote du numéro 3 de l'énergie mondiale dernière EDF, un autre français, et un russe. Cela permet de faire pression sur les fournisseurs, cela protège les consommateurs ?
 
R.- C'est un argument de façade. On disait vouloir faire un numéro un dans l'aluminium, lorsque Péchiney a été racheté par Alcan ; aujourd'hui, les unités de Péchiney disparaissent. On nous avait dit vouloir faire un des premiers opérateurs mondiaux dans la métallurgie s'agissant d'Arcelor ; aujourd'hui, on voit ce qu'il en est. Je sais bien que toute restructuration ou souvent les restructurations, les fusions sont présentées à l'opinion publique ou aux salariés comme destinées à prendre une place prépondérante sur le marché international ; à terme les salariés en question s'aperçoivent que chaque opération de fusion a des conséquences sociales en interne, voire même la disparition de certaines activités.
 
Q.- Vous aviez rencontré N. Sarkozy mercredi dernier. Il vous avait dit qu'il allait avaliser cette fusion ou il vous a mis devant le fait accompli comme tout le monde ?
 
R.- J'avais dit que nous ne souhaitions pas être confrontés à une décision nous mettant devant le fait accompli.
 
Q.- Qu'a-t-il répondu à ce moment là ?
 
R.- Pas explicitement. Il m'a expliqué qu'il était sur le dossier. Il était donc, puisque les heures qui ont suivi, ont permis de voir ce qu'était la réflexion du président de la République mais il ne m'a pas livré de scoop à cette occasion. Et le fait est que les instances représentatives du personnel ont été mises dans le fait accompli. Puisque, vous avez vu avec quelle rapidité, il a fallu les convoquer pour remplier, ou tenter de remplir, les obligations légales de consultations des instances représentatives du personnel.
 
Q.- Alors pas "plan de rigueur" dans la Fonction publique, mais un "plan de revalorisation". Après la sortie de C. Lagarde, êtes vous rassurez par les propos de C. Guéant et de F. Fillon ?
 
R.- Il y a des ministres qui parlent français et qui appellent "plan de rigueur" ce qui se qualifie comme un plan de rigueur, et puis, il y a d'autres ministre, des Premiers ministres qui sont dans la technique de communication, et qui, naturellement, cherchent à présenter des aspects négatifs de leur choix au plus positif possible.
 
Q.- Tout de même, on nous avait dit dans la campagne : "un départ à la retraite sur deux pas remplacé". Et ils font un départ à la retraite sur trois. Ils ont lâché du mou, un tiers ?
 
R.- Oui en même temps, c'est un des plus hauts niveaux. Moi, je pense que le Gouvernement est dans des positions contradictoires à cet égard : on a d'une part un président de la République qui affirme chaque soir aux Français que l'Etat va être de plus en plus présent dans les domaines qui les préoccupent les plus, selon lui - la justice, l'égalité, l'éducation, toute une série de secteurs où la présence de l'Etat est revendiquée - mais en même temps, il prétend pouvoir le faire avec moins de personnel à disposition. Il y a là une contradiction qui va naturellement apparaître au plus grand nombre. Je rencontre effectivement les ministres ...
 
Q.-...A. Santini et E. Woerth, Fonction publique et Budget, jeudi. Vous allez leur demander quoi ? Plutôt des emplois ou plutôt pour les fonctionnaires qui vont rester plus d'argent, plus de salaire, plus de pourvoir d'achat ?
 
R.- Avec les ministres, il y a une question récurrente qui se pose de plus en plus, c'est de savoir quelles sont leurs réelles marges de manoeuvres en tant que ministre de ce Gouvernement ?
 
Q.- Ils ne servent à rien ?
 
R.- Je m'aperçois que la plupart des décuisions, quelles qu'elles soient sur le domaine social, le domaine économique, sont de la responsabilité du président de la République lui-même, de l'Elysée, ce qui va nouer un certain nombre de difficultés dans un proche avenir. Parce que je pense que, il y a des limites humaines à tout individu, quel qu'il soit, même le président de la République et même s'il est sportif, ou avec cette réputation. Et, je ne pense pas qu'on puisse avancer dans notre pays, en attendant, et en demandant, d'un seul homme, qu'il tranche sur tous les sujets que nous avons à aborder.
 
Q.- Il ne tranche pas par exemple sur le contrat de travail unique, sur le marché du travail. Il laisse les partenaires sociaux négocier.
 
