Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur l'apport du Traité de Lisbonne à la construction européenne, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2008.

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Circonstance : Séance publique sur le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du Traité de Lisbonne, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2008

Texte intégral


1ère séance
Monsieur le Premier Ministre,
Madame la Garde des Sceaux,
Messieurs les Présidents de la commission des Lois, de la commission des Affaires étrangères et de la délégation pour l'Union européenne,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Nous sommes réunis pour débattre du projet de loi constitutionnelle qui sera soumis à l'adoption du Congrès le 4 février prochain. Comme vous l'a indiqué Mme la Garde des Sceaux, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 décembre dernier, a jugé qu'une révision de la Constitution était nécessaire avant la ratification du Traité de Lisbonne. Je tiens à remercier les rapporteurs - le président Jean-Luc Warsmann et M. Hervé de Charette - qui ont parfaitement exposé tous les enjeux européens de ce débat.
Le Traité de Lisbonne est le fruit d'une volonté politique collective dont l'objet est d'apporter une solution à un problème inédit : deux Etats membres fondateurs de l'Europe, par la voie d'un référendum, ont exprimé craintes et interrogations face au devenir de notre Union.
Le blocage n'a pas été immédiat. Dix-huit Etats, représentant 56 % de la population européenne, avaient en effet approuvé le traité constitutionnel. Deux autres, la Roumanie et la Bulgarie, l'ont encore approuvé après son rejet par la France et les Pays-Bas, en mai et juin 2005. Quatre autres s'apprêtaient à le faire, avant qu'il ne soit décidé par le Conseil européen de faire une pause, en juin 2005.
Mais, la crise était si profonde que, le 26 janvier 2007, 20 Etats se sont réunis à Madrid pour demander la poursuite de la ratification du traité constitutionnel. Pour la première fois, l'Europe se réunissait sans la France et, qui plus est, pour débattre de son avenir. Quel que soit le sentiment ou le diagnostic de chacun sur la marche de l'Europe, nous ne pouvions que déplorer cette situation inédite.
A cette époque, certains ont constaté la mort du projet européen, qui n'aurait pas survécu à la réunification de notre continent. Pareille impasse n'était pas acceptable. L'Europe ne pouvait demeurer sans perspective, et la France sans sa place dans l'Europe. L'Europe avait, jusqu'à présent, rempli ses objectifs en s'érigeant en puissance économique, dotée de règles communes et d'une monnaie unique. Mais sa tâche n'était pas achevée. Elle n'est pas achevée.

Qu'est-ce que l'Europe aujourd'hui ?
Ce sont quelques éléments très significatifs, Monsieur Myard, pour vous, pour nous et nos enfants : la chute du mur de Berlin, un espace économique de 500 millions de consommateurs et d'habitants, un espace de sécurité et de liberté d'à peu près la même dimension depuis le 21 décembre dernier, l'euro, Erasmus, les échanges entre les nouvelles générations.
Forte de vingt-sept Etats et de ces acquis, l'Europe ne saurait reculer. Elle doit être capable d'assumer ses responsabilités dans le monde de demain et de répondre à nos espérances d'aujourd'hui. Le peut-elle avec le Traité de Nice ? La réponse est négative. L'Union européenne ne peut, telle quelle, affronter les défis internationaux et globaux parce que, tout simplement, elle n'a pas révisé ses règles de fonctionnement. En tant qu'élus, que responsables, vous le savez tous : aucune association, aucun club de football, aucune cinémathèque, Monsieur Brard, ne pourraient être gérés avec les règles d'une présidence qui tourne toutes les 26 semaines.
Personne ne pourrait le faire ! Le Traité de Nice ne suffit donc pas. Dans de nombreux domaines, un seul Etat peut bloquer les décisions collectives. Les règles de décision sont trop exigeantes et ne tiennent pas assez compte de la démographie et de la nécessité d'associer les citoyens, que ce soit par le Parlement européen ou par les parlements nationaux. Bref, l'Union doit adapter ses règles si elle veut remplir ses missions.
La première, soulignée par le Premier ministre, est la promotion de la paix, qui ne peut être réalisée sans que les Etats se donnent clairement pour objectif la prévention des conflits et sans qu'ils s'engagent, ensemble, à développer leurs capacités de défense.
Autre mission essentielle de l'Union : renforcer l'influence de l'Europe dans le monde, et traiter les grands défis mondiaux. Ces défis, quels sont-ils dans un proche avenir ? Ce sont la gestion des migrations et des mouvements démographiques, le changement climatique, la nouvelle donne énergétique, la solidarité face aux grandes catastrophes naturelles et, bien sûr, la lutte contre le terrorisme.
Avec le Traité de Nice, l'Union ne dispose pas des moyens juridiques nécessaires. Or ce que les Européens ne font pas ensemble, personne ne le fera pour eux, et dans leurs intérêts. C'est pour cela qu'il est urgent d'agir, urgent pour que l'Europe puisse donner l'exemple.
Dès septembre 2006, puis au cours de la campagne électorale, le président de la République a donné forme aux aspirations des Français sur le rôle de la France en Europe et sur la vision de ce que devait être le rôle de l'Europe dans le monde. Le Premier ministre l'a rappelé. Dès son investiture, le président a fait part à ses partenaires de la volonté de la France et des Français d'établir un nouveau traité modificatif, apportant une solution aux difficultés institutionnelles de l'Union européenne et une réponse aux préoccupations des citoyens. Si ce traité était accepté par tous, la France le ratifierait par la voie parlementaire.
Cet engagement de la France était fondamental pour nos partenaires, car il donnait enfin de la crédibilité à la perspective d'un autre traité pour l'Europe et permettait d'en définir le contenu possible. Ce n'était pas chose facile. Mais, au Conseil européen de juin 2007, tous les chefs d'Etat et de gouvernement ont constaté que le traité constitutionnel était caduc. C'est ce que traduisent les articles 1er et 3 du projet de loi soumis à votre examen.

