Interview de M. André Santini, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique, sur "LCI" le 20 novembre 2007, sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires et le développement du salaire au mérite, le rachat des jours de RTT ainsi que sur la grève des fonctionnaires et des cheminots.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- A. Santini, bonjour.

Salut !

Q.- Les fonctionnaires sont en grève pour protester notamment contre la baisse de leur pouvoir d'achat : - 6 % depuis l'an 2000, d'après les calculs des syndicats. Alors, Bercy dit que ce pouvoir d'achat a augmenté de 2,4 %, rien qu'en 2007. Mais où sont les menteurs ?

R.- Il n'y a pas de menteur, ça dépend de la taille du tiers, disait Pagnol. Là, ça dépend de la façon dont on regarde l'entrée des statistiques. Alors, on ne va pas relancer la querelle avec l'Insee, mais par exemple, pour le dernier budget, il y a une augmentation de la masse salariale de 2,9 milliards d'euros. Alors, comme dit mon ami E. Woerth, le ministre du Budget, en plus, où sont-ils passés s'il n'y a pas eu augmentation ? Donc on est en train de se jeter des chiffres à la figure, et nous, au moment des conférences, des quatre conférences que nous avons déjà organisées, les 15 groupes de travail, nous disons : on doit être au moins capable de trouver des paramètres communs aux organisations syndicales et au Gouvernement.

Q.- Alors, paramètres communs, le fameux point d'indice. Vous avez fait un petit geste, 0,8 % en début de l'année, enfin, vous, le Gouvernement...

R.- Oui. Un petit geste, oui.

Q.- Ce n'est pas beaucoup, 0,8 quand on a une inflation qui est au-dessus de 1, presque à 2.

R.- Bien sûr, mais le total cumulé, vous l'avez dit, c'est 1,2 de plus. Donc, là encore il faut sortir de cette querelle, c'est misérable de se jeter de chiffres à la figure et les grandes conférences que nous avons lancées sont destinées à nous donner un élément de langage commun, dans le respect de chacun.

Q.- Ces querelles de chiffres ont valu à la table ronde du 10 octobre, de tourner court. Vous discutez, vous discutez jusqu'à quand ? Jusqu'au 3 décembre, jusqu'au 10 décembre ? Vous vous donnez tout le temps qu'il faut ? Vous pourriez allez plus loin ?

R.- Tout le temps que demanderont les organisations. C'était prévu jusqu'en fin décembre et nous avons prolongé jusqu'en avril. Mais encore une fois, nous sommes en train de refonder la Fonction publique, nous sommes en train de tout mettre sur la table. J'en ai assez, moi, des querelles sur le point d'indice. Le point d'indice, cette année, il représente 30 % de l'augmentation, avant c'était 25. Alors, les 70 %, on n'en parle pas ? C'est quand même hallucinant ce mode de calcul ! Donc, nous voulons, nous, que nous ayons tous les mêmes éléments et Page que l'on discute, à l'écoute de chacun et dans le respect de l'autre.

Q.- Est-ce que les 70 % qui restent ça doit être dévolu au mérite : on paie mieux ceux qui travaillent mieux ?

R.- C'est vers cela que nous nous orientons.

Q.- C'est votre piste principale.

R.- Oui. Par exemple la notation, depuis le décret de septembre dernier, elle peut être remplacée par une évaluation. C'est quand même beaucoup plus intelligent. On note les gens de 17,25 à 21 ou 22 ! Vous vous rendez compte, c'est lamentable. Pour vous faire plaisir, le normalien que vous êtes pourra se faire communiquer les sujets des concours. C'est extraordinaire. Vous vous rappelez que le président de la République, une de ses secrétaires, cadre C, a, dans un concours, eu la question : « Qui est l'auteur de la Princesse de Clèves ? » Vous êtes peut-être le seul Français capable de répondre à cette question. Eh bien j'ai d'autres sujets à vous donner, c'est croquignolet, c'est humiliant pour tous les petits fonctionnaires. Donc, qu'on ne nous dise pas que l'on est en train de toucher à des vaches sacrées, on est en train de remettre les choses normalement sur la table.

Q.- Alors, changer les sujets de concours, c'est bien, mais enfin, c'est mieux de mettre un peu d'argent dans la poche des fonctionnaires.

R.- On va essayer !

Q.- Vous avez racheté quatre jours de RTT.

R.- Oui.

Q.- Quand est-ce que vous les payez ?

R.- Mais ils vont être payés immédiatement !

