Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, à France Inter le 2 janvier 2008, sur la durée légale du travail, les projets d'allongement de la durée des cotisations de retraite, la représentativité et le financement des syndicats.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- J.-C. Mailly, bonjour et bonne année.
 
R.- Merci, vous aussi.
 
Q.- Est-ce que 2008 sera l'année où disparaîtra en France la durée légale du travail ?
 
R.- C'est un risque si on écoute le Gouvernement, puisque le Gouvernement veut remettre en cause, sans le dire, la durée légale du travail en permettant des négociations entreprise par entreprise. Cela veut dire des durées du travail qui pourraient être différentes d'une entreprise à une autre, et un calcul des heures supplémentaires différent également ; et puis, également il voudrait favoriser le gré à gré : cela veut dire la relation directe entre l'employeur et le salarié, ce qui bien entendu n'est pas acceptable !
 
Q.- C'est une probabilité sérieuse d'après-vous ou juste un chiffon rouge, histoire de tendre un peu la négociation sociale ?
 
R.- On verra. En tout les cas, c'est...
 
Q.- Et votre sentiment ?
 
R.- Je pense qu'il a la volonté de le faire. Du côté des pouvoirs publics, cela fait deux ou trois fois qu'ils le laissent entendre, assez clairement dans la lettre que nous avons reçue du Premier ministre la semaine dernière. Donc, ils veulent qu'on négocie là-dessus, mais ce n'est pas un objet de négociation. Donc cela veut dire qu'ils font un peu "essayer de négocier, vous ne voulez pas ; ce n'est pas grave on va le faire par la loi". Donc, il y a une volonté de le faire. Est-ce que si l'ensemble des syndicats - ce qui est apparemment le cas - sont contre ce dispositif, ils y renonceront, en tout cas je le souhaite ?
 
Q.- Front uni à priori d'après vous, c'est un souhait sur le sujet ?
 
R.- Cela a été très brièvement abordé lors de la conférence du 19 décembre, pas dans le détail, mais très brièvement abordé. Et l'ensemble des organisations syndicales a réaffirmé son attachement à l'existence de la durée légale du travail.
 
Q.- Vous vous êtes concertés tous ensemble sur le sujet ?
 
R.- Non. Cela a été une réaction, un réflexe de chacune des organisations. Parce qu'on mesure bien les dangers de remettre en cause la durée légale du travail. C'est le déclenchement des heures supplémentaires, c'est une absence d'un minimum de solidarité et de régulation au niveau social également. Donc, il y a eu un réflexe unanime des organisations syndicales ; sauf du patronat, bien entendu, qui demande ce type de dispositif.
 
Q.- Mais en même temps cet hyper individualisation des conditions de travail n'est-elle pas une réalité incontournable du marché du travail précisément ?
 
R.- Il y a une individualisation qui n'est pas le fait des ...
 
Q.- On l'entendait avec K. Loach tout à l'heure dans le journal !
 
R.- Tout à fait. Je rappelle quand même qu'il y a 87 % des contrats de travail dans le secteur privé, qui sont encore et tant mieux des contrats à durée indéterminée. Cela veut dire que les contrats précaires représentent la différence. Ceci étant, il y a un vrai problème. Et c'est évident, c'est que les nouveaux contrats proposés sont bien souvent des contrats précaires. Ce ne sont pas les gens qui sont plus individualistes, ce sont les conditions qu'on leur fait, qui font qu'ils ont tendance à se replier un peu sur eux même. Quand vous êtes en situation de précarité, ce n'est pas aussi facile que cela de faire grève par exemple !
 
Q.- Quand le Gouvernement dit, "entendez vous sur le sujet ou de toute façon nous passerons par la loi", quelle mobilisation éventuelle envisagez-vous sur le sujet ?
 
R.- On n'en n'est pas là encore aujourd'hui, puisque pour le moment, comme vous le disiez vous-même : est-ce un ballon d'essai ou une vraie volonté de la faire ? Ce sera au deuxième trimestre. Vous remarquez, d'ailleurs, qu'il y a beaucoup de choses qui sont renvoyées après les municipales. Je pense quel e deuxième trimestre va être un trimestre hard d'une certaine manière, puisque s'il y a ce dossier à l'ordre du jour, il y a aussi le dossier des retraites, où le Gouvernement a également fait un rapport le 31 décembre. Donc, il va avoir toute une série de sujets qui seront conflictuels par définition. Ou le Gouvernement révise sa position ou on ne peut rien exclure effectivement.
 
