Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord féliciter les présidents de l'Assemblée nationale, de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la Commission des Affaires étrangères pour l'organisation de ce colloque, consacré au rôle et aux moyens de la communauté internationale face aux crises.
Vous avez analysé ce matin, je crois, les nouveaux visages de la guerre ; vous traiterez demain des réformes de l'ONU.
Pour défendre la paix, suffit-il, comme le suggère le titre de ce colloque, de renforcer l'ONU ? Et si oui, de quelle manière ?
Certes, la mission première des Nations unies, ainsi que l'énonce l'article 1er de la Charte, est, je cite : "maintenir la paix et la sécurité internationales". C'est donc ce que l'ONU doit faire, est censée faire, avec ses prérogatives et avec sa légitimité qui sont uniques.
Mais chacun connaît pour autant les limites, les obstacles, parfois les échecs rencontrés par l'organisation, dans l'accomplissement de cet objectif.
Je voudrais vous livrer quelques réflexions sur le rôle de l'ONU, en partant d'une conviction simple : c'est l'ONU qui doit demeurer l'enceinte centrale de la gestion des crises internationales.
I. - Comment l'ONU peut-elle agir ?
Responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'ONU a en principe vocation et capacité à fonder des principes de règlement, à prendre des décisions, et à assumer des missions de maintien voire d'imposition de la paix.
A travers le Conseil de sécurité, l'ONU est la seule organisation internationale habilitée à prendre en matière de gestion des crises des décisions dont le respect s'impose à l'ensemble de la communauté internationale. C'est l'article 25 de la Charte.
L'ONU peut ainsi définir les paramètres du règlement d'un différend ou d'un conflit.
Dans le cas du conflit israélo-arabe et particulièrement de la question palestinienne, la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité au lendemain de la guerre des Six jours demeure encore aujourd'hui le cadre général des efforts entrepris pour parvenir à un règlement de paix.
Autre exemple, en refusant le fait accompli et en rejetant l'annexion de Timor Est en 1976, le Conseil de sécurité a jeté les fondements de l'autodétermination timoraise à laquelle les Nations unies apportent aujourd'hui encore une contribution décisive.
Au Kosovo, c'est la résolution 1244 qui a défini le cadre intérimaire dans lequel le territoire pourra bénéficier d'une autonomie substantielle.
Les Nations unies peuvent également prendre des mesures plus contraignantes.
Les "sanctions" s'inscrivent dans cette catégorie. L'ONU n'est certes pas la seule à pouvoir édicter de telles mesures. D'autres institutions - l'Union européenne par exemple - ou même les Etats individuellement peuvent avoir recours à cet instrument, dès lors que cet usage est conforme au droit international. Mais seule l'ONU peut prendre des décisions s'imposant à tous les Etats.
Enfin, toujours au titre de sa compétence normative, le Conseil de sécurité est seul habilité à autoriser le recours à la force en dehors des cas de légitime défense. Les chapitres VII et VIII de la Charte sont clairs sur ce point : aucune action coercitive ne peut être entreprise ou poursuivie par des Etats individuellement ou par des organisations régionales sans son accord. C'est ainsi que le Conseil a autorisé le recours à la force contre l'Iraq pour faire cesser l'agression contre le Koweït (résolution 678). Dans le cas du Kosovo, les membres de l'OTAN ont eu de bonnes raisons, y compris juridiques, compte tenu des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité, d'intervenir. Certes il eut été encore préférable de disposer d'une autorisation expresse du Conseil de sécurité mais il aurait été encore pire et impensable de ne pas intervenir dans la situation où nous étions parvenus alors. Cette exception n'a fait que renforcer, me semble-t-il, l'importance du principe.
L'ONU a enfin vocation à assurer des missions de maintien de la paix.
Les unes sont "classiques" :
Une opération de maintien de la paix se réalise normalement par le déploiement de casques bleus entre belligérants, avec leur consentement, dans un contexte stabilisé (cessez-le-feu ou accord préalable), pour exercer des tâches circonscrites (généralement observation et liaison entre les parties).
L'objectif, dans ce type d'opérations, est de veiller au maintien de la stabilité, pour permettre ou conforter un règlement de paix. Des succès ont été enregistrés à cet égard à Chypre (UNFICYP) et sur le Golan (FNUOD).