Q.- Est-ce que vous continuez dans cette voie ? Est-ce qu'on pourra en racheter beaucoup plus ?

R.- Normalement, c'était jusqu'au 30 novembre. On va prolonger, parce que le succès est quand même au rendez-vous. Nous l'avons également demandé pour les collectivités locales, ne l'oubliez pas. Il y avait des milliers d'heures supplémentaires non payées. Nous avons commencé à les payer en décidant : on va payer un tiers par exemple pour la fonction hospitalière. On nous le reproche, parce qu'on ne fait pas assez. C'est évident qu'on ne fait pas assez. Nous avons des dossiers qui traînent depuis 25 et 30 ans. On ne peut pas tout régler en 24 heures. Voilà.

Q.- Il se dit que le président de la République pourrait annoncer, pour tous les Français, notamment pour les fonctionnaires, l'instauration d'un 13ème mois, qui serait sans charges sociales. C'est une bonne idée ?

R.- Si le président de la République le décide, et avec les moyens, c'est une très bonne idée. Mais je note qu'on parle de tous les Français, pas seulement des fonctionnaires.

Q.- Est-ce que la fusion du conflit des cheminots et du conflit des fonctionnaires, aujourd'hui, vous l'avez traité de « pollution néfaste aux fonctionnaires », est-ce que ce n'est pas le signe, quand même, d'un embrasement généralisé ?

R.- Pas du tout. Les fonctionnaires avaient décidé cette journée d'action, qui est devenue plutôt une journée de grève, il y a un mois, au moment du vote du budget de la Fonction publique. Cela n'avait donc rien à voir avec la grève pour la défense des régimes spéciaux qui n'était même pas annoncée. Et j'ai noté avec intérêt que les syndicats de fonctionnaires n'étaient pas très favorables, à part quelques-uns, à la pollution d'un conflit social, celui des fonctionnaires, qui porte sur les effectifs et sur le pouvoir d'achat, par la défense des régimes spéciaux, puisque les fonctionnaires ne bénéficient pas de régimes spéciaux depuis 2003.

Q.- Tout de même, on a les Facs, on a maintenant les lycéens, on a les cheminots, on a les fonctionnaires, on aura bientôt les magistrats. Ça ressemble tout doucement à une protestation généralisée.

R.- Avec des revendications extrêmement ciblées. Par exemple, dans les facultés, tout le monde sait que c'est l'élément trotskiste habituel qui est parti en l'action, ça n'a rien à voir avec la loi que tout le monde approuve. Les magistrats, c'est un problème de pédagogie, d'explications, ça n'a rien à voir avec le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Ne mélangeons pas tout. Hier, j'entendais sur une radio qu'on était en train de créer un saladier. Très bien. Ne créons pas de saladier, monsieur Barbier.

Q.- 53 % des Français, selon l'institut CSA, soutiennent cette grève des fonctionnaires, alors qu'ils ne soutiennent pas celle des cheminots. Est-ce que ce n'est pas le signe que sur le pouvoir d'achat, toute la population, privé compris, est en attente, est presque déjà en colère ?

R.- C'est vrai. La notion de pouvoir d'achat, qui inquiète les fonctionnaires, c'est la même que celle qui inquiète tous les Français. Ça n'est pas un cas spécial. C'est pour ça que nous disons : ça n'est pas une grève politique, c'est une grève sociale que nous devons traiter en tant que telle. Mais, dans la Fonction publique - les Français sont satisfaits de la Fonction publique - mais disent en même temps qu'il faut la moderniser et les fonctionnaires eux-mêmes reconnaissent qu'il faut moderniser la Fonction publique. Donc on est vraiment dans une phase extrêmement intéressante de dialogue constructif.

Q.- Pour la moderniser, est-ce que vous continuerez à supprimer des postes sur le budget 2009 comme vous l'avez fait en 2008 ? Est-ce que vous essayerez de tendre vers l'objectif annoncé dans la campagne : un sur deux partant à la retraite n'est pas remplacé ?

R.- Absolument, c'est un engagement du président de la République. Les Français ont tranché, 53 % ont dit : « vous avez proposé ça, je souscris et j'approuve ». 85 % des Français se sont exprimés, c'est donc largement un programme. Enfin, quand nous aurons appliqué strictement cette règle, nous serons revenus aux effectifs de la Fonction publique de 92. Est-ce qu'à ce moment là, sous monsieur Mitterrand, la France était mal gouvernée ?

Q.- C'est l'Education nationale qui va payer le plus lourd tribut ? Forcément.