R.- Ah non !
 
Q.-  ... Est-ce que vous allez aboutir ?
 
R.- Ce n'est pas mon opinion. Et de ce point de vu là, je regrette le président de la République alors que nous ouvrons un cycle de négociation - nous sommes censés ouvrir un cycle de négociation avec les employeurs sur ce qu'il convient de modifier, selon nous d'améliorer dans la législation du travail, notamment pour permettre aux salariés d'être moins précaires qu'aujourd'hui ; une des caractéristiques c'est la précarité du travail et la précarité sociale - nous sommes censés ouvrir des discussions, et nous entendons le président de la République prendre partie, puisque à l'occasion des universités d'été, malheureusement, il a apporté tout son poids institutionnel en tant que chef d'Etat à la position, à la revendication patronale, qui consiste à demander et à obtenir des assouplissements dans les procédures de licenciements.
 
Q.- Donc, il n'y aura pas d'accord et le Gouvernement va devoir faire une loi ?
 
R.- Je ne sais pas, nous verrons, la CGT comme les autres syndicats...
 
Q.- Vous continuez à discuter ?
 
R.-...va s'engager dans cette négociation, va faire des propositions. Bien sûr, nous allons le faire du point de vue des salariés, essayer de présenter des modifications du droit du travail qui soient favorables aux salariés. Le problème que nous allons rencontrer, inévitablement, c'est le choix qu'a fait le Président de prendre partie en faveur du Medef, avant l'ouverture de ces négociations.
 
Q.- Il veut développer le travail du dimanche. Etes-vous prêt à négocier sur le travail du dimanche, qui est mieux payé ?
 
R.- Le Conseil économique et social national de notre pays a fait un rapport sur le sujet, après enquête. Et aussi bien du côté des commerçants notamment, des petits commerçants que des organisations syndicales, plusieurs éléments sont apparus : très majoritairement, les Français sont attachés à ne pas banaliser le dimanche comme un jour de la semaine comme un autre, notamment au regard du travail. Aucune étude économique sérieuse ne peut démontrer, et pour cause, que l'ouverture des magasins le dimanche, participerait à augmenter la consommation. La consommation est d'abord dépendante du pouvoir d'achat intérieur, préoccupation d'ailleurs numéro 1 dans cette rentrée. Et j'ai dit au président de la République combien nous attendions des mesures précises en matière de pouvoir d'achat.
 
Q.- Il a dit aux patrons : augmentez les salaires, négociez !
 
R.- Oui, il a dit...Il a demandé aux employeurs d'être plus attentifs aux remarques des salariés qui constatent une dégradation du pouvoir d'achat. J'aimerais bien que le Gouvernement, le Président, y compris, pourquoi pas, puisqu'il s'implique sur une série de sujets, soit beaucoup plus directif et incitatif à l'égard des employeurs sur le pouvoir d'achat, comme il sait le faire parfois sur d'autres types de décisions où il donne des calendriers, voire même le point auquel il faut aboutir. Donc, pour revenir à votre question, si vous le permettez, nous n'y sommes pas favorables, étant entendu, en plus, que seuls les commerces d'une certaine taille pourraient profiter de l'ouverture des magasins le dimanche et surtout pas le petit commerce, avec les emplois que cela génère.
 
Q.- En un mot, est-ce que les cheminots de la CGT troubleront la Coupe du monde en bloquant les trains ?
 
R.- Il n'y a absolument pas dans les plans syndicaux de volonté de perturber, comme cela a toujours été le cas, un événement sportif de portée internationale. En même temps, vous comprenez bien que nous ne pouvons pas, au motif qu'il y a la Coupe du monde, ne pas dire qu'il y a des urgences sociales. Si le Gouvernement décide d'installer la TVA sociale, si le Gouvernement confirme la mise en place des franchises médicales, si le Gouvernement veut voir immédiatement traduite la réglementation sur le droit de grève que nous avons contesté durant l'été, avec une unanimité syndicale, bref, s'il n'y a pas des réponses adaptées aux urgences sociales, si au contraire nous sommes confrontés à une multiplication de mauvaises décisions, nous ne pouvons pas laisser un mois et demi ou deux mois sans réagir syndicalement. Et cela n'a rien à voir au fait qu'il y ait ou pas l'organisation de la Coupe du monde, épreuve où nous sommes parmi ceux qui espérons naturellement que notre équipe nationale fasse bonne figure.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 4 septembre 2007