Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables, à France Inter le 15 octobre 2007, sur les attentes liées au Grenelle de l'Environnement et sur les préconisations du pré-rapport de la commission Attali concernant la "libération" de la croissance économique.

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Média : France Inter

Texte intégral


N. Demorand.- Bienvenue à vous J.-L. Borloo sur France Inter. Alors, parlons franchement : le "Grenelle de l'Environnement" qui arrive, là, bientôt, dans sa phase politique, où il va falloir trancher, prendre des décisions, faire des arbitrages, ce Grenelle va-t-il accoucher d'une souris, même verte, ou d'une vraie rupture ?

R.- Rupture, sinon il ne fallait pas faire un Grenelle. Réunir autour de la même table, pendant des centaines, des milliers d'heures de débats, à la fois les syndicats, les entrepreneurs industriels, de services ou agricoles, des ONG, des villes, agglomérations, régions, départements, et l'Etat, réunir tout ce beau monde sur des sujets assez durs, assez fondamentaux, dans une totale démocratie, dans une totale transparence, en acceptant qu'il y ait des confrontations parfois, si ce n'est pas pour sortir vraiment une stratégie française, réelle, radicalement différente de ce qu'elle était jusqu'à présent sur ces grands sujets, il ne fallait pas le faire. Et ce n'est pas la semaine où, à la fois, l'homme qui a popularisé, un de ceux au monde qui a le plus popularisé, Al Gore, et Prix Nobel de la paix, et que de l'autre côté, les scientifiques du GIEC, au même niveau que ce lui a popularisé - car il y a la science et il y a l'expression, ce sont les deux domaines - au moment où on considère que c'est un enjeu majeur de la paix dans le monde...

Q.- On est au pied du mur là !

R.-...on ne serait pas à la hauteur de la situation et des attentes ! D'ailleurs, les attentes, on les voit dans les débats régionaux : en moyenne entre 1.000 et 1500 personnes dans chaque ville de 30 ou 40.000 habitants ; sur Internet, on est à 350.000 connexions...

Q.- Et sur le standard de France Inter, ce matin...

R.- Enfin, tout le monde a compris qu'il faut qu'on change vraiment ! On consomme plus que ce que ce la planète peut rendre, voilà ! Cela, c'est une affaire qui est claire. Que c'est une affaire de décennie, ce n'est pas une affaire pour dans cent ans. Cela a un impact directement sur vos enfants, c'est une certitude, quand ils auront votre âge. Et qu'on va essayer de la faire de manière intelligente et non pas sous une espèce de régime de restrictions, qui ne serait à terme probablement pas très démocratique.

Q.- Et pourtant, on l'a vu dans les différents du Grenelle de l'environnement, de France Inter, qu'on a organisés ce matin, il va y avoir un certain nombre de décisions qui sont rudes. Alors, par exemple, sur la fiscalité : on entendait J.-M. Jancovici, ici même, dire tout à l'heure qu'on ne pourrait pas y arriver sans une augmentation très nette de la fiscalité à même de réorienter les comportements des consommateurs. Vous, vous avez d'ores et déjà fermé cette perspective-là.

R.- Mais non, mais non ! Heureusement que vous êtes là pour permettre de préciser les choses. Ce que dit Jancovici, comme un certain nombre de gens, il dit, en gros : "vous utilisez les produits fossiles qui émettent, ce qu'on appelle du carbone ou du [ ?]. Et cela, un jour ou l'autre, vous serez à des prix de fossiles très élevés. D'abord, à cause de la rareté, etc. Donc, il dit : "il vaut mieux que vous anticipiez et que vous vous prépariez". Cela, c'est une fiscalité globale. Et puis, il y en a d'autres qui disent à peu près la même chose, mais par famille de produits, on peut détaxer, pour simplifier, faire payer moins chers des produits très peu carbonés, et beaucoup plus chers des produits très carbonés. Faire payer beaucoup moins chers des services très peu carbonés, et faire payer beaucoup plus chers des services carbonés. Ce qui fait au total une masse fiscale équivalente. Donc, voilà là où est le débat...

Q.- Donc, il y aura plutôt redistribution des taxes que création de nouvelles taxes ?

R.- Si, justement... Le débat qui devra être tranché est de savoir si c'est tout ce qui est carboné qui augmente de la même manière, ou si on allège ce qui est très peu carboné, et on taxe beaucoup ce qui est très carboné. Dans un cas, c'est macro économiquement pertinent, le premier cas, mais je ne sais pas si avec l'élasticité il y aura le moindre impact sur des choix de consommation. Je prends un exemple simple : quand vous avez le choix entre aller à Lyon en TGV ou aller à Lyon en avion, vous avez le même choix, vous avez le choix, vous mettez me même temps. Dans un cas, c'est très carboné dans l'avion, dans l'autre cas, c'est moins carboné. Est-ce que, globalement, vous augmentez tout le pétrole ou est-ce que vous taxez un peu plus ce qui est très carboné ? Voilà. Il n'y pas donc des années lumières de différence. Simplement, globalement, le pouvoir d'achat dans le deuxième cas n'est pas entamé.

