Déclaration de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la solidarité, sur les orientations du plan pour lutter contre les violences envers les femmes, à Paris le 21 novembre 2007.

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Circonstance : Lancement d'un nouveau plan triennal et global contre les violences faites aux femmes, à Paris le 21 novembre 2007

Texte intégral


Votre présence ici, malgré les grèves, témoigne de votre intérêt pour une cause sensible, tragique et en réalité insupportable pour un pays comme le nôtre, emblématique des droits de l'homme et de valeurs républicaines fondées sur le respect de l'autre.
Je vous remercie donc d'être là et je tenais à partager avec vous ma profonde indignation devant le constat effrayant du phénomène des violences faites aux femmes. Je fais aussi appel à votre capacité d'imagination en vous laissant vous mettre à la place des femmes concernées.
Indignation face à des chiffres consternants
* 137 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2006 soit en moyenne, une tous les 3 jours.
* 330 000 femmes déclarent vivre avec un conjoint qui a porté la main sur elles au cours des années 2005 et 2006, selon les chiffres de la délégation aux victimes du Ministère de l'Intérieur.
* Seulement 8,8 % des victimes ayant subi des violences intra familiales ont déposé plainte et 84 % de ces actes n'ont fait l'objet d'aucun signalement à la police ou à la gendarmerie.
Capacité d'imagination pour vous mettre à la place de ces femmes et pour imaginer les efforts que cela représente de briser la loi du silence.
* Malgré les avancées du plan 1 (2005-2007) l'écrasante majorité des femmes victimes de violence se condamnent au silence. Pourquoi ? Parce que parler relève du parcours du combattant.
* Obtenir le témoignage écrit d'un proche est rare car le document doit être daté, signé et accompagné d'une copie de la pièce d'identité du témoin.
* Téléphoner au 3919 ou à une association suppose courage et capacité à le faire sans être menacé davantage. Le 3919, numéro d'appel national unique, a été mis en place le 14 mars 2007. Il a reçu 56 000 appels depuis son ouverture. De même, nous avons avancé sur la formation des professionnels grâce à la formation généralisée des personnels de santé, à une formation spécifique des agents chargés de l'accueil dans les commissariats de police ainsi que celle des personnels de la gendarmerie nationale. Depuis 2005, un officier « correspondant départemental de lutte contre les violences intrafamiliales » est désigné dans chaque groupement de gendarmerie. 150 permanences d'associations d'aides aux victimes, d'intervenants sociaux ou de psychologues ont été installés dans les services de police ou de gendarmerie.
Quel est le dispositif juridique dont ces femmes disposent ?
Trois lois décisives ont été portées entre 2005 et 2007 par le ministère de la Justice et celui de la Parité. D'importantes dispositions ont renforcé la protection des victimes ; je citerai pour mémoire l'éviction du conjoint violent du domicile du couple, la reconnaissance du viol entre époux, ou encore l'élargissement du champ d'application de la circonstance aggravante aux auteurs pacsés et aux ex conjoints pour les meurtres, viols et agressions sexuelles.
-Comment la justice peut elle concrètement accompagner les femmes victimes ?
Les femmes peuvent dénoncer les faits ou déclarer les violences subies au commissariat (main courante) ou à la gendarmerie (procès-verbal de renseignements judiciaires).
Elles peuvent aussi porter plainte pour que des poursuites soient engagées : cela suppose que la victime a des solutions de repli notamment en terme d'hébergement.
L'enquête de l'Observatoire National de la Délinquance précise que le taux de plainte pour les violences intra ménage s'élève à 8,8 % seulement alors que de manière générale, le taux de plainte pour violences hors ménage se situe à 28,8 %. C'est-à-dire que 84 % des victimes de violences intra ménage ne font aucun signalement à la police ou la gendarmerie que ce soit sous forme de dépôt de plainte ou de main courante.
Quelles sont les avancées du nouveau plan ?
Je précise que nous souhaitons traiter les violences faites aux femmes dans notre pays, les violences conjugales principalement mais aussi les violences commises sur les lieux de travail ou encore dans les établissements scolaires. Vu son objet, ce plan est naturellement transversal et concerne donc de nombreux départements ministériels. Je tiens à remercier sincèrement tous ceux de mes collègues qui ont contribué à son élaboration. Je propose donc quatre grandes orientations :
Avant de vous présenter les principales orientations du plan, je voudrais tout d'abord vous préciser que j'ai souhaité éviter un affichage de mesures spectaculaires qui ne seraient pas concrétisées sur le terrain.
C'est un plan de mobilisation ;
* mobilisation des moyens physiques existants en termes d'hébergement : 40 000 places en CHRS ou en maisons-relais auxquelles s'ajouteront 3 000 nouvelles places en CHRS en 2008 ;
* mobilisation des moyens humains déjà disponibles dans les associations, les administrations, et mise en place de moyens nouveaux en renforçant le 3919 et en créant des référents locaux.
