Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "LCI" le 24 janvier 2008, sur l'annonce de pertes de 7 milliards à la Société générale, la grève de la Fonction publique et les discussions salariales, ainsi que sur la crise financière internationale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Moins 7 milliards pour la Société Générale, fraudes et subprimes au tableau. Est-ce que l'Etat va aider cette banque ?

R.- Je viens de l'apprendre, donc je n'ai pas de commentaire à faire sur cette nouvelle, on en saura plus dans la journée, j'imagine.

Q.- Mais, un Etat pompier dans le contexte de crise actuelle, ça peut s'envisager ?

R.- Non, on est, d'une manière générale, pas du tout sur ce dossier. L'Etat ne peut pas être pompier, ce n'est pas la bonne façon de faire. L'Etat peut être régulateur, on peut aussi s'entendre, l'Etat français comme les autres Etats des pays développés, pour bien gérer la régulation économique, c'est-à-dire que tout n'est pas au marché. Evidemment, il doit y avoir des règles fortes d'organisation, c'est le cas avec l'Europe, ça doit être le cas avec les banques centrales et tout ça doit converger vers une économie plus fluide mais aussi avec des règles probablement plus transparentes.

Q.- On va en reparler, mais l'actualité c'est aussi la grève des fonctionnaires aujourd'hui. Vous cherchez le rapport de force, disent les syndicats, vous ne voulez pas dialoguer ; les rencontrerez-vous ?

R.- Non, je ne cherche pas du tout le rapport de force, je cherche au contraire à substituer à une logique de confrontation, qui est une logique très ancienne, cela fait vingt ans qu'on se confronte entre l'Etat employeur et les fonctionnaires, à une logique de concertation. Cela veut dire discuter. Donc on va poursuivre les discussions, on ne les a jamais interrompues. Il y a une grève aujourd'hui, d'une certaine façon je la regrette parce qu'on n'est pas du tout au bout des négociations, mais c'est comme ça, et je respecte évidemment ceux qui ont décidé de faire grève, et en même temps, je leur dis qu'il n'y a pas de raison de faire grève. Nous allons discuter et je les invite le 18 février, à discuter et à continuer nos discussions sur les traitements, sur les salaires, sur le pouvoir d'achat dans la fonction publique. D'ici là, le Premier ministre recevra, avec A. Santini et moi, les fédérations de fonctionnaires, comme le Président le lui a demandé, pour fixer un agenda, et puis...

Q.- On a une date, déjà, pour cette rencontre ?

R.- Ce sera début février, j'imagine.

Q.- Avant le 18 ?

R.- Oui, avant le 18. Mais ça, je l'ai dit aux organisations syndicales que j'ai reçues en tête-à-tête dès le début janvier, dès le 2 ou 3 janvier, dès après la trêve de Noël, en leur disant, et A. Santini était là, nous leur avons dit d'une façon conjointe que nous allons continuer à nous rencontrer, nous avons beaucoup travaillé sur le fond, et beaucoup travaillé aussi sur des sujets qui ne sont pas uniquement des sujets de traitement ou de salaires, ils sont très, très importants, mais il y a aussi d'autres demandes de la part de la fonction publique, les carrières, les parcours professionnels, le dialogue social. Tout cela doit être remis à plat et nous allons le faire très tranquillement. Le Premier ministre annoncera un calendrier, discussions salariales dès le 18 février, et puis après, discussions plus larges sur les modalités de gestion des carrières, au sens très étendu du terme, pour que les fonctionnaires aient des parcours professionnels plus enrichissants, mieux, mieux pour eux. C'est tout ça qui compte. Une fonction publique heureuse, c'est une fonction publique qui sert bien le public.

Q.- Discussions salariales : le point d'indice augmentera ? Vous avez déjà un ordre d'idée de cette augmentation ?

R.- Le point d'indice augmentera, ce n'est pas un scoop, je l'ai déjà dit, et c'est tant mieux de pouvoir encore le redire.

Q.- Mais combien ?

R.- Ça, je leur dirai le 18. On négociera là-dessus, il faut des mesures d'ordre général, je suis d'accord pour que le point d'indice progresse en 2008, comme il a progressé en 2007, contrairement à ce que j'ai lu ce matin dans un certain nombre de journaux, le point d'indice a augmenté en 2007, de 0,8 % à partir de février 2007. Donc...

Q.- Pour une inflation de plus de 2.

R.- L'inflation moyenne, sur 2007, c'est inférieur à cela. Mais il n'y a pas que cela. Le point d'indice n'est pas l'alpha et l'oméga de l'ensemble de la politique salariale, il y a les augmentations à l'ancienneté.

Q.- Il y a par exemple les heures supplémentaires.