Q.- Vous avez donc parlé d'une rupture, et vous disiez : "à quoi ça sert de faire un Grenelle si c'est pour accoucher de ce solutions tièdes"

R.- Absolument... Je ne sais pas si le mot "tiède" est... Je pense que c'est un mot du sensationnel. Je pense en revanche qu'il faut faire des choses lourdes, des choses en vraie rupture, des choses dans leur ampleur, radicalement différentes. Elles ne sont pas forcément médiatiquement spectaculaires.

Q.- On a le sentiment que vous travaillez, vous, au Grenelle de l'Environnement, dans une direction différente de la direction, par exemple, empruntée par la commission Attali qui, elle, planche sur les manières de débloquer la croissance aujourd'hui même en France. Supprimer, par exemple, le principe de précaution, qui est dans notre Constitution, y êtes-vous favorable à cette demande de la commission Attali ?

R.- Bien sûr que non, bien sûr que non ! La commission Attali, c'est 40 experts de très haut niveau qui réfléchissent entre eux. Bon, c'est parfait. Il se trouve que le principe de précaution, qui fait partie d'ailleurs de traités internationaux que la France a signés, je parle même... Et puis, permettez-moi de dire : de quoi s'agit-il, le principe de précaution ? Il ne s'agit pas de dire : je m'interdis de faire tout ce qui est pas tout à fait connu. Ce n'est pas cela le principe de précaution. Le principe de précaution c'est, lorsqu'il y a une non information suffisamment inquiétante, ou une information qui est suffisamment inquiétante, il est impératif pour les pouvoirs publics de prendre un certain nombre de mesures d'appréciation ou d'accompagnement pour accompagner cette incertitude. Ce n'est pas : "On fait rien sur rien", parce que, effectivement, il y aurait des...

Q.- Mais on a le sentiment qu'ils travaillent sur une ancienne définition de la croissance par rapport à celle que vous essayez de mettre en place dans le Grenelle ?

R.- Vous avez probablement un peu raison, sans faire du tout de critique à l'égard de... Parce que leur mission est particulière. Le Grenelle par exemple, les collèges sont d'accord sur un point simple : le PIB, le Produit intérieur brut, qui est une donnée strictement quantitative, il est demandé que dans les six mois qui viennent, l'Insee et un certain nombre d'organismes nous mettent au point au point "le PIB vert", c'est-à-dire un nouveau concept d'appréciation, en réalité, d'une autre croissance. Parce que faire croire qu'éternellement, le prix d'achat d'un certain nombre de produits correspond au prix d'achat qu'on va tenir, compte tenu de ce que l'on prélève sur la planète, est faux. Il y a un auteur américain, je dis à tous les auditeurs de France Inter, vraiment, il y a deux bouquins à lire, les deux sont du même, à quelques années d'intervalles, c'est : Lester Brown. Parce que c'est simple, même moi j'ai compris. Alors, Lester Brown dit, en gros, une phrase centrale dans tous ses livres, il dit : "le socialisme - en anglais comprendre "le communisme" - est mort de ne pas avoir laissé les prix dire la vérité économique. L'économie de marché mourra si elle ne laisse pas les prix dire la vérité écologique". Cela, c'est le fondement de toute la réflexion du Grenelle. Comment, petit à petit, d'abord par l'information du consommateur, puis, d'une manière ou d'une autre, en intégrant en partie dans les prix, comment on va, avec le même niveau de bonheur, dans le cadre d'une autre croissance, on va sur un autre modèle économique ? Mais c'est cela le fondement du Grenelle. Et c'est cela, ce que l'on appelle "des mesures structurantes".

Q.- Vous ne devriez pas aller, là, plaider cette cause devant la commission Attali, parce que les deux discours sont quand même stupéfiants, ils sont très, très différents ?

R.- Oui, mais, comme toujours, les points de départ permettent des compromis ou... On ne fait pas de compromis entre gens qui pensent pareil. Et puis, je n'ai pas lu les rapports. D'ailleurs, le rapport définitif on ne le connaît pas...

Q.- Là, c'est un bilan d'étape, oui.

R.- Lisons les rapports définitifs avant de porter des jugements de valeur.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 octobre 2007