Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur le chantier de la rénovation urbaine pour rendre la ville "territoire de solidarités humaines", Nice le 14 janvier 2008.

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Circonstance : Rencontre avec le Conseil général des Alpes-Maritimes et l'ANRU, à Nice le 14 janvier 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Mon cher Christian,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les conseillers généraux,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur Général de l'ANRU,
Mesdames et Messieurs les responsables du monde associatif des Alpes-Maritimes,
Mesdames et Messieurs
Je suis très heureuse, mon cher Christian, d'être à tes côtés, au conseil général des Alpes-maritimes, pour officialiser l'engagement du conseil général des Alpes-Maritimes, au côté de l'ANRU, au bénéfice des communes de ce département qui sont engagées dans ce programme très ambitieux de rénovation urbaine.
Cette implication n'existe à ce niveau nulle part ailleurs en France. Les chiffres que je vais donner parlent d'eux-mêmes. Je voudrais qu'ensemble nous mesurions bien ce qu'ils veulent dire. L'intervention additionnée de l'ANRU et du Conseil Général des Alpes-Maritimes permettra de soutenir des projets d'un investissement total subventionnable de 471,65 millions d'Euros. Le montant cumulé des subventions approchera, pour la période 2004-2013 189,59 millions d'Euros dont 91, 29 millions par l'ANRU et 91,3 millions pour le conseil général. L'ANRU déconcentrera également au Préfet 5,73 millions d'Euros pour les quartiers dérogatoires.
Cela n'a pas dû être facile mon cher Christian de convaincre tes collègues. Mais tu y es arrivé parce que ce dossier, tu l'as porté sans relâche.... Je reconnais bien là ton attention aux gens, aux personnes et, particulièrement, aux plus pauvres.
Depuis 5 ans, dans les quartiers fragiles, nous avons dynamité des barres vétustes, construit de nouveaux logements, pour bien montrer qu'il y avait volonté de rupture. Je suis venue vous dire aujourd'hui que j'assume cet héritage et que je veux le poursuivre. Ce dispositif nous permet aujourd'hui de réaliser une politique de rénovation urbaine, avec des efforts encore jamais fournis dans ce pays, mais, l'importance de ces efforts nous oblige à réfléchir à la politique de la ville dans son ensemble.
C'est ce dont je voudrais vous entretenir maintenant.
Les cités étaient autrefois les grands centres où les peuples résumaient leur génie : commerce, culture, politique, elles n'étaient pas une simple question de nombre d'habitants ou d'étendue, elles accompagnaient le développement des grandes civilisations capables de rayonner autour d' elles et de devenir une source de forces pour ceux qui s'en approchaient. Pour toutes ces raisons, elles étaient le rendez-vous de l'ascension sociale. Le flux des nouveaux arrivants s'amalgamait à peu près paisiblement à la population en place pour former un tout dans une seule et même « citoyenneté métropolitaine».
Or, la ville d'aujourd'hui désagrége la société plus qu'elle ne la rassemble.
Ne nous y trompons pas, le malaise des zones fragiles, n'est à certains égards que le symptôme le plus visible des difficultés de la ville du XXIe siècle. Nos grandes agglomérations souffrent et leurs habitants avec. Elles produisent trop d'anonymat, trop de solitude et d'entre soi ; pas assez de rencontres.
Dans les grandes villes, jusqu'à 40% des logements sont occupés par une personne seule pendant que la société numérique, qui produit des relations désincarnées, nous invite à imaginer de nouveaux espaces de convivialité.
Nous devons repenser la ville à la mesure de l'homme.
Née il y a trente ans, la politique de la ville a vu le jour sous la forme de ce que l'on pourrait appeler une « politique de la banlieue parisienne ». Elle est devenue avec le temps, une « politique des banlieues françaises » puis des quartiers difficiles, puis aujourd'hui simplement des quartiers. Cette politique, nous y avons consacré beaucoup d'argent. Nous avons créé de nombreuses mesures dérogatoires et complexifié l'ensemble.
Nous sentons tous confusément que nous sommes au pied du mur et qu'il faut revisiter notre politique et changer de regard sur la ville.
Aujourd'hui, à Nice, nous signons une convention d'envergure, exemplaire, mais je propose qu'au plan national nous osions aller plus loin en regardant la ville non pas comme une addition de quartiers.
Pour moi la ville c'est un sentiment d'appartenance à un territoire fondé sur des solidarités humaines.
Non, les quartiers à la périphérie de nos villes ne sont pas les seuls à avoir besoin de rénovation urbaine.
Oui, certains quartiers de centres anciens ont des habitats plus indignes que certains de ceux que nous démolissons actuellement.