Par ailleurs, le Traité de Lisbonne apporte une réponse aux préoccupations émises par nos concitoyens.
Il promeut des valeurs nouvelles, plus solidaires : aujourd'hui, l'Europe a pour objectif de protéger les citoyens dans la mondialisation. Ce n'était pas le cas hier, ni avec le précédent traité. En revanche, la concurrence libre et non faussée ne figure plus parmi les finalités de l'action européenne. Demain, la représentation nationale pourra se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les Etats et l'Union européenne, à travers le contrôle de la subsidiarité, comme le Premier ministre l'a rappelé. Pour la première fois, les parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne, et ils seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et ses Etats membres.
Ce traité est le premier qui ait été signé par les vingt-sept Etats membres, le premier qui ait fait l'objet d'un accord oubliant les clivages anciens : entre les Etats plus ou moins peuplés, entre nouveaux et anciens Etats membres, entre Etats qui avaient dit oui et Etats qui avaient dit non. Je tiens à rendre hommage au travail de la présidence allemande qui, lors de l'élaboration de ce traité, a su éviter tous ces écueils, et au travail remarquable de finalisation effectué par la Présidence portugaise.
Par ailleurs, compte tenu de l'abandon de la démarche constitutionnelle, ce traité sera ratifié par la voie parlementaire dans tous les Etats membres, à l'exception de l'Irlande, dont la Constitution ne permet pas d'emprunter cette voie pour approuver un traité européen.
Ce traité n'est qu'un outil. Mais le fait de pouvoir se mettre autour de la table à vingt-sept et de renouveler notre voeu commun de vouloir vivre et de vouloir agir ensemble, crée sans conteste une dynamique nouvelle.
Déjà, la Hongrie a ratifié le traité, et près d'une vingtaine d'Etats membres s'apprêtent à le faire dès le premier semestre 2008. Déjà, le Danemark manifeste son souhait d'entrer de plain-pied dans la construction européenne et d'abandonner ses protocoles qui le placent à la marge des politiques économiques et monétaires, et des politiques de sécurité et de liberté de l'Union.
Nous aborderons donc la présidence française dans le cadre d'un engagement collectif renouvelé en faveur du projet européen. Nous l'aborderons également avec un bon traité, qui pose les jalons sur la voie d'une Union européenne plus démocratique, plus forte et tournée vers l'avenir.
Ce traité nous permet enfin de clore un débat institutionnel qui n'avait pas été résolu depuis les années 90, et donc de nous consacrer à l'essentiel, c'est-à-dire aux projets politiques que nous voulons porter, et qui ont été évoqués par le Premier ministre.
Mesdames et Messieurs les Députés, ce traité permet de développer de vraies politiques en matière de défense, d'immigration, de développement durable, d'énergie. Mais il n'en définit pas le contenu. C'est aux dirigeants européens et aux parlements qu'il appartiendra d'en décider.
Notre présidence du Conseil de l'Union européenne en sera l'occasion. Bien sûr, elle ne pourra pas tout faire, mais elle ouvrira la voie pour qu'une nouvelle page soit écrite après le cinquantième anniversaire de l'Europe. Après s'être construite elle-même, l'Europe doit trouver sa place dans le monde.
Grâce à cette révision, grâce à ce traité, l'Europe en a l'opportunité. La France saura saisir cette opportunité pour que l'Europe avance, qu'elle soit en état de marche et capable de renforcer son influence.

