Texte intégral
Q - La contestation s'est amplifiée cet après-midi à Washington comme à Seattle, cette fois contre le FMI et la Banque mondiale qui tiennent leurs assemblées. Les manifestants les rendent responsables des inégalités et des injustices qui naissent et s'accroissent avec la mondialisation. Tous les hommes vont-ils profiter équitablement de cette croissance exceptionnelle de 4,2 % promise pour le début des années 2000 lorsque la misère est la source de tant de conflits et de déséquilibres dont vous avez à vous occuper.
Comment va le monde ? Lorsqu'il ne va pas bien, les Français en souffrent ; le Proche-Orient, aussi près de la guerre que de la paix ; le Maghreb qui lutte contre la pauvreté sur laquelle croît l'intégrisme religieux ; la Russie de Poutine étrangement courtisé malgré la Tchétchénie ; l'Europe qui, bientôt élargie à 30 Etats sera affaiblie ou homogène, cette Europe aujourd'hui sans visage, c'est-à-dire sans symbole et sans projet.
C'est sévère mais vous nous direz ce que vous en pensez.
La France a-t-elle son mot à dire ? Une parole simple et unique qui soit écoutée, que dit la France ? Que fait-elle ? Si elle cause, agit-elle ?
Vous l'expliquerez ce soir en répondant aux questions de Paul Guilbert pour le Figaro, Serbe July pour libération et Catherine Ney. Mais auparavant, je voudrais vous poser une première question qui ne dépend par directement de votre domaine mais que l'on me demande de vous poser autour de nous, les cas de vaches folles se multiplient, on en ignore l'origine, M. Glavany l'a reconnu hier sur France-2, la France va-t-elle maintenir longtemps encore son embargo sur le buf britannique ? Craignez-vous les conséquences de l'épidémie et les effets sur nos rapports avec les Anglais ?
R - La réponse est simple, étant donné qu'il demeure une grande incertitude scientifique sur les voies de transmission, la vigilance s'impose plus que jamais et il est donc moins question que jamais de changer de position.
Q - Aviez-vous entendu parler de cette troisième voie de contamination dont parle M. Glavany ?
R - Non, je n'ai pas d'expertise scientifique particulière à ce sujet, j'en entends donc parler au fur et à mesure des interrogations que l'on voit se développer dans des rapports scientifiques ou à travers ce que dit le ministre de l'Agriculture, mais la conclusion est la même. Je pense que cela justifie la position qui a été d'extrême vigilance du gouvernement français, au nom du principe de précaution. Cela renforce notre précaution.
Q - N'est-ce pas finalement paradoxal car semble-t-il, c'est en France qu'il y a une épidémie, ce n'est pas en Grande-Bretagne ?
R - Il n'y a aucune épizootie ou épidémie qui soit nationale, cela n'existe pas. Il y a différents foyers et aucun pays ne peut se dire complètement épargné, sauf à avoir pris, depuis l'extrême origine, des précautions particulières, encore eut-il fallu que l'on connaisse exactement les modes de transmission. Cela peut être plus ou moins détecté selon les endroits et selon les moments, mais la conclusion est la même encore une fois. Nous avons raison de tenir une politique de précaution et de vigilance.
Q - Même si les autres Européens ne suivent pas, croyez-vous que la solidarité inter-européenne a joué, joue dans cette affaire ?
R - Dans cette affaire, tous les Européens ne sont pas du même avis. Ils n'ont pas la même opinion, mais il me semble que le principe de précaution est plus fort encore que cette obligation-là.
Q - Pensez-vous que les mesures sont suffisantes en France ?
R - Je crois qu'elles ont été adaptées jusqu'ici à l'état des connaissances et le ministre de l'Agriculture, certainement vérifiera si en fonction de nouvelles hypothèses qui pourraient être avancées, de nouvelles mesures de précautions ou de détections doivent être prises. Il faudra s'adapter, la vigilance n'est pas quelque chose d'inerte.
Q - Vladimir Poutine arrive ce soir à Londres, c'est son premier voyage officiel, il va être reçu en "grande pompe " par Tony Blair mais il est aussi l'invité de Jacques Chirac, je crois que vous lui avez transmis l'invitation. Il est également l'invité de Bill Clinton alors comment les populations occidentales peuvent-elles prendre cet empressement autrement que comme une approbation à la politique russe en Tchétchénie ? Pouvez-vous comprendre leurs désarrois ?
R - Le désarroi, il faudra le vérifier. Le rôle des responsables occidentaux est d'avoir une politique à long terme par rapport à la Russie. Il y a une tragédie en Tchétchénie à propos de laquelle la France s'est exprimée depuis le début, depuis fin septembre avec plus de netteté et de façon plus forte je crois que les autres pays occidentaux, mais cela ne nous dispense pas d'avoir une politique russe à long terme. Nous serions gravement défaillants, les uns et les autres, si nous n'avions pas une pensée sur la façon dont il faut travailler avec la Russie puisque nous avons besoin, c'est notre intérêt, nous avons besoin de contribuer à l'élaboration d'une Russie moderne, forte, dans laquelle la démocratie s'enracine. Forte au sens moderne, par exemple, il faut un Etat de droit mais qui soit efficace, ce qui n'existe pas aujourd'hui, en Russie, cela n'a d'ailleurs jamais existé. Nous avons donc une vraie responsabilité par rapport à cela et il y a quelques jours, Laurent Fabius et moi-même avons écrit à tous nos homologues occidentaux et Européens en leur disant de faire le bilan de la façon dont nous avons aidé la Russie depuis quelques années pour voir si les conditions que nous avions posées étaient les bonnes ou non, nous allons continuer à aider, mais il faut voir comment.
Q - Les conditions n'étaient pas les bonnes ?
R - Oui, je pense que, notamment, au début des années 1990, l'establishment financier international a trop insisté sur la dérégulation et cela n'a fait que précipiter certaines pathologies russes alors qu'il aurait fallu les aider, il n'est pas trop tard pour cela à élaborer ce dont je parlais, c'est-à-dire, un Etat de droit moderne mais qui soit efficace. Il y a donc les deux et les politiques étrangères doivent englober l'ensemble des problèmes, on ne peut choisir un problème en laissant tomber celui d'à côté parce qu'il serait trop compliqué. Nous devons faire pression sur les Russes jusqu'à ce qu'ils aient compris que la seule issue possible en Tchétchénie est une solution politique et en même temps, nous devons travailler avec eux cette relation à long terme. Et c'est pour cela que tous les dirigeants occidentaux ont déjà fixé ou proposé des rendez-vous avec M. Poutine qu'ils veulent voir avant le mois de juillet.
Q - Cela veut dire que vous semblez considérer que Vladimir Poutine est l'homme de l'Etat de droit de la démocratisation de l'état russe dans sa plénitude.
R - C'est à nous de faire en sorte que, dans la relation que la Russie a besoin de renforcer avec ses partenaires occidentaux, ils intègrent le fait que cette relation sera d'autant plus féconde pour la Russie qu'elle ira dans cette direction. Mais la Russie est un grand pays, nous ne pouvons pas lui donner des instructions comme cela, le peuple russe a voté, il a élu M. Poutine au premier tour, nous n'avons donc pas à choisir si c'est M. Poutine ou un autre pas plus que M. Poutine n'a à choisir si c'est Bill Clinton ou un autre qui sera le président des Etats-Unis ou de n'importe quel autre pays. A partir de là, il faut savoir dans quel sens nous souhaitons orienter cette relation et je vous l'ai dit en quelques mots.
Q - La France a-t-elle une vraie politique à l'égard de la Russie ?
R - C'est ce que j'ai commencé par rappeler il y a un instant, sur les deux points. J'ai rappelé qu'à propos de la Tchétchénie, nous avions été clair et net, plus fort et plus tôt que les autres.
Q - Ne vous êtes-vous pas senti isolé là-dessus ?
R - Si, bien sûr par exemple, lorsque nous avons, au sommet de l'OSCE à Istanbul, en novembre, proposé que l'on ne puisse pas signer n'importe quelle nouvelle charte de sécurité avec la Russie si celle-ci ne prenait pas des engagements déjà pour ouvrir la Tchétchénie à des organisations multiples et variées qui ont pour objet d'essayer d'apaiser le sort des populations civiles. Lorsqu'en décembre, à Helsinki, nous avons proposé des mesures pour que l'Union européenne ne continue pas n'importe quelle coopération mais passe un peu au crible ses coopérations avec la Russie compte tenu du nouveau contexte, nous avons été extrêmement isolé car la plupart des autres occidentaux, les auditeurs doivent le savoir, ne raisonnent pas ainsi. Ce n'est pas leur priorité et aujourd'hui, nous savons que le président Clinton qui prépare la rencontre qui a été annoncée aujourd'hui, avec le président Poutine va s'intéresser en priorité à la poursuite par la Russie des accords de désarmement, il va essayer d'obtenir son accord pour réviser le traité ABM, il va essayer de vérifier s'ils sont d'accord pour coopérer dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, il va lui demander quelles réformes économiques il compte faire. Il y a une longue liste et je ne sais pas où est la Tchétchénie dans cette liste américaine. Elle est certainement quelque part mais elle est loin. Je crois que c'est important qu'en France où nous sommes très sensibles et à juste titre à cette question tchétchène, il faut que les gens sachent pourquoi les autres occidentaux raisonnent autrement.
Q - Est-ce que la signature du traité " Start II" immédiatement après l'élection présidentielle russe était le prix du soutien américain concernant la Tchétchénie et finalement l'élection présidentielle ?
R - Non, parce que ce dont il s'agissait, était la ratification par la Douma d'un traité de réduction des armements chimiques que l'on appelle "Start II" signé en 1993 qui n'avait jamais été ratifié car il y a eu une guérilla entre la Douma et le président Eltsine durant des années, comme ce qui se passe à Washington avec le Congrès et le président Clinton. Les Russes envoient donc un signal consistant à dire qu'à partir de maintenant, la Douma va coopérer avec le nouveau président. Nous avons donc une Russie qui devient capable, sur ce plan, d'avoir un cap plus fixe qu'elle est capable de tenir. C'est surtout une démonstration de cohésion russe à laquelle nous assistons et en même temps, c'est un message consistant à dire qu'ils vont poursuivre le désarmement stratégique, et ils ajoutent d'ailleurs qu'ils veulent aller plus loin que "Start II" puisqu'ils parlent déjà d'un "Start III" dans lequel on détruirait jusqu'à 15 000 têtes nucléaires.
C'est un message important qu'ils ont lié à un autre point qui est l'éventuelle politique antimissile en disant que cette ratification serait caduque si les Etats-Unis violaient le traité ABM qui est un traité qui associent l'URSS et les Etats-Unis, qui remonte à 1972 et dans lequel il convient de ne pas développer de défense antimissile car cela ruinerait la crédibilité de la dissuasion, à part un site de part et d'autre.
C'est peut-être l'une des premières manifestations de la nouvelle politique étrangère de M. Poutine, et certainement, c'est un élément clef pour les Etats-Unis, pour M. Blair et pour les autres.
Cela ne nous empêche pas d'avoir ce que nous avons dit et fait depuis plusieurs mois maintenant, c'est-à-dire une exigence forte et constante sur la question tchétchène.
Q - Mais qu'avez-vous obtenu sur la Tchétchénie depuis six mois maintenant ?
R - Il me semble que les différentes mesures qui peuvent être considérées comme insuffisantes, mais les visites de représentants du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de la Croix rouge internationale, le fait que certaines ONG soient présentes malgré tout, les informations données au compte goutte mais quand même, il me semble que tout ce que nous avons obtenu l'a été en raison de cette pression qui a été, c'est vrai, essentiellement le fait de la France au début et pendant longtemps. Cela ne traduit pas du tout une attitude anti-russe, car au contraire nous considérons que les Russes se fourvoient complètement.
Q - Cela a empêché M. Poutine de raser Grozny par exemple ?
