Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les apports du Traité de Lisbonne à la construction européenne, au Sénat le 7 février 2008.

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Circonstance : Examen du projet de loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l'Union européenne, au Sénat le 7 février 2008

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la délégation pour l'Union européenne,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

Le 4 juillet dernier, je vous présentais les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin, qui venait de s'accorder sur un mandat pour une conférence intergouvernementale. Je vous faisais part alors de notre optimisme quant au rapide aboutissement de cette conférence intergouvernementale.
Puis les choses sont allées vite, conformément à la volonté du président de la République, parce qu'il y avait une volonté commune pour sortir l'Europe de l'impasse.
Je ne reviendrai pas sur les dernières étapes d'une négociation serrée et délicate ; nous avons déjà eu l'occasion d'échanger à ce sujet à de très nombreuses reprises.
L'essentiel est là : pour la première fois, vingt-sept Etats signent un traité européen, et l'Europe concilie, après plus de dix ans de débats, approfondissement et élargissement.
Les chefs d'Etat de pays qui avaient dit "oui" et ceux de pays qui avaient dit "non" ont trouvé, sous l'impulsion de la France, de l'Allemagne, du Portugal et de tous nos autres partenaires, l'énergie d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune.
Le 4 février, le Congrès a approuvé la loi constitutionnelle qui nous permet aujourd'hui de procéder à la ratification du Traité de Lisbonne.
Que de chemin parcouru en quelques mois ! J'entends encore les sceptiques et les pessimistes de tous bords qui se lamentaient au printemps dernier sur l'incapacité de l'Union européenne à faire face à ses propres échecs, les Cassandre qui stigmatisaient la perte d'influence irrémédiable de notre pays dans une Union qu'il avait tant contribué à créer et à façonner, et redoutaient qu'on ne puisse aboutir à un nouveau traité fondé sur de nouvelles valeurs !
J'en retire pour ma part une confirmation de plus que nous avons collectivement créé, avec l'Union européenne, une organisation unique au monde, fondée sur le droit, la confiance et la réconciliation entre les peuples, une organisation qui, à chaque échéance importante, sait trouver l'équilibre entre les intérêts de chacun de ses membres et l'intérêt collectif.
Nous sommes plus efficaces à vingt-sept pour régler des problèmes qui nous concernent tous. Et, justement, ce traité nous permettra de mieux répondre aux défis auxquels l'évolution du monde nous confronte.
Avec le Traité de Lisbonne, nous tournons la page des doutes et des atermoiements pour passer à une autre étape, plus constructive, car il est urgent d'agir pour une Europe plus démocratique, plus active, et plus protectrice aussi.
Le Traité incarne en effet une Europe plus démocratique et plus active : à cet égard, nous remplissons bien la tâche que nous nous sommes assignés lors de la ratification du Traité d'Amsterdam ou lors de la conférence intergouvernementale réunie en 2000, lorsque, conscients que nous étions de l'insuffisance des traités, nous demandions le renforcement de la démocratie européenne.
C'est le cas avec le droit d'initiative citoyen et avec le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, qui devient enfin un véritable colégislateur, à égalité avec le Conseil, tant en matière budgétaire que dans un nombre important de domaines passant dans le champ de la procédure de codécision.
C'est surtout le cas, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, avec votre nouvelle implication dans le processus de décision européen. Comme l'a déjà dit M. Haenel, c'est une "révolution juridique". La représentation nationale pourra désormais davantage se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les Etats et l'Union européenne à travers le contrôle de la subsidiarité. Pour la première fois, les parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne et seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres.
Avec la présidence stable, avec le haut représentant pour les affaires étrangères, avec de nouveaux moyens juridiques, nous pourrons mieux répondre à la demande sans cesse renouvelée d'action de l'Europe dans le monde.
Agir à l'échelon national n'est plus suffisant, ni dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, ni dans le combat pour une meilleure sécurisation de l'approvisionnement énergétique, ni pour lutter contre le changement climatique, ni pour dialoguer sur les migrations avec les pays d'origine, ni pour la promotion de la paix. A vingt-sept, incontestablement, nous serons plus efficaces.
Grâce à ces avancées, l'Europe pourra devenir un acteur global sur la scène internationale.
C'est aujourd'hui une urgence, et nous ne voulons pas que cette grande ambition se trouve réduite à une zone de libre-échange.
Pour exister aux yeux du monde, l'Union européenne a d'abord besoin de prouver son efficacité et sa puissance.
Le traité de Lisbonne incarne également une Europe plus protectrice, fondée sur un nouvel humanisme et sur un nouvel idéal européen. Pour la première fois, nos valeurs sont clairement affirmées.
Avec la Charte des droits fondamentaux, avec l'obligation de prendre en compte les objectifs sociaux de l'Union dans toutes les politiques européennes, avec la solidarité entre Etats membres face aux catastrophes naturelles, avec le remplacement de l'objectif de la concurrence libre et non faussée par celui de la protection des citoyens, avec la reconnaissance du droit des Etats d'offrir à tous un service public de qualité, sur tout le territoire de l'Union, peut-on considérer qu'il n'y a là aucun progrès dans les politiques sociales ?
Certes, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, le Traité de Lisbonne ne réglera pas tout.
Un traité n'est jamais un projet. Il permet d'en inventer un et de le préserver, de passer des intérêts communs à l'idéal commun.
A cette fin, il faut d'abord que le traité entre en vigueur le 1er janvier 2009 et, pour cela, il faut que l'ensemble des Etats membres l'aient ratifié. C'est un processus long. C'est la raison pour laquelle le débat du Parlement français revêt, aujourd'hui, une dimension particulière.
Ce Traité doit aussi nous permettre de mettre en oeuvre des politiques ensemble.
Je prendrai l'exemple de la coordination des politiques économiques. Elle sera ce que nous voudrons bien en faire.
Le Traité nous permet de consolider la portée juridique des décisions prises par l'Eurogroupe, dans lequel ne décident que les membres de la zone euro, et d'unifier notre représentation dans les enceintes financières internationales. Mais c'est par la pratique et par la volonté politique que nous la ferons évoluer.
Je voudrais ainsi citer l'exemple de la démarche effectuée par le président de l'Eurogroupe, le commissaire en charge des questions économiques et financières et le président de la Banque centrale européenne en Chine pour aborder la question du taux de change entre l'euro, le dollar et le yuan.
Il en est de même pour la régulation financière, si indispensable dans ce monde instable.
Enfin, il ne dépend que de nous de faire en sorte qu'il y ait une plus grande réciprocité dans les échanges commerciaux et économiques pour maintenir nos activités en Europe.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce sont les pays de l'ancien bloc communiste qui, les premiers, ont ratifié ce Traité.
Quel symbole ! Quel signe de confiance dans l'Europe nouvelle : c'est de Budapest, cinquante ans après la première insurrection contre le totalitarisme de l'après-guerre, qu'est venue la première ratification !
Redonnons confiance aux peuples, soyons au rendez-vous d'un monde qui attend et qui espère l'Europe.
Soyons fidèles à la France, à ce qu'elle a été pour l'Europe et à ce qu'elle sera demain pour une Europe plus politique et plus influente.
Poursuivons ensemble la formidable aventure humaine que nous avons entreprise ensemble - tous gouvernements et toutes majorités confondus, grâce en particulier aux grands "Européens" qui sont dans cet hémicycle et que je salue -, au service de la paix ainsi que du développement économique et social.
C'est au nom de cette aventure unique au monde que je vous demande ce soir l'autorisation de ratifier le Traité de Lisbonne.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2008