Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, à France Info le 14 janvier 2008, sur la politique du logement initiée par le gouvernement et sur le plan de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat à la politique de la ville, concernant les banlieues.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Le logement, on le sait, c'est "le" poste n° 1 de dépense dans le budget des Français, celui qui, en fait, pèse le plus lourd aujourd'hui, on va voir cela dans le détail, bien sûr. Mais d'abord, je voudrais que l'on donne la parole à Eric : il habite en banlieue parisienne, avec sa femme Stéphanie et leur enfant, il ne gagne pas trop mal sa vie mais il a quand même dû s'installer en dehors de Paris intra muros, à 35 km au sud de la capitale. Rester lui coûtait trop cher.

R.- Eric : "Je m'estime être chanceux d'avoir une belle maison, parce que, quand je pense aux gens qui sont au Smic ou au Smic amélioré, je ne sais pas comment ils font pour se loger ailleurs que dans un deux pièces, à Melun, qui est déjà beaucoup plus loin que chez nous. Mais pour nous, c'est vrai que cela nous gêne et cela me choque de ne pas pouvoir me rapprocher de chez mes parents, de pouvoir bouger où je veux, tout en ayant, des salaires dits "confortables".

Q.- C. Boutin, des Eric il y en a évidemment des milliers en France, c'est loin d'être un cas isolé, il y en a également dans les autres grandes villes de France où les loyers ont enregistré une véritable flambée. Question toute simple : qu'est-ce que, vous, vous pouvez faire aujourd'hui pour essayer de stopper le phénomène et faire en sorte que les Français puissent se loger décemment ?

R.- Je vais vous dire, en ce qui concerne l'expérience d'Eric, c'est l'expérience que j'ai vécue, moi, il y a 30 ans : j'ai habité Paris, et puis j'ai été obligée d'aller dans les Yvelines parce que je ne pouvais pas me loger. Alors, ce n'est pas une réponse suffisante, mais je veux dire que ce n'est pas nouveau. Le problème d'Eric, qui est un problème pour tous les Français - encore, lui, a de la chance d'avoir un salaire qui lui permet d'être logé, même à 35 km de Paris, il y en a qui n'arrivent pas à se loger. Pourquoi ? Parce que nous avons accumulé un retard très important depuis 30 ans pour ce qui concerne la construction de logements. Alors, que puis-je faire comme ministre du Logement ? C'est mettre tout en route, créer des synergies pour qu'on construise, que l'on construise et que l'on construise encore. Et que l'on construise aussi bien du logement très social que du logement de luxe. Parce qu'aujourd'hui, toute la chaîne du logement est figée, bloquée et il n'y a plus aucune fluidité.

Q.- Alors, ce que vous proposez par exemple - et c'est dans Les Echos ce matin - c'est un produit entre guillemets, "révolutionnaire", un "Pass foncier", il concernerait 20.000 constructions proposées à 15 euros par jour, soit 450 euros pendant 20 ans pour 80 mètres carrés. C'est quoi exactement ce "Pass foncier" ?

R.- C'est la possibilité qui sera donnée aux personnes qui n'ont pas des revenus très importants, de pouvoir acheter une maison au montant que vous venez d'indiquer, donc assez peu élevé. Et l'idée nouvelle, c'est qu'on propose au futur acquéreur un produit ficelé : non seulement, la maison, mais également, le terrain. Et pour permettre le "Pass foncier" et la disposition législative qui permet de dissocier l'acquisition de la maison de celle du terrain. C'est-à-dire, qu'on paie dans un premier temps la maison, et ensuite, on acquiert le terrain. Mais ce qui est proposé, comme aujourd'hui, ce qui est difficile c'est de trouver du foncier, c'est de trouver des terrains constructibles, c'est que le paquet soit global.

Q.- Et à qui cela s'adresse-t-il par priorité ?

R.- Cela s'adresse par priorité aux personnes qui ont des revenus faibles.

Q.- Il me semble que J.-L. Borloo avait essayé à peu près le même système ?

R.- Non, ce n'est pas la même chose.

Q.- Cela n'avait pas vraiment marché en tout cas ?

R.- Non, ça n'avait pas marché, mais pour la raison suivante : c'est que, premièrement, je pense que le produit n'avait pas été accompagné au niveau de la communication. Et deuxièmement, il n'y avait pas le problème du terrain.

Q.- Et là, qu'est-ce qui fait que ça va marcher justement ?

R.- Eh bien, parce que, justement il y a le terrain ; on propose un produit terrain et maison ensemble, un produit fini, si vous voulez.

Q.- Alors, il y a le problème de l'achat, il y a le problème de la location aussi. Entre 1996 et 2006, les prix ont quasiment doublé. Le Président avait dit qu'il aiderait les Français à devenir propriétaires. C'est aussi pour cela que vous lancez ce "Pass foncier" ?