R.- Non, mais il y a l'ancienneté, c'est bien une automaticité. Vous êtes augmenté parce que vous progressez en âge et c'est une augmentation automatique, comme pour le point d'indice. Et puis, il y a d'autres mesures qui tiennent soit au fait que vous fassiez partie d'une catégorie de fonctionnaire particulière, et vous obtenez des augmentations parce que vous êtes dans cette catégorie, des instituteurs deviennent par exemple professeur des écoles, ou des policiers grimpent en termes de grade. Cela, c'est du catégoriel. Et puis vous avez toutes les autres mesures, les heures supplémentaires, les comptes épargne temps ; tout cela joue beaucoup.

Q.- Les comptes épargne temps pourront être rachetés intégralement ?

R.- Les comptes épargne temps, pourront être, je pense, annuellement, il faut que l'on en discute, au fur et à mesure du temps, achetés, intégralement, certainement, on verra, je ne voudrais pas me prononcer là-dessus, il faut qu'on en discute, il faut qu'on négocie. Je leur ai dit, j'ai dit aux fédérations de fonctionnaires, et plus largement aux fonctionnaires, qu'il y avait d'un côté notre volonté d'instituer un mécanisme de garantie individuelle de pouvoir d'achat ; on me dit qu'il y a des fonctionnaires qui ont perdu du pouvoir d'achat, on a regardé très précisément, c'est 17 % des fonctionnaires entre 2000 et 2005 - on a pris une période de temps très, très vaste -, donc c'est inacceptable. Et je veux mettre en place, et le président de la République l'a rappelé à Lille, il y a peu de temps, un mécanisme tout à fait nouveau, qui garantisse individuellement à chacun qu'il ne perdra pas de pouvoir d'achat sur son traitement indiciaire. Pour le reste, il faut que l'on discute aussi des augmentations de salaires, mais derrière les augmentations de salaires, il y a aussi une contrepartie, parce qu'il y a toujours une contrepartie - dans le secteur privé, il y a aussi des contreparties - et la contrepartie dans le secteur public, c'est moins de fonctionnaires, diminution de la fonction publique et un retour...

Q.- Vous ne céderez pas là-dessus ?

R.- Non, on ne cèdera pas parce que c'est l'intérêt du pays, c'est vraiment l'intérêt du pays. Il y a aujourd'hui une fonction publique qui est trop nombreuse, elle peut être réduite parce que beaucoup partent en retraite. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, c'est une manière aussi de moderniser les administrations, c'est aussi une manière de rendre aux fonctionnaires la moitié de l'économie réalisée. Sur une année, c'est un milliard d'euros d'économie pour l'Etat, donc pour les Français, c'est 500 millions qui peuvent donc être rebasculés, redéployés, vers les fonctionnaires, des mesures variées dont nous devons discuter avec les fédérations de syndicats. Je les ai appelées à cela. Beaucoup de discussions, il faut beaucoup discuter et beaucoup parler pour faire évoluer la fonction publique.

Q.- Y a-t-il un service minimum, aujourd'hui, dans les écoles primaires de Chantilly, votre ville ?

R.- Oui, il y a un service minimum, aujourd'hui, dans une des écoles, il y a une seule école, c'est l'école Mermoz, qui est en grève complète. Les autres écoles accueillent, puisque l'ensemble des enseignants ne font pas grève. Mais là, il y a bien un service minimum que la mairie de Chantilly, donc le maire, moi-même, a organisé.

Q.- N'est-ce pas un peu déloyal, comme le dénoncent les maires de gauche, de demander à des agents municipaux de travailler à la place des grévistes ?

R.- Ça, c'est un débat que je ne comprends absolument pas. Il est clair que les maires de gauche ont décidé de laisser les écoles fermées et de ne pas recevoir les parents, je trouve ça tout à fait scandaleux. Il n'est pas, me semble-t-il déloyal, il est au contraire extraordinairement utile et efficace de permettre aux parents de laisser leurs enfants à l'école. Ce n'est pas de l'école, c'est une garderie, c'est une possibilité, c'est comme si c'était une sorte de crèche, à un moment donné, qui est organisée par les mairies. Enfin, je trouve que c'est vraiment l'honneur des municipalités que de faire cela. On n'a pas de raison, quand même, d'avoir un double effet sur la grève, d'ennuyer les gens dans le domaine du service public et puis de l'autre côté, de faire en sorte que l'on n'accueille pas leurs enfants à l'école. Quand on peut le faire, on doit le faire. On respecte le droit de grève, et en même temps, on est plutôt là pour que les choses soient facilitées, que la vie quotidienne des gens soit facilitée, surtout dans des périodes de crise comme l'est une grève.

Q.- Places boursières fébriles, séminaire de Davos très pessimiste, mauvaises nouvelles sur la Société Générale ; est-ce qu'on va vers une colossale crise économique mondiale ?

R.- Personne ne peut dire ça. Je vois qu'il y a une crise financière, qui est lourde, donc il faut être très vigilant. Elle est très importante, elle dure, elle vient des Etats-Unis et au fur et à mesure du temps, ça continue à venir des Etats-Unis, sur une crise de crédits...

