Texte intégral
Konrad Niklewicz : Les prix de produits agricoles de base sont en hausse en Europe. Les céréales, la viande: tout se vend plus cher qu'auparavant. Cette hausse, va-t-elle continuer ? Quels sont les prévisions du gouvernement français ?
Michel Barnier : La récente hausse des prix de certaines matières premières agricoles n'est pas une spécificité européenne. C'est une réalité sur les marchés mondiaux. Elle surprend par son ampleur, elle surprend par la rupture qu'elle introduit : on s'était habitué à des prix agricoles en baisse depuis des décennies. En 20 ans, ils ont été divisés par 2 en France. Pour les experts, la demande alimentaire sera multipliée par 2 d'ici 2050 et les prix des principales matières premières agricoles : céréales, lait... resteront élevés dans les prochaines années, mais vraisemblablement à des niveaux plus faibles qu'aujourd'hui. L'augmentation de la demande alimentaire est en effet structurelle avec l'accroissement de la population, l'augmentation du pouvoir d'achat dans les pays émergents (tels que l'Inde et la Chine), et la modification des comportements alimentaires. Et phénomène nouveau, les matières premières agricoles deviennent objet de spéculation financière.
KN : Justement dans cette réalité la Commission Européenne commence une étape suivante de la réforme de la Politique Agricole Commune. Elle l'a intitulé : bilan de santé. Quelles sont les grandes lignes du projet français pour la réforme ?
MB : La France a trois priorités : mettre en place des dispositifs de gestion des risques et des crises dans l'intérêt des consommateurs et des agriculteurs pour assurer la sécurité alimentaire de l'Europe et limiter la volatilité des prix, soutenir les productions indispensables à la vie des territoires ruraux fragiles, rendre la politique agricole plus équitable entre les agriculteurs accompagnant une agriculture plus durable.
KN : Est-il possible que ces modifications soient adoptées l'année prochaine lors de la Présidence française de l'UE ?
MB : Notre ambition est de conclure le bilan de santé sous la présidence française, cela suppose que les discussions devront accélérer sous la présidence slovène (janvier-juillet 2008).
KN : En entamant le réforme, la Commission a présenté un paquet des idées ? La Commission Européenne veut faire disparaître les quotas laitiers.
Les quotas - suggère-t-elle - doivent être remplacés par le marché libre. La France sera - t - elle d'accord ?
MB : La suppression des quotas laitiers figurait dans l'accord de Luxembourg sur la réforme de 2003. Ce n'est pas une nouveauté. La nouveauté, c'est qu'aujourd'hui la demande en produits laitiers est forte dans les pays émergents. Pour la France, la suppression des quotas n'est envisageable qu'à deux conditions : permettre aux agriculteurs de passer des contrats avec leurs laiteries pour sécuriser les prix et mettre en place un soutien à la production laitière dans les zones difficiles, notamment en montagne. En effet, en France, les quotas ont été un outil d'aménagement du territoire qui a localisé des entreprises et des emplois en montagne notamment..
KN : La Commission suggère aussi la disparition des subventions à l'exportation. Etes-vous d'accord ?
MB : La disparition des restitutions à l'exportation ne ressort pas de la proposition de la Commission sur le bilan de santé de la PAC mais des négociations commerciales dans le cadre de l'OMC. Pour nous, la suppression des restitutions n'est acceptable que dans la cadre d'engagements réciproques des principaux exportateurs qui ont su mettre en place, notamment aux Etats-Unis des dispositifs moins visibles mais qui soutiennent tout autant que les restitutions leurs exportations de produits agricoles.
KN : Bruxelles demande de supprimer la jachère et les prix garantis pour les céréales, en disant que les prévisions du marché y sont favorables.
MB : Pour la France, la bonne tenue des prix sur certains marchés ne signifie pas que l'on doit abandonner tout dispositif de régulation des marchés .La France n'est pas hostile à la remise en cultures des terres gelées, par contre elle tient à ce que le principe de la jachère soit maintenu.
KN : Pourquoi ?
MB : La principale caractéristique des marchés agricoles demain sera leur grande volatilité : il est donc très risqué de laisser l'alimentation en Europe aux seules lois du marché.