2ème séance
Le Traité de Lisbonne résulte de la volonté collective d'apporter une solution à un problème inédit : deux Etats membres fondateurs de l'Union européenne ont exprimé craintes et interrogations sur le devenir de l'Union. Le blocage n'a pas été immédiat. Dix-huit Etats, représentant 56 % de la population européenne, avaient en effet approuvé le traité constitutionnel ; deux autres l'ont approuvé après que la France et les Pays-Bas l'eurent rejeté et quatre autres s'y apprêtaient avant que le Conseil européen décide une pause, en juin 2005. Mais la crise était si profonde que, le 26 janvier 2007, vingt Etats se sont réunis à Madrid pour demander la poursuite de la ratification du traité constitutionnel. Ainsi, pour la première fois, l'Europe se réunissait sans la France et, qui plus est, pour débattre de son avenir. Quel que soit le sentiment que l'on porte sur la marche de l'Europe, on ne pouvait que déplorer cette situation nouvelle.
A cette époque, certains ont cru constater la mort du projet européen, qui n'aurait pas survécu à la réunification de notre continent. Pareille impasse était peu acceptable. L'Europe ne pouvait demeurer sans perspective, et la France sans sa place en Europe. Elle avait, jusqu'alors, rempli ses objectifs en s'érigeant en puissance économique dotée de règles communes et d'une monnaie unique, mais sa tâche n'était pas achevée.

Qu'est-ce que l'Europe aujourd'hui ?
L'Europe, c'est la chute du Mur de Berlin, un espace économique de quelque cinq cents millions de consommateurs, un espace de sécurité et de liberté, l'euro, Erasmus...
Forte de ses vingt-sept Etats membres, l'Union ne saurait reculer. Elle doit donc pouvoir exercer ses responsabilités internationales et répondre aux aspirations de ses citoyens, mais le Traité de Nice ne le lui permet pas. Aucune association, aucun club de football, aucune cinémathèque ne pourraient fonctionner convenablement avec une présidence tournante.
(...)
Le Traité de Nice n'est pas satisfaisant car il permet, dans de nombreux domaines, à un seul Etat de bloquer les décisions collectives. Les règles de décision, trop exigeantes, ne tiennent pas assez compte de la démographie et de la nécessité d'associer les citoyens, par le truchement du Parlement européen ou des parlements nationaux. L'Union doit modifier ses règles si elle veut pouvoir remplir ses missions. La toute première, le maintien de la paix, ne peut être accomplie sans que les Etats se donnent clairement pour objectif la prévention des conflits ni sans qu'ils s'engagent ensemble à développer leurs capacités de défense.
Une autre mission essentielle de l'Union consiste à renforcer son influence dans le monde pour traiter les grands défis mondiaux que sont la gestion des migrations, le changement climatique, la nouvelle donne énergétique, la solidarité face aux grandes catastrophes et, bien sûr, la lutte contre le terrorisme. Avec le Traité de Nice pour tout bagage, l'Union ne dispose pas des moyens juridiques nécessaires. Or, ce que les Européens ne font pas ensemble, personne ne le fera pour eux et dans leur intérêt. Il est urgent d'agir, et il est urgent pour l'Europe de donner l'exemple.
Le Premier ministre l'a rappelé : dès septembre 2006, puis lors de la campagne électorale, le président de la République a dit sa vision de ce que devait être le rôle de l'Europe dans le monde. Dès son investiture, il a fait part à ses homologues de la volonté de la France de voir rédiger un traité modificatif apportant une solution aux difficultés institutionnelles de l'Union européenne et une réponse aux préoccupations des citoyens français, soulignant que si ce traité était accepté par tous, la France le ratifierait par la voie parlementaire. Cet engagement était fondamental car il rendait crédible la perspective d'un autre traité pour l'Europe et permettait d'en définir le contenu possible.
Ce n'était pas chose facile. Mais, au Conseil européen de juin 2007, tous les chefs d'Etat et de gouvernement ont constaté que le traité constitutionnel était caduc. C'est ce que traduisent les articles premier et trois du projet qui vous est soumis.
Le Traité de Lisbonne répond aux préoccupations soulevées par nos concitoyens en promouvant des valeurs nouvelles, plus solidaires. Ainsi, l'Union reçoit mission de protéger ses citoyens dans la mondialisation ; la "concurrence libre et non faussée" ne figure plus au nombre des objectifs de l'Union ; la représentation nationale pourra, davantage qu'aujourd'hui, se prononcer sur les projets européens et veiller au respect de la répartition des compétences entre les Etats et l'Union par le contrôle de la subsidiarité.
Ce traité est le premier qui ait été signé par les vingt-sept Etats membres, le premier qui ait fait l'objet d'un accord dépassant les clivages entre Etats plus ou moins peuplés, entre nouveaux et anciens Etats membres, entre Etats qui s'étaient prononcés pour le traité constitutionnel initial et ceux qui l'avaient refusé. Je tiens à rendre hommage au remarquable travail de la présidence allemande, qui a su éviter tous ces écueils, et à celui de la Présidence portugaise.
Compte tenu de l'abandon de la démarche constitutionnelle, le traité sera ratifié par la voie parlementaire dans tous les Etats membres, à la seule exception de l'Irlande, dont la Constitution ne le permet pas.
Le Traité de Lisbonne ne résume pas le projet européen - ce n'est qu'un outil. Mais le fait de pouvoir se mettre autour d'une table à vingt-sept et de renouveler le voeu commun du vouloir vivre et agir ensemble crée sans conteste une dynamique nouvelle. Déjà, la Hongrie a ratifié le traité, et près d'une vingtaine d'Etats membres s'apprêtent à le faire dès le premier semestre 2008. Déjà, le Danemark manifeste son souhait d'abandonner les protocoles qui le placent en marge de certaines politiques de l'Union.
Nous aborderons donc la présidence française dans le cadre d'un engagement collectif renouvelé en faveur du projet européen, avec un bon traité, qui pose les jalons d'une Union européenne plus démocratique, plus forte et tournée vers l'avenir.
Le traité nous permet aussi de clore enfin un débat institutionnel demeuré inabouti depuis les années 1990 et, ainsi, de nous consacrer aux projets politiques, qu'il s'agisse du développement de vraies politiques de la défense, de l'immigration, du développement durable ou de l'énergie. Pour autant, il n'en définit pas le contenu, car c'est aux dirigeants européens qu'il revient d'en décider. La Présidence française de l'Union en donnera l'occasion. Certes, nous ne pourrons tout faire, mais cette présidence permettra que s'écrive une nouvelle page de l'histoire européenne. L'Europe doit trouver sa place dans le monde. En révisant sa Constitution pour permettre la ratification du Traité de Lisbonne, la France doit saisir l'opportunité qui lui est offerte de faire progresser l'Europe et de renforcer son influence.

