Interview de M. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles calédoniennes" du 10 octobre 2007, sur l'attachement de l'Etat aux accords de Nouméa, le climat social en Nouvelle-Calédonie, le développement économique de l'île et ses relations avec la métropole.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Les Nouvelles calédoniennes

Texte intégral

Les Nouvelles calédoniennes : Dans l'interview qu'il a accordée aux Nouvelles durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a indiqué « son attachement au respect de l'accord de Nouméa ». Le souci de Pierre Frogier de « faire le point sur cet accord » ne va-t-il pas à l'encontre de la volonté du président ?
Christian Estrosi : L'Etat est attaché au respect de l'accord de Nouméa tout autant qu'il l'est aux accords de Matignon. Ces accords ont permis à la Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et de la douleur, mais surtout d'ouvrir celle de la construction et du destin commun. Nicolas Sarkozy, que ce soit comme candidat ou comme président de la République, a toujours été très clair. Sa parole sera tenue. Les accords de Nouméa ont engagé un processus démocratique où chaque partie signataire est en mesure de défendre la meilleure option, celle du rattachement à la France et à l'Europe ou celle de l'indépendance. Il est donc à mon sens normal et légitime que Pierre Frogier défende ses convictions. Il est tout aussi normal et légitime que Pierre Frogier, en qualité de signataire des accords mais aussi de parlementaire, se prononce sur la « chose publique » et donne son point de vue sur l'accord de Nouméa. Selon les termes mêmes de l'accord de Nouméa, « le passé a été le temps de la colonisation, que le présent est le temps du partage par le rééquilibrage, et que l'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun ». Je suis convaincu que ce destin commun est intimement lié à la France.
Les Nouvelles calédoniennes : Le FLNKS voit dans le rapprochement entre Pierre Frogier et Harold Martin une volonté du président de la République et a donc des craintes sur le positionnement de l'Etat, ce d'autant plus que le député calédonien a eu et a encore des positions dures, tant sur le gel du corps électoral que sur la tenue d'un comité des signataires ou sur la lecture de l'accord de Nouméa. Quel sera votre message aux indépendantistes et aux loyalistes ?
Christian Estrosi : Je veux tout d'abord vous dire que le temps de la campagne est clos. Les électeurs se sont exprimés clairement. A nos compatriotes indépendantistes, je veux redire, comme je l'ai fait en avril dernier, combien je respecte leurs opinions, combien je respecte profondément leur culture et leur identité. Je veux leur dire qu'ils constituent - à part entière - la richesse de la France, de son identité et de son histoire. Et je veux leur dire que le choix de poursuivre le destin de la Nouvelle-Calédonie dans la France est d'autant plus possible que sera respectée, je m'y engage, la très large autonomie de ce territoire. Je mettrai toute mon énergie et toutes mes convictions au service de cette idée, mais toujours dans le respect des opinions de chacun. Avant de revenir en Nouvelle-Calédonie, j'ai relu attentivement les accords de Nouméa, et plus précisément son préambule. C'est très clair : le processus engagé est un processus démocratique par lequel les Calédoniens seront appelés à choisir entre le rattachement à la France et l'indépendance. Je souligne ce point important : c'est un processus démocratique qui impliquera un scrutin.
Les Nouvelles calédoniennes : Les derniers comités des signataires n'ont pas donné lieu à des débats de fond. N'est-ce pas à l'Etat justement de pousser les signataires à faire preuve de motivation ?
Christian Estrosi : Le comité des signataires est tout d'abord un espace de dialogue qui permet de faire un point régulier sur l'application des accords de Nouméa, qui ne sont pas figés. Les accords de Nouméa ont initié un processus dynamique, c'est pour cela « qu'ils doivent vivre ». Tous les paramètres doivent être pris en compte: qui aurait pu prévoir que les grands projets miniers verraient le jour comme c'est le cas aujourd'hui ? C'est cela le débat de fond. En outre, je sais la place de la parole et du respect de l'autre dans la culture calédonienne. Il me semble légitime que les partenaires calédoniens et l'Etat puissent se rencontrer régulièrement pour se parler et échanger sur les dossiers en cours.
Les Nouvelles calédoniennes : Le climat social est tendu en Nouvelle-Calédonie. Il est régulièrement reproché à l'Etat de tarder à faire intervenir les forces de l'ordre, d'être trop laxiste. Et, quand l'Etat se décide finalement à intervenir pour évacuer une entreprise, celle-ci est rapidement réoccupée. Que pouvez-vous répondre aux socioprofessionnels ?