R - Il est clair que cela n'a pas changé la façon dont l'armée russe mène cette guerre, cette guerre est menée de façon brutale, complètement indiscriminée par rapport aux civils, et si nous sommes capables d'avoir une mémoire jusqu'à 20 ou 30 ans en arrière, nous pouvons penser à d'autres guerres horribles comme cela avec des pratiques aussi brutales. Tout cela est détestable. Tout cela a été condamné, nous avons fait tout ce que nous avons pu pour qu'il y ait un accès à cette région par ceux qui peuvent apaiser les souffrances, nous pensons à l'avenir, notre pression continue pour que les Russes finissent par comprendre qu'il n'y a pas de solution purement militaire à ce type de conflit.
Q - Comment s'articule le débat entre Européens, entre ceux comme la France qui ont manifesté plus de vigilance à l'égard de la Tchétchénie et les autres ?
R - Chaque fois que la France a indiqué sa position, les arguments que l'on a entendu immédiatement c'est par exemple, attention, si nous sommes trop durs ou provocants vis à vis de la Russie, nous risquons d'avoir une Russie véritablement dangereuse pour nous un jour. Une Russie qui s'appauvrit, qui se sent menacée, qui est poussée à bout, et une Russie qui finit par rompre sa volonté de coopération avec l'Occident.
Q - Lorsque vous avez rencontré M. Poutine, vous avez commenté cette rencontre en disant que c'est un patriote. Renouvelez-vous ces propos ?
R - C'est ce que j'ai dit de plus banal à son sujet.
Q - Cela vous a été reproché je ne sais pas pourquoi.
R - Il se trouve que dans un microclimat ici, en extrayant le mot de son contexte, cela n'avait pas de rapport direct avec la Tchétchénie, ceci était à mettre dans la liste des appréciations concernant M. Poutine président par intérim à l'époque, ce mot a été considéré comme étonnant alors que si vous prenez le dictionnaire, on vous rappelle que patriote veut également dire dur aux étrangers. C'est un patriote russe, ce n'est pas un patriote tchétchène, patriote ne veut pas dire doit de l'hommiste au sens moderne. Robespierre était patriote par exemple.
J'ai voulu dire, ce qu'ont dit Mme Albright et plusieurs autres qui ont employé ce terme, que l'on a à faire à un homme et à une équipe obsédé par le déclin de la patrie russe comme l'on dit en langue russe et cela revient tout le temps. On en voit peut-être la première traduction lorsqu'ils disent nous ratifions "Start II" mais nous remettrons en cause l'autre traité si vous le violez. Il y a une sorte de fermeté et je crois qu'il y a la fois cette approche et un désir de modernité c'est vrai, qui peut prendre, selon les cas, une forme qui sera positive ou négative pour nous. C'est donc à nous d'être clair et net sur la façon dont nous sommes à continuer à coopérer avec la Russie, ce que nous ferons.
Q - La date de la visite à Paris de M. Poutine est-elle fixée ?
R - Pas encore.
Q - Vous la prévoyez pour quand ?
R - Je ne peux pas vous dire.
Q - Avant la présidence de l'Union européenne par la France, avant le 1er juillet ?
R - La date importante n'est pas la présidence de l'Union mais la rencontre du G8 qui a lieu la troisième semaine de juillet à Okinawa au Japon. C'est avant cette date que, vraisemblablement, les rencontres auront eu lieu entre M. Poutine et chacun de ses interlocuteurs de ce sommet.
Q - Si M. Poutine a choisi Londres comme premier voyage, est-ce parce que Tony Blair avait parlé le moins de la Tchétchénie ?
R - Oui, c'est vraisemblablement parce que Tony Blair a été à Saint-Pétersbourg pour assister à un opéra avec M. Poutine.
Q - Vous voulez dire, autrement dit, que M. Poutine, en nous honorant de sa visite, après les autres fait payer à la France le discours de fermeté relatif qu'elle a employé vis-à-vis de la Tchétchénie ?
R - On ne peut pas théoriser cela car les dates ne sont pas connues encore mise à part la première qui est celle de Tony Blair. On ne peut donc pas commenter des choses qui ne sont pas encore fixées.
Q - Mais quel bénéfice peut en tirer Tony Blair ?
R - Il pense, sans être son porte-parole, que M. Poutine représente un changement de génération, que sa volonté de modernisation est réelle, qu'il faut répondre à cette demande et que nous arriverons d'autant plus à convaincre les autorités russes de traiter autrement cette affaire tchétchène que nous serons dans un dialogue avec elle. Mais, nous sommes-nous dans un dialogue avec elle et nous n'avons rien masqué, nous avons dit les choses très clairement. J'ai même dit à l'Assemblée nationale à l'automne que ce conflit avait un caractère colonial. Cela dit, nous ne reconnaissons pas la demande d'indépendance de la Tchétchénie, mais je crois que l'on peut être clair et net et dialoguer.
De toute façon, au bout d'un certain temps, M. Poutine aura rencontré tous les dirigeants, il y aura eu le G8 et la question se posera dans les termes que nous avons employé le ministre des Finances et moi-même, par rapport à nos partenaires, nous coopérons, comment, pourquoi.
Q - La présidence française commence le 1er juillet, il semble que les partenaires européens ne soient pas mécontents qu'au menu de la présidence française, il y ait la réforme des institutions qui paraît un sujet impossible. De quels atouts disposez-vous pour mettre en route ce dossier ? Espérez-vous le conclure ?
R - Le gouvernement, le président de la République, nous abordons cette présidence avec beaucoup d'ambitions. Mais c'est une ambition lucide. Lorsque vous prenez la présidence, vous prenez les choses dans l'état où la présidence précédente les a laissée avant de la transmettre ensuite à vos successeurs. Il y a dans une présidence des figures imposées, il n'y a pas que des figures libres, nous pouvons apporter notre touche, nous pouvons donner notre inflexion sur tel ou tel point et en ce qui nous concerne, ce sera une concentration systématique sur toutes les mesures qui rendront l'Europe de plus en plus utiles aux gens.
Q - Un exemple ?
R - Sur les questions de sécurité, de précautions, de sécurité alimentaire, sur la formation, la dimension sociale. Mais, avec ce dénominateur commun, c'est-à-dire répondre à un besoin d'utilité direct, concret. Mais il y a les figures imposées, continuer les négociations d'élargissement entamées avec 12 pays maintenant et faire en sorte qu'elles aient lieu vraiment. C'est dans notre intérêt et c'est dans l'intérêt des candidats.
Q - A quel terme l'élargissement ?
R - Le terme n'est pas fixé puisque nous avons eu finalement le bon sens, à Helsinki, en décembre, de ne pas fixer artificiellement de date, ce qui aurait bien montré que les négociations n'étaient pas sérieuses. Nous avons fixé une autre date qui est celle de janvier 2003 pour avoir fini notre propre remise en ordre et être près à accueillir, à partir de 2003 les pays qui, entre temps, auraient suffisamment progressé pour pouvoir entrer. Dans ces figures imposées, il y a justement cette Conférence intergouvernementale dans laquelle nous discutons de la réforme des institutions, il y en a eu une en 1996-1997 qui n'a pas pu conclure et il nous revient maintenant, après que les Portugais aient présidé à sa relance, d'essayer de conclure. Nous ferons tout ce qui dépend de nous. Mais nous sommes Quinze, il faut aussi que chacun des autres fasse tout ce qui dépend de lui pour conclure. Conclure voulant dire qu'il nous faut obtenir une repondération des voix qui soient moins déséquilibrée, moins éloignée, moins disproportionnée par rapport au poids réel des pays alors que malheureusement, c'est le cas aujourd'hui.
Q - Et concrètement ?
R - Il faut que le nombre de voix soit plus proportionnel à la taille des Etats. Une repondération significative nous permettra d'étendre le nombre de sujets sur lesquels on peut voter à la majorité qualifiée, ce qui rendra la décision européenne plus facile, plus rapide et nous travaillons à un certain nombre de sujets en matière sociale, fiscale, et le troisième point, c'est la taille de la coalition dont on voit que nous sommes à la limite de la virabilité, si je peux employer ce mot affreux. Il faut donc soit la plafonner, l'organiser autrement. Ce sont les trois sujets qui n'ont pas pu être réglés en 1997.
Il y en a d'autres, la coopération renforcée par exemple qui serait une formule permettant à un groupe de pays, sur un sujet donné, d'aller de l'avant, sans être bloquer par le veto des autres.
Voilà un gros programme, c'est très important parce que maintenant, tout le monde a compris qu'avec le grand élargissement vers lequel nous allons, qui est une nécessité historique, il faut absolument préserver cette construction européenne pour laquelle nous avons tellement apporté depuis quelques dizaines d'années du risque de la paralysie et du risque de la dilution. Et cette conférence est une étape pour cela.
Q - En Europe, il y a deux sujets qui n'avancent pas. Toute la presse européenne tombe sur M. Prodi en lui disant que cela ne marche pas. Est-ce une erreur de casting ? Que se passe-t-il ?
R - Je crois que l'on attendait des miracles de M. Prodi, il fait ce qu'il peut.
Q - C'est-à-dire pas grand chose.
R - Non, pas du tout, je n'ai pas dit cela.
Q - Beaucoup de pays européens, de commissaires européens à Bruxelles le disent.
R - Ils font la même erreur. Ce n'est pas parce que l'on a dit que le président de la Commission allait régler tout par miracle qu'il faut considérer qu'il est fautif de ne pas l'avoir fait.
Q - Mais Prodi, ce n'est pas Delors ?
Q - Et vous lui donnez quelle note ?
R - Je ne donne pas de note évidemment et nous ne sommes pas dans l'époque où était Jacques Delors. La fin des années 1980, l'Europe à 12, cela n'a rien à voir avec la situation d'aujourd'hui, l'élargissement ne pesait pas sur tout, c'est différent.
Q - Cela vous convient ?
R - L'état du système européen ne me convient pas car les choses ne fonctionnent pas bien.
Q - Allez-vous faire la même réponse sur le couple franco-allemand qui ne fonctionne pas bien non plus ?
R - C'est différent cela.
Q - Un silence assourdissant du couple franco-allemand pèse sur la préparation de la présidence française.
R - C'est un problème différent. Sur l'affaire européenne, il faut que chaque institution, chaque organe améliore son fonctionnement, il y a des efforts à faire.
Q - Qu'est-ce qui ne marche pas ?
R - Globalement, l'Europe à quinze est plus difficile à gérer, c'est pour cela qu'une de nos ambitions est qu'elle soit gouvernée, dans le bon sens du terme.
Q - Il y a donc une absence de gouvernement de l'Europe et de la Commission européenne.
R - Les problèmes que nous avons à affronter aujourd'hui sont plus nouveaux, moins préparés, plus compliqués que ceux qui ont été traités jusqu'au milieu des années 1990. Après Maastricht et après la décision sur l'Euro qui est historique, nous sommes entrés dans une sorte de monde nouveau, un peu inconnu qui est le résultat de nos succès.
Q - Il y avait un projet.
Q - Mais vous venez de dire quelque chose qui surprendra beaucoup d'auditeur car vous dites qu'il faut élargir et vous dites que de 12 à 15, cela a tellement compliqué les choses que cela n'avance plus.
R - La réalité des choses, c'est que depuis la chute du mur, tous les pays d'Europe à part la France qui a toujours défendu l'idée d'un élargissement maîtrisé étaient pour un élargissement précipité, à notre avis, bâclé, mal préparé et c'est la France qui a imposé une Conférence intergouvernementale avant l'élargissement.
Q - Vous voulez dire que le chef de l'Etat, lorsqu'il allait dans les capitales européennes pour promettre l'entrée immédiate dans l'Europe...
R - Je vous parle d'un phénomène général qui est que tous les pays d'Europe disent que l'élargissement est notre priorité. C'est une psychologie de l'ensemble de l'Europe. La France a beaucoup fait pour que l'on aille dans un sens d'élargissement plus contrôlé, plus maîtrisé. Il n'empêche qu'il aura lieu et que cela crée une perspective qui n'est pas là mais qui va marquer notre vie européenne dans les quinze prochaines années et qui n'a rien à voir avec celle de l'époque Delors par exemple. Nous sommes sur ce problème aujourd'hui et il faut y répondre le mieux possible.
Q - Prendriez-vous l'engagement que dans un an, M. Prodi sera encore à Bruxelles ?
R - Je ne vois pas pourquoi M. Prodi ne ferait pas son mandat normalement et encore une fois, à propos de l'Europe, il faut améliorer le fonctionnement de la Commission, du Parlement, du Conseil européen, du Conseil Affaires générales, chacun doit y mettre du sien.