Q.- On va être touchés, on n'est pas protégés !

R.- Il faut bien regarder que cette crise financière ne débouche pas en crise économique. D'où la nécessité de réguler, d'où la nécessité aussi pour les banques centrales d'avoir une vision, me semble-t-il, aussi économique et pas uniquement financière. D'où la nécessité...

Q.- Vous êtes déçu par J.-C. Trichet ?

R.- Je n'ai pas à me prononcer sur J.-C. Trichet ou pas, je vois simplement que la politique de la BCE est très différente de la politique de la Réserve fédérale américaine, je vois aussi qu'un certain nombre de décisions, comme celle d'hier, qui a l'air de plutôt camper sur des positions alors que la crise financière est là, ne va pas... Enfin a provoqué encore hier un sursaut négatif de la part des marchés. Et ce n'est pas bon pour l'économie.

Q.- "L'économie française est moins exposée que d'autres", dit F. Fillon dans le Financial Times aujourd'hui. On voit avec la Société Générale que c'est faux. Est-ce qu'on a un docteur Coué à Matignon ?

R.- Non, pas du tout ! S'il y a bien l'inverse d'un docteur Coué, c'est bien F. Fillon, vraiment, fondamentalement. Non, le Premier ministre a bien indiqué que, globalement, l'économie française était moins exposée. Cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas exposée, elle est moins exposée. La crise est évidemment une crise très préoccupante et en même temps, on a les moyens d'y répondre, à la fois par l'Europe et à la fois aussi par le fait qu'en termes de crise économique, les entreprises vont mieux qu'il y a dix ans ou vingt ans. En 1987, il y a eu une crise très importante, les entreprises étaient en moins bonne position qu'elles ne le sont aujourd'hui. Les bilans sont plus sains qu'il y a dix ans, les résultats des entreprises sont plutôt meilleurs qu'il y a dix ou quinze ans. Donc on est armé et mieux armé. Cela étant, il faut être vigilant, il faut agir, il faut être contre cyclique. Il vaut mieux verser de l'eau pour éteindre un incendie que la verser après. C'est ce que l'on a fait en juillet, au travers du pouvoir d'achat et de l'emploi, qui était une mesure très, très importante, pour permettre en tout cas à la croissance de continuer à se développer en France. Donc je n'ai pas d'inquiétude particulière, mais il faut être très, très vigilant.

Q.- Verser de l'eau, cela peut vouloir dire un plan de rigueur ?

R.- Non. Il faut faire très attention aux mots en politique, parce que les mots c'est des mémoires, et en général c'est souvent de mauvais souvenirs...

Q.- La rigueur, c'est de la réalité !

R.-...Donc il faut être sérieux. Il faut que l'Etat français il ne dépense pas plus que ce qu'il gagne, il faut qu'il soit en équilibre d'ici 2012 et il faut donc qu'en 2009 on fasse un progrès considérable. Je crois très, très fort à ça. Je pense que la réforme, et la réforme est la base de tout ; la France, elle évoluera s'il y a des réformes de structure fondamentales, c'est celles que l'on est en train de mener dans la concertation et pas dans la brutalité. Et ça vous pouvez compter sur le Gouvernement pour les faire. Et deuxième point, il faut relancer la croissance - hier, la commission Attali sur la relance de la croissance. Et troisième point, il faut bien évidemment, derrière tout cela, avoir une politique financière, une politique de finances publiques vertueuse, c'est-à-dire celle qui conduit aux équilibres. Ces trois versants-là sont la même politique.

Q.- Le rapport Attali sur la croissance, est-ce qu'il n'est pas mort-né, vue la bronca des députés ?

R.- Non, il n'est pas mort-né du tout. Heureusement d'ailleurs qu'il déclenche des polémiques, des discussions, sinon il n'y aurait rien dedans. C'est parce qu'il y a des choses dedans et d'ailleurs des choses qui sont souvent, d'ailleurs, le fruit d'analyses précédentes, c'était dans d'autres rapports. J. Attali a rendu tout cela cohérent...

Q.- Il faut l'appliquer ?

R.- Oui, ça donne surtout le sentiment qu'en France, il faut maintenant passer au niveau des décisions. Et c'est ce que nous faisons.

Q.- En un mot, vous avez le milliard nécessaire pour le "Plan banlieues" de F. Amara ?

R.- Il y a, dans le budget de l'Etat, la possibilité, dans chaque ministère, de redéployer les politiques. Il y a aussi la possibilité, s'il faut remettre un peu d'argent supplémentaire à un moment donné, de choisir de le faire. Evidemment, une politique budgétaire, ce n'est pas la politique du non, c'est la politique de l'accompagnement et en même temps la politique de l'équilibre. Les finances publiques doivent être en équilibre.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 janvier 2008