Non, les quartiers difficiles que j'appelle fragiles, ne sont pas un problème pour la France mais bien davantage une chance pour notre pays.
Oui, nous avons complexifié notre organisation administrative et territoriale.
Pour que la ville soit fondée sur un sentiment d'appartenance à un territoire fondé sur des solidarités humaines, nous devons réunifier et « réconcilier la ville » comme le dit si bien le titre du récent rapport du Conseil économique et social.
Alors comment faire ?
Beaucoup pensent qu'il s'agit d'argent. Sans doute en faut-il, mais le plus important ne me semble pas être là, même s'il faut veiller au grain.
Ma volonté est de rassembler. Rassembler tous les quartiers et tous les habitants de la ville.
Le préalable, c'est le désenclavement. Le désenclavement des quartiers par les transports bien sûr. De nombreux maires l'ont déjà compris par la création de lignes de tramways dans toutes les grandes villes de France.
Mais il faut aller plus loin, les désenclavements culturel, social et financier doivent être au rendez-vous. En ce qui concerne notre politique de zonage, sommes-nous certains que ce système est la bonne réponse à cette préoccupation ?
Les premiers résultats un peu concrets de l'ONZUS (Observatoire national des zones urbaines sensibles) permettent de s'interroger sur cette question. Si les résultats des zones franches urbaines semblent donner quelques signes positifs, il faut s'interroger sur la pérennisation de beaucoup d'autres. N'avons-nous pas, avec les meilleures intentions du monde, enfermé les quartiers, tous les quartiers sur eux-mêmes ?
Les habitants des quartiers fragiles vivent en vase clos, et parfois même, dans de véritables isolats. Comment demander à des familles immigrées de s'intégrer si elles sont assignées dans des quasi ghettos coincés entre une gare de triage et un ruban d'autoroute ? Comment des enfants de 2 à 16 ans, scolarisés en bas des tours, et qui ne partent en vacances qu'entre eux, peuvent-ils devenir autre chose que ces jeunes scotchés à leur cage d'escalier ? Comment ne pas comprendre que par un enchaînement terrible mas inéluctable, certains jeunes se sentent bannis et par réaction rejettent à leur tour tout ce qui vient de l'extérieur, considéré par principe comme hostile.
Pour rassembler, il faut aussi rassurer et définir des priorités.
La première, c'est assurer la sécurité dans la ville et dans tous ses quartiers. Cela suppose naturellement une recherche d'un respect mutuel entre les jeunes et la police et je me réjouis des annonces de ma collègue Michèle ALLIOT-MARIE en vue de créer un « véritable pacte de confiance entre la police et la population.
La sécurité acquise, le premier endroit qui répond au souci de désenclavement culturel, c'est l'école. Il faut refaire de l'école, « le creuset républicain », c'est-à-dire le lieu où se rencontre au travers de ces enfants toute la société dans sa diversité. Un lieu où chacun selon son talent et son mérite puisse avoir accès à la même richesse éducative. Un lieu enfin où chacun ait aussi accès à une deuxième chance. Il faut donc soutenir tout ce qui va dans le sens d'une plus grande mixité, d'une ouverture sur l'extérieur.
Il me plaît de rappeler l'exemple de certains élus qui, en accord avec l'éducation nationale, ont transféré des options des quartiers bourgeois dans les collèges de quartiers populaires. La première année, il y a eu un peu de mouvements réciproques. Au bout de trois ans, les uns allaient chez les autres et vice et versa. Cela ne coûte pas davantage mais est très efficace pour créer le lien social.
Vous ne serez pas surpris que j'insiste aussi sur le rôle de la famille et de la nécessité de développer l'aide à la parentalité.
En ce qui concerne les jeunes des banlieues comme l'on dit, je veux réaffirmer qu'ils sont une chance pour notre pays. Dans un pays qui vieillit, ce sont dans ces quartiers que le plus grand pourcentage de jeunes se concentre. L'avenir d'un pays est fondé sur sa jeunesse. Notre avenir passe bien sûr par cette jeunesse. Regardons-la vivre. Arrêtons les amalgames. Ces jeunes sont créatifs, dynamiques, adaptés aux technologies nouvelles.
Le monde de l'entreprise le comprend fort bien. Les grands patrons, responsables de grands groupes, sont de plus en plus nombreux à s'investir dans ces quartiers en leur proposant une formation, un tutorat et un CDI à la clef. Je n'en veux pour exemple que la convention signée la semaine dernière avec la Fédération française du bâtiment en faveur de « 10.000 jeunes bâtisseurs ». D'autres conventions vont bientôt suivre. L'emploi est naturellement nécessaire. Il faut créer les réseaux entre ces jeunes et les employeurs. L'Etat peut jouer ce rôle de médiateur sans beaucoup d'argent supplémentaire.