R.- C'est l'Education nationale qui représente évidemment la moitié des effectifs, donc elle est concernée. Mais là, pour l'instant - X. Darcos a défendu, évidemment, son ministère, avec beaucoup de talent - c'est 1 %. Un organisme qui n'est pas capable de supporter la réduction de - 1 %, ce n'est quand même pas un organisme très adapté.

Q.- Est-ce qu'aux enseignants, il faudra demander aussi un service minimum, au moins, pour accueillir les enfants les jours de grève ?

R.- Nous n'en sommes pas là et ce sera une décision prise au niveau du ministère.

Q.- Que répondez-vous à F. Chérèque qui dit que l'actuel conflit des cheminots est coproduit par la CGT et par le Gouvernement ?

R.- Là, je... Côté Gouvernement, je ne vois pas où est la coproduction.

Q.- Ah ben ça permet de mettre l'opinion un peu du côté du Gouvernement contre les « privilégiés ».

R.- Mais je crois que depuis le début, les syndicats savaient que la grève serait impopulaire. C'est quand même eux qui ont déclenché le mouvement, ce n'est pas le Gouvernement qui a dit « allons-y, faites grève pour nous faire plaisir ».

Q.- La SNCF propose 90 millions d'euros pendant 15 ans, chaque année, 90 millions d'euros, pour racheter ces régimes spéciaux. On n'a pas donné ça aux salariés du privé en 2003. C'est un peu cher, non ?

R.- J'en parlerai à mon collègue ministre.

Q.- Vous n'avez pas l'impression que de toute façon les cheminots ont déjà gagné : ce qu'ils n'obtiendront pas, parce que la réforme se fera, ils l'obtiendront par des indemnisations ?

R.- Le président de la République interviendra le moment venu pour arbitrer. Pour l'instant, je crois qu'il observe et il observe que les Français souffrent de la grève et que même pour les fonctionnaires où on aurait peut-être pu trouver d'autres formes d'actions que la grève, pour se rajouter à d'autres mouvements, et à ce moment là je crois que l'on engagera l'avenir de la France. C'est peut-être la dernière grève que nous avons dans notre pays aujourd'hui.

Q.- Demandez-vous au président de la République, cet après-midi, au Congrès des maires, de parler sur la grève, de parler sur cette mobilisation ?

R.- Je n'ai rien à demander au président de la République. J'applique ses instructions.

Q.- Et si la grève continue au-delà de mercredi, est-ce que vous souhaitez qu'il y ait un peu la manière forte qui soit employée pour faire redémarrer les transports ?

R.- Je ne souhaite rien du tout, je suis là pour exécuter un politique que j'ai approuvée et je fais confiance au Président et au Premier ministre.

Q.- Le congrès des maires se réunit donc aujourd'hui. Vous avez été désigné par l'UMP pour être candidat à Issy-les-Moulineaux, pendre votre propre succession, mais on dit que vous pourriez passer la main, que vous êtes un peu fatigué de ce mandat là. Est-ce que c'est vrai ?

R.- Premièrement, ça fait 27 ans que je suis maire et la ville a beaucoup changé, donc on reconnaît que c'est un succès. Le long de la Seine, vous le voyez actuellement, se construire des tours de très haute qualité environnementale, qui représentent 25.000 emplois nouveaux.

Q.- Il est temps de passer la main à quelqu'un de plus jeune qui continuera cet effort ?

R.- Je ne sais pas. Je ne sais pas s'il faut être plus jeune pour gouverner, parce que c'est très difficile pour attirer les grandes entreprises, susciter la confiance des grands PDG. Ce n'est pas évident. Mais comme j'ai eu un problème de santé, je vais passer le grand carénage en janvier et je saurai à ce moment là si je suis capable de gouverner encore et d'animer une ville difficile mais tonique.

Q.- Dernier mot : il y a un fonctionnaire qui a multiplié par trois son salaire, c'est le président de la République. Est-ce que ce n'était pas un moment très importun pour faire cette réforme ?

R.- Ecoutez, le président de la République était moins payé que le Premier ministre, il n'avait pas de retraite, comme d'autres, et maintenant il est à peu près à hauteur des autres chefs d'Etat. Ne soyons pas, quand même, misérabilistes.

Q.- On aurait peut-être pu attendre 2012 ou attendre qu'il y ait 3 % de croissance.

R.- Je ne sais pas. Il aurait fallu le faire, c'est toujours trop tard, ce n'est jamais le bon moment, vous le savez bien, pour réformer, pour augmenter.

Q.- A. Santini, merci, bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 novembre 2007