Plus récemment, l'ONU a apporté une contribution décisive au retrait israélien du Liban sud, grâce à son impartialité et à son expérience, qui la désignaient pour jouer ce rôle de "tiers facilitateur", dès lors que les parties partageaient une même volonté d'apaisement.
D'autres opérations de maintien de la paix, qui se sont développées depuis une décennie, sont plus complexes dans leurs objectifs et dans leur mise en oeuvre.
Il s'agit alors d'intégrer alors dans un même mandat, outre le maintien de la paix classique, un volet civil étendu et multidimensionnel (Droits de l'Homme, assistance humanitaire, police et justice, institutions, reconstruction, etc.).
De telles opérations intégrées requièrent la mobilisation de nombreux acteurs : l'ONU, ses divers organismes et agences, des Etats, des organisations régionales comme "l'Union européenne, l'OSCE, des banques régionales, etc."
Citons là aussi des succès : l'APRONUC au Cambodge, l'ONUMOZ au Mozambique, l'ATNUTO à Timor Est, la MINUK au Kosovo.
La vocation universelle de l'ONU, l'étendue et la diversité de ses instruments lui confèrent presque naturellement le rôle de chef de file de telles opérations. Qui d'autre pourrait le faire à sa place ?
Cependant, la difficulté à assumer des missions d'imposition de la paix marque les limites du rôle de l'ONU et ces difficultés seront mon second point.
II. - Bien souvent, l'ONU n'est pas capable à elle seule de promouvoir ou de rétablir la paix. Elle n'est pas en état de s'imposer comme le responsable exclusif ou même principal de la gestion d'une crise. Il y a d'ailleurs des crises que personne ne gère. Il ne faut pas raisonner uniquement en termes de gestion de crise quand on est dans des guerres sauvages et des désagrégations complètes d'Etats.
Au Proche-Orient depuis des décennies, alors que les bases juridiques d'un règlement existent sous la forme de résolutions de l'ONU que j'ai rappelées, on voit que cela ne suffit pas, naturellement, pour trouver et pour imposer la solution.
En matière d'imposition de la paix, l'ONU est souvent paralysée par l'absence de capacités propres, l'insuffisance des moyens humains et militaires mis à sa disposition et le caractère inadapté des mandats : pas d'armée, expertise militaire limitée, insuffisante capacité politique de conduire de telles opérations.
C'est particulièrement net dans les situations intermédiaires de "ni paix ni guerre ouverte", où les forces de l'ONU sont exposées à des risques élevés et où la crédibilité de l'organisation est directement atteinte. On l'a vu avec la MINUSIL en Sierra Leone et avec la MONUC en République démocratique du Congo.
Enfin, l'instrument des sanctions pêche par inefficacité : celles-ci sont trop souvent banalisées, indûment prolongées, inadaptées, voir contre-productives. Ce n'est pas toujours le cas, certes, il y a des cas où cela peut être pertinent.
III - Comment aider l'ONU à mieux exercer son rôle ?
En premier lieu, et là je rejoins, je pense, un sentiment général, en s'abstenant de confier à l'ONU des missions excessives d'imposition de la paix et de l'engager dans des contextes de conflit ouvert, sauf à prendre le risque d'échecs dramatiques (ONUSOM en Somalie, FORPRONU en Bosnie). Il ne faut plus accepter d'opérations de maintien de la paix qui sont des opérations alibi ou évidemment vouées à l'échec. Ce n'est pas la peine de décider cela pour donner l'impression d'avoir apporté une réponse politique, pour aller déplorer après hypocritement, la prétendue impuissance des Nations unies. Il faut avoir le courage, dans certains cas, de dire qu'il y a des situations, à un moment donné, qui ne sont pas maîtrisables ou pas encore maîtrisables.
L'ONU ne peut pas se substituer à une volonté défaillante des parties. Pas la peine de parler de maintien de la paix, s'il n'y a pas de paix et des parties qui ne pensent qu'à se faire la guerre, par exemple. Donc, en toutes circonstances, son implication sur le terrain doit s'accompagner d'un mandat adapté et de moyens suffisants pour accomplir ce mandat (la référence du chapitre VII, des règles d'engagement "robustes", comme on dit aujourd'hui, mais il est tout aussi important qu'elles soient assorties des moyens correspondants), et de perspectives crédibles de règlement politique.
Ensuite, il faut rechercher le partage des rôles le plus efficace entre l'ONU et d'autres partenaires.
