Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étangères et européennes, sur la création d'une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares, Paris le 11 octobre 2007.

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Circonstance : Discussion d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares à l'Assemblée nationale le 11 octobre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous sommes réunis pour évoquer la création d'une commission d'enquête sur les conditions de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien en Libye, et sur les accords franco-libyens. L'examen de cette proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête donne l'occasion au Parlement de s'impliquer dans la politique étrangère de la France, ce que je souhaite profondément. Cette proposition répond à un réel intérêt des Français pour ce sujet, ce dont je ne peux que me réjouir. Elle va permettre d'éclairer les conditions de la libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye, et de préciser la nature et l'étendue des relations franco-libyennes.
Rappelons d'abord une évidence : cette libération est un grand succès pour notre pays et pour l'action du président de la République. Bien entendu, nous n'avons pas été les seuls impliqués dans cette longue négociation qui a mobilisé les efforts des Européens - en particulier ceux de la présidence allemande et ceux de la commissaire Benita Ferrero-Waldner. Mais, en fin de parcours, dans les derniers moments décisifs, dans la nuit décisive, notre contribution, celle de la France, a été essentielle pour mettre fin au calvaire de ces cinq femmes et de cet homme détenus depuis huit ans, sans raison.
Pour mieux comprendre ce dénouement, il faut se pencher sur l'histoire récente des relations franco-libyennes. Ces relations ont été heurtées, il n'est pas question de l'oublier.
Ce pays a été un soutien du terrorisme international dont la France a été victime. L'attentat contre le vol UTA, le 19 septembre 1989, reste dans toutes les mémoires : 170 victimes de dix-huit nationalités, dont cinquante-quatre Français.
Le président de la République l'a rappelé lors d'une cérémonie en l'honneur de ces victimes qui s'est déroulée aux Invalides, le 19 septembre dernier. Je connais les victimes de ce terrorisme, j'ai rencontré leurs proches. Je sais que rien - ni les indemnisations octroyées d'un commun accord, ni les décisions de justice rendues ou à venir - n'effacera le drame vécu dans les corps et dans les âmes.
Il n'est pas davantage question d'oublier que la Libye a, dans le passé, montré un intérêt suspect pour le développement clandestin de programmes d'armes de destruction massive.
Mais, à partir de 1999, ce pays a opéré des revirements spectaculaires et a accepté, par étapes, de se conformer aux exigences internationales, qu'il s'agisse d'indemniser les victimes de l'attentat - les derniers dossiers sont en voie de règlement - ou de renoncer volontairement à ses programmes de développement d'armes de destruction massive. La Libye d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. La communauté internationale en a pris acte depuis longtemps déjà : les sanctions onusiennes ont été levées, l'embargo européen n'est plus.
La Libye est donc revenue au sein de la communauté internationale. Nos principaux partenaires européens, qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne, de l'Italie ou de l'Allemagne, ont renoué avec elle un partenariat actif. A Luxembourg, le 15 octobre, c'est-à-dire lundi prochain, les Vingt-sept devraient adopter des conclusions pour la relance des relations entre la Libye et l'Union européenne. Quant aux Etats-Unis, ils opèrent aussi un rapprochement, puisque la nomination d'un ambassadeur est annoncée.
Ce retour de la Libye au sein de la communauté internationale est une bonne nouvelle comme il y en a peu dans la vie internationale. C'est une bonne nouvelle pour la Libye, qui, en échangeant avec le reste du monde, s'ouvre à de nouveaux projets et idées. C'est aussi une bonne nouvelle pour le Maghreb et pour la Méditerranée - une partie du monde dont le développement représente une priorité absolue pour la France et pour l'Europe.
Pour accéder à la croissance partagée, cette zone doit pouvoir compter sur la participation et l'énergie de tous.
A cet égard, il est encourageant de constater que la Libye marque son intérêt pour l'Union euro-méditerranéenne, alors qu'elle était jusqu'alors restée en marge de ce partenariat. Comment pourrions-nous envisager des projets concrets concernant la pollution de la Méditerranée ou le sauvetage en mer, comme nous souhaitons le faire dans le cadre de l'Union, en tenant la Libye à l'écart ? Comment pourrions-nous réfléchir sérieusement au sort des migrants d'Afrique, et tenter d'apporter une réponse adaptée à ce drame, sans discuter avec la Libye, l'un des principaux pays de transit ? Et ne devons-nous pas approfondir encore notre dialogue avec la Libye sur les grandes crises qui affectent l'Afrique, à commencer par celle du Darfour, la plus aiguë d'entre-elles ?