Q.- Il y a un autre sujet qui est conflictuel, c'est celui des retraites s'appuyant sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites. Le Gouvernement dit vouloir passer à terme à 41,5 années de cotisation pour une retraite à taux plein. Là aussi refus de FO ?
 
R.- Ah oui ! Bien entendu, bien entendu ! Il y a un rapport du Conseil d'orientation des retraites qui donne son point de vue. Nous sommes dans le COR ; mais nous ne votons pas les rapports en questions.
 
Q.- Oui, les syndicats, les partenaires sociaux sont au Conseil d'orientation des retraites !
 
R.- Oui, mais ce n'est pas un diagnostic partagé ! Cela n'existe pas les diagnostics partagés d'ailleurs, sauf si on veut embringuer tout le monde dans un truc qu'on condamne. Mais le rapport du COR, sur des bases économiques qui sont les siennes, reprend les arguments de la loi dite Fillon de 2003 - je vous rappelle que c'était Monsieur Fillon qui était chargé des retraites en 2003. Et sur ses bases dit," bah oui", il l'intègre comme si c'était naturel, 40 ans en 2012, 41,5 en 2020. Non, nous ne sommes pas d'accord ! Nous demandons, nous, et nous demanderons le blocage des compteurs à quarante. Et nous voulons reposer le problème des retraites globalement. C'est bien gentil de dire, "il n'y a pu d'argent", sauf que quand on regarde bien par exemple sur le répartition des richesses - c'est un chiffre de l'Union européenne, on ne va pas le contester -, entre 1983 et 2006, il y a eu en Europe 8,7 % de plus au profit et en moins aux salaires. Et en France c'est 9,3 %. C'est encore plus en France ! Si on prend juste la différence entre la France et l'Europe, cela fait 0.7 de PIB. Cela fait que chaque année, il y aurait plus de douze milliards en plus aux salaires en France, rien que sur la différence ! Donc, il faut regardez ce genre de choses ! C'est bien gentil de dire,"on ne peut pas payer" ; quand il n'y a pas de rupture sur le plan économique. C'est vrai que cela ne facilite pas les choses !
 
Q.- Vous en appelez à une autre politique économique plutôt qu'à un allongement des cotisations de retraite ?
 
R.- Bien sûr !
 
Q.- Mais comment la décrire cette politique économique ?
 
R.- Cette politique économique, elle doit à la fois prendre des dispositifs au niveau national, et aussi, au niveau européen et international. Au niveau européen on le voit bien, j'entendais tout à l'heure sur votre antenne l'ancien gouverneur de la Banque de France Monsieur Delarosière expliquait qu'il fallait une forme de régulation au niveau européen, une coordination des politiques économiques. Cela n'existe pas par exemple aujourd'hui cette coordination. On a une monnaie unique, sans coordination des politiques économiques. Et au niveau national plutôt que de prendre des dispositions qui visent à réduire les impôts des plus riches ou à prendre des dispositions de type "paquet fiscal", dont tout le monde constate que le choc annoncé n'a pas eu lieu sur le plan économique, - on dépense plus pour gagner moins ensuite - donc il y a des dispositions à prendre en matières d'innovation, en matière de recherche, en matière de certaines dépenses publiques, pas toutes mais certaines dépenses publiques qui doivent être prises. Cela suppose un changement d'orientation de politique économique. En matière de politique économique, il n'y a as de grands changements depuis des années et des années. Si ce débat là n'a pas lieu, - cela fait un moment qu'on le réclame à FO - bien on va encore nous dire d'ici quelques mois : "bah oui, c'est comme cela, on ne peut pas faire autrement". Non, on peut toujours faire autrement, mais encore faut-il en débattre !
 
Q.- Sur l'agenda 2008, il y a également ce serpent de mer de la représentativité des syndicats et de leur financement. Quelle est la position de FO dans cette négociation qui va démarrer ?
 
R.- La négociation démarre le 24 janvier. La position de FO, c'est de trouver un système qui mesure... ce n'est pas simplement des élections d'ailleurs, il faut trouver plusieurs critères pour mesurer la représentativité des organisations syndicales. C'est un premier élément. Donc, on va débattre dans la négociation de ce type de chose. Il y aura également dans la négociation la question du financement, pas sur tous les points, puisque certains éléments, le financement publique ce n'est pas avec le patronat que cela se discute, c'est avec le Gouvernement. Donc, on est prêt bien entendu à avancer sur ce genre de questions. Maintenant, on parle toujours de la représentativité des organisations de salariés, n'oublions pas aussi qu'il y a la question de la représentativité des organisations patronales. On n'en parle jamais, mais c'est aussi un problème. Donc, il faudra regarder comment on peut mesurer aussi la représentativité des organisations patronales.
 