La délégation à une autre organisation ou à plusieurs Etats qui est parfaitement légitime (elle est prévue par la Charte) et souhaitable si l'alternative consiste à ne rien faire. L'ONU n'ayant pas la responsabilité exclusive de la gestion des crises, elle délègue alors une responsabilité et avec celle-ci sa légitimité.
Ce partage passe par la délégation de l'exécution de l'action d'imposition de la paix à d'autres acteurs plus qualifiés, Etats ou coalitions d'Etats (INTERFET à Timor Est) ou alors à des organisations régionales de sécurité comme l'ECOMOG ou la CEDEAO en Afrique, et l'Union européenne demain, puisque l'Union européenne s'est dotée, ces derniers temps, de cette capacité. L'ONU doit conserver l'impulsion (l'autorisation du Conseil de Sécurité et/ou la conclusion par des résolutions de "fin de conflit", comme en Bosnie, à Timor Est, ou après la guerre du Golfe, enfin au Kosovo).
Je crois aussi qu'il faut mieux adapter l'arme des sanctions à ces objectifs :
- pour ne pas être banalisées, les sanctions ne devraient, conformément à la Charte, être envisagées qu'en réponse à une menace contre la paix et la sécurité internationales et pour la faire cesser ;
- pour ne pas être indûment prolongées, elles devraient être levées dès que le comportement qui les avait justifiées a cessé. Il faut à cet égard que le Conseil de sécurité définisse précisément ses attentes, et que la fixation d'une durée limitée lui permette d'évaluer régulièrement la situation et de lever, alléger, ou au contraire proroger par une décision délibérée les sanctions. Il ne faut pas que ce soit une mécanique aveugle, en d'autres termes ;
- enfin, pour être adaptées à leur objectif, elles devraient être proportionnées et mieux ciblées, c'est-à-dire peser au premier chef sur les responsables de la situation que l'on entend faire cesser, en limitant autant que possible les contraintes ou les souffrances des populations.
La diplomatie française, au cours de l'année écoulée, a convaincu ses partenaires au Conseil de sécurité d'adopter un principe de sanctions limitées dans le temps, impliquant donc un réexamen périodique de leur pertinence, et cela a déjà été le cas dans le conflit Ethiopie-Erythrée ou pour l'Afghanistan. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas reconduire les sanctions dans certains cas. Cela veut dire que si on le fait, il faut le faire délibérément, en connaissance de cause, après une évaluation politique.
Enfin, l'ONU doit disposer des moyens nécessaires à l'exercice de ses responsabilités en matière de maintien de la paix.
Telle est l'analyse lucide du rapport Brahimi, rapport très important, rendu public le 23 août dernier sur le maintien de la paix, qui fait le point avec une parfaite clarté sur toutes ces questions, qui préconise à la fois des mandats adaptés à la mission dévolue aux forces, et une augmentation des moyens militaires et humains mis à la disposition de l'Organisation.
C'est dans cette perspective qu'une coopération pourra être bâtie entre l'ONU et l'Union européenne dans ce domaine, au fur et à mesure que l'Union développera ses capacités propres de projection de forces. Les premiers jalons de cette coordination ont été posés au cours de la présidence française de l'Union européenne. Avec M. Solana, je m'en étais entretenu avec le Secrétaire général en septembre dernier, et celui-ci était même venu à Bruxelles pour en discuter.
IV - Mon 4ème point sera de souligner que, encore maintenant, il faut aussi conforter et maintenir la légitimité et l'efficacité du Conseil de sécurité.
Face à des situations de violations graves du droit international humanitaire qui mettent en danger la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité est fondé à agir et à utiliser tous les moyens, y compris le recours à la force, conformément au Chapitre VII de la Charte.
Il n'est plus admissible que l'invocation du caractère intérieur protégé par une conception dépassée de la souveraineté nationale condamne le Conseil à l'inaction. Mais, comme je pense que la souveraineté nationale reste l'un des principes d'organisation des relations internationales, et qu'il ne faut pas que ce type d'action ait lieu sans légitimité, je pense qu'il faut donc perfectionner la façon dont le Conseil de sécurité peut se saisir de ce type de situation. Donc perfectionner sa capacité plutôt que de contourner.
C'est en ayant à l'esprit de telles situations et de telles réflexions que j'ai proposé que les cinq membres permanents entament une réflexion sur la façon de définir un usage responsable du droit de veto.