Q - Le silence franco-allemand à la veille la présidence française, c'est curieux ?
R - Dans l'histoire des relations franco-allemandes, il y a eu des moments de grande entente avec des messages pour le reste de l'Europe et des moments dans lesquels cela marchait moins bien.
Q - C'est le cas aujourd'hui ?
R - Non, sur le plan des relations personnelles, les choses sont très bonnes mais la France et l'Allemagne sont devant le dilemme européen, comme les autres dont je parlais, qui est de savoir comment faire face à cet élargissement inéluctable tout en évitant la paralysie ou la dilution de l'Europe. Les Français et les Allemands travaillent là-dessus et comme il ne s'agit pas de préparer une annonce, un coup, c'est un vrai travail de fond qui prend du temps.
Q - Sur quoi travaillez-vous ?
R - Sur la façon de faire fonctionner l'Europe à 30. Nous n'y serons pas tout de suite, et comment faut-il faire ? Faut-il simplement un Conseil européen qui est le représentant des 30 pays ? Personne ne pense que cela puisse marcher, même avec les futures réformes.
Q - Y a-t-il un accord franco-allemand sur le fait qu'il faudrait un noyau dur ?
R - Les Français et les Allemands travaillent ensemble pour examiner de façon comparative les différentes formules permettant de fonctionner ensuite. Il y a le noyau dur qui consiste à définir un petit nombre de pays, fixe, toujours le même, et cela pose le problème de la séparation entre ceux-là et les autres.
Q - Un petit nombre de grands pays ou un petit nombre de petits pays ?
R - Cela peut être des grands ou des petits, c'est une question de détermination politique plus que de taille.
D'autres disent qu'il faut prendre l'Euro, il y a déjà 11 pays.
Q - C'est la thèse de Giscard d'Estaing ou de M. Schmidt
D'autres encore disent que ce n'est ni le franco-allemand seul, ni l'Europe, c'est trop large, mais des groupes de quatre ou cinq pays, par sujet. C'est ce que l'on appelle la coopération renforcée.
Q - La préférence de la France quelle est-elle ?
R - C'est un sujet très sérieux, très compliqué, sur lequel il y a une réflexion et des échanges entre le président et le gouvernement, au sein du gouvernement, avec les Allemands. Simplement, je tiens à vous dire que nous travaillons beaucoup sur ce point en ce moment-même car il ne faut pas se tromper sur la bonne réponse, sur le mécanisme de demain. Lorsque nous serons d'accord entre nous, sur la formule qu'il faut, quelque chose de précis, nous aurons alors un message commun pour les autres européens. Il ne faut pas relancer la relation franco-allemande pour le plaisir.
Q - Votre objectif, dans les prochaines semaines, d'ici la mi-juin, c'est d'arriver à un accord avec les Allemands sur un schéma d'Europe à 30. Est-ce cela ?
R - Non, d'ici à la mi-juin, l'objectif est intermédiaire par rapport à cela, cela consiste à aboutir à des positions communes sur la Conférence intergouvernementale, sur les trois sujets dont nous avons parlé et peut-être sur les coopérations renforcées. Mais, cela ne suffit pas, et au-delà, je pense qu'il est dans l'intérêt de l'Europe, dans l'intérêt de la France et de l'Allemagne, évidemment, dans l'intérêt des autres pays aussi d'avoir une vision franco-allemande de l'Europe à long terme et la question est celle-là. Je suis très content qu'à travers vos questions, on puisse voir que l'opinion publique a compris que ce problème se posait, j'en parle depuis 1997, et on ne s'est rendu compte de cette question posée par l'élargissement qu'à partir des décisions de décembre dernier, à propos de la décision sur la Turquie alors que ce n'est pas le cur du sujet. Si la Turquie entre un jour dans l'Europe, elle entrera dans l'Europe à 27 ou 28 ; les questions dont nous parlons se seront donc déjà posées et je l'espère auront déjà été résolues.
Q - Aujourd'hui, n'y a-t-il pas, avec la nouvelle génération que symbolise le chancelier Schroeder, une autre manière de traiter les problèmes et même les relations franco-allemandes. N'est-ce pas différent ? Le fait qu'il soit à Berlin le symbolise encore plus ?
R - A mon sens, c'était différent dès la fin du gouvernement du chancelier Kohl, dès la ratification de Maastricht, on a bien vu que le chancelier ne voulait pas aller plus loin, notamment en raison de la protestation des länder quant au transfert de souveraineté. Il ne s'est donc rien passé de plus dans les deux ou trois dernières années du septennat de François Mitterrand.
Q - Voulez-vous dire que l'Europe s'est arrêtée à ce moment-là ?
R - Depuis la décision sur l'Euro et la ratification de Maastricht, il y a eu beaucoup de perfectionnements. Il y a par exemple une dimension économique et sociale pour l'emploi qui n'existait pas avant, c'est notamment le cas depuis le gouvernement Jospin, mais il n'y a pas eu les sauts comparables à ceux que je citais, parce que nous sommes tous devant ce problème, que c'est le problème historique le plus compliqué que l'Europe ait eu à résoudre depuis l'origine. Il nous échoit simplement parce que le communisme est tombé, que les pays de l'Est sont là et qu'ils sont évidemment européens.
Voilà donc l'axe de nos réflexions.
Q - Il y a un an, après l'échec des négociations de Rambouillet auxquelles vous avez participé très activement, que vous aviez organisées même, l'OTAN et la France bombardaient la Yougoslavie. Avez-vous des regrets ? Et sur quel calendrier travaillez-vous à propos de la situation au Kosovo ?
Q - Etait-ce une faute d'aller faire la guerre ?
R - J'ai un immense regret que les choses n'aient pas pu être réglées autrement bien sûr, alors que les occasions n'ont pas manqué.
Q - Pendant la guerre ?
R - Avant, pendant la première partie des négociations, pendant les semaines de la Conférence de Rambouillet et le président Milosevic porte une responsabilité terrible de n'avoir jamais saisi aucune des occasions. Je pense que nous avons fait notre devoir à l'époque.
Q - Concernant le caractère historique, on dit que le 19 janvier de l'an dernier, trois mois avant la guerre, le président Clinton, son administration et ses généraux avaient décidé de faire la guerre et que finalement, nous avons suivi.
R - Non, c'est tout à fait faux, et naturellement les Américains comme tous les autres pays avec leur état-major, comme l'OTAN avaient des planifications sur toutes les hypothèses, sur tous les sujets. Cela ne s'est absolument pas passé ainsi.
Q - N'étiez-vous pas au courant de leur planification ?
R - Les états-majors sont informés des différents plans, mais ce n'est pas cela qui importe, c'est la décision politique. Les Etats-Unis ont agi exactement comme les Européens, ils sont allés jusqu'au bout, c'est-à-dire dans l'espoir de voir la négociation réussir et de ne pas avoir à franchir l'étape suivante. Ils ont même, d'ailleurs, renvoyer Holbrooke, après que Robin Cook et moi nous ayons dû constater l'échec final des négociations pour voir s'il n'y avait pas une dernière possibilité de rebondir. Je pense que nous avons fait ce que nous devions, je pense que les choses seraient encore pire si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, mais je n'ai jamais pensé un quart de seconde que les problèmes des Balkans allaient disparaître comme par enchantement, sous prétexte que nous avions dû intervenir. Il était clair que, dès lors que nous nous engagions, c'était pour aussi longtemps qu'il le faudrait. Les problèmes sont très compliqués maintenant et nous pouvions y penser avant.
Q - Fait-on le moins mal possible ?
R - Oui, je pense exactement. L'an dernier, nous avons pris la décision la moins mauvaise possible.
Q - Et aujourd'hui, est-ce la moins mauvaise possible ?
R - Oui, parce que malgré tout, une sorte de sécurité globale a été rétablie, nous n'avons pas pu complètement interrompre, malgré les efforts courageux de la KFOR et de la MINUK, dirigé par Bernard Kouchner, les comportements des populations et l'attitude par rapport aux minorités, mais je crois que c'est la voie de la sagesse.
Q - Quelles échéances y a-t-il ?
R - Les élections municipales.
Q - Et delà, qu'attendez-vous de cela ?
R - J'attends une sorte de choc démocratique sur la société kosovare à condition que ces élections soient bien préparées et c'est tout le travail qui nous occupe en ce moment, pour qu'il puisse y avoir une vraie campagne, que les gens puissent se présenter sans faire l'objet d'intimidation et que les votes aient lieu correctement.
Q - Vous arrive-t-il de penser, quelquefois, le matin, en vous réveillant à Bernard Kouchner et à l'administration qui est là-bas ?
R - Je pense à lui, nous sommes en contact souvent, nous nous sommes parlés longuement, dimanche dernier, concernant les prochaines initiatives. Nous le soutenons énormément bien sûr, mais la question est celle de la suite des événements. Beaucoup se disent que ce n'est pas clair, et que si les choses étaient clarifiées, cela réglerait les problèmes. Aujourd'hui, la clarification de l'avenir mettrait plutôt un peu plus le feu aux poudres. La voie que nous avons choisie est de ne pas poser de problèmes théoriques avant que nous n'ayons pu construire les fondations, c'est-à-dire des élections municipales se déroulant dans de bonnes conditions. C'est notre objectif, nous espérons pouvoir les faire à l'automne prochain.
Q - Vous dites notre objectif, est-ce l'objectif français ou européen ou OTAN ?
R - C'est l'objectif occidental, ce n'est pas l'OTAN car elle n'a pas de compétences concernant ce sujet, mais c'est le résultat de concertations avec les pays du groupe de contact.
Q - Il n'y a pas d'isolement de la France là-dessus ?
R - Non pas du tout.
Q - Diriez-vous que l'Europe de la défense se fait au Kosovo, quotidiennement entre des officiers de toutes nationalités et qu'elle va progresser grâce au Kosovo ?
R - Je ne dirai pas qu'elle se fait au Kosovo car au Kosovo, pour le coup, c'est l'OTAN, ce n'est pas l'Europe en tant que telle. Il y a des Européens, mais aussi des Américains et même des Russes et il y a beaucoup d'autres contingents. En revanche, je dirai qu'il y a eu un certain effet Kosovo à propos d'une prise de conscience qui avait commencée avant, grâce à un mouvement de nous-mêmes et des Britanniques les uns vers les autres qui ont permis la réunion de Saint-Malo et nous sommes en train de bâtir les instruments pour une Europe de la défense, ce qui était un objet sympathique mais stérile durant 20 ou 30 ans est en train d'entrer dans les faits. La chimère est en train de devenir réalité.
Q - Pouvez-vous vous prononcer sur la polémique qu'il y a en France sur le nombre de victimes de la guerre, les dégâts. S'est-on servi des réfugiés pour justifier les bombardements ?
R - Non, cela a une justification à l'envers, la vérité des bombardements, c'était qu'il fallait mettre un terme, d'une façon ou d'une autre, malheureusement, il fallu le faire par la force, à la politique de la Serbie et du gouvernement de Belgrade au Kosovo. C'était cela et les réfugiés sont venus ensuite puisqu'ils ont été expulsés en représailles. C'est une sorte de justification à l'envers que de dire que nous y sommes allés à cause des réfugiés.
Dans le feu de l'action, peut-être qu'un certain nombre de gens ont éprouvé le besoin de justifier les choses ainsi mais, la réalité est dans ce que j'ai dit précédemment. Au bout du compte, c'est dire qu'il n'est plus tolérable d'avoir des politiques comme cela dans une partie de l'Europe.
Q - Et les chiffres que vous considérez comme correspondant à la réalité ?
R - Je suis très prudent, ce que je conseille, c'est que nous prenions des chiffres attestés sérieusement.
Q - Par qui ?
R - Par le Tribunal pénal international, par les enquêteurs qui examinent les fosses communes les unes après les autres et qui indiquent le chiffre des corps trouvés. Il y a un décalage très grand à chaque fois entre le nombre de corps supposé ou avancé et ceux que l'on trouve. C'est évidemment trop, forcément.
Q - 100 000 personnes ont manifesté à Belgrade hier, des Serbes, peut-on imaginer que symboliquement, les gouvernements sont aux côtés de ces gens-là, contre Milosevic ?