C'est un plan de sensibilisation :
* sensibilisation du grand public par une campagne de communication de grande ampleur renouvelée pendant 3 ans ;
* sensibilisation des médias, du monde de la publicité sur le respect de l'image de la femme ;
C'est un plan de protection :
* protection des femmes victimes en leur assurant une prise en charge globale par un référent unique ;
* protection aussi en leur donnant les garanties de sécurité pour les aider à franchir le cap du dépôt de plainte ou de l'appel à un soutien extérieur, quelle que soit la violence subie et le lieu où elle a été commise.
Première orientation : mesurer.
Nous cernons mal le phénomène auquel nous avons à faire face. Pour être plus performant, il est impératif de disposer de données précises.
Pour ce faire nous devons recenser et harmoniser toutes les données qui sont collectées par les différents départements ministériels.
De là, je prévois la réalisation de travaux de recherche permettant d'identifier précisément les motifs et les circonstances des décès liés aux violences au sein du couple. Cette recherche reposera sur une analyse des procédures judiciaires conduites par les services de police et de gendarmerie.
Deuxième orientation, prévenir.
A mes yeux, la meilleure prévention consiste à sensibiliser l'ensemble de la population à la gravité de ce phénomène. Briser la loi du silence est le seul moyen d'aider les femmes à se défendre et à leur permettre de sortir de l'engrenage de la peur. Je mettrai ici l'accent sur trois actions programmées dans ce but.
* agir sur l'image de la femme. Dans une société où le visuel prédomine, certaines images et certains messages stéréotypés mettent en cause de manière humiliante ou dégradante les femmes. Il faut réfléchir en partenariat avec les professionnels de la publicité et plus largement du monde audiovisuel à une communication respectueuse des femmes. Une charte déontologique constituera la première pierre de cette nouvelle politique publique destinée à protéger l'image des femmes.
* l'éducation. Le ministère de l'éducation nationale recensera les violences subies par les filles dans les établissements scolaires. Sur cette base, un plan de prévention de la violence comportant un volet spécifique de prévention des violences envers les jeunes filles sera préparé dans les établissements concernés.
* une campagne de communication sera lancée pour accompagner la mise en oeuvre des mesures de ce second plan national dès 2008.
Troisième orientation, coordonner.
Des acteurs très divers contribuent à aider les femmes dans leur parcours vers l'autonomie. Leur coordination est indispensable. C'est pourquoi je propose d'abord la création d'un référent local qui sera l'interlocuteur de proximité des femmes concernées. Ce n'est pas aux femmes victimes d'avoir, en plus de la souffrance et de la culpabilité, à faire le tour de tous les interlocuteurs susceptibles de les aider. Mon objectif est qu'à l'échéance du plan, le territoire soit maillé très étroitement pour apporter une réponse personnalisée à chaque victime.
Quatrième orientation, enfin : protéger les femmes victimes pour leur donner les moyens de sortir immédiatement et durablement de la situation dans laquelle elles vivent. Parmi les mesures que j'ai retenues, je voudrais en mettre en évidence deux :
Premièrement, nous allons expérimenter un nouveau modèle de réponse à l'hébergement des femmes victimes en donnant un agrément départemental à 100 familles d'accueil. Cela nous permettra de juger si l'accueil dans un cadre familial peut répondre au besoin de sécurité, d'isolement et de reconstruction personnelle de certaines femmes.
Deuxièmement, il faut continuer à avancer en matière de justice. En lien avec le Garde des sceaux, diverses pistes d'amélioration seront examinées ou recherchées. Elles porteront en particulier sur l'articulation entre le civil et le pénal, l'introduction éventuelle d'une définition des violences psychologiques dans le code pénal, la recherche de solutions adaptées et équilibrées entre la protection des victimes et de leurs enfants, les droits du parent accusé faussement et la nécessité de l'action publique.
Mais outre les femmes, il est aussi essentiel de protéger les enfants qui sont aussi les victimes indirectes de ces situations. Les violences conjugales auxquelles ils assistent peuvent laisser des traces profondes et durables. A nous de leur venir en aide. Dès janvier 2008, nous diffuserons des recommandations en ce sens aux pouvoirs publics et aux professionnels.
CONCLUSION
Proposer à toutes les femmes victimes de violence de sortir de la spirale de la peur, de reconquérir leur dignité et de revenir à une vie normale. Proposer à ces femmes les aides et la protection que la société se doit de leur apporter. Le Président de la République l'a rappelé pendant la campagne : cette situation est indigne de l'idée qu'un citoyen peut se faire d'un pays moderne. La journée du 25 novembre est dédiée à la lutte internationale contre les violences faites aux femmes. La France ne peut pas rester indifférente. Elle a le devoir de s'investir dans cette cause juste.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 22 novembre 2007