La réforme des méthodes de travail du Conseil, dans le sens de l'ouverture, s'impose aussi à l'évidence.
Je pense en partie au développement de la participation des Etats non-membres aux réunions du Conseil (déjà engagé) et à l'établissement d'une concertation étroite avec les pays contributeurs de troupes, comme le souligne encore le rapport Brahimi, dans le respect des prérogatives du Conseil et de ses membres.
Enfin, la France soutient l'idée d'un élargissement du Conseil à de nouveaux membres, permanents et non permanents, afin de mieux refléter l'universalité de l'Organisation, et le monde tel qu'il est aujourd'hui, selon des modalités qui préserveront la capacité d'agir du Conseil.
En conclusion,
Je suis convaincu à la fois du rôle irremplaçable des Nations unies pour garantir le maintien de la paix et de la nécessité de mettre les Nations unies en état d'exercer au mieux cette mission première.
Ceci passe à mon sens :
- avant tout par un effort collectif de ses membres pour ajuster la politique mise en oeuvre et les actions confiées à l'ONU à la réalité des crises, en particulier d'objectifs clairs,
- par la mise en oeuvre des recommandations concrètes du rapport Brahimi,
- par la mise à disposition de l'ONU des moyens et des capacités nécessaires. Je rappelle, à nouveau, que l'Union européenne s'est engagée, sous présidence française, à agir en ce sens,
- enfin, par une adaptation des méthodes de travail du Conseil de sécurité.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques réflexions que je voulais faire et qui en complément de ce que je crois a déjà dit le ministre de la Défense, devant vous, vous donnent donc une indication de la façon dont le gouvernement français entend participer à ce travail collectif qui doit engager tous les partenaires des relations internationales d'aujourd'hui, pas que les gouvernements, mais bien sûr les gouvernements dans leur responsabilité propre, ce travail collectif d'amélioration et nous espérons, un jour, arriver à une situation où nous n'aurons plus besoin de ces mécanismes parce que la paix sera maintenue et nous n'aurons plus à engager ces longues discussions pour savoir comment l'imposer là où elle n'existe pas encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 février 2001)
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord féliciter les présidents de l'Assemblée nationale, de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la Commission des Affaires étrangères pour l'organisation de ce colloque, consacré au rôle et aux moyens de la communauté internationale face aux crises.
Vous avez analysé ce matin, je crois, les nouveaux visages de la guerre ; vous traiterez demain des réformes de l'ONU.
Pour défendre la paix, suffit-il, comme le suggère le titre de ce colloque, de renforcer l'ONU ? Et si oui, de quelle manière ?
Certes, la mission première des Nations unies, ainsi que l'énonce l'article 1er de la Charte, est, je cite : "maintenir la paix et la sécurité internationales". C'est donc ce que l'ONU doit faire, est censée faire, avec ses prérogatives et avec sa légitimité qui sont uniques.
Mais chacun connaît pour autant les limites, les obstacles, parfois les échecs rencontrés par l'organisation, dans l'accomplissement de cet objectif.
Je voudrais vous livrer quelques réflexions sur le rôle de l'ONU, en partant d'une conviction simple : c'est l'ONU qui doit demeurer l'enceinte centrale de la gestion des crises internationales.
I. - Comment l'ONU peut-elle agir ?
Responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'ONU a en principe vocation et capacité à fonder des principes de règlement, à prendre des décisions, et à assumer des missions de maintien voire d'imposition de la paix.
A travers le Conseil de sécurité, l'ONU est la seule organisation internationale habilitée à prendre en matière de gestion des crises des décisions dont le respect s'impose à l'ensemble de la communauté internationale. C'est l'article 25 de la Charte.
L'ONU peut ainsi définir les paramètres du règlement d'un différend ou d'un conflit.
Dans le cas du conflit israélo-arabe et particulièrement de la question palestinienne, la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité au lendemain de la guerre des Six jours demeure encore aujourd'hui le cadre général des efforts entrepris pour parvenir à un règlement de paix.
Autre exemple, en refusant le fait accompli et en rejetant l'annexion de Timor Est en 1976, le Conseil de sécurité a jeté les fondements de l'autodétermination timoraise à laquelle les Nations unies apportent aujourd'hui encore une contribution décisive.
