Interview de M. Raymond Forni, président de l'Assemblée nationale, à RMC le 31 janvier 2001, sur les statistiques de la criminalité et de délinquance en 2000, le calendrier des élections présidentielle et législative pour 2002 et la réforme de l'ordonnance de 1959 sur le débat budgétaire.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle Votre franc-parler nous sera utile ce matin pour essayer d'y voir plus clair sur les sujets du jour. Je commencerai par la sécurité - ou l'insécurité. Les chiffres qui seront annoncés vendredi sont très mauvais : + 15 % en un an pour les vols armés ; + 15 % pour les vols avec violence ; + 20 % pour la délinquance financière. Tout cela en un an ! Est-ce que le loi de sécurité quotidienne, qui a été annoncée hier par le Gouvernement, vous paraît de nature à répondre aux besoins ?
- "Oui. Je ne pense pas qu'on puisse répondre à ces phénomènes, qui sont effectivement graves, par une réaction au coup par coup, en fonction des zones dans lesquelles se produisent ces actes de violence. C'est un projet qu'il faut avoir, et le Premier ministre, en annonçant hier tout un dispositif - création de 1000 emplois d'agents supplémentaires, 5000 emplois-jeunes...."
Cela ne va pas changer les choses.
- "Sauf quand même que c'est un travail de très longue haleine. Il y a une désespérance qui s'est installée dans un certain nombre de quartiers, qui est inacceptable quand elle se traduit par des actes de violence comme ceux que nous avons vécus au cours de ces derniers jours. Il faut redonner espoir à ces quartiers et aux jeunes qui y habitent. C'est toute l'action du Gouvernement qui finalement vise cet objectif."
On sait bien que tout cela prend du temps. Mais est-ce qu'il n'y a pas des moments où il faut marquer une nette volonté de changer de méthode pour que les résultats soient à la clé un jour ?
- "Oui, il ne faut pas seulement se laisser aller à répondre aux provocations de ceux qui, de manière politicienne, utilisent le thème de la violence dans le cadre de campagnes électorales."
Vous trouvez que l'opposition s'est mal conduite ?
- "Très franchement, je trouve qu'elle se conduit mal. La sécurité, ce n'est pas un problème qui est né en 1997. C'est un problème qui est né au moment où l'absurdité de l'urbanisme a fait que l'on a entassé dans un certain nombre de quartiers des gens dans des conditions tout à fait inacceptables. A partir du moment où c'est un phénomène qui dure depuis déjà une ou deux décennies - ce n'est pas encore une fois le fait d'événements qui remontent à quelques mois -, il faut se garder d'attiser le feu. Je trouve qu'il y a une certaine irresponsabilité dans la période actuelle. Compte tenu de ces difficultés qui sont bien entendu ponctuelles mais qui émeuvent à juste titre l'opinion publique, il faut se garder d'attiser le feu. Il y a ceux qui parlent, à la manière de ceux qui sont appuyés à un comptoir de bistrot, puis il y a ceux qui agissent."
Qui agissent sans résultat !
- "Encore une fois, entre la décision et le résultat, il y a évidemment un décalage. De ce point de vue, il me semble que l'axe qui a été choisi par le Gouvernement pour répondre à ces problèmes d'insécurité mais aussi le travail de fond qui est accompli - le problème du chômage, pardonnez-moi, c'est le problème de fond..."
D'accord, le chômage diminue mais la courbe de la violence continue d'augmenter ?
- "Oui, parce que je crois qu'il y a un phénomène retard, c'est-à-dire qu'entre les deux courbes, il n'y a pas forcément coïncidence. On verra sans doute que la lutte contre le chômage, les 420 000 emplois créés l'an dernier, permettent justement à terme de répondre à ces problèmes de violence. Il y a d'autres préoccupations, bien entendu, qui doivent être présentes à nos esprits. Il y a notamment le comportement des familles. Il y a aussi une certaine remise en cause de notre système éducatif. Il y a aussi le problème de la justice et de la réaction qui est la sienne. Je suis quand même assez surpris de voir que sur 300 jeunes, une trentaine sont arrêtés, un seul est retenu par l'autorité judiciaire. Ce n'est évidemment pas le Gouvernement qui donne des instructions en ce sens."
Est-ce qu'au lieu de faire une nouvelle loi, on ne ferait pas mieux de commencer par appliquer les anciennes ?