KN : Est-ce que la France accepte le plafonnement des aides directes ? La Commission dit que la France est "le" pays où la majorité de subventions est consommée par les grandes entreprises agricoles. Et non par les agriculteurs moyens...
MB : La France est favorable à une plus grande équité dans la distribution des aides directes. Elle n'adoptera pas une position opposée à la proposition de la Commission d'un plafonnement des aides.
KN : En même temps, la Commission prône une reforme radicale du secteur du vin européen. Elle ne veut plus subventionner la destruction des vignobles européens - elle qualifie de telles subventions d'"absurdes".
MB : La discussion en cours sur la réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole est absolument essentielle pour la France, au premier rang des producteurs mondiaux de vin.
Je partage la volonté de la Commission, qui est de redonner à la viticulture européenne une dynamique de conquête sur un marché mondial en expansion.
En revanche, je reste à ce stade très réservé, à certaines propositions de la Commission : la compétitivité, ce n'est pas le libéralisme sans règle. Nous devons maintenir une OMC forte, avec des outils de maîtrise du potentiel de production et des outils de régulation. Il s'agit pour moi de conditions indispensables pour accepter la nouvelle OMC.
KN : Imaginons le cas où la reforme du régime des subventions permette des économies substantielles. Que faire de ce surplus ? La Commission veut que l'on investisse dans les fonds structurels agricoles (dont la plupart est consommée par la Pologne et les autres nouveaux pays de l'UE). Etes-vous d'accord ?
MB : La France estime que l'Union européenne requiert une politique agricole qui permette à l'agriculture de répondre aux multiples défis qui sont devant elle : assurer son indépendance et sa sécurité alimentaires, préserver les équilibres et la cohésion de ses territoires, participer à l'amélioration de l'environnement. Cette politique agricole dont l'objectif est de promouvoir une agriculture de production, performante et durable s'inscrit totalement dans la stratégie de Lisbonne qui souhaite faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde. Cette politique est complémentaire des politiques structurelles. Ce n'est pas en démantelant une politique que l'on en construit d'autres. Les Etats-membres doivent accepter de mutualiser des moyens pour accompagner les politiques indispensables à son développement .Et dans ce cadre, une politique de cohésion forte à l'égard des nouveaux Etats-membres de l'Union européenne est une priorité.
KN : Que pensez-vous de l'idée de créer un fond européen spécial pour le secteur "bio" ?
MB : Le développement de l'agriculture biologique est pour moi une priorité. Le Grenelle a fixé un objectif ambitieux : multiplier par 3 les surfaces en agriculture biologique. Elles ne représentent aujourd'hui que 2% de la surface agricole utile. La demande des consommateurs progresse de 10% par an. Ma volonté est d'utiliser le bilan de santé de la PAC pour renforcer le soutien à ces productions par une réorientation des aides entre les agriculteurs.
KN : Est-ce que nous devons faire une liaison entre la réforme de la PAC et la réforme budgétaire? Certains veulent que la PAC, financée uniquement du budget de l'UE soit partiellement « renationalisée ».
MB : Pour la France, le débat budgétaire doit venir après le débat sur les orientations de la politique agricole commune.
KN : Est-ce que dans le but de protéger le marché européen agricole, l'Europe doit limiter les importations ? La France se prononce-t- elle pour renforcer les barrières commerciales ?
MB : La protection du marché européen est essentielle à l'exercice de la souveraineté alimentaire de l'Europe. Elle traduit simplement une préférence des européens pour la communauté qu'ils ont construite. Pour la France, elle est non négociable. Elle doit permettre aux Européens d'avoir la garantie que les produits qu'ils consomment n'ont pas fait l'objet de dumping social, environnemental ou sanitaire. Elle doit permettre aux agriculteurs en Europe de supporter des coûts de production plus élevés tenant aux exigences qu'ils respectent
KN : Est-il toujours possible qu'on aboutisse à un accord à l'OMC ?
MB : Nous demandons que les efforts des différents membres de l'OMC soient équilibrés réciproques. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui. Le Président de la République a souligné récemment l'importance de la préférence communautaire pour l'avenir de l'agriculture européenne. La France est déterminée à veiller à ce que le résultat de la négociation soit compatible avec ce principe et ne déséquilibre pas des pans entiers de notre agriculture.
Source http://www.ambafrance-pl.org, le 28 février 2008
Michel Barnier : La récente hausse des prix de certaines matières premières agricoles n'est pas une spécificité européenne. C'est une réalité sur les marchés mondiaux. Elle surprend par son ampleur, elle surprend par la rupture qu'elle introduit : on s'était habitué à des prix agricoles en baisse depuis des décennies. En 20 ans, ils ont été divisés par 2 en France. Pour les experts, la demande alimentaire sera multipliée par 2 d'ici 2050 et les prix des principales matières premières agricoles : céréales, lait... resteront élevés dans les prochaines années, mais vraisemblablement à des niveaux plus faibles qu'aujourd'hui. L'augmentation de la demande alimentaire est en effet structurelle avec l'accroissement de la population, l'augmentation du pouvoir d'achat dans les pays émergents (tels que l'Inde et la Chine), et la modification des comportements alimentaires. Et phénomène nouveau, les matières premières agricoles deviennent objet de spéculation financière.
KN : Justement dans cette réalité la Commission Européenne commence une étape suivante de la réforme de la Politique Agricole Commune. Elle l'a intitulé : bilan de santé. Quelles sont les grandes lignes du projet français pour la réforme ?
MB : La France a trois priorités : mettre en place des dispositifs de gestion des risques et des crises dans l'intérêt des consommateurs et des agriculteurs pour assurer la sécurité alimentaire de l'Europe et limiter la volatilité des prix, soutenir les productions indispensables à la vie des territoires ruraux fragiles, rendre la politique agricole plus équitable entre les agriculteurs accompagnant une agriculture plus durable.
KN : Est-il possible que ces modifications soient adoptées l'année prochaine lors de la Présidence française de l'UE ?
MB : Notre ambition est de conclure le bilan de santé sous la présidence française, cela suppose que les discussions devront accélérer sous la présidence slovène (janvier-juillet 2008).
KN : En entamant le réforme, la Commission a présenté un paquet des idées ? La Commission Européenne veut faire disparaître les quotas laitiers.
Les quotas - suggère-t-elle - doivent être remplacés par le marché libre. La France sera - t - elle d'accord ?
MB : La suppression des quotas laitiers figurait dans l'accord de Luxembourg sur la réforme de 2003. Ce n'est pas une nouveauté. La nouveauté, c'est qu'aujourd'hui la demande en produits laitiers est forte dans les pays émergents. Pour la France, la suppression des quotas n'est envisageable qu'à deux conditions : permettre aux agriculteurs de passer des contrats avec leurs laiteries pour sécuriser les prix et mettre en place un soutien à la production laitière dans les zones difficiles, notamment en montagne. En effet, en France, les quotas ont été un outil d'aménagement du territoire qui a localisé des entreprises et des emplois en montagne notamment..
KN : La Commission suggère aussi la disparition des subventions à l'exportation. Etes-vous d'accord ?
MB : La disparition des restitutions à l'exportation ne ressort pas de la proposition de la Commission sur le bilan de santé de la PAC mais des négociations commerciales dans le cadre de l'OMC. Pour nous, la suppression des restitutions n'est acceptable que dans la cadre d'engagements réciproques des principaux exportateurs qui ont su mettre en place, notamment aux Etats-Unis des dispositifs moins visibles mais qui soutiennent tout autant que les restitutions leurs exportations de produits agricoles.
KN : Bruxelles demande de supprimer la jachère et les prix garantis pour les céréales, en disant que les prévisions du marché y sont favorables.
MB : Pour la France, la bonne tenue des prix sur certains marchés ne signifie pas que l'on doit abandonner tout dispositif de régulation des marchés .La France n'est pas hostile à la remise en cultures des terres gelées, par contre elle tient à ce que le principe de la jachère soit maintenu.
KN : Pourquoi ?
MB : La principale caractéristique des marchés agricoles demain sera leur grande volatilité : il est donc très risqué de laisser l'alimentation en Europe aux seules lois du marché.
KN : Est-ce que la France accepte le plafonnement des aides directes ? La Commission dit que la France est "le" pays où la majorité de subventions est consommée par les grandes entreprises agricoles. Et non par les agriculteurs moyens...
MB : La France est favorable à une plus grande équité dans la distribution des aides directes. Elle n'adoptera pas une position opposée à la proposition de la Commission d'un plafonnement des aides.
KN : En même temps, la Commission prône une reforme radicale du secteur du vin européen. Elle ne veut plus subventionner la destruction des vignobles européens - elle qualifie de telles subventions d'"absurdes".
MB : La discussion en cours sur la réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole est absolument essentielle pour la France, au premier rang des producteurs mondiaux de vin.
Je partage la volonté de la Commission, qui est de redonner à la viticulture européenne une dynamique de conquête sur un marché mondial en expansion.
En revanche, je reste à ce stade très réservé, à certaines propositions de la Commission : la compétitivité, ce n'est pas le libéralisme sans règle. Nous devons maintenir une OMC forte, avec des outils de maîtrise du potentiel de production et des outils de régulation. Il s'agit pour moi de conditions indispensables pour accepter la nouvelle OMC.
KN : Imaginons le cas où la reforme du régime des subventions permette des économies substantielles. Que faire de ce surplus ? La Commission veut que l'on investisse dans les fonds structurels agricoles (dont la plupart est consommée par la Pologne et les autres nouveaux pays de l'UE). Etes-vous d'accord ?
MB : La France estime que l'Union européenne requiert une politique agricole qui permette à l'agriculture de répondre aux multiples défis qui sont devant elle : assurer son indépendance et sa sécurité alimentaires, préserver les équilibres et la cohésion de ses territoires, participer à l'amélioration de l'environnement. Cette politique agricole dont l'objectif est de promouvoir une agriculture de production, performante et durable s'inscrit totalement dans la stratégie de Lisbonne qui souhaite faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde. Cette politique est complémentaire des politiques structurelles. Ce n'est pas en démantelant une politique que l'on en construit d'autres. Les Etats-membres doivent accepter de mutualiser des moyens pour accompagner les politiques indispensables à son développement .Et dans ce cadre, une politique de cohésion forte à l'égard des nouveaux Etats-membres de l'Union européenne est une priorité.
KN : Que pensez-vous de l'idée de créer un fond européen spécial pour le secteur "bio" ?
MB : Le développement de l'agriculture biologique est pour moi une priorité. Le Grenelle a fixé un objectif ambitieux : multiplier par 3 les surfaces en agriculture biologique. Elles ne représentent aujourd'hui que 2% de la surface agricole utile. La demande des consommateurs progresse de 10% par an. Ma volonté est d'utiliser le bilan de santé de la PAC pour renforcer le soutien à ces productions par une réorientation des aides entre les agriculteurs.
KN : Est-ce que nous devons faire une liaison entre la réforme de la PAC et la réforme budgétaire? Certains veulent que la PAC, financée uniquement du budget de l'UE soit partiellement « renationalisée ».
MB : Pour la France, le débat budgétaire doit venir après le débat sur les orientations de la politique agricole commune.
KN : Est-ce que dans le but de protéger le marché européen agricole, l'Europe doit limiter les importations ? La France se prononce-t- elle pour renforcer les barrières commerciales ?
MB : La protection du marché européen est essentielle à l'exercice de la souveraineté alimentaire de l'Europe. Elle traduit simplement une préférence des européens pour la communauté qu'ils ont construite. Pour la France, elle est non négociable. Elle doit permettre aux Européens d'avoir la garantie que les produits qu'ils consomment n'ont pas fait l'objet de dumping social, environnemental ou sanitaire. Elle doit permettre aux agriculteurs en Europe de supporter des coûts de production plus élevés tenant aux exigences qu'ils respectent
KN : Est-il toujours possible qu'on aboutisse à un accord à l'OMC ?
MB : Nous demandons que les efforts des différents membres de l'OMC soient équilibrés réciproques. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui. Le Président de la République a souligné récemment l'importance de la préférence communautaire pour l'avenir de l'agriculture européenne. La France est déterminée à veiller à ce que le résultat de la négociation soit compatible avec ce principe et ne déséquilibre pas des pans entiers de notre agriculture.
Source http://www.ambafrance-pl.org, le 28 février 2008