Texte intégral
Q - La France est de retour en Europe. Que signifie cette phrase pour vous et que signifie-t-elle pour nous qui ne sommes pas Français ?
R - Pour que la France soit de retour en Europe, il faut aussi que l'Europe soit de retour en France, il ne faut pas l'oublier. C'est ce que nous essayons de faire. L'un de mes premiers gestes lorsque j'ai été nommé a été de faire flotter, de manière permanente, le drapeau européen sur le toit du ministère des Affaires étrangères. Ce n'était pas la tradition. Nous avons commencé par ce symbole de la présence européenne en France pour montrer que les symboles pouvaient exister, inscrits ou non dans le Traité.
La France est de retour en Europe, de manière simple et très marquée à la fois. Le premier point, c'est que le président de la République a pris une part importante, avec le concours d'Angela Merkel et tout son savoir-faire, dans la mise en place du nouveau Traité : il a proposé l'idée du Traité simplifié, qui est devenu ensuite le Traité de Lisbonne. Il a également proposé une méthode pour permettre à l'Europe de sortir de l'ornière sur le plan institutionnel.
Nous avons donc un nouveau cadre institutionnel à notre disposition. On peut discuter de ses avantages et de ses inconvénients mais l'immense mérite de l'approche qui a été suivie a été d'aboutir à un accord qui permet aux vingt-sept Etats membres, pour la première fois, d'avoir des mécanismes de décision efficaces et de rendre l'Europe plus visible, dans le cadre de sa politique étrangère, avec le président stable du Conseil européen et avec l'extension du vote à la majorité qualifiée. La politique est de retour en Europe, puisque nous avons la possibilité de mener, plus qu'auparavant, des politiques communes importantes pour notre avenir dans le cadre de cette Europe élargie.
Nous avons également, grâce à ce traité, un outil plus démocratique. Je ne reviens pas sur l'extension de la co-décision, ni sur le fait que le président de la Commission sera investi, de même que le Haut-Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité (qui est aussi vice-président de la Commission), par le Parlement européen. A la demande d'un certain nombre d'Etats membres, les Parlements nationaux auront une influence plus importante. C'est une bonne chose dans la mesure où, pour la première fois, il y a un rapprochement entre ceux qui représentent l'opinion publique et les institutions européennes. La coupure était trop importante. Ce traité à 27 est une oeuvre collective. Après le "non" au référendum de 2005, je crois que cela témoigne de ce retour de la France en Europe.
Le second point, c'est que la France exercera à partir du 1er juillet, après la Slovénie, la Présidence de l'Union européenne à une période importante. La Présidence slovène a des responsabilités extrêmement fortes. On l'a vu, il y a dix jours, avec les Balkans et l'indépendance du Kosovo. C'est un problème épineux, au coeur de l'Europe, que nous devons résoudre. On le voit aussi avec la préparation du Conseil de printemps qui, sur le plan économique et financier, avec la crise des subprimes, sera également un moment très important. On le voit enfin avec le suivi du processus de ratification dont nous espérons qu'il se passe le mieux possible. La présidence française interviendra donc après la présidence slovène, à un moment charnière et avant que les Présidences tchèques et suédoises prennent le relais.
Ce moment charnière suppose de combiner à la fois impulsion et continuité. Continuité sur le plan économique et social, sur l'enrichissement de l'agenda de Lisbonne et sur le plan de l'action extérieure de l'Europe. Et nécessité d'impulsion parce que l'Europe va se trouver confrontée à quatre grands défis.
Le premier, pour l'Union européenne, c'est le défi démographique. L'Europe comptait 490 millions d'habitants en 2006, elle en comptera 470 millions en 2050 alors que le monde sur cette même période passera de 6,5 à plus de 9 milliards d'habitants.
Ces projections cadrent bien le sujet et les enjeux : il y a pour l'Europe, comme pour les autres pays, une évolution démographique, et, partant, une gestion des flux migratoires à concevoir à vingt-sept selon une approche globale mêlant l'ensemble des dimensions : co-développement, intégration, facteurs économiques, sociaux et culturels. Il faut qu'il y ait, pour l'Europe, une approche plus convergente de ces sujets, et une approche qui soit équilibrée. C'est le sens du Pacte européen pour l'immigration et l'asile qui sera porté par la France pendant sa Présidence. En ce qui concerne la délivrance des visas, l'échange d'expérience en matière d'intégration ou le droit et les règles en matière de droit d'asile, nous souhaitons que ce ne soient plus seulement les aléas de la vie qui décident mais un certain nombre de procédures mieux coordonnées. Cela est particulièrement nécessaire après l'élargissement de l'espace Schengen.
Le second défi à relever est celui de la compétitivité. La Recherche et Développement représente moins de 2% du PIB en Europe, 1,86% exactement, alors que l'objectif prévu par la Stratégie de Lisbonne est de 3%. Un certain nombre de pays de l'Union européenne sont au-delà comme la Suède, qui est à 3,5%.