Q.- Comment on peut mesurer aussi la clarté des comptes des syndicats ? Cela, c'est pour 2008, le passage aux normes comptables modernes. ?
 
R.- Tout le monde l'a dit, et FO également que la certification des comptes, on est prêts à la faire. Ce n'est pas un problème de fond ! Tout le monde a accepté ce principe là. Il faudra qu'on regarde concrètement comment on peut faire. Mais tout le monde a accepté et accepter ce principe.
 
Q.- N. Sarkozy est-il brutal dans la négociation sociale ? Il s'en est défendu lors de ses voeux aux Français.
 
R.- Non. Je ne dirais pas brutal. D'abord, on ne négocie pas avec lui. L'autre fois, à la réunion, c'était une discussion sur le calendrier, ce n'était pas une discussion sur le fond. Non... Ce que j'espère, c'est qu'il va écouter. Si on prend l'exemple des 35 heures quand tous les syndicats disent, "on n'est pas d'accord" ; est-ce qu'il va vouloir passer en force ou faire passer en force ou pas ? Cela va être à partir de là qu'on va pouvoir juger. Sur les retraites, va-t-il continuer à dire, "41 ans ou 41,5 ans ou va-t-il accepter - ce qui était plus ou moins sous-entendu ces derniers mois ? Tout sera sur la table. Parce que si tout n'est pas sur la table, il n'y a pas de discussion possible ! Donc, on verra. Mais attention à ne pas passer en force, ce suscitera obligatoirement des réactions !
 
Q.- Après six mois de nouvelle présidence, un peu plus de six mois, dites-vous que les syndicats sont au coeur du jeu démocratique ou c'est simplement un effet d'optique ?
 
R.- Non. Ils sont au coeur du dialogue social, comme une formule un peu ambiguë, mais enfin qui veut dire que...
 
Q.- Mais on a l'impression que vous êtes sur tous les fronts et que vous êtes associés au fond à tout !
 
R.- Oui ... Mais aussi...
 
Q.- Plus que par le passé ! Mais je me trompe peut-être ?
 
R.- Je l'ai dis devant le président de la République l'autre fois : "attention aux embouteillages, vite et bien, c'est l'affaire de deux". Donc, on ne peut pas discuter de tout en même temps ; sauf à dire, on va essayer de faire passer un truc ou deux, puis le reste, tant pis ; puis on ne va pas discuter au fond. Si l'on veut travailler sérieusement, il faut se donner le temps. Le rythme social n'est pas toujours le rythme politique. Regardez sur l'avenir du travail ! Ce n'est pas un objet de discussion, mais il donne deux mois ! Comment voulez-vous sérieusement travailler en deux mois ? Cela ce n'est pas possible !
 
Q.- Le dialogue social est-il de meilleur qualité aujourd'hui ?
 
R.- Ce n'est pas parce qu'on voit régulièrement les uns et les autres, le président de la République que la situation est meilleure ! Le dialogue existe, les contacts existent. Pour autant on va bien là, sur les dossiers chauds, on est en désaccord avec les orientations qui sont données. Donc, la quantité du dialogue, ce n'est pas obligatoirement sa qualité.
 
Q.- Où en est la négociation sur les régimes spéciaux de retraite ?
 
R.- La négociation est terminée du côté de la RATP. Elle n'est pas terminée du côté des autres entreprises. Je ne pense pas d'ailleurs, que ce qu'a annoncé le Gouvernement le 31 sur la durée de cotisation, voire ce qu'il a mis dans les projets de décret concernant les régimes spéciaux où le ministre du Travail a dit sur les antennes,"si les fonctionnaires et le privé sont à 41 ans en 2012, ils le seront aussi" ; dans le texte ce n'est pas cela ! Dans le projet de décret, c'est le passage à 41 ans ! Cela ne facilite pas les choses. C'est un peu ce que j'appelle de la provocation, ce genre de choses.
 
Q.- Que vous souhaite-t-on pour 2008 ?
 
R.- De pouvoir obtenir des garanties nouvelles pour les salariés qui en ont bien besoin.
 
Q.- Vous êtes de taille face à l'hyper Président et au rythme qu'il imprime à la négociation sociale ?
 
R.- Oui. La communication, cela ne dure qu'un temps - qu'on le veuille ou non. Et oui, nous sommes de taille. Quand on regarde ce qui se passe en France et dans les autres pays, - il n'y a pas que la France - le syndicalisme français est un syndicalisme qui résiste particulièrement
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 janvier 2008