Au Kosovo, c'est la résolution 1244 qui a défini le cadre intérimaire dans lequel le territoire pourra bénéficier d'une autonomie substantielle.
Les Nations unies peuvent également prendre des mesures plus contraignantes.
Les "sanctions" s'inscrivent dans cette catégorie. L'ONU n'est certes pas la seule à pouvoir édicter de telles mesures. D'autres institutions - l'Union européenne par exemple - ou même les Etats individuellement peuvent avoir recours à cet instrument, dès lors que cet usage est conforme au droit international. Mais seule l'ONU peut prendre des décisions s'imposant à tous les Etats.
Enfin, toujours au titre de sa compétence normative, le Conseil de sécurité est seul habilité à autoriser le recours à la force en dehors des cas de légitime défense. Les chapitres VII et VIII de la Charte sont clairs sur ce point : aucune action coercitive ne peut être entreprise ou poursuivie par des Etats individuellement ou par des organisations régionales sans son accord. C'est ainsi que le Conseil a autorisé le recours à la force contre l'Iraq pour faire cesser l'agression contre le Koweït (résolution 678). Dans le cas du Kosovo, les membres de l'OTAN ont eu de bonnes raisons, y compris juridiques, compte tenu des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité, d'intervenir. Certes il eut été encore préférable de disposer d'une autorisation expresse du Conseil de sécurité mais il aurait été encore pire et impensable de ne pas intervenir dans la situation où nous étions parvenus alors. Cette exception n'a fait que renforcer, me semble-t-il, l'importance du principe.
L'ONU a enfin vocation à assurer des missions de maintien de la paix.
Les unes sont "classiques" :
Une opération de maintien de la paix se réalise normalement par le déploiement de casques bleus entre belligérants, avec leur consentement, dans un contexte stabilisé (cessez-le-feu ou accord préalable), pour exercer des tâches circonscrites (généralement observation et liaison entre les parties).
L'objectif, dans ce type d'opérations, est de veiller au maintien de la stabilité, pour permettre ou conforter un règlement de paix. Des succès ont été enregistrés à cet égard à Chypre (UNFICYP) et sur le Golan (FNUOD).
Plus récemment, l'ONU a apporté une contribution décisive au retrait israélien du Liban sud, grâce à son impartialité et à son expérience, qui la désignaient pour jouer ce rôle de "tiers facilitateur", dès lors que les parties partageaient une même volonté d'apaisement.
D'autres opérations de maintien de la paix, qui se sont développées depuis une décennie, sont plus complexes dans leurs objectifs et dans leur mise en oeuvre.
Il s'agit alors d'intégrer alors dans un même mandat, outre le maintien de la paix classique, un volet civil étendu et multidimensionnel (Droits de l'Homme, assistance humanitaire, police et justice, institutions, reconstruction, etc.).
De telles opérations intégrées requièrent la mobilisation de nombreux acteurs : l'ONU, ses divers organismes et agences, des Etats, des organisations régionales comme "l'Union européenne, l'OSCE, des banques régionales, etc."
Citons là aussi des succès : l'APRONUC au Cambodge, l'ONUMOZ au Mozambique, l'ATNUTO à Timor Est, la MINUK au Kosovo.
La vocation universelle de l'ONU, l'étendue et la diversité de ses instruments lui confèrent presque naturellement le rôle de chef de file de telles opérations. Qui d'autre pourrait le faire à sa place ?
Cependant, la difficulté à assumer des missions d'imposition de la paix marque les limites du rôle de l'ONU et ces difficultés seront mon second point.
II. - Bien souvent, l'ONU n'est pas capable à elle seule de promouvoir ou de rétablir la paix. Elle n'est pas en état de s'imposer comme le responsable exclusif ou même principal de la gestion d'une crise. Il y a d'ailleurs des crises que personne ne gère. Il ne faut pas raisonner uniquement en termes de gestion de crise quand on est dans des guerres sauvages et des désagrégations complètes d'Etats.
Au Proche-Orient depuis des décennies, alors que les bases juridiques d'un règlement existent sous la forme de résolutions de l'ONU que j'ai rappelées, on voit que cela ne suffit pas, naturellement, pour trouver et pour imposer la solution.
En matière d'imposition de la paix, l'ONU est souvent paralysée par l'absence de capacités propres, l'insuffisance des moyens humains et militaires mis à sa disposition et le caractère inadapté des mandats : pas d'armée, expertise militaire limitée, insuffisante capacité politique de conduire de telles opérations.