3ème Séance
Je remercie chacun pour ce débat de grande qualité au cours duquel nous avons abordé des problèmes de fond qui vont au-delà de la simple question du mode de ratification. Sans anticiper sur le débat que nous aurons à propos du traité proprement dit, j'approuve les excellents propos de M. Bur sur la poursuite de l'aventure européenne.
(...)
J'en viens aux points d'ordre institutionnel qu'ont soulevés certains orateurs. L'article 88-5 n'est pas concerné par ce projet. J'ai déjà donné mon sentiment personnel à ce sujet : je crois depuis longtemps que les deux méthodes de ratification doivent coexister en vue des futurs élargissements, vers les Balkans notamment. Il appartiendra au président de la République et au gouvernement de trancher.
S'agissant de la désignation du président du Conseil européen, ainsi que de celle du haut représentant aux Affaires étrangères et du président de la Commission, le choix est encore prématuré. L'articulation entre ces trois instances est pourtant d'une telle importance qu'il faudra tenir compte des équilibres politiques et du respect des engagements passés de chacun des postulants, dont la personnalité sera naturellement déterminante.
Sur le fond, le Traité de Lisbonne comporte de nets progrès démocratiques, de l'initiative populaire au mode de désignation des membres de la commission. En matière économique et sociale, il inclut un protocole des services publics, une clause sociale générale. La Charte des droits fondamentaux comprend les droits sociaux, le dialogue social est institutionnalisé via le sommet tripartite qui permettra aux syndicats de rendre plus fréquemment leurs avis sur les accords passés. Le traité comporte surtout un objectif nouveau de protection des citoyens face à la mondialisation, alors que la concurrence libre et non faussée n'en est plus un. En la ramenant au niveau d'un protocole, on en fait un simple instrument au service de la réalisation du marché intérieur, conformément à l'inspiration initiale du Traité de Rome.

(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 janvier 2008