Les habitants des zones fragiles n'ont pas besoin qu'on les plaigne. Ils ont besoin qu'on leur donne leur chance. Le plan « respect égalité des chances », préparé par Fadela Amara, s'inscrit parfaitement dans cette volonté. Je crois vraiment qu'il va permettre d'offrir une perspective d'avenir à tous ces jeunes tentés parfois de baisser les bras. Si la politique de la ville ne se résume pas à la politique des banlieues, cela ne signifie pas qu'une réflexion sur la banlieue ne soit pas indispensable. En tout état de cause il faut que tous les ministères se sentent partie prenante dans le nouveau regard que nous devons avoir.
Mais au-delà de ces réflexions, je crois aussi au rôle des élus.
Nous avons, avec les meilleures intentions du monde, complexifié les procédures, mélangé les objectifs. Il faut simplifier, simplifier et simplifier encore en leur faisant confiance. Qui mieux qu'eux peut savoir s'il faut créer un travailleur social supplémentaire ou faire un autre choix. Sur la base d'une convention pluriannuelle d'objectifs avec l'Etat, je crois qu'il faut que nous leur accordions une meilleure autonomie dans la gestion des divers financements afin de les rendre plus opérationnels. Les associations ont également un rôle majeur à jouer.
Il faut aussi que dans la ville, dans tous les quartiers, les services publics soient présents et accessibles dans leurs horaires. Et je tiens à préciser que la proposition de construction des villes nouvelles et des« éco-cités » mérite d'être mise en oeuvre. Ce qui compte c'est que la ville soit pensée comme un ensemble cohérent de solidarités humaines. Je souhaite donc que les architectes et les urbanistes intègrent la dimension du beau et du bien-être dans leur projet. La beauté et l'audace architecturales doivent renforcer le sentiment d'appartenance territoriale des habitants.
La politique de rénovation des quartiers de périphérie est à l'oeuvre, pour pouvoir réunifier la ville, en avoir une vision globale, il faut maintenant développer une politique de rénovation des centres anciens.
Comment ne pas voir que ce sont en effet ces quartiers de centres villes qui abritent très souvent des femmes et des hommes parmi les plus démunis, les plus exclus et les plus fragiles ?
Comment ne pas voir que ces quartiers concentrent une grande part de la misère de notre pays dans des immeubles vétustes et des logements dépourvus du minimum de confort ?
Dans la continuité de la traque lancée contre les marchands de sommeil, je souhaite créer une véritable dynamique de requalification des quartiers anciens les plus dégradés, qui concentrent une grande part des logements les plus indignes et aider à remettre sur le marché des logements actuellement vacants.
Pour cela, j'ai décidé, dans une démarche relevant autant de l'amélioration de l'habitat que de l'opportunité d'augmenter les offres de logements dans nos villes, de préparer au Premier Ministre un ambitieux programme pluriannuel de requalification des quartiers anciens les plus dégradés de nos villes, moyennes ou grandes.
Ce programme, qui pourrait s'engager rapidement, devrait réunir dans un contexte de solidarité nationale, de nombreux partenaires autour de l'Etat.
Ce programme, vous l'avez compris, doit s'appuyer sur un engagement pluriannuel au travers d'une loi de programmation permettant ainsi la garantie d'un partenariat solide au niveau national et les conditions nécessaires et indispensables pour un élu local qui lui permette de s'engager résolument dans cette dynamique de longue haleine.
Pour cela, j'ai missionné l'ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), son président Gérard Hamel et son directeur général Philippe Van de Maele pour me proposer d'ici à la fin juin un projet de cadre législatif de ce programme partenarial indispensable à la réalisation de l'unité de la ville du XXIe. Je leur demande de travailler étroitement avec l'ANAH (Agence nationale de l'habitat) dont les compétences sur l'habitat privé sont reconnues.
Voilà ma conception de la ville, elle est globale, elle rassemble tous ses habitants sans exclusive ni stigmatisation. Elle est basée sur la confiance instaurée entre tous. Elle est fondée sur la personne.
Je suis convaincue que le plan de rénovation des centres anciens, que je propose aujourd'hui à côté de la poursuite des plans de rénovation urbaine engagée, marquera la volonté de l'Etat de prendre en compte tous les habitants de la ville.
Cela recréera le lien, ce lien si nécessaire à la paix sociale.
Merci encore Cher Christian ESTROSI pour ton accueil. Merci d'être pour cette ville une force de progrès, une force de proposition, une force de résolution et d'action. Merci de m'avoir permis de développer devant vous ma conception pour une ville accueillante pour tous et à la mesure de l'homme.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 17 janvier 2008