L'Europe dépense 8 000 euros par étudiant quand les Etats-Unis en dépensent 19 000 : il y a là plus qu'une question de moyens, c'est une affaire de politique. La mobilisation des connaissances et du capital humain, ainsi que l'Europe des universités et des compétences sont des priorités que nous devons avoir. Nous devons conforter et moderniser notre politique de formation et notre politique de recherche pour être sur un pied d'égalité face à nos grands partenaires. L'Europe doit demeurer un espace attractif, continuer à attirer les talents à un moment où l'espace devient de plus en plus global et où la compétitivité se joue autant sur les facteurs humains que sur les seuls facteurs productifs. Ce qui n'empêche pas l'Europe de devoir garder une base industrielle forte.
Le troisième défi est le défi du changement climatique. L'Europe émet 8,8 tonnes de CO2 par habitant quand les Etats-Unis en émettent 20,2 tonnes. Nous sommes également dans une situation favorable par rapport à d'autres pays émergents.
Nous nous sommes collectivement fixé, au niveau européen, une ambition forte en mars 2007 : celle d'être exemplaire dans la lutte contre le changement climatique. Nous tiendrons cet objectif et nous ferons en sorte, sous Présidence française, de concrétiser le paquet énergie-climat qui vient d'être mis sur la table par la Commission européenne. Il y a sans doute tel ou tel aspect national qui peut être critiqué dans ce paquet et nous savons que nous aurons à résoudre des questions comme celles des réductions de CO2 entre les différents Etats membres et entre les secteurs économiques. Nous savons également que nous aurons à discuter des objectifs de promotion des énergies renouvelables. Nous savons que nous aurons à concilier l'exemplarité en matière de lutte contre le changement climatique avec une compétitivité qui doit rester forte au niveau international. Mais globalement, le paquet qui a été conçu par la Commission est un bon paquet sur lequel nous devons trouver un accord d'ici la fin de l'année pour que nous puissions aborder les conférences ultérieures, notamment celle de Copenhague en 2009, dans les meilleures conditions. Je souhaite d'ailleurs saluer le travail de la Commission qui, en ce domaine, est extrêmement délicat. Elle a su développer une approche équilibrée et équitable, qui doit nous permettre d'avoir une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le dernier défi est celui de l'Union européenne comme acteur global. L'Europe représente 21% du PIB mondial et 17% des exportations mondiales : c'est une économie importante et ouverte. En comparaison, l'économie américaine représente un peu moins de 20% de l'économie mondiale et un peu moins de 12% des exportations mondiales. L'Europe, son modèle et son économie doivent peser sur la mondialisation. Nous devons nous interroger, compte tenu des progrès que nous avons faits avec le Traité de Lisbonne en matière institutionnelle pour voir comment l'Europe peut être plus présente dans les institutions multilatérales et parler d'une seule voix.
Le véritable défi auquel nous sommes confrontés est de mieux organiser, de mieux penser l'Europe comme acteur global tout en gardant nos responsabilités régionales. Quelle est l'efficacité de voisinage de l'Union européenne à l'égard de l'Asie centrale, de la Turquie, de la Méditerranée ? Jusqu'à présent, l'élargissement a été la réponse. Est-ce que l'élargissement est encore la bonne réponse ? Jusqu'où doit-il aller ? C'est l'une des questions importantes posées à l'Europe, qui sera traitée par le Groupe présidé par Felipe Gonzalez, mis en place lors du dernier Conseil européen.
L'Europe en tant qu'acteur global doit exercer ses responsabilités dans ses rapports avec les grands pays émergents. C'est particulièrement important cette année, avec les nombreux sommets qui seront organisés au second semestre 2008, avec la Chine, la Corée, l'Afrique du Sud, le Brésil, la Russie ou l'Inde. Qu'est-ce que l'Europe peut apporter ? Qu'est-ce que ces puissances émergentes représentent comme défis à relever pour nous, Européens ? Quels sont les sujets de discussions horizontaux que nous devons privilégier ? La propriété intellectuelle, la régulation économique et financière ? Quels changements doivent être envisagés dans nos relations en terme de politique industrielle et de politique agricole ? Nous avons matière à dialogue, au moment où les Etats-Unis choisiront un nouveau président ou une nouvelle présidente. Ce sera à l'Europe de jouer et il ne faudra pas nous exonérer de nos responsabilités, ni nous empêcher de faire valoir notre modèle et nos intérêts.