R - Tous les gouvernements, sauf les Russes, et encore il ne faut pas exagérer leur degré d'appui à Milosevic, tous les gouvernements engagés dans cette affaire, rappelez-vous cette extraordinaire unanimité, de toute l'Europe, même des pays qui ne sont pas dans les Quinze, ceux-ci considèrent que l'avenir de la Serbie passe par un changement de pouvoir à Belgrade.
Q - Il y a un an, le président Bouteflika arrivait au pouvoir. Un an plus tard, quel bilan faites-vous de son action alors que la violence a été éradiquée dans les grandes villes, mais la violence islamiste demeure dans les campagnes puisqu'il y a peu près 50 morts par semaine. On voit bien que l'armée est derrière lui et l'empêche d'agir comme il le voudrait. Avez-vous de l'espoir, comment voyez-vous l'avenir dans ce pays ?
R - Nous avons constaté, il y a un an, que l'élection du président Bouteflika traduisait une véritable aspiration du corps électoral algérien. Nous l'avons reconstitué au moment du référendum, une aspiration à un changement, l'Algérie veut sortir de ce tunnel et nous avons aussitôt, et je souligne l'accord entier entre le président de la République et le gouvernement sur ce plan, nous avons aussitôt tendu la main au nouveau président Bouteflika en lui disant que dans la mesure où les Algériens le souhaiteraient, naturellement, la France serait là pour coopérer avec eux dans cette nouvelle étape.
Q - Le répétez-vous ?
R - Bien sûr.
Q - Quand vient-il à Paris ?
R - Il viendra vers la mi-juin, les dates exactes seront annoncées dès qu'un certain nombre de détails auront été résolus.
Q - Mais vous les connaissez ?
R - Oui, je vous dis, c'est la mi-juin.
Q - Du 13 au 17 par exemple ?
R - Il y a quelques points à vérifier encore. C'est donc bien cela, la mi-juin, si je ne me trompe pas.
Q - Il reste plusieurs jours ?
R - C'est une visite très importante il y a eu peu de contacts au sommet, en tout cas sous cette forme depuis l'indépendance de l'Algérie, et le président de la République et le Premier ministre vont réexprimé cette attitude de disponibilité de la France. Mais, c'est à l'Algérie aussi à nous dire ce qu'elle souhaite et nous souhaitons que l'Algérie puisse tourner complètement la page terrible des années passées pour se consacrer à son redéveloppement.
Q - La diplomatie française doit-elle faire effort pour faire comprendre à l'Algérie qu'elle ne lui préfère pas le Maroc ?
R - Il ne faut pas poser le problème en ces termes. Nous avons des rapports excellents avec le Maroc et nous avons les meilleurs rapports possibles avec l'Algérie et la Tunisie.
Q - C'est du langage diplomatique ?
R - Non, c'est de notre intérêt bien compris. Le seul intérêt de la France est d'avoir les meilleurs rapports simultanés possibles avec les trois pays et notre intérêt est que les rapports entre les trois pays soient les meilleurs possibles. Et ce n'est pas du langage diplomatique, c'est de l'intérêt clair et net et en plus, c'est notre sentiment.
Q - Pour que les rapports restent bons avec les trois pays, on ne vous pose pas la question du soutien ou non de la France et du Quai d'Orsay au journaliste qui fait la grève de la faim à Tunis ?
R - La question ne se pose pas en ces termes. Il y a les événements quotidiens, des problèmes particuliers sur lesquels on s'exprime lorsque l'on a des choses à dire, voire des regrets.
Q - Sur les Droits de l'Homme, lorsque vous êtes allé à Tunis, vous avez discuté avec le président Ben Ali, vous lui avez fait quelques suggestions pour aller dans ce sens-là
R - Oui, bien sûr, je lui ai dit que ce serait logique que la Tunisie évolue sur ce plan, surtout que la Tunisie se fixe comme objectif d'avoir des relations de plus en plus étroites avec l'Europe, elle a un accord avec l'Union européenne. J'ai souligné que les réussites remarquables de la Tunisie ces dernières années en matière économique et sociale devraient lui permettre d'évoluer plus vite.
Q - Et avez-vous eu l'impression d'avoir à faire à un interlocuteur sensible ?
R - Notre politique ne peut pas être de choisir, de comparer, de classifier de hiérarchiser. Je vous répète, notre politique c'est notre intérêt, ce n'est pas du langage, c'est une politique de fond qu'il faut mener même si les circonstances sont difficiles. Il nous faut avoir les meilleurs rapports simultanés et les plus utiles possibles avec ces trois pays.
Q - Puis-je vous poser une question sur le Proche-Orient. Vous recevez M. David Lévy demain. Si Israël évacue le Liban, qui protégera la frontière du Nord d'Israël ? Est-ce l'ONU ? Il y a la FINUL avec des troupes françaises ? Renforcerait-on les troupes françaises si l'ONU le demandait ?
R - Les Israéliens disent qu'ils évacueront le Sud-Liban en juillet. M. Barak le répète constamment, nous n'avons pas de raison de ne pas le croire, nous avons toujours dit que ce serait mieux dans le cadre d'un accord, car M. Barak disait aussi que si ce n'était pas dans le cadre d'un accord, il revient au Conseil de sécurité, saisi par le Secrétaire général, ce qu'il va faire bientôt, d'examiner la situation. Etant donné qu'il y a deux résolutions anciennes, la 425 et la 426 qui remontent à 1978, concernant ce qui doit être fait pour l'évacuation immédiate, disait-on à l'époque, du Sud-Liban. C'est au Secrétaire général de voir comment cela se présente pour la sécurité de cette frontière future. Il y a la question de la force des Nations unies, mais qui n'est pas sur l'emplacement exact de la frontière. Nous examinerons cette question dans le cadre du Conseil de sécurité, ce n'est pas à la France seule de déterminer cela.
Q - Mais pour sa part ?
R - La France ne va pas fuir ses responsabilités, il faut que nous sachions exactement dans quel contexte nous sommes. S'il y a accord, ont répondu les gouvernements responsables au Secrétaire général, nous sommes en avril, il y a un processus qui se déroulera à partir de maintenant jusqu'à l'évacuation, pendant lequel, au sein du Conseil de sécurité, nous élaborerons notre réponse collective y compris celle de la France. Notre ligne de conduite n'ayant pas varié, la France fait ce qu'il faut pour être utile à la paix.
Q - Les Finlandais, après beaucoup d'autres pays européens demandent que cesse cette dénonciation et cette mise à l'écart de l'Autriche par la France et la Belgique. Comment la situation évolue-t-elle et surtout quelle est la position française ?
R - A l'heure actuelle, il n'y a pas de mise à l'écart par la France et la Belgique, il y a une décision prise par 14 pays de geler les relations politique bilatérales avec l'Autriche, tout en respectant le fonctionnement normal de l'Union européenne car il n'est pas question de laisser prendre en otage le fonctionnement de l'Europe par la situation qui existe en Autriche et que nous regrettons.
Voilà la position, ce n'est pas une position franco-belge, c'est une position à quatorze.
Q - Oui, mais la France et la Belgique ont été leaders ?
R - A l'origine.
Q - Notre attitude est-elle tenable encore longtemps avec l'Autriche ?
R - Moi j'ai constaté au Conseil européen de Lisbonne il y a peu de temps, que les quatorze étaient sur cette ligne.
Q - Et vous espérez que l'exercice du pouvoir va civiliser les partisans de Haider ?
R - L'attente des pays européens va plus loin qu'une évolution cosmétique.
Q - Lorsque votre homologue Benita Ferrero-Waldner prend la parole à une tribune, quittez-vous la salle ? Enlevez-vous vos écouteurs ? Manifestez-vous votre hostilité comme ont pu le faire Laurent Fabius dans une autre réunion ou Martine Aubry ?
R - Ceux que vous citez avaient comme homologue des membres du parti d'extrême droite, ce qui n'est pas le cas de la ministre des Affaires étrangères qui est membre du parti de M. Schüssel.
Q - C'est une coalition ou les prend-on l'un après l'autre ?
R - La réaction que vous évoquez a eu lieu lorsqu'il y avait des membres du parti de M. Haider. Lorsque c'était des membres du parti de M. Schüssel, il n'y a pas eu de réaction particulière mais il y a d'autre façon de marquer une désapprobation globale de la situation politique. En fait, le problème ne se pose pas de notre côté, il se pose du côté autrichien, nous en sommes à ces mesures que nous avons adoptées à quatorze et dont il me semble qu'elles restent marquées par la cohérence des participants.
Q - De votre point de vue de ministre des Affaires étrangères, au bout de trois ans, comment jugez-vous la cohabitation ? Est-ce un plus par addition des forces politiques ou au contraire, un moins par blocage des initiatives que vous auriez pu prendre en d'autres circonstances ?
R - Quoique je dise, vous allez interpréter cela comme ayant une signification de politique intérieure, ce n'est pas le cas. La cohabitation est un fait.
Q - Laissez-vous aller, dites ce que vous pensez.
R - C'est une situation créée par le vote des Français, c'est comme cela et il faut l'assumer dans l'intérêt du pays.
Q - Mais, y a-t-il des cas où le ministre des Affaires étrangères s'est trouvé, soit conforté, soit handicapé à cause de ce fait dont vous parlez ?
R - Non, aucun parce que dans cette situation, le président de la République, comme le Premier ministre ont tout à fait à cur que, précisément, cette situation ne soit pas un facteur de faiblesse pour la France, où que ce soit. Il y a donc un mécanisme de concertation, de préparation, qui fait que pour toutes les grandes négociations internationales par exemples, la position de la France est toujours ferme et nette , ce qui n'est pas toujours le cas dans les pays où il y a des gouvernements de coalition ou des gouvernements composés de forces politiques proches et qui, du coup, ne font peut-être pas cet effort qui est constant.
Q - Il y a eu une défaillance dans cet effort au moment du voyage de M. Jospin en Israël ?
R - Je vous parlais des négociations internationales, je ne vous parle pas de la façon dont l'un ou l'autre répond avec spontanéité à une question qui surgit brusquement dans une conférence de presse, ce n'est pas la même chose.
La position de la France sur les grandes questions internationales est ferme.
Q - Et vous n'avez pas à faire vous la synthèse parce que vous êtes un formidable dialecticien, un peu de celui-ci, un peu de celui-là alors qu'ils sont en désaccord sur tel ou tel point, il y a unité ?
Q - Le chancelier Schroeder dit aux journalistes français qu'il ne sait pas à qui parler à qui s'adresser.
R - Il me semble qu'il parle très bien à l'un et à l'autre.
Le chancelier Schroeder a dit un certain nombre de choses sur la relation franco-allemande ces derniers temps, et je trouve cela de bonne augure car cela montre l'importance qu'il lui accorde.
Q - Y a-t-il une question que nous n'avons pas posé et à laquelle vous auriez voulu répondre ?
R - Il y a encore une trentaine d'autres conflits dans le monde, si vous voulez que nous en parlions.
Q - Le Rwanda par exemple, c'est drôle que le Conseil de sécurité est fait une manière d'autocritique sur la manière dont cela a été géré par l'organisation internationale ?
R - Non, ce n'est pas drôle, le Conseil de sécurité a simplement montré qu'il n'avait pas réagi comme il aurait pu le faire aux appels d'un certain nombre de pays, dont la France.
Q - C'est le syndrome Jean-Paul II ?
R - Ce n'est pas de la repentance car si vous regardez bien ce qu'a fait le Conseil de sécurité, il a fait une sorte d'analyse : une sorte d'organisme de secours n'aurait pas bien fonctionné. Il ne faut pas non plus imaginer qu'il est tout puissant. Le Conseil de sécurité a simplement dit qu'il avait mal réagi, mal fonctionné, je rappelle que le pays qui a le plus demandé au Conseil de sécurité de prendre ses responsabilités à l'époque, c'est la France et le Conseil de sécurité a dit qu'il avait mal fonctionné et donc, il faut en tirer des bonnes leçons pour l'avenir. C'est un exercice très salubre.
Q - M. Védrine merci. Vous arrivez presque à nous faire croire qu'il y a une grande et vraie politique étrangère commune de la France aujourd'hui, sous la cohabitation.
R - Je ne peux pas répondre à cette remarque-là.