C'est particulièrement net dans les situations intermédiaires de "ni paix ni guerre ouverte", où les forces de l'ONU sont exposées à des risques élevés et où la crédibilité de l'organisation est directement atteinte. On l'a vu avec la MINUSIL en Sierra Leone et avec la MONUC en République démocratique du Congo.
Enfin, l'instrument des sanctions pêche par inefficacité : celles-ci sont trop souvent banalisées, indûment prolongées, inadaptées, voir contre-productives. Ce n'est pas toujours le cas, certes, il y a des cas où cela peut être pertinent.
III - Comment aider l'ONU à mieux exercer son rôle ?
En premier lieu, et là je rejoins, je pense, un sentiment général, en s'abstenant de confier à l'ONU des missions excessives d'imposition de la paix et de l'engager dans des contextes de conflit ouvert, sauf à prendre le risque d'échecs dramatiques (ONUSOM en Somalie, FORPRONU en Bosnie). Il ne faut plus accepter d'opérations de maintien de la paix qui sont des opérations alibi ou évidemment vouées à l'échec. Ce n'est pas la peine de décider cela pour donner l'impression d'avoir apporté une réponse politique, pour aller déplorer après hypocritement, la prétendue impuissance des Nations unies. Il faut avoir le courage, dans certains cas, de dire qu'il y a des situations, à un moment donné, qui ne sont pas maîtrisables ou pas encore maîtrisables.
L'ONU ne peut pas se substituer à une volonté défaillante des parties. Pas la peine de parler de maintien de la paix, s'il n'y a pas de paix et des parties qui ne pensent qu'à se faire la guerre, par exemple. Donc, en toutes circonstances, son implication sur le terrain doit s'accompagner d'un mandat adapté et de moyens suffisants pour accomplir ce mandat (la référence du chapitre VII, des règles d'engagement "robustes", comme on dit aujourd'hui, mais il est tout aussi important qu'elles soient assorties des moyens correspondants), et de perspectives crédibles de règlement politique.
Ensuite, il faut rechercher le partage des rôles le plus efficace entre l'ONU et d'autres partenaires.
La délégation à une autre organisation ou à plusieurs Etats qui est parfaitement légitime (elle est prévue par la Charte) et souhaitable si l'alternative consiste à ne rien faire. L'ONU n'ayant pas la responsabilité exclusive de la gestion des crises, elle délègue alors une responsabilité et avec celle-ci sa légitimité.
Ce partage passe par la délégation de l'exécution de l'action d'imposition de la paix à d'autres acteurs plus qualifiés, Etats ou coalitions d'Etats (INTERFET à Timor Est) ou alors à des organisations régionales de sécurité comme l'ECOMOG ou la CEDEAO en Afrique, et l'Union européenne demain, puisque l'Union européenne s'est dotée, ces derniers temps, de cette capacité. L'ONU doit conserver l'impulsion (l'autorisation du Conseil de Sécurité et/ou la conclusion par des résolutions de "fin de conflit", comme en Bosnie, à Timor Est, ou après la guerre du Golfe, enfin au Kosovo).
Je crois aussi qu'il faut mieux adapter l'arme des sanctions à ces objectifs :
- pour ne pas être banalisées, les sanctions ne devraient, conformément à la Charte, être envisagées qu'en réponse à une menace contre la paix et la sécurité internationales et pour la faire cesser ;
- pour ne pas être indûment prolongées, elles devraient être levées dès que le comportement qui les avait justifiées a cessé. Il faut à cet égard que le Conseil de sécurité définisse précisément ses attentes, et que la fixation d'une durée limitée lui permette d'évaluer régulièrement la situation et de lever, alléger, ou au contraire proroger par une décision délibérée les sanctions. Il ne faut pas que ce soit une mécanique aveugle, en d'autres termes ;
- enfin, pour être adaptées à leur objectif, elles devraient être proportionnées et mieux ciblées, c'est-à-dire peser au premier chef sur les responsables de la situation que l'on entend faire cesser, en limitant autant que possible les contraintes ou les souffrances des populations.