Q - Vous avez évoqué la Présidence française. Comme vous le savez sûrement, il y a beaucoup d'attentes, peut-être trop de votre point de vue. Ce qui impressionne, c'est le budget que le gouvernement français a décidé de consacrer à la Présidence, 190 millions d'euros. C'est une somme importante. Je crois que les Anglais il y a trois ans ont donné 12,5 ou 13 millions d'euros. Comment allez-vous dépenser une somme pareille pour pousser l'Europe dans un sens positif, dans les 9 mois qui viennent ?
R - Ce budget peut paraître important. Pour être concret, il correspond à la Présidence d'une Europe élargie, donc toute comparaison avec notre dernière présidence ne serait pas parlante. Ce budget, celui de la Présidence d'une Europe à 27, doit permettre la tenue des sommets que je viens de lister. Pendant ce second semestre 2008, un certain nombre de responsabilités échoient à la présidence et non à la France en tant que telle. L'essentiel de ce budget est donc lié à l'organisation des sommets et à la sécurité de ces réunions. Cela représente plus de la moitié de ce budget, qui est comparable à celui de la Présidence allemande. Nous nous sommes fondés sur les standards existants pour fixer ce budget.
(...)
Q - Quels sont les projets de la France sur l'Union méditerranéenne ? Est-ce que ce serait une institution ? Est-ce que cela inclura d'autres Etats membres ? Est-ce qu'il y aura une entente communautaire ? Comment allez-vous faire en sorte de contenter les autorités allemandes, la Grande-Bretagne ou les autres ?
R - En ce qui concerne l'Union pour la Méditerranée, et non pas l'Union méditerranéenne... On ne parle pas d'Union méditerranéenne mais de projet d'Union pour la Méditerranée et le glissement sémantique n'est pas neutre. La Méditerranée est aujourd'hui une frontière déterminante pour l'Union européenne. L'élargissement vers l'Europe centrale et orientale a modifié la donne. La politique de voisinage devient importante avec l'Asie centrale. J'étais moi-même à Kiev, la semaine dernière, pour une réunion très importante avec les pays de la Mer Noire.
Mais personne ne peut nier aujourd'hui qu'il faut porter une attention particulière à l'espace méditerranéen. Personne ne peut nier que les enjeux géostratégiques, démographiques ou les défis en terme de développement se trouvent autour de cet espace. Nous devons et nous pouvons faire plus que ce qui est fait dans le cadre du processus de Barcelone ou d'Euromed pour relever les défis qui s'imposent au sud de la Méditerranée, en terme démographique, de dialogue des civilisations et de stabilité du continent. Nous voulons utiliser l'approche qui a prévalu au niveau européen, c'est-à-dire encourager le développement économique pour aller vers plus de paix. Nous devons favoriser des projets concrets, tels ceux autour du charbon et l'acier que nous avons connus en Europe, qui entraînent la stabilisation et permettent de favoriser la coopération entre les pays du sud de la Méditerranée eux-mêmes. C'est la seule zone au monde où l'intégration régionale est aussi peu développée. Nous souhaitons que l'espace d'intégration soit à la hauteur des défis du monde méditerranéen.
Maintenant, il est clair que nous devons faire cela en associant pleinement tous les membres de l'Union européenne qui souhaitent participer à cette aventure. Dans le cadre des projets qui seront conduits, et qui pourront être à géométrie variable, nous devrons associer riverains et non riverains, ceux qui souhaitent compléter ce qui existe dans le cadre du processus Euromed. Ensuite, pour être clair, dès lors qu'il y a recours à des financements communautaires, cela ne peut pas se faire en dehors des règles de l'Union européenne et cela doit être conçu dans le strict respect de l'Union européenne en matière décisionnelle ou que ce soit en matière de financement. Je suis, pour ma part, optimiste sur le fait qu'avec nos partenaires et notamment avec nos amis allemands, nous trouverons les justes modalités pour mener à bien ce grand projet. Il s'agit plus d'ajustements que de véritables questions de fond. Nous en sommes là aujourd'hui, je suis optimiste.
(...)
Q - Une rude bataille oppose actuellement l'Allemagne et le Liechtenstein sur la question de l'évasion fiscale. On sait que les services de renseignement allemands sont allés jusqu'à acheter une liste de comptes. Est-ce que la France soutient ce genre de méthode forte envers les places financières considérées comme des paradis fiscaux ? Est-ce que pour vous la Suisse fait partie de ces destinations ?
R - Je ne connais pas précisément les méthodes utilisées par nos amis allemands au Liechtenstein. Compte tenu de l'ampleur de la fraude, il me paraît normal que les autorités allemandes aient réagies avec vigueur. A cette échelle, cela me paraît normal et souhaitable de continuer à moraliser les comportements financiers et le fonctionnement du capitalisme. Parce que vous ne pourrez pas, dans des périodes qui sont difficiles pour tout le monde, voir un certain nombre de personnalité qui doivent donner l'exemple, quel que soit le pays, s'adonner à de telles pratiques. La lutte contre les paradis