Tribune de M. Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, dans "L'Hebdo des socialistes" du 13 octobre 2007, sur la réforme de la fonction publique, intitulée "Quelques axes pour une véritble démarche de transformation".

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Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Dans le dictionnaire contemporain des idées reçues de la vie sociale, un terme est paré de toutes les vertus, celui de «réforme». Avec d'un côté les «bons», ceux qui veulent faire bouger les choses dans l'intérêt général,et puis les autres, les indécrottables défenseurs du statu quo - et de leurs petits privilèges. Ainsi, à chaque occasion, à chaque conflit, les commentateurs éclairés de disserter doctement sur l'impossibilité de réformer enfin ces services publics français si réfractaires à tout changement, avec leurs agents aux statuts toujours «rigides» et «dépassés» et leurs syndicats évidemment «corporatistes».
Force est de constater que ce discours n'est pas l'apanage des seuls «libéraux». Cette axiomatique a pour premier défaut d'oublier des pans entiers de la réalité. Elle oublie que les usagers, et plus généralement les Français lorsqu'on les interroge sur les services publics et/ou la fonction publique,émettent des avis positifs à des taux susceptibles de faire pâlir d'envie les politiques les mieux cotés : seraient-ils eux aussi immobiles ou corporatistes ?
En fait,les services publics ont beaucoup bougé et dans le sens d'une meilleure réponse à leurs besoins et d'une adaptation à notre société. Cela ne signifie en rien que tout va bien. Nombre de problèmes ont pris une ampleur insupportable. Nos services publics peinent de plus en plus à assurer partout une égalité effective dans l'accès au droit ; c'est particulièrement évident en matière d'éducation, où le niveau général de formation s'est élevé, où l'échec a reculé mais où les phénomènes d'exclusion sont en train de s'ossifier.
Mais - et c'est le second oubli - les fonctionnaires portent à bout de bras la survie du service public dans des quartiers en perdition,ils refusent de se résigner à la ségrégation sociale, traduisent par leur engagement quotidien leur conviction de la nécessité des services publics pour garantir la démocratie et les solidarités ; ils portent des propositions et des revendications. Croit-on que si les pratiques n'avaient pas profondément évolué,l'on aurait en une dizaine d'années doublée la part d'une classe d'âge qui accède au baccalauréat ? Croit-on que l'évolution des qualifications réellement détenues par les fonctionnaires soit sans effet sur la conception qu'ils ont de leurs métiers, sur leurs aspirations ? Tout simplement parce que si on s'engage dans un métier, il est difficile de supporter de mal le faire. D'où viennent alors problèmes et conflits ?
Depuis des années, de gouvernement en gouvernement, qu'ils soient de gauche ou de droite, on ne conçoit l'idée de réforme que comme un moyen de réduire des dépenses publiques jugées a priori insupportables. Cet a priori n'est pas seulement source de conflits immédiats avec les personnels et les usagers ; il est contradictoire avec les exigences même d'une véritable démarche de réforme.
Et il s'accompagne d'une vision étriquée de la réforme, où la complexité des situations, la diversité des besoins sont niées au nom d'un axiome jamais démontré : «On peut faire mieux avec moins» ; le tout avec une vulgate : déconcentrer, autonomiser, rationaliser, regrouper, mieux piloter, mieux gérer les ressources humaines, individualiser...
Certes, ces notions ont leur importance et leur intérêt, mais il ne faut pas confondre la fin et les moyens. On peut considérer par exemple a priori que plus d'autonomie permet une meilleure réponse aux besoins du terrain, mais comment ne pas se préoccuper des risques d'accroissement des inégalités qui aujourd'hui gangrènent notre société ? Comment ignorer les phénomènes de concurrence que peut générer une certaine autonomie ? Évidemment, on peut penser que n'avoir plus qu'un seul interlocuteur peut être un avantage pour les usagers des services fiscaux, mais l'usager y gagnera-t-il si les agents y perdent en professionnalité et en compétence ? Certes, on peut se dire que pour le chômeur, avoir un guichet unique est un avantage, mais si l'intérêt de l'organisme chargé de l'indemnisation prend le pas sur les missions d'intérêt général d'un service public de l'emploi, quelles seront les conséquences pour ce même chômeur ?
Ces impasses expliquent sans nul doute la pauvreté de toutes les stratégies dites de réforme sur des éléments essentiels pour vraiment faire bouger les choses dans l'intérêt de tous. Ainsi, la qualification et la formation des personnels et leur rémunération sont trop souvent laissées en l'état alors que ce sont des facteurs fondamentaux des évolutions nécessaires; ainsi, on ignore la richesse des métiers, les tensions qui les traversent et la possibilité de les faire évoluer ; ainsi, on continue à prétendre promouvoir la concurrence entre les agents alors qu'aujourd'hui la plupart des métiers nécessitent de plus en plus d'échange et de travail collectif. En disant cela, je pense tracer en creux quelques axes pour une véritable démarche de transformation.
Et j'invite chacun à bannir un a priori :celui qui consiste à considérer les fonctionnaires - mais aussi les usagers pris pour masse de manoeuvre - comme d'éternels mineurs incapables de percevoir les enjeux de notre temps ; le seul problème serait de trouver la pédagogie qui permettrait de faire passer une réforme conçue pour eux par des responsables auto-investis du droit de savoir mieux que les autres ce qui est bon pour les services publics et leurs agents. C'est un contresens que de ne pas s'appuyer sur ce qu'ils sont dans toute leur réalité et leurs aspirations, et de rejeter dans le camp du refus ceux qui simplement veulent que la réforme ne se réduise pas à ce que d'autres ont pensé pour eux.
Pour peu que l'on en ait la volonté, sont possibles de véritables transformations qui répondent aux attentes des usagers et aux besoins de notre société : elles correspondent aux aspirations des fonctionnaires.Source http://www.parti-socialiste.fr, le 16 octobre 2007