La diplomatie française, au cours de l'année écoulée, a convaincu ses partenaires au Conseil de sécurité d'adopter un principe de sanctions limitées dans le temps, impliquant donc un réexamen périodique de leur pertinence, et cela a déjà été le cas dans le conflit Ethiopie-Erythrée ou pour l'Afghanistan. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas reconduire les sanctions dans certains cas. Cela veut dire que si on le fait, il faut le faire délibérément, en connaissance de cause, après une évaluation politique.
Enfin, l'ONU doit disposer des moyens nécessaires à l'exercice de ses responsabilités en matière de maintien de la paix.
Telle est l'analyse lucide du rapport Brahimi, rapport très important, rendu public le 23 août dernier sur le maintien de la paix, qui fait le point avec une parfaite clarté sur toutes ces questions, qui préconise à la fois des mandats adaptés à la mission dévolue aux forces, et une augmentation des moyens militaires et humains mis à la disposition de l'Organisation.
C'est dans cette perspective qu'une coopération pourra être bâtie entre l'ONU et l'Union européenne dans ce domaine, au fur et à mesure que l'Union développera ses capacités propres de projection de forces. Les premiers jalons de cette coordination ont été posés au cours de la présidence française de l'Union européenne. Avec M. Solana, je m'en étais entretenu avec le Secrétaire général en septembre dernier, et celui-ci était même venu à Bruxelles pour en discuter.
IV - Mon 4ème point sera de souligner que, encore maintenant, il faut aussi conforter et maintenir la légitimité et l'efficacité du Conseil de sécurité.
Face à des situations de violations graves du droit international humanitaire qui mettent en danger la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité est fondé à agir et à utiliser tous les moyens, y compris le recours à la force, conformément au Chapitre VII de la Charte.
Il n'est plus admissible que l'invocation du caractère intérieur protégé par une conception dépassée de la souveraineté nationale condamne le Conseil à l'inaction. Mais, comme je pense que la souveraineté nationale reste l'un des principes d'organisation des relations internationales, et qu'il ne faut pas que ce type d'action ait lieu sans légitimité, je pense qu'il faut donc perfectionner la façon dont le Conseil de sécurité peut se saisir de ce type de situation. Donc perfectionner sa capacité plutôt que de contourner.
C'est en ayant à l'esprit de telles situations et de telles réflexions que j'ai proposé que les cinq membres permanents entament une réflexion sur la façon de définir un usage responsable du droit de veto.
La réforme des méthodes de travail du Conseil, dans le sens de l'ouverture, s'impose aussi à l'évidence.
Je pense en partie au développement de la participation des Etats non-membres aux réunions du Conseil (déjà engagé) et à l'établissement d'une concertation étroite avec les pays contributeurs de troupes, comme le souligne encore le rapport Brahimi, dans le respect des prérogatives du Conseil et de ses membres.
Enfin, la France soutient l'idée d'un élargissement du Conseil à de nouveaux membres, permanents et non permanents, afin de mieux refléter l'universalité de l'Organisation, et le monde tel qu'il est aujourd'hui, selon des modalités qui préserveront la capacité d'agir du Conseil.
En conclusion,
Je suis convaincu à la fois du rôle irremplaçable des Nations unies pour garantir le maintien de la paix et de la nécessité de mettre les Nations unies en état d'exercer au mieux cette mission première.
Ceci passe à mon sens :
- avant tout par un effort collectif de ses membres pour ajuster la politique mise en oeuvre et les actions confiées à l'ONU à la réalité des crises, en particulier d'objectifs clairs,
- par la mise en oeuvre des recommandations concrètes du rapport Brahimi,
- par la mise à disposition de l'ONU des moyens et des capacités nécessaires. Je rappelle, à nouveau, que l'Union européenne s'est engagée, sous présidence française, à agir en ce sens,
- enfin, par une adaptation des méthodes de travail du Conseil de sécurité.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques réflexions que je voulais faire et qui en complément de ce que je crois a déjà dit le ministre de la Défense, devant vous, vous donnent donc une indication de la façon dont le gouvernement français entend participer à ce travail collectif qui doit engager tous les partenaires des relations internationales d'aujourd'hui, pas que les gouvernements, mais bien sûr les gouvernements dans leur responsabilité propre, ce travail collectif d'amélioration et nous espérons, un jour, arriver à une situation où nous n'aurons plus besoin de ces mécanismes parce que la paix sera maintenue et nous n'aurons plus à engager ces longues discussions pour savoir comment l'imposer là où elle n'existe pas encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 février 2001)