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, nous ne pouvons ignorer l'évolution salutaire de la Libye quelles que soient les blessures et les cicatrices du passé. Compte tenu de l'importance particulière que revêtent le Maghreb et la Méditerranée pour notre pays, nous nous devions d'être au rendez-vous de la Libye avec la communauté internationale.
Je me souviens de la rencontre inattendue entre François Mitterrand et Mouammar Kadhafi en Crète. Je me souviens que, en novembre 2004, Jacques Chirac se rendit en visite officielle en Libye. Son déplacement fut suivi par beaucoup d'autres. C'est ainsi que début 2005, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, relançait une coopération militaire entre nos deux pays. Je cite cet exemple à dessein, pour clarifier un point important : notre coopération militaire, qui avait cessé en raison des sanctions internationales, a été relancée dès la levée de celles-ci, donc bien avant la visite du président de la République au mois de juillet dernier. Dans le domaine nucléaire, le Commissariat à l'énergie atomique a renoué le dialogue avec son interlocuteur libyen dès 2006.
La visite du président de la République, si elle n'a été possible qu'après la libération du personnel médical bulgare - et j'y reviendrai - a emprunté des pistes déjà existantes et balisées. Il en va de même pour les accords conclus à cette occasion. S'inscrivant dans une continuité, cette visite a en effet permis de signer cinq textes portant sur les grands axes de notre coopération, en toute transparence.
En revanche, le mémorandum d'entente sur le nucléaire civil n'ayant pas le statut d'un accord gouvernemental, il n'avait pas vocation à être rendu public. Toutefois, j'ai dévoilé la teneur de cet accord à votre commission des affaires étrangères lorsque je me suis exprimé devant elle, le 31 juillet dernier.
L'accord de coopération en matière de défense comporte, comme c'est l'usage, une clause de confidentialité et ne peut être divulgué qu'avec l'agrément des autorités libyennes. Je suis heureux de vous apprendre que cet agrément nous ayant été signifié, l'accord vient d'être publié. Vous disposez donc de tous les éléments pour juger ce qui a été signé entre la Libye et la France, lors de la visite du Président de la République.
Que révèlent ces éléments ? J'ai signé un accord-cadre de partenariat global fixant les grands axes de notre coopération avec la Libye : culture, économie, éducation, formation, médecine, défense. Ce sont les domaines classiques d'échanges entre deux partenaires. De son côté, Jean-Marie Bockel a signé des conventions plus détaillées, notamment dans le secteur de la recherche scientifique et de l'enseignement supérieur.
Quant à l'accord de coopération dans le domaine de la défense que j'ai évoqué tout à l'heure et qui est désormais public, vous constaterez qu'il s'agit d'un accord classique, de portée générale, qui permet notamment d'engager des actions de formation et d'instruction. Contrairement à ce que certains prétendent, cet accord de défense pas plus que l'accord-cadre ne prévoient de clause d'assistance militaire en cas d'agression.
En revanche, il comporte un volet sur le partenariat industriel en matière de défense, lui aussi très classique. Il liste le champ des possibles, sans privilégier un secteur. Il revient aux industriels d'approcher les partenaires libyens éventuels, et il revient à l'Etat, au travers des mécanismes de contrôle de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, d'examiner au cas par cas les projets envisagés et de les autoriser - ou de les refuser - aux différents stades de leur avancement. Il ne s'agit pas là d'une nouveauté concernant la Libye. De tels contacts existent depuis la levée de l'embargo européen, et des contrats ont déjà été signés par des industriels français ou d'autres partenaires européens. Néanmoins, même si la question a déjà été posée et même si j'y ai déjà répondu, j'insiste : il n'y a pas eu de signature de contrat à l'occasion de la visite du président de la République.