R.- Non, si vous voulez, l'objectif de "propriétaire" qui est demandé par le président de la République me semble tout à fait fondé. L'homme a toujours besoin, parce qu'il est toujours en situation d'inquiétude, d'un toit. Depuis que l'homme existe, au départ, c'était la caverne, et maintenant, il faut un toit, et même ceux qui ont SDF ont besoin de se mettre sous les ponts ou un carton sur la tête, il y a un besoin de protection. L'idée de la propriété, c'est le rêve. Alors, aujourd'hui, en France, 56 % en moyenne nationale, nous sommes propriétaires. Le Président demande à ce qu'il y en ait 70 %. Nous allons essayer de faciliter l'accession à la propriété. C'est ainsi que nous avons proposé et obtenu un accord de principe avec le monde HLM pour la vente de logements HLM. Mais vous savez, entre 60 et 65 ans, en France, quand on atteint cet âge, qui est assez classique, assez courant, 80 % des Français sont propriétaires. Ce qui veut dire que le rêve de propriété en France se réalise. Quand je suis allée en Espagne, en Angleterre, en Allemagne pour voir un peu comment cela se passait, tout le monde regarde avec beaucoup d'attention la France en ce qui concerne son immobilier, parce que nous avons la propriété, nous avons du locatif, nous avons du public et nous avons du privé. Et je veux garder cette diversité d'offre pour se loger. Parce que, aujourd'hui, propriétaire bien sûr c'est nécessaire, mais dans le cadre de la mondialisation, où tout bouge, il peut se faire que, dans la vie, on ait intérêt à être locataire plutôt que propriétaire.

Q.- Alors, soyons concrets, vous avez dit "un toit pour tous", "un toit au dessus de la tête de tout le monde". Quand est-ce que cela va être une réalité ? Il y a des échéances qui ont été fixées : le 1er décembre 2008, notamment, pour faire en sorte que chacun puisse justement avoir un toit ; 2012, pour que toutes les personnes éligibles au logement social puissent, elles aussi, trouver un logement. Pensez-vous que c'est réalisable ou que c'est vraiment utopique aujourd'hui ?

R.- Non, ce n'est pas du tout utopique, c'est parfaitement réalisable, c'est difficile, mais nous allons y arriver.

Q.- Il y a de l'inquiétude du côté des associations en tout cas ?

R.- Oui, mais nous sommes dans un monde où tout le monde est inquiet, alors, donc, voilà ! Doit-on...

Q.- On peut rassurer...

R.- Est-ce que l'inquiétude doit être... Enfin, elles devraient être rassurées, parce qu'elles m'avaient dit que jamais je n'arriverais à mettre en place ces commissions de médiation au 1er janvier 2008. Elles y sont et elles vont fonctionner. Le 1er décembre 2008, effectivement, les personnes qui n'auront pas de logement et qui seront dans les publics prioritaires, pourront se retourner vers l'Etat pour...

Q.- Il va y avoir donc des réquisitions, par exemple pour faire en sorte que...

R.- Mais bien sûr, mais les réquisitions...

Q.-...que ces personnes puissent avoir accès au logement ?

R.- Mais bien sûr, mais les réquisitions c'est en route. Mais figurez-vous qu'on est dans un Etat de droit, et que je suis obligée de respecter la loi. J'ai donc demandé à M. Woerth de regarder sur Paris quels étaient les logements qui pouvaient être réquisitionnés, il est en train de faire l'étude, cela demande du temps. Mais Mme Lienemann, qui avait utilisé ce procédé, a pu reloger 43 personnes. Alors, certes, il faut utiliser tous les outils. J'utiliserai les réquisitions quand j'aurai les données qui me permettront de le faire. Mais ce n'est pas la réponse. Ce qu'il faut c'est, construire, construire et construire ensemble, encore.

Q.- Vous donnez ce matin une interview à La Croix. Avec le franc parler qu'on vous connaît, vous dites que vous ne croyez pas en un Plan banlieues. Vous ouvrez une polémique avec F. Amara ?

R.- Je trouve cela inouï ! Ecoutez, je suis heureuse de pouvoir vous dire qu'il n'y a aucun problème entre F. Amara et moi. Nous nous entendons très bien.

Q.- Alors qu'est-ce qui vous gêne avec ce Plan banlieues ?

R.- Nous nous entendons très bien ! Nous sommes complémentaires, nous avons une forte personnalité, et j'aime beaucoup F. Amara ! Bon, alors, quelle est la différence ?

Q.- Enfin c'est quand même une manière de lui dire qu'elle fait fausse route avec ce Plan banlieues...

R.- Mais pas du tout ! Lisez l'article de La Croix !

Q.- Je l'ai lu, je l'ai lu...

R.- Ce n'est pas du tout ça, ce n'est pas du tout ça ! Je dis simplement que, aujourd'hui...

Q.- Vous dites qu'il ne faut pas traiter la banlieue à part et qu'il faut une politique de Ville générale.

R.- Absolument, c'est ce que je crois profondément. Mais ce n'est pas du tout contradictoire avec les conclusions que va présenter F. Amara la semaine prochaine, ce n'est pas du tout contradictoire ! Je dis qu'il faut avoir une vision globale, qu'il faut faire tomber toutes les frontières, arrêter de discriminer ; les quartiers populaires et les quartiers bourgeois doivent travailler ensemble, ils doivent avoir le sentiment d'appartenance à un territoire commun, fondé sur des solidarités humaines. Et il n'y a pas, je vous le redis, de difficultés avec F. Amara que j'aime beaucoup !

Q.- Et vous serez donc avec elle le 22...

R.- Mais bien sûr !

Q.- ... à Vaulx-en-Velin, pour le présenter ce Plan banlieues...

R.- Mais bien sûr, mais bien sûr ! N'essayez pas de faire des chikayas entre nous, les uns et les autres. Non, pas du tout. Fadela et moi nous nous entendons très bien.

Q.- Eh bien, voilà, c'est dit, merci C. Boutin.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 janvier 2008