Christian Estrosi : L'Etat est le gardien des grands équilibres politiques, économiques et sociaux. C'est pour cela qu'il doit être le garant de la liberté de chacun. Cette garantie c'est celle du travail, mais aussi celle de la sécurité et celle de pouvoir vivre comme tout citoyen, avec ses aspirations, ses espérances, le libre choix de sa vie et de son avenir. Le dialogue social est fait d'échange et de concertation. Tous les acteurs doivent être impliqués : les chefs d'entreprise, les salariés, les organisations syndicales, les institutions calédoniennes et l'Etat. Vous le savez, ce dialogue prend parfois du temps, car on ne bâtit que dans la durée. En matière de dialogue social et de droit du travail, l'Etat a un rôle à jouer, mais dans le respect des compétences qui ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie. En revanche, le dialogue social ne peut être initié sous la contrainte d'un blocage ou d'une grève. Pour ma part, il n'est pas acceptable que des travailleurs puissent être empêchés de travailler. Je ne peux pas accepter que des entreprises, des usines, des commerces, des grandes infrastructures subissent les « bâches bleues » et les blocages, avant même que l'on ait commencé à discuter...
Les Nouvelles calédoniennes : Lors de votre première venue en avril 2007 en Nouvelle-Calédonie, vous aviez annoncé l'arrivée prochaine de la télévision numérique terrestre. Où en est le dossier ?
Christian Estrosi : La mise en place en place de la télévision numérique terrestre (TNT) est l'une de mes priorités. Au nom de la continuité territoriale et de l'égalité des chances, je souhaite que nos compatriotes calédoniens en bénéficient le plus rapidement possible. C'est pourquoi, dès mon arrivée, j'ai relancé ce dossier. Une phase de concertation avec l'ensemble des départements et collectivités d'outre-mer va s'ouvrir prochainement afin de définir les conditions de mise en place de cette nouvelle technologie.
Les Nouvelles calédoniennes : L'Etat compte-t-il augmenter son effort en matière de trafic aérien dans le cadre de l'aide à la continuité territoriale ?
Christian Estrosi : En matière économique et dans un secteur totalement libéralisé comme celui de l'aérien, le rôle classique de l'Etat a été d'instaurer les conditions d'une concurrence loyale, puis de laisser jouer les marchés. Je souhaite pourtant aller plus loin et créer la dynamique de cette concurrence. Dans le même temps, il ne faut pas mettre en péril l'équilibre financier de la compagnie existante, Aircalin, ou du nouvel entrant. Je note d'ailleurs que la Nouvelle-Calédonie est mieux desservie que certains autres territoires puisque quatre compagnies aériennes majeures la fréquentent. En juillet dernier, j'ai rencontré l'ensemble des compagnies aériennes desservant l'outre-mer. Je leur ai demandé de me faire des propositions qui seront motivées par la baisse des coûts des billets et par l'augmentation du trafic aérien.
Les Nouvelles calédoniennes : Lors de votre discours de campagne prononcé à Nouméa il y a cinq mois, vous aviez prôné la discrimination positive, en Métropole comme en Nouvelle-Calédonie. Est-ce toujours d'actualité ? Comment cela peut-il se décliner ici ?
Christian Estrosi : Vous connaissez l'attachement de Nicolas Sarkozy à l'égalité des chances et à l'équité. Plus personne ne veut l'application d'une égalité aveugle qui ne prenne pas en compte la réalité de chaque situation. Je suis extrêmement attaché à la notion de l'équité. L'équité, c'est donner plus à ceux qui en ont le plus besoin. C'est cela la République. Les étudiants, par exemple, bénéficient du passeport mobilité afin de venir suivre leurs études ou passer leurs examens en métropole. En matière de formation professionnelle, vous connaissez le dispositif mis en place par le programme Cadres Avenir prévu par les accords de Nouméa. Ce dispositif permet à environ 60 jeunes Calédoniens de partir chaque année en Métropole pour parfaire une formation et accéder à des responsabilités professionnelles accrues. La discrimination positive, comme vous l'appelez, est donc déjà une réalité en Nouvelle-Calédonie.
Les Nouvelles calédoniennes : Que pensez-vous du nouveau montage financier et industriel de l'usine du Nord ?
Christian Estrosi : Comme je vous le disais, l'Etat est impliqué dans le rééquilibrage territorial, économique et social de la Nouvelle-Calédonie. Les grands projets miniers contribuent à ces objectifs. Le projet du Sud, qui est sur le point d'être achevé, démontre que la fatalité économique est trop souvent considérée comme inévitable, alors que la volonté et l'engagement sont les sources de la réussite. De la même manière, le grand projet du Nord est sur le point d'être engagé et permettra d'emprunter le chemin de la croissance, du développement économique mais aussi et, surtout du rééquilibrage territorial. L'Etat continuera de soutenir ces projets. Ce qui m'importe c'est que le projet se fasse ! En effet je veux que le transfert des titres du massif du Koniambo profite pleinement au développement économique du Nord, ainsi qu'aux citoyens de cette province, et plus généralement à tout le territoire.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 11 octobre 2007