- "Je crois qu'il faut répondre par la fermeté à des actes de violence de ce genre, c'est tout à fait clair. Encore une fois, je repose le problème que je viens d'évoquer : 30 arrestations, un seul traduit devant l'autorité judiciaire, qui est responsable de cela ? Ce n'est évidemment pas le Gouvernement. Des instructions n'ont pas été données pour relâcher ce petit monde. Je m'interroge donc pour savoir s'il n'y a pas une faiblesse, un point faible qui mériterait sans doute un peu plus d'attention de notre part."
Une bataille de lenteur a été engagée par le Sénat pour empêcher l'adoption définitive du calendrier prévoyant que le Président de la République soit élu avant les députés en 2002. Cette bataille a été gagnante et le Gouvernement a perdu du temps ?
- "Le Gouvernement n'a pas perdu..."
Si, parce qu'il avait annoncé à plusieurs reprises sa volonté de faire passer le texte avant le 8 février !
- "Pardonnez-moi de le dire, mais là encore, ce n'est pas l'affaire du Gouvernement, de la majorité ou de l'opposition. Il y a des institutions ; elles doivent être respectées. Un homme est chargé de les faire respecter, c'est le Président de la République. On peut donc, dans une certaine mesure, s'étonner que le principal défenseur des institutions de 1958, de la Vème République, qui a une connotation gaulliste comme chacun sait, soit réticent à rétablir un calendrier dans son ordre normal, avec d'abord une élection présidentielle qui procède de tout..."
Il n'a pas caché - il l'a dit la télévision - que ce n'était pas une bonne idée.
- "Certes, ce n'est sans doute pas une bonne idée conjoncturellement mais sur le fond, cela me parait être le respect pur et simple de la Constitution de 1958. Le Sénat a donc engagé une opération escargot ; nous verrons dans les semaines qui viennent."
Est-ce que cela ne risque pas de remettre en cause le principe du changement de calendrier ? Est-ce que, politiquement, il sera encore possible après le 28 mars d'obtenir des votes favorables au changement de calendrier ?
- "Ce que retiennent les Français, c'est le vote qui a eu lieu il y a quelques semaines à l'Assemblée nationale : 300 voix en faveur du rétablissement du calendrier dans son ordre normal. C'est le chiffre qui a sans doute conduit l'opinion publique à considérer que cette page était tournée et que le calendrier était rétabli dans son ordre normal. Nous nous accommoderons des péripéties parlementaires."
Pour vous il n'y a pas de doute, ça passera ?
- "Il n'y a pas de doute. Il faut effectivement aller jusqu'au bout, ne serait-ce que par respect pour les institutions de la République. On ne peut pas impunément jouer avec la Constitution de la France, cela me paraît tout à fait insupportable."
Vous êtes ambitieux : vous voulez permettre aux députés de se retrouver dans les comptes publics qui sont la chose la plus opaque au monde. Pensez-vous qu'il y avait une intention dans le fait que les députés ne puissent pas avoir le contrôle des comptes publics, qu'on ne puisse pas savoir en France combien coûte un projet, combien il y a de fonctionnaires... ?
- Si on fait un peu d'histoire, il suffit de se rappeler que la Constitution de 1958 a été suivie par une ordonnance un an plus tard, en 1959, qui ne visait ni plus ni moins qu'à écarter le Parlement du débat budgétaire. Cela a duré pendant 40 ans. Nous nous en sommes accommodés..."
Le budget, ce sont les impôts que paient les Français, ce n'est pas rien !
- "Bien sûr. L'absence de lisibilité du budget, l'absence de possibilités d'intervention dans les masses considérables qui représentent effectivement l'argent des impôts et les dépenses de l'Etat, ont fait que pendant 40 ans notre influence sur le budget a été quasiment nulle. Il y a eu 35 tentatives pour essayer de modifier cet état de fait."
Cette fois sera la bonne ?
- "Je ne sais pas si ce sera la bonne mais en tout cas, je m'y serai complètement impliqué. Jusqu'à présent, je reste d'un optimisme modéré."
C'est pour quand ?
-"Normalement pour la semaine prochaine, en débat public. Nous verrons quel sera le comportement des uns et des autres et si les bonnes intentions se traduiront par un vote positif."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1 février 2001)