Pour autant, il existe des perspectives en matière de contrats d'armement avec la Libye. Nous n'avons rien à cacher. En 2006 et début 2007, la commission que je viens de citer, la CIEEMG, a autorisé des industriels à faire des offres et à conclure des accords. Ces autorisations sont données par l'Etat, au cas par cas, après un examen particulièrement rigoureux de leur conformité à nos engagements internationaux. Il appartient ensuite aux seuls industriels, s'ils le souhaitent, d'apporter plus de détails sur les négociations passées et en cours, et sur les livraisons de matériels. C'est dans ce cadre qu'a été annoncée la signature d'un contrat par une filiale d'EADS.
Enfin, j'ai signé un mémorandum d'entente sur le nucléaire civil. Il constitue une première étape et répond à l'intérêt manifesté par la Libye pour une coopération avec la France dans ce domaine. Ce type de coopération n'est pas limité à la Libye mais nous le proposons à plusieurs pays de la région : le Maroc, l'Algérie, la Jordanie, les Emirats arabes unis, pour ne donner que quelques exemples.
Ce texte et ces projets ont suscité une inquiétude qui ne nous semble pas justifiée. Le partenariat auquel nous sommes disposés à réfléchir avec la Libye est sûr. D'une part, si nous sommes amenés à signer un accord en bonne et due forme, celui-ci sera communiqué à nos partenaires d'Euratom. D'autre part, l'Agence internationale pour l'énergie atomique travaille dans de bonnes conditions en Libye - elle l'affirme - et nos activités potentielles dans le domaine nucléaire dans ce pays seraient placées sous le contrôle de cette agence. Ainsi, la nature de ce partenariat n'aurait rien de proliférant et chacun pourrait en être assuré.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, vous avez pu saisir, à travers ce bref exposé, l'exacte nature des relations entre la France et la Libye : elles sont normales, voire prometteuses, mais entourées de garanties sérieuses.
Pour autant, la visite du président de la République n'aurait pas été possible si les infirmières et le médecin injustement détenus n'avaient pas été libérés. Malgré le rapprochement en cours entre nos deux pays, cette détention constituait, à nos yeux, un obstacle majeur à son approfondissement.
Vous souhaiterez sans doute me poser un certain nombre de questions sur les circonstances de cette libération. Je me tiens à votre disposition pour y répondre.
Mais pour finir, je voudrais vous dire ma fierté que la France ait contribué - avec d'autres, certes, mais de façon décisive - à ce dénouement heureux.
Le travail accompli par l'Europe - qu'il s'agisse des Britanniques, de la Commission ou de la présidence allemande - fut remarquable : il a permis la libération des soignants emprisonnés. L'Europe a ainsi démontré qu'elle peut faire passer ses messages, lorsqu'elle est unie et déterminée. Il a fallu du temps, mais ses messages sont passés.
C'est l'honneur de la France d'être parvenue à faire fructifier ces efforts et d'avoir convaincu les autorités libyennes, en appuyant l'action de Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire chargée des Relations extérieures. Pour aboutir à cette solution heureuse à la détention des soignants, la France et l'Union européenne ont suivi la même logique, qui relève d'une double solidarité : envers les enfants contaminés de Benghazi et leurs familles d'une part ; envers les infirmières et le médecin prisonniers, d'autre part.
Nous avons accepté de regarder en face la souffrance de ces familles dont les enfants avaient été infectés par le virus du sida, et nous nous sommes efforcés d'y répondre. C'est pour cette raison que, de leur côté, les familles ont accepté de ne plus réclamer le prix du sang pour apaiser leur douleur.
Cette logique d'humanité nous a amenés, avec l'Union européenne, à soigner au mieux les enfants contaminés, sur place et parfois en Europe. Cette démarche de solidarité nous conduit aujourd'hui à envisager de renforcer notre coopération médicale avec la Libye en aidant l'hôpital de Benghazi.
C'est précisément parce que nous avons été capables de porter ce regard-là sur le drame de Benghazi, que nous avons pu demander à nos interlocuteurs libyens de considérer la tragédie des infirmières bulgares pour ce qu'elle était, et d'y mettre un terme. C'est ce qu'ils ont accepté de faire, et j'en suis heureux.
La France n'a pas à rougir d'avoir été efficace et d'avoir contribué à soulager des souffrances : elle n'a fait que répondre à l'appel de ceux qui désespéraient.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2007