Q - Vous pouvez ?
R - Rien, sur la présentation, je trouve la façon de résumer la chose, comme si j'avais simplement presque réussi à vous le faire croire, c'est une évidence qu'il y a une politique étrangère de la France forte.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2000)
Comment va le monde ? Lorsqu'il ne va pas bien, les Français en souffrent ; le Proche-Orient, aussi près de la guerre que de la paix ; le Maghreb qui lutte contre la pauvreté sur laquelle croît l'intégrisme religieux ; la Russie de Poutine étrangement courtisé malgré la Tchétchénie ; l'Europe qui, bientôt élargie à 30 Etats sera affaiblie ou homogène, cette Europe aujourd'hui sans visage, c'est-à-dire sans symbole et sans projet.
C'est sévère mais vous nous direz ce que vous en pensez.
La France a-t-elle son mot à dire ? Une parole simple et unique qui soit écoutée, que dit la France ? Que fait-elle ? Si elle cause, agit-elle ?
Vous l'expliquerez ce soir en répondant aux questions de Paul Guilbert pour le Figaro, Serbe July pour libération et Catherine Ney. Mais auparavant, je voudrais vous poser une première question qui ne dépend par directement de votre domaine mais que l'on me demande de vous poser autour de nous, les cas de vaches folles se multiplient, on en ignore l'origine, M. Glavany l'a reconnu hier sur France-2, la France va-t-elle maintenir longtemps encore son embargo sur le buf britannique ? Craignez-vous les conséquences de l'épidémie et les effets sur nos rapports avec les Anglais ?
R - La réponse est simple, étant donné qu'il demeure une grande incertitude scientifique sur les voies de transmission, la vigilance s'impose plus que jamais et il est donc moins question que jamais de changer de position.
Q - Aviez-vous entendu parler de cette troisième voie de contamination dont parle M. Glavany ?
R - Non, je n'ai pas d'expertise scientifique particulière à ce sujet, j'en entends donc parler au fur et à mesure des interrogations que l'on voit se développer dans des rapports scientifiques ou à travers ce que dit le ministre de l'Agriculture, mais la conclusion est la même. Je pense que cela justifie la position qui a été d'extrême vigilance du gouvernement français, au nom du principe de précaution. Cela renforce notre précaution.
Q - N'est-ce pas finalement paradoxal car semble-t-il, c'est en France qu'il y a une épidémie, ce n'est pas en Grande-Bretagne ?
R - Il n'y a aucune épizootie ou épidémie qui soit nationale, cela n'existe pas. Il y a différents foyers et aucun pays ne peut se dire complètement épargné, sauf à avoir pris, depuis l'extrême origine, des précautions particulières, encore eut-il fallu que l'on connaisse exactement les modes de transmission. Cela peut être plus ou moins détecté selon les endroits et selon les moments, mais la conclusion est la même encore une fois. Nous avons raison de tenir une politique de précaution et de vigilance.
Q - Même si les autres Européens ne suivent pas, croyez-vous que la solidarité inter-européenne a joué, joue dans cette affaire ?
R - Dans cette affaire, tous les Européens ne sont pas du même avis. Ils n'ont pas la même opinion, mais il me semble que le principe de précaution est plus fort encore que cette obligation-là.
Q - Pensez-vous que les mesures sont suffisantes en France ?
R - Je crois qu'elles ont été adaptées jusqu'ici à l'état des connaissances et le ministre de l'Agriculture, certainement vérifiera si en fonction de nouvelles hypothèses qui pourraient être avancées, de nouvelles mesures de précautions ou de détections doivent être prises. Il faudra s'adapter, la vigilance n'est pas quelque chose d'inerte.
Q - Vladimir Poutine arrive ce soir à Londres, c'est son premier voyage officiel, il va être reçu en "grande pompe " par Tony Blair mais il est aussi l'invité de Jacques Chirac, je crois que vous lui avez transmis l'invitation. Il est également l'invité de Bill Clinton alors comment les populations occidentales peuvent-elles prendre cet empressement autrement que comme une approbation à la politique russe en Tchétchénie ? Pouvez-vous comprendre leurs désarrois ?
R - Le désarroi, il faudra le vérifier. Le rôle des responsables occidentaux est d'avoir une politique à long terme par rapport à la Russie. Il y a une tragédie en Tchétchénie à propos de laquelle la France s'est exprimée depuis le début, depuis fin septembre avec plus de netteté et de façon plus forte je crois que les autres pays occidentaux, mais cela ne nous dispense pas d'avoir une politique russe à long terme. Nous serions gravement défaillants, les uns et les autres, si nous n'avions pas une pensée sur la façon dont il faut travailler avec la Russie puisque nous avons besoin, c'est notre intérêt, nous avons besoin de contribuer à l'élaboration d'une Russie moderne, forte, dans laquelle la démocratie s'enracine. Forte au sens moderne, par exemple, il faut un Etat de droit mais qui soit efficace, ce qui n'existe pas aujourd'hui, en Russie, cela n'a d'ailleurs jamais existé. Nous avons donc une vraie responsabilité par rapport à cela et il y a quelques jours, Laurent Fabius et moi-même avons écrit à tous nos homologues occidentaux et Européens en leur disant de faire le bilan de la façon dont nous avons aidé la Russie depuis quelques années pour voir si les conditions que nous avions posées étaient les bonnes ou non, nous allons continuer à aider, mais il faut voir comment.
Q - Les conditions n'étaient pas les bonnes ?
R - Oui, je pense que, notamment, au début des années 1990, l'establishment financier international a trop insisté sur la dérégulation et cela n'a fait que précipiter certaines pathologies russes alors qu'il aurait fallu les aider, il n'est pas trop tard pour cela à élaborer ce dont je parlais, c'est-à-dire, un Etat de droit moderne mais qui soit efficace. Il y a donc les deux et les politiques étrangères doivent englober l'ensemble des problèmes, on ne peut choisir un problème en laissant tomber celui d'à côté parce qu'il serait trop compliqué. Nous devons faire pression sur les Russes jusqu'à ce qu'ils aient compris que la seule issue possible en Tchétchénie est une solution politique et en même temps, nous devons travailler avec eux cette relation à long terme. Et c'est pour cela que tous les dirigeants occidentaux ont déjà fixé ou proposé des rendez-vous avec M. Poutine qu'ils veulent voir avant le mois de juillet.
Q - Cela veut dire que vous semblez considérer que Vladimir Poutine est l'homme de l'Etat de droit de la démocratisation de l'état russe dans sa plénitude.
R - C'est à nous de faire en sorte que, dans la relation que la Russie a besoin de renforcer avec ses partenaires occidentaux, ils intègrent le fait que cette relation sera d'autant plus féconde pour la Russie qu'elle ira dans cette direction. Mais la Russie est un grand pays, nous ne pouvons pas lui donner des instructions comme cela, le peuple russe a voté, il a élu M. Poutine au premier tour, nous n'avons donc pas à choisir si c'est M. Poutine ou un autre pas plus que M. Poutine n'a à choisir si c'est Bill Clinton ou un autre qui sera le président des Etats-Unis ou de n'importe quel autre pays. A partir de là, il faut savoir dans quel sens nous souhaitons orienter cette relation et je vous l'ai dit en quelques mots.
Q - La France a-t-elle une vraie politique à l'égard de la Russie ?
R - C'est ce que j'ai commencé par rappeler il y a un instant, sur les deux points. J'ai rappelé qu'à propos de la Tchétchénie, nous avions été clair et net, plus fort et plus tôt que les autres.
Q - Ne vous êtes-vous pas senti isolé là-dessus ?
R - Si, bien sûr par exemple, lorsque nous avons, au sommet de l'OSCE à Istanbul, en novembre, proposé que l'on ne puisse pas signer n'importe quelle nouvelle charte de sécurité avec la Russie si celle-ci ne prenait pas des engagements déjà pour ouvrir la Tchétchénie à des organisations multiples et variées qui ont pour objet d'essayer d'apaiser le sort des populations civiles. Lorsqu'en décembre, à Helsinki, nous avons proposé des mesures pour que l'Union européenne ne continue pas n'importe quelle coopération mais passe un peu au crible ses coopérations avec la Russie compte tenu du nouveau contexte, nous avons été extrêmement isolé car la plupart des autres occidentaux, les auditeurs doivent le savoir, ne raisonnent pas ainsi. Ce n'est pas leur priorité et aujourd'hui, nous savons que le président Clinton qui prépare la rencontre qui a été annoncée aujourd'hui, avec le président Poutine va s'intéresser en priorité à la poursuite par la Russie des accords de désarmement, il va essayer d'obtenir son accord pour réviser le traité ABM, il va essayer de vérifier s'ils sont d'accord pour coopérer dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, il va lui demander quelles réformes économiques il compte faire. Il y a une longue liste et je ne sais pas où est la Tchétchénie dans cette liste américaine. Elle est certainement quelque part mais elle est loin. Je crois que c'est important qu'en France où nous sommes très sensibles et à juste titre à cette question tchétchène, il faut que les gens sachent pourquoi les autres occidentaux raisonnent autrement.
Q - Est-ce que la signature du traité " Start II" immédiatement après l'élection présidentielle russe était le prix du soutien américain concernant la Tchétchénie et finalement l'élection présidentielle ?
R - Non, parce que ce dont il s'agissait, était la ratification par la Douma d'un traité de réduction des armements chimiques que l'on appelle "Start II" signé en 1993 qui n'avait jamais été ratifié car il y a eu une guérilla entre la Douma et le président Eltsine durant des années, comme ce qui se passe à Washington avec le Congrès et le président Clinton. Les Russes envoient donc un signal consistant à dire qu'à partir de maintenant, la Douma va coopérer avec le nouveau président. Nous avons donc une Russie qui devient capable, sur ce plan, d'avoir un cap plus fixe qu'elle est capable de tenir. C'est surtout une démonstration de cohésion russe à laquelle nous assistons et en même temps, c'est un message consistant à dire qu'ils vont poursuivre le désarmement stratégique, et ils ajoutent d'ailleurs qu'ils veulent aller plus loin que "Start II" puisqu'ils parlent déjà d'un "Start III" dans lequel on détruirait jusqu'à 15 000 têtes nucléaires.
C'est un message important qu'ils ont lié à un autre point qui est l'éventuelle politique antimissile en disant que cette ratification serait caduque si les Etats-Unis violaient le traité ABM qui est un traité qui associent l'URSS et les Etats-Unis, qui remonte à 1972 et dans lequel il convient de ne pas développer de défense antimissile car cela ruinerait la crédibilité de la dissuasion, à part un site de part et d'autre.
C'est peut-être l'une des premières manifestations de la nouvelle politique étrangère de M. Poutine, et certainement, c'est un élément clef pour les Etats-Unis, pour M. Blair et pour les autres.
Cela ne nous empêche pas d'avoir ce que nous avons dit et fait depuis plusieurs mois maintenant, c'est-à-dire une exigence forte et constante sur la question tchétchène.
Q - Mais qu'avez-vous obtenu sur la Tchétchénie depuis six mois maintenant ?
R - Il me semble que les différentes mesures qui peuvent être considérées comme insuffisantes, mais les visites de représentants du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de la Croix rouge internationale, le fait que certaines ONG soient présentes malgré tout, les informations données au compte goutte mais quand même, il me semble que tout ce que nous avons obtenu l'a été en raison de cette pression qui a été, c'est vrai, essentiellement le fait de la France au début et pendant longtemps. Cela ne traduit pas du tout une attitude anti-russe, car au contraire nous considérons que les Russes se fourvoient complètement.
Q - Cela a empêché M. Poutine de raser Grozny par exemple ?
R - Il est clair que cela n'a pas changé la façon dont l'armée russe mène cette guerre, cette guerre est menée de façon brutale, complètement indiscriminée par rapport aux civils, et si nous sommes capables d'avoir une mémoire jusqu'à 20 ou 30 ans en arrière, nous pouvons penser à d'autres guerres horribles comme cela avec des pratiques aussi brutales. Tout cela est détestable. Tout cela a été condamné, nous avons fait tout ce que nous avons pu pour qu'il y ait un accès à cette région par ceux qui peuvent apaiser les souffrances, nous pensons à l'avenir, notre pression continue pour que les Russes finissent par comprendre qu'il n'y a pas de solution purement militaire à ce type de conflit.
Q - Comment s'articule le débat entre Européens, entre ceux comme la France qui ont manifesté plus de vigilance à l'égard de la Tchétchénie et les autres ?
R - Chaque fois que la France a indiqué sa position, les arguments que l'on a entendu immédiatement c'est par exemple, attention, si nous sommes trop durs ou provocants vis à vis de la Russie, nous risquons d'avoir une Russie véritablement dangereuse pour nous un jour. Une Russie qui s'appauvrit, qui se sent menacée, qui est poussée à bout, et une Russie qui finit par rompre sa volonté de coopération avec l'Occident.
Q - Lorsque vous avez rencontré M. Poutine, vous avez commenté cette rencontre en disant que c'est un patriote. Renouvelez-vous ces propos ?
R - C'est ce que j'ai dit de plus banal à son sujet.
Q - Cela vous a été reproché je ne sais pas pourquoi.
R - Il se trouve que dans un microclimat ici, en extrayant le mot de son contexte, cela n'avait pas de rapport direct avec la Tchétchénie, ceci était à mettre dans la liste des appréciations concernant M. Poutine président par intérim à l'époque, ce mot a été considéré comme étonnant alors que si vous prenez le dictionnaire, on vous rappelle que patriote veut également dire dur aux étrangers. C'est un patriote russe, ce n'est pas un patriote tchétchène, patriote ne veut pas dire doit de l'hommiste au sens moderne. Robespierre était patriote par exemple.
J'ai voulu dire, ce qu'ont dit Mme Albright et plusieurs autres qui ont employé ce terme, que l'on a à faire à un homme et à une équipe obsédé par le déclin de la patrie russe comme l'on dit en langue russe et cela revient tout le temps. On en voit peut-être la première traduction lorsqu'ils disent nous ratifions "Start II" mais nous remettrons en cause l'autre traité si vous le violez. Il y a une sorte de fermeté et je crois qu'il y a la fois cette approche et un désir de modernité c'est vrai, qui peut prendre, selon les cas, une forme qui sera positive ou négative pour nous. C'est donc à nous d'être clair et net sur la façon dont nous sommes à continuer à coopérer avec la Russie, ce que nous ferons.
Q - La date de la visite à Paris de M. Poutine est-elle fixée ?
R - Pas encore.
Q - Vous la prévoyez pour quand ?
R - Je ne peux pas vous dire.
Q - Avant la présidence de l'Union européenne par la France, avant le 1er juillet ?
R - La date importante n'est pas la présidence de l'Union mais la rencontre du G8 qui a lieu la troisième semaine de juillet à Okinawa au Japon. C'est avant cette date que, vraisemblablement, les rencontres auront eu lieu entre M. Poutine et chacun de ses interlocuteurs de ce sommet.
Q - Si M. Poutine a choisi Londres comme premier voyage, est-ce parce que Tony Blair avait parlé le moins de la Tchétchénie ?
R - Oui, c'est vraisemblablement parce que Tony Blair a été à Saint-Pétersbourg pour assister à un opéra avec M. Poutine.
Q - Vous voulez dire, autrement dit, que M. Poutine, en nous honorant de sa visite, après les autres fait payer à la France le discours de fermeté relatif qu'elle a employé vis-à-vis de la Tchétchénie ?
R - On ne peut pas théoriser cela car les dates ne sont pas connues encore mise à part la première qui est celle de Tony Blair. On ne peut donc pas commenter des choses qui ne sont pas encore fixées.
Q - Mais quel bénéfice peut en tirer Tony Blair ?
R - Il pense, sans être son porte-parole, que M. Poutine représente un changement de génération, que sa volonté de modernisation est réelle, qu'il faut répondre à cette demande et que nous arriverons d'autant plus à convaincre les autorités russes de traiter autrement cette affaire tchétchène que nous serons dans un dialogue avec elle. Mais, nous sommes-nous dans un dialogue avec elle et nous n'avons rien masqué, nous avons dit les choses très clairement. J'ai même dit à l'Assemblée nationale à l'automne que ce conflit avait un caractère colonial. Cela dit, nous ne reconnaissons pas la demande d'indépendance de la Tchétchénie, mais je crois que l'on peut être clair et net et dialoguer.
De toute façon, au bout d'un certain temps, M. Poutine aura rencontré tous les dirigeants, il y aura eu le G8 et la question se posera dans les termes que nous avons employé le ministre des Finances et moi-même, par rapport à nos partenaires, nous coopérons, comment, pourquoi.
Q - La présidence française commence le 1er juillet, il semble que les partenaires européens ne soient pas mécontents qu'au menu de la présidence française, il y ait la réforme des institutions qui paraît un sujet impossible. De quels atouts disposez-vous pour mettre en route ce dossier ? Espérez-vous le conclure ?
R - Le gouvernement, le président de la République, nous abordons cette présidence avec beaucoup d'ambitions. Mais c'est une ambition lucide. Lorsque vous prenez la présidence, vous prenez les choses dans l'état où la présidence précédente les a laissée avant de la transmettre ensuite à vos successeurs. Il y a dans une présidence des figures imposées, il n'y a pas que des figures libres, nous pouvons apporter notre touche, nous pouvons donner notre inflexion sur tel ou tel point et en ce qui nous concerne, ce sera une concentration systématique sur toutes les mesures qui rendront l'Europe de plus en plus utiles aux gens.
Q - Un exemple ?
R - Sur les questions de sécurité, de précautions, de sécurité alimentaire, sur la formation, la dimension sociale. Mais, avec ce dénominateur commun, c'est-à-dire répondre à un besoin d'utilité direct, concret. Mais il y a les figures imposées, continuer les négociations d'élargissement entamées avec 12 pays maintenant et faire en sorte qu'elles aient lieu vraiment. C'est dans notre intérêt et c'est dans l'intérêt des candidats.
Q - A quel terme l'élargissement ?
R - Le terme n'est pas fixé puisque nous avons eu finalement le bon sens, à Helsinki, en décembre, de ne pas fixer artificiellement de date, ce qui aurait bien montré que les négociations n'étaient pas sérieuses. Nous avons fixé une autre date qui est celle de janvier 2003 pour avoir fini notre propre remise en ordre et être près à accueillir, à partir de 2003 les pays qui, entre temps, auraient suffisamment progressé pour pouvoir entrer. Dans ces figures imposées, il y a justement cette Conférence intergouvernementale dans laquelle nous discutons de la réforme des institutions, il y en a eu une en 1996-1997 qui n'a pas pu conclure et il nous revient maintenant, après que les Portugais aient présidé à sa relance, d'essayer de conclure. Nous ferons tout ce qui dépend de nous. Mais nous sommes Quinze, il faut aussi que chacun des autres fasse tout ce qui dépend de lui pour conclure. Conclure voulant dire qu'il nous faut obtenir une repondération des voix qui soient moins déséquilibrée, moins éloignée, moins disproportionnée par rapport au poids réel des pays alors que malheureusement, c'est le cas aujourd'hui.
Q - Et concrètement ?
R - Il faut que le nombre de voix soit plus proportionnel à la taille des Etats. Une repondération significative nous permettra d'étendre le nombre de sujets sur lesquels on peut voter à la majorité qualifiée, ce qui rendra la décision européenne plus facile, plus rapide et nous travaillons à un certain nombre de sujets en matière sociale, fiscale, et le troisième point, c'est la taille de la coalition dont on voit que nous sommes à la limite de la virabilité, si je peux employer ce mot affreux. Il faut donc soit la plafonner, l'organiser autrement. Ce sont les trois sujets qui n'ont pas pu être réglés en 1997.
Il y en a d'autres, la coopération renforcée par exemple qui serait une formule permettant à un groupe de pays, sur un sujet donné, d'aller de l'avant, sans être bloquer par le veto des autres.
Voilà un gros programme, c'est très important parce que maintenant, tout le monde a compris qu'avec le grand élargissement vers lequel nous allons, qui est une nécessité historique, il faut absolument préserver cette construction européenne pour laquelle nous avons tellement apporté depuis quelques dizaines d'années du risque de la paralysie et du risque de la dilution. Et cette conférence est une étape pour cela.
Q - En Europe, il y a deux sujets qui n'avancent pas. Toute la presse européenne tombe sur M. Prodi en lui disant que cela ne marche pas. Est-ce une erreur de casting ? Que se passe-t-il ?
R - Je crois que l'on attendait des miracles de M. Prodi, il fait ce qu'il peut.
Q - C'est-à-dire pas grand chose.
R - Non, pas du tout, je n'ai pas dit cela.
Q - Beaucoup de pays européens, de commissaires européens à Bruxelles le disent.
R - Ils font la même erreur. Ce n'est pas parce que l'on a dit que le président de la Commission allait régler tout par miracle qu'il faut considérer qu'il est fautif de ne pas l'avoir fait.
Q - Mais Prodi, ce n'est pas Delors ?
Q - Et vous lui donnez quelle note ?
R - Je ne donne pas de note évidemment et nous ne sommes pas dans l'époque où était Jacques Delors. La fin des années 1980, l'Europe à 12, cela n'a rien à voir avec la situation d'aujourd'hui, l'élargissement ne pesait pas sur tout, c'est différent.
Q - Cela vous convient ?
R - L'état du système européen ne me convient pas car les choses ne fonctionnent pas bien.
Q - Allez-vous faire la même réponse sur le couple franco-allemand qui ne fonctionne pas bien non plus ?
R - C'est différent cela.
Q - Un silence assourdissant du couple franco-allemand pèse sur la préparation de la présidence française.
R - C'est un problème différent. Sur l'affaire européenne, il faut que chaque institution, chaque organe améliore son fonctionnement, il y a des efforts à faire.
Q - Qu'est-ce qui ne marche pas ?
R - Globalement, l'Europe à quinze est plus difficile à gérer, c'est pour cela qu'une de nos ambitions est qu'elle soit gouvernée, dans le bon sens du terme.
Q - Il y a donc une absence de gouvernement de l'Europe et de la Commission européenne.
R - Les problèmes que nous avons à affronter aujourd'hui sont plus nouveaux, moins préparés, plus compliqués que ceux qui ont été traités jusqu'au milieu des années 1990. Après Maastricht et après la décision sur l'Euro qui est historique, nous sommes entrés dans une sorte de monde nouveau, un peu inconnu qui est le résultat de nos succès.
Q - Il y avait un projet.
Q - Mais vous venez de dire quelque chose qui surprendra beaucoup d'auditeur car vous dites qu'il faut élargir et vous dites que de 12 à 15, cela a tellement compliqué les choses que cela n'avance plus.
R - La réalité des choses, c'est que depuis la chute du mur, tous les pays d'Europe à part la France qui a toujours défendu l'idée d'un élargissement maîtrisé étaient pour un élargissement précipité, à notre avis, bâclé, mal préparé et c'est la France qui a imposé une Conférence intergouvernementale avant l'élargissement.
Q - Vous voulez dire que le chef de l'Etat, lorsqu'il allait dans les capitales européennes pour promettre l'entrée immédiate dans l'Europe...
R - Je vous parle d'un phénomène général qui est que tous les pays d'Europe disent que l'élargissement est notre priorité. C'est une psychologie de l'ensemble de l'Europe. La France a beaucoup fait pour que l'on aille dans un sens d'élargissement plus contrôlé, plus maîtrisé. Il n'empêche qu'il aura lieu et que cela crée une perspective qui n'est pas là mais qui va marquer notre vie européenne dans les quinze prochaines années et qui n'a rien à voir avec celle de l'époque Delors par exemple. Nous sommes sur ce problème aujourd'hui et il faut y répondre le mieux possible.
Q - Prendriez-vous l'engagement que dans un an, M. Prodi sera encore à Bruxelles ?
R - Je ne vois pas pourquoi M. Prodi ne ferait pas son mandat normalement et encore une fois, à propos de l'Europe, il faut améliorer le fonctionnement de la Commission, du Parlement, du Conseil européen, du Conseil Affaires générales, chacun doit y mettre du sien.
Q - Le silence franco-allemand à la veille la présidence française, c'est curieux ?
R - Dans l'histoire des relations franco-allemandes, il y a eu des moments de grande entente avec des messages pour le reste de l'Europe et des moments dans lesquels cela marchait moins bien.
Q - C'est le cas aujourd'hui ?
R - Non, sur le plan des relations personnelles, les choses sont très bonnes mais la France et l'Allemagne sont devant le dilemme européen, comme les autres dont je parlais, qui est de savoir comment faire face à cet élargissement inéluctable tout en évitant la paralysie ou la dilution de l'Europe. Les Français et les Allemands travaillent là-dessus et comme il ne s'agit pas de préparer une annonce, un coup, c'est un vrai travail de fond qui prend du temps.
Q - Sur quoi travaillez-vous ?
R - Sur la façon de faire fonctionner l'Europe à 30. Nous n'y serons pas tout de suite, et comment faut-il faire ? Faut-il simplement un Conseil européen qui est le représentant des 30 pays ? Personne ne pense que cela puisse marcher, même avec les futures réformes.
Q - Y a-t-il un accord franco-allemand sur le fait qu'il faudrait un noyau dur ?
R - Les Français et les Allemands travaillent ensemble pour examiner de façon comparative les différentes formules permettant de fonctionner ensuite. Il y a le noyau dur qui consiste à définir un petit nombre de pays, fixe, toujours le même, et cela pose le problème de la séparation entre ceux-là et les autres.
Q - Un petit nombre de grands pays ou un petit nombre de petits pays ?
R - Cela peut être des grands ou des petits, c'est une question de détermination politique plus que de taille.
D'autres disent qu'il faut prendre l'Euro, il y a déjà 11 pays.
Q - C'est la thèse de Giscard d'Estaing ou de M. Schmidt
D'autres encore disent que ce n'est ni le franco-allemand seul, ni l'Europe, c'est trop large, mais des groupes de quatre ou cinq pays, par sujet. C'est ce que l'on appelle la coopération renforcée.
Q - La préférence de la France quelle est-elle ?
R - C'est un sujet très sérieux, très compliqué, sur lequel il y a une réflexion et des échanges entre le président et le gouvernement, au sein du gouvernement, avec les Allemands. Simplement, je tiens à vous dire que nous travaillons beaucoup sur ce point en ce moment-même car il ne faut pas se tromper sur la bonne réponse, sur le mécanisme de demain. Lorsque nous serons d'accord entre nous, sur la formule qu'il faut, quelque chose de précis, nous aurons alors un message commun pour les autres européens. Il ne faut pas relancer la relation franco-allemande pour le plaisir.
Q - Votre objectif, dans les prochaines semaines, d'ici la mi-juin, c'est d'arriver à un accord avec les Allemands sur un schéma d'Europe à 30. Est-ce cela ?
R - Non, d'ici à la mi-juin, l'objectif est intermédiaire par rapport à cela, cela consiste à aboutir à des positions communes sur la Conférence intergouvernementale, sur les trois sujets dont nous avons parlé et peut-être sur les coopérations renforcées. Mais, cela ne suffit pas, et au-delà, je pense qu'il est dans l'intérêt de l'Europe, dans l'intérêt de la France et de l'Allemagne, évidemment, dans l'intérêt des autres pays aussi d'avoir une vision franco-allemande de l'Europe à long terme et la question est celle-là. Je suis très content qu'à travers vos questions, on puisse voir que l'opinion publique a compris que ce problème se posait, j'en parle depuis 1997, et on ne s'est rendu compte de cette question posée par l'élargissement qu'à partir des décisions de décembre dernier, à propos de la décision sur la Turquie alors que ce n'est pas le cur du sujet. Si la Turquie entre un jour dans l'Europe, elle entrera dans l'Europe à 27 ou 28 ; les questions dont nous parlons se seront donc déjà posées et je l'espère auront déjà été résolues.
Q - Aujourd'hui, n'y a-t-il pas, avec la nouvelle génération que symbolise le chancelier Schroeder, une autre manière de traiter les problèmes et même les relations franco-allemandes. N'est-ce pas différent ? Le fait qu'il soit à Berlin le symbolise encore plus ?
R - A mon sens, c'était différent dès la fin du gouvernement du chancelier Kohl, dès la ratification de Maastricht, on a bien vu que le chancelier ne voulait pas aller plus loin, notamment en raison de la protestation des länder quant au transfert de souveraineté. Il ne s'est donc rien passé de plus dans les deux ou trois dernières années du septennat de François Mitterrand.
Q - Voulez-vous dire que l'Europe s'est arrêtée à ce moment-là ?
R - Depuis la décision sur l'Euro et la ratification de Maastricht, il y a eu beaucoup de perfectionnements. Il y a par exemple une dimension économique et sociale pour l'emploi qui n'existait pas avant, c'est notamment le cas depuis le gouvernement Jospin, mais il n'y a pas eu les sauts comparables à ceux que je citais, parce que nous sommes tous devant ce problème, que c'est le problème historique le plus compliqué que l'Europe ait eu à résoudre depuis l'origine. Il nous échoit simplement parce que le communisme est tombé, que les pays de l'Est sont là et qu'ils sont évidemment européens.
Voilà donc l'axe de nos réflexions.
Q - Il y a un an, après l'échec des négociations de Rambouillet auxquelles vous avez participé très activement, que vous aviez organisées même, l'OTAN et la France bombardaient la Yougoslavie. Avez-vous des regrets ? Et sur quel calendrier travaillez-vous à propos de la situation au Kosovo ?
Q - Etait-ce une faute d'aller faire la guerre ?
R - J'ai un immense regret que les choses n'aient pas pu être réglées autrement bien sûr, alors que les occasions n'ont pas manqué.
Q - Pendant la guerre ?
R - Avant, pendant la première partie des négociations, pendant les semaines de la Conférence de Rambouillet et le président Milosevic porte une responsabilité terrible de n'avoir jamais saisi aucune des occasions. Je pense que nous avons fait notre devoir à l'époque.
Q - Concernant le caractère historique, on dit que le 19 janvier de l'an dernier, trois mois avant la guerre, le président Clinton, son administration et ses généraux avaient décidé de faire la guerre et que finalement, nous avons suivi.
R - Non, c'est tout à fait faux, et naturellement les Américains comme tous les autres pays avec leur état-major, comme l'OTAN avaient des planifications sur toutes les hypothèses, sur tous les sujets. Cela ne s'est absolument pas passé ainsi.
Q - N'étiez-vous pas au courant de leur planification ?
R - Les états-majors sont informés des différents plans, mais ce n'est pas cela qui importe, c'est la décision politique. Les Etats-Unis ont agi exactement comme les Européens, ils sont allés jusqu'au bout, c'est-à-dire dans l'espoir de voir la négociation réussir et de ne pas avoir à franchir l'étape suivante. Ils ont même, d'ailleurs, renvoyer Holbrooke, après que Robin Cook et moi nous ayons dû constater l'échec final des négociations pour voir s'il n'y avait pas une dernière possibilité de rebondir. Je pense que nous avons fait ce que nous devions, je pense que les choses seraient encore pire si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, mais je n'ai jamais pensé un quart de seconde que les problèmes des Balkans allaient disparaître comme par enchantement, sous prétexte que nous avions dû intervenir. Il était clair que, dès lors que nous nous engagions, c'était pour aussi longtemps qu'il le faudrait. Les problèmes sont très compliqués maintenant et nous pouvions y penser avant.
Q - Fait-on le moins mal possible ?
R - Oui, je pense exactement. L'an dernier, nous avons pris la décision la moins mauvaise possible.
Q - Et aujourd'hui, est-ce la moins mauvaise possible ?
R - Oui, parce que malgré tout, une sorte de sécurité globale a été rétablie, nous n'avons pas pu complètement interrompre, malgré les efforts courageux de la KFOR et de la MINUK, dirigé par Bernard Kouchner, les comportements des populations et l'attitude par rapport aux minorités, mais je crois que c'est la voie de la sagesse.
Q - Quelles échéances y a-t-il ?
R - Les élections municipales.
Q - Et delà, qu'attendez-vous de cela ?
R - J'attends une sorte de choc démocratique sur la société kosovare à condition que ces élections soient bien préparées et c'est tout le travail qui nous occupe en ce moment, pour qu'il puisse y avoir une vraie campagne, que les gens puissent se présenter sans faire l'objet d'intimidation et que les votes aient lieu correctement.
Q - Vous arrive-t-il de penser, quelquefois, le matin, en vous réveillant à Bernard Kouchner et à l'administration qui est là-bas ?
R - Je pense à lui, nous sommes en contact souvent, nous nous sommes parlés longuement, dimanche dernier, concernant les prochaines initiatives. Nous le soutenons énormément bien sûr, mais la question est celle de la suite des événements. Beaucoup se disent que ce n'est pas clair, et que si les choses étaient clarifiées, cela réglerait les problèmes. Aujourd'hui, la clarification de l'avenir mettrait plutôt un peu plus le feu aux poudres. La voie que nous avons choisie est de ne pas poser de problèmes théoriques avant que nous n'ayons pu construire les fondations, c'est-à-dire des élections municipales se déroulant dans de bonnes conditions. C'est notre objectif, nous espérons pouvoir les faire à l'automne prochain.
Q - Vous dites notre objectif, est-ce l'objectif français ou européen ou OTAN ?
R - C'est l'objectif occidental, ce n'est pas l'OTAN car elle n'a pas de compétences concernant ce sujet, mais c'est le résultat de concertations avec les pays du groupe de contact.
Q - Il n'y a pas d'isolement de la France là-dessus ?
R - Non pas du tout.
Q - Diriez-vous que l'Europe de la défense se fait au Kosovo, quotidiennement entre des officiers de toutes nationalités et qu'elle va progresser grâce au Kosovo ?
R - Je ne dirai pas qu'elle se fait au Kosovo car au Kosovo, pour le coup, c'est l'OTAN, ce n'est pas l'Europe en tant que telle. Il y a des Européens, mais aussi des Américains et même des Russes et il y a beaucoup d'autres contingents. En revanche, je dirai qu'il y a eu un certain effet Kosovo à propos d'une prise de conscience qui avait commencée avant, grâce à un mouvement de nous-mêmes et des Britanniques les uns vers les autres qui ont permis la réunion de Saint-Malo et nous sommes en train de bâtir les instruments pour une Europe de la défense, ce qui était un objet sympathique mais stérile durant 20 ou 30 ans est en train d'entrer dans les faits. La chimère est en train de devenir réalité.
Q - Pouvez-vous vous prononcer sur la polémique qu'il y a en France sur le nombre de victimes de la guerre, les dégâts. S'est-on servi des réfugiés pour justifier les bombardements ?
R - Non, cela a une justification à l'envers, la vérité des bombardements, c'était qu'il fallait mettre un terme, d'une façon ou d'une autre, malheureusement, il fallu le faire par la force, à la politique de la Serbie et du gouvernement de Belgrade au Kosovo. C'était cela et les réfugiés sont venus ensuite puisqu'ils ont été expulsés en représailles. C'est une sorte de justification à l'envers que de dire que nous y sommes allés à cause des réfugiés.
Dans le feu de l'action, peut-être qu'un certain nombre de gens ont éprouvé le besoin de justifier les choses ainsi mais, la réalité est dans ce que j'ai dit précédemment. Au bout du compte, c'est dire qu'il n'est plus tolérable d'avoir des politiques comme cela dans une partie de l'Europe.
Q - Et les chiffres que vous considérez comme correspondant à la réalité ?
R - Je suis très prudent, ce que je conseille, c'est que nous prenions des chiffres attestés sérieusement.
Q - Par qui ?
R - Par le Tribunal pénal international, par les enquêteurs qui examinent les fosses communes les unes après les autres et qui indiquent le chiffre des corps trouvés. Il y a un décalage très grand à chaque fois entre le nombre de corps supposé ou avancé et ceux que l'on trouve. C'est évidemment trop, forcément.
Q - 100 000 personnes ont manifesté à Belgrade hier, des Serbes, peut-on imaginer que symboliquement, les gouvernements sont aux côtés de ces gens-là, contre Milosevic ?
R - Tous les gouvernements, sauf les Russes, et encore il ne faut pas exagérer leur degré d'appui à Milosevic, tous les gouvernements engagés dans cette affaire, rappelez-vous cette extraordinaire unanimité, de toute l'Europe, même des pays qui ne sont pas dans les Quinze, ceux-ci considèrent que l'avenir de la Serbie passe par un changement de pouvoir à Belgrade.
Q - Il y a un an, le président Bouteflika arrivait au pouvoir. Un an plus tard, quel bilan faites-vous de son action alors que la violence a été éradiquée dans les grandes villes, mais la violence islamiste demeure dans les campagnes puisqu'il y a peu près 50 morts par semaine. On voit bien que l'armée est derrière lui et l'empêche d'agir comme il le voudrait. Avez-vous de l'espoir, comment voyez-vous l'avenir dans ce pays ?
R - Nous avons constaté, il y a un an, que l'élection du président Bouteflika traduisait une véritable aspiration du corps électoral algérien. Nous l'avons reconstitué au moment du référendum, une aspiration à un changement, l'Algérie veut sortir de ce tunnel et nous avons aussitôt, et je souligne l'accord entier entre le président de la République et le gouvernement sur ce plan, nous avons aussitôt tendu la main au nouveau président Bouteflika en lui disant que dans la mesure où les Algériens le souhaiteraient, naturellement, la France serait là pour coopérer avec eux dans cette nouvelle étape.
Q - Le répétez-vous ?
R - Bien sûr.
Q - Quand vient-il à Paris ?
R - Il viendra vers la mi-juin, les dates exactes seront annoncées dès qu'un certain nombre de détails auront été résolus.
Q - Mais vous les connaissez ?
R - Oui, je vous dis, c'est la mi-juin.
Q - Du 13 au 17 par exemple ?
R - Il y a quelques points à vérifier encore. C'est donc bien cela, la mi-juin, si je ne me trompe pas.
Q - Il reste plusieurs jours ?
R - C'est une visite très importante il y a eu peu de contacts au sommet, en tout cas sous cette forme depuis l'indépendance de l'Algérie, et le président de la République et le Premier ministre vont réexprimé cette attitude de disponibilité de la France. Mais, c'est à l'Algérie aussi à nous dire ce qu'elle souhaite et nous souhaitons que l'Algérie puisse tourner complètement la page terrible des années passées pour se consacrer à son redéveloppement.
Q - La diplomatie française doit-elle faire effort pour faire comprendre à l'Algérie qu'elle ne lui préfère pas le Maroc ?
R - Il ne faut pas poser le problème en ces termes. Nous avons des rapports excellents avec le Maroc et nous avons les meilleurs rapports possibles avec l'Algérie et la Tunisie.
Q - C'est du langage diplomatique ?
R - Non, c'est de notre intérêt bien compris. Le seul intérêt de la France est d'avoir les meilleurs rapports simultanés possibles avec les trois pays et notre intérêt est que les rapports entre les trois pays soient les meilleurs possibles. Et ce n'est pas du langage diplomatique, c'est de l'intérêt clair et net et en plus, c'est notre sentiment.
Q - Pour que les rapports restent bons avec les trois pays, on ne vous pose pas la question du soutien ou non de la France et du Quai d'Orsay au journaliste qui fait la grève de la faim à Tunis ?
R - La question ne se pose pas en ces termes. Il y a les événements quotidiens, des problèmes particuliers sur lesquels on s'exprime lorsque l'on a des choses à dire, voire des regrets.
Q - Sur les Droits de l'Homme, lorsque vous êtes allé à Tunis, vous avez discuté avec le président Ben Ali, vous lui avez fait quelques suggestions pour aller dans ce sens-là
R - Oui, bien sûr, je lui ai dit que ce serait logique que la Tunisie évolue sur ce plan, surtout que la Tunisie se fixe comme objectif d'avoir des relations de plus en plus étroites avec l'Europe, elle a un accord avec l'Union européenne. J'ai souligné que les réussites remarquables de la Tunisie ces dernières années en matière économique et sociale devraient lui permettre d'évoluer plus vite.
Q - Et avez-vous eu l'impression d'avoir à faire à un interlocuteur sensible ?
R - Notre politique ne peut pas être de choisir, de comparer, de classifier de hiérarchiser. Je vous répète, notre politique c'est notre intérêt, ce n'est pas du langage, c'est une politique de fond qu'il faut mener même si les circonstances sont difficiles. Il nous faut avoir les meilleurs rapports simultanés et les plus utiles possibles avec ces trois pays.
Q - Puis-je vous poser une question sur le Proche-Orient. Vous recevez M. David Lévy demain. Si Israël évacue le Liban, qui protégera la frontière du Nord d'Israël ? Est-ce l'ONU ? Il y a la FINUL avec des troupes françaises ? Renforcerait-on les troupes françaises si l'ONU le demandait ?
R - Les Israéliens disent qu'ils évacueront le Sud-Liban en juillet. M. Barak le répète constamment, nous n'avons pas de raison de ne pas le croire, nous avons toujours dit que ce serait mieux dans le cadre d'un accord, car M. Barak disait aussi que si ce n'était pas dans le cadre d'un accord, il revient au Conseil de sécurité, saisi par le Secrétaire général, ce qu'il va faire bientôt, d'examiner la situation. Etant donné qu'il y a deux résolutions anciennes, la 425 et la 426 qui remontent à 1978, concernant ce qui doit être fait pour l'évacuation immédiate, disait-on à l'époque, du Sud-Liban. C'est au Secrétaire général de voir comment cela se présente pour la sécurité de cette frontière future. Il y a la question de la force des Nations unies, mais qui n'est pas sur l'emplacement exact de la frontière. Nous examinerons cette question dans le cadre du Conseil de sécurité, ce n'est pas à la France seule de déterminer cela.
Q - Mais pour sa part ?
R - La France ne va pas fuir ses responsabilités, il faut que nous sachions exactement dans quel contexte nous sommes. S'il y a accord, ont répondu les gouvernements responsables au Secrétaire général, nous sommes en avril, il y a un processus qui se déroulera à partir de maintenant jusqu'à l'évacuation, pendant lequel, au sein du Conseil de sécurité, nous élaborerons notre réponse collective y compris celle de la France. Notre ligne de conduite n'ayant pas varié, la France fait ce qu'il faut pour être utile à la paix.
Q - Les Finlandais, après beaucoup d'autres pays européens demandent que cesse cette dénonciation et cette mise à l'écart de l'Autriche par la France et la Belgique. Comment la situation évolue-t-elle et surtout quelle est la position française ?
R - A l'heure actuelle, il n'y a pas de mise à l'écart par la France et la Belgique, il y a une décision prise par 14 pays de geler les relations politique bilatérales avec l'Autriche, tout en respectant le fonctionnement normal de l'Union européenne car il n'est pas question de laisser prendre en otage le fonctionnement de l'Europe par la situation qui existe en Autriche et que nous regrettons.
Voilà la position, ce n'est pas une position franco-belge, c'est une position à quatorze.
Q - Oui, mais la France et la Belgique ont été leaders ?
R - A l'origine.
Q - Notre attitude est-elle tenable encore longtemps avec l'Autriche ?
R - Moi j'ai constaté au Conseil européen de Lisbonne il y a peu de temps, que les quatorze étaient sur cette ligne.
Q - Et vous espérez que l'exercice du pouvoir va civiliser les partisans de Haider ?
R - L'attente des pays européens va plus loin qu'une évolution cosmétique.
Q - Lorsque votre homologue Benita Ferrero-Waldner prend la parole à une tribune, quittez-vous la salle ? Enlevez-vous vos écouteurs ? Manifestez-vous votre hostilité comme ont pu le faire Laurent Fabius dans une autre réunion ou Martine Aubry ?
R - Ceux que vous citez avaient comme homologue des membres du parti d'extrême droite, ce qui n'est pas le cas de la ministre des Affaires étrangères qui est membre du parti de M. Schüssel.
Q - C'est une coalition ou les prend-on l'un après l'autre ?
R - La réaction que vous évoquez a eu lieu lorsqu'il y avait des membres du parti de M. Haider. Lorsque c'était des membres du parti de M. Schüssel, il n'y a pas eu de réaction particulière mais il y a d'autre façon de marquer une désapprobation globale de la situation politique. En fait, le problème ne se pose pas de notre côté, il se pose du côté autrichien, nous en sommes à ces mesures que nous avons adoptées à quatorze et dont il me semble qu'elles restent marquées par la cohérence des participants.
Q - De votre point de vue de ministre des Affaires étrangères, au bout de trois ans, comment jugez-vous la cohabitation ? Est-ce un plus par addition des forces politiques ou au contraire, un moins par blocage des initiatives que vous auriez pu prendre en d'autres circonstances ?
R - Quoique je dise, vous allez interpréter cela comme ayant une signification de politique intérieure, ce n'est pas le cas. La cohabitation est un fait.
Q - Laissez-vous aller, dites ce que vous pensez.
R - C'est une situation créée par le vote des Français, c'est comme cela et il faut l'assumer dans l'intérêt du pays.
Q - Mais, y a-t-il des cas où le ministre des Affaires étrangères s'est trouvé, soit conforté, soit handicapé à cause de ce fait dont vous parlez ?
R - Non, aucun parce que dans cette situation, le président de la République, comme le Premier ministre ont tout à fait à cur que, précisément, cette situation ne soit pas un facteur de faiblesse pour la France, où que ce soit. Il y a donc un mécanisme de concertation, de préparation, qui fait que pour toutes les grandes négociations internationales par exemples, la position de la France est toujours ferme et nette , ce qui n'est pas toujours le cas dans les pays où il y a des gouvernements de coalition ou des gouvernements composés de forces politiques proches et qui, du coup, ne font peut-être pas cet effort qui est constant.
Q - Il y a eu une défaillance dans cet effort au moment du voyage de M. Jospin en Israël ?
R - Je vous parlais des négociations internationales, je ne vous parle pas de la façon dont l'un ou l'autre répond avec spontanéité à une question qui surgit brusquement dans une conférence de presse, ce n'est pas la même chose.
La position de la France sur les grandes questions internationales est ferme.
Q - Et vous n'avez pas à faire vous la synthèse parce que vous êtes un formidable dialecticien, un peu de celui-ci, un peu de celui-là alors qu'ils sont en désaccord sur tel ou tel point, il y a unité ?
Q - Le chancelier Schroeder dit aux journalistes français qu'il ne sait pas à qui parler à qui s'adresser.
R - Il me semble qu'il parle très bien à l'un et à l'autre.
Le chancelier Schroeder a dit un certain nombre de choses sur la relation franco-allemande ces derniers temps, et je trouve cela de bonne augure car cela montre l'importance qu'il lui accorde.
Q - Y a-t-il une question que nous n'avons pas posé et à laquelle vous auriez voulu répondre ?
R - Il y a encore une trentaine d'autres conflits dans le monde, si vous voulez que nous en parlions.
Q - Le Rwanda par exemple, c'est drôle que le Conseil de sécurité est fait une manière d'autocritique sur la manière dont cela a été géré par l'organisation internationale ?
R - Non, ce n'est pas drôle, le Conseil de sécurité a simplement montré qu'il n'avait pas réagi comme il aurait pu le faire aux appels d'un certain nombre de pays, dont la France.
Q - C'est le syndrome Jean-Paul II ?
R - Ce n'est pas de la repentance car si vous regardez bien ce qu'a fait le Conseil de sécurité, il a fait une sorte d'analyse : une sorte d'organisme de secours n'aurait pas bien fonctionné. Il ne faut pas non plus imaginer qu'il est tout puissant. Le Conseil de sécurité a simplement dit qu'il avait mal réagi, mal fonctionné, je rappelle que le pays qui a le plus demandé au Conseil de sécurité de prendre ses responsabilités à l'époque, c'est la France et le Conseil de sécurité a dit qu'il avait mal fonctionné et donc, il faut en tirer des bonnes leçons pour l'avenir. C'est un exercice très salubre.
Q - M. Védrine merci. Vous arrivez presque à nous faire croire qu'il y a une grande et vraie politique étrangère commune de la France aujourd'hui, sous la cohabitation.
R - Je ne peux pas répondre à cette remarque-là.
Q - Vous pouvez ?
R - Rien, sur la présentation, je trouve la façon de résumer la chose, comme si j'avais simplement presque réussi à vous le faire croire, c'est une évidence qu'il y a une politique étrangère de la France forte.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2000)