Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la politique européenne en matière de brevet, notamment le régime linguistique des dépôts de brevets, au Sénat le 10 octobre 2007.

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Circonstance : Examen du projet de loi autorisant la ratification de l'Accord de Londres relatif à l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens, au Sénat le 10 octobre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la délégation à l'Union,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le gouvernement a décidé de soumettre à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification l'Accord de Londres, relatif à l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens.
Voilà plusieurs années que cet accord suscite des débats, souvent passionnés. Les rapports de MM. Vianès et Grignon en 2001 ont été à cet égard très éclairants. Nous avons cependant décider de prendre davantage de temps pour examiner la question. De ce fait, le Protocole de Londres n'a pu entrer en vigueur, et la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne est restée incomplète. J'accorde d'autant plus d'importance à la relance de cette stratégie, qui sera rénovée par le Portugal, qu'il appartiendra à la Présidence française de l'Union de la mettre en oeuvre.
Depuis cette date, nous avons écouté les arguments des uns et des autres, à la lumière notamment du rapport qui avait été établi en 2006 par votre délégation à l'Union européenne.
Le gouvernement en a conclu que le bilan des avantages et des inconvénients du Protocole de Londres était très positif. Il appartient désormais au Sénat de se prononcer en plénière.
Revenons brièvement sur les principaux enjeux de cet accord.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous avez, de façon légitime, soulevé le débat de l'impact du Protocole de Londres sur la langue française. En ce qui concerne notre langue, je voudrais apaiser toutes les craintes.
L'Accord de Londres, porte mal son nom car il a été négocié à Paris en 1999.
Cet accord est une chance qui nous est offerte aujourd'hui : celle de conforter la langue française comme l'une des trois langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe. C'est la meilleure parade au "tout anglais" que recommandaient certains Etats qui ont finalement accepté le régime équilibré que propose l'Accord de Londres.
Le Protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevets en Europe. Il bénéficie à trois langues : l'allemand, l'anglais et le français. Il sécurise la possibilité pour toute entreprise de déposer ses brevets dans une de ces trois langues, et donc pour nos entreprises de déposer en français.
90 % des entreprises françaises déposent ainsi à l'INPI, donc en français, leurs brevets, afin de bénéficier de coûts réduits pour les PME, d'une facturation avantageuse du rapport d'antériorité, et d'une délivrance plus rapide. Elles pourront continuer à le faire dans des conditions facilitées.
Les revendications des brevets seront toujours traduites en français. C'est là une garantie essentielle car se sont le coeur du brevet, qui a seul force juridique. Ce sont elles qui définissent, comme leur nom l'indique, la portée de la protection de l'invention devant le juge et à l'égard des tiers.
Le Protocole de Londres allège également les obligations de traduction en dispensant les déposants, c'est-à-dire nos chercheurs et nos entreprises, de traduire la partie technique du brevet, dénommée description, dans toutes les langues officielles, soit 22 langues pour 32 Etats parties de la convention européenne sur les brevets.
Ainsi, demain, avec le Protocole de Londres, un brevet déposé en français sera valable sur les territoires de langue anglaise et allemande sans traduction en anglais des descriptions. Le français deviendra ainsi une langue de l'innovation à part entière.
M. Grignon estime ainsi que 300 millions d'euros pourraient être économisés au bénéfice des entreprises françaises.
Qu'il n'y ait pas de malentendu : le protocole n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues pour les revendications. Il n'y a donc aucun risque que les brevets européens ne soient plus libellés qu'en anglais. L'accord ne sert pas à dresser un paravent pudique devant le monopole de l'anglais, mais oblige à utiliser les deux autres langues. Ce n'est que pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire pour l'essentiel des schémas et des légendes, que le choix entre les trois langues sera possible. Cela n'emporte aucune conséquence pour l'avenir de la langue française, puisque ces parties techniques sont peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique. M. Dupont et M. Haenel l'ont remarquablement démontré dans leur rapport.
Ce sont les revendications, toujours disponibles en français, qui feront apparaître tous les nouveaux termes qui seront utilisés dans les domaines scientifique, juridique ou technologique.
Cela signifie que le français sera présent dans toutes les banques de données recensant les nouveaux procédés et les nouvelles découvertes. D'ailleurs les entreprises ne s'y trompent pas : seulement 1,7% des descriptions disponibles en français sont consultées.
Les descriptions sont surtout utiles en cas de litige. Mais il n'y a en moyenne qu'un litige pour 2 000 brevets opposables en France.
Et, lorsqu'il y a litige, le Protocole de Londres impose une traduction intégrale du brevet, aux frais du titulaire du brevet, et non de celui ou celle qui est accusé de contrefaçon.
Le Conseil Constitutionnel, qui est le gardien de nos principes républicains fondamentaux, a rendu, en septembre 2006, une décision concluant à la compatibilité de l'Accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution qui dispose que la langue de la République est le français.
Il faut faire bénéficier nos entreprises et nos grands instituts de recherches d'économies pour stimuler l'innovation et l'emploi en France. Comme l'a souligné M. Grignon, seulement 12 % des brevets sont déposés par des PME. L'une des raisons de cette situation est que le brevet européen coûte quatre à cinq fois plus cher qu'aux Etats Unis et trois fois plus cher qu'au Japon.
C'est un préjudice pour notre croissance, car le dépôt d'un brevet par une PME se traduit dans les cinq ans par un doublement des emplois.
C'est bien la raison pour laquelle l'Académie des Sciences et des Technologies, les associations d'inventeurs, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et le Mouvement européen des entreprises françaises demandent depuis 7 ans la ratification de l'Accord de Londres pour répondre aux attentes de leurs adhérents.
Les opposants au Protocole de Londres représentent au contraire des professions et des groupes qui ne déposent pas de brevet, qui ne pratiquent pas la propriété intellectuelle, et qui ne font pas de différence entre ce qui est fondamental pour notre langue, les revendications, et ce qui est accessoire, les descriptions.
Je suis intimement persuadé que refuser de ratifier le Protocole de Londres ne servirait pas le français. Nous maintiendrions un verrou illusoire puisque les descriptions en français ne sont que très peu consultées. Il n'y aurait pas davantage de risque de contrefaçon de bonne foi puisque la contrefaçon ne peut être démontrée que sur la base des revendications, toujours disponibles en français. Le statu quo ne présente donc aucun avantage concret.
Ne pas ratifier aurait en revanche un coût politique très important, qui serait de bloquer l'entrée en vigueur d'un accord que nous avons négocié à notre avantage en évitant le tout anglais que préconisaient certains pays, y compris francophones.
Notre refus conduirait de fait les 13 pays qui ont engagé ou terminé la procédure de ratification à négocier entre eux un régime tout anglais. Une attitude de repli ne nous serait pas favorable. Pire, notre renonciation aurait pour conséquence irrémédiable de nous conduire au tout anglais. Nous obtiendrions l'effet inverse de ce que nous recherchons.
Nos partenaires allemands ont établi leur bilan depuis 7 ans. Le nombre de brevets déposés en allemand auprès de l'Office européen des brevets est trois à quatre fois supérieur à celui des brevets déposés en français, et pourtant ils ont ratifié le Protocole de Londres sans hésitation.
Ratifier le Protocole de Londres, serait au contraire utiliser un puissant levier de stimulation de l'innovation. On nous fait valoir qu'il n'est pas encore ratifié par tous les Etats membres. Mais il faut voir plus loin, avoir confiance en nous et en notre capacité d'entraînement et d'influence sur nos partenaires, comme dans d'autres domaines.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les enjeux européens de cette ratification sont aussi importants. Le rapport de M. Haenel au nom de la commission des affaires étrangères, très complet sur ce sujet, les met clairement en évidence.
Depuis presque trente ans, les Etats membres de l'Union européenne cherchent à améliorer le système des brevets pour favoriser le développement de la recherche européenne.
Nous avons essayé depuis 2000, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, de définir une politique coordonnée des brevets au niveau européen.
Les discussions sont gelées depuis 2004. L'annonce de la ratification du Protocole de Londres par la France coïncide précisément avec la relance des discussions au niveau communautaire, sous présidence portugaise.
Nous aurons bientôt, si les discussions continuent à progresser, une juridiction communautaire alliant efficacité, avec une harmonisation de la jurisprudence, et proximité, avec une juridiction par Etat membre chargée de traiter les litiges portant sur les brevets européens et communautaires, et cela dans notre langue.
Une fois cette juridiction établie, nous aurons besoin d'un vrai brevet communautaire, c'est-à-dire un brevet toujours délivré par l'office européen des brevets, comme c'est le cas actuellement, mais qui, une fois délivré, aurait les mêmes effets juridiques dans tous les pays européens. Aujourd'hui un même brevet peut être maintenu en vigueur dans un pays et invalidé dans un autre. Le régime communautaire du brevet européen mettra fin à cette insécurité juridique pour toutes les entreprises, quelle que soit leur dimension.
Vous allez me dire qu'aujourd'hui, chaque Etat demeure libre de ratifier ou non le Protocole de Londres, et que la question linguistique risque de ressurgir. Mais il faut nous projeter dans l'avenir.
Un nouveau Traité devrait être signé d'ici la fin de l'année. Lorsque le brevet communautaire sera mis en oeuvre, on peut espérer que le nouveau Traité encouragera les uns et les autres à "communautariser" l'Accord de Londres et à l'intégrer dans le brevet communautaire.
Une fois de plus, nous avons le choix entre préserver de faux semblants ou conduire une politique offensive en faveur notamment de nos PME. Quel est notre véritable objectif ? Il est de faciliter le dépôt des brevets par les entreprises, et non pas de faciliter les traductions pour que les PME imitent les procédés inventés par d'autres.
Nous souhaitons que nos entreprises innovent et que leurs inventions soient connues à l'étranger. Plus largement, la France doit devenir, à l'instar d'autres pays, une terre de dépôt de brevets. Pour qu'il en soit ainsi, la ratification du Protocole de Londres et la réduction du coût des brevets est indispensable.
La France peut participer, avec le Protocole de Londres, à l'avant-garde de l'innovation, précisément avant qu'elle assume la Présidence de l'Union européenne. Avec la ratification de ce protocole, nous adressons un message fort à nos partenaires européens. Je tiens à souligner qu'une langue est vivante lorsque le pays qui la pratique fait preuve de son dynamisme. C'est en ayant des entreprises fortes sur le plan international que l'on défendra le mieux le français.
Telles sont, Monsieur le Président, Messieurs les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les raisons pour lesquelles nous vous appelons à approuver ce projet de loi de ratification important non seulement pour notre influence économique, mais également pour notre rayonnement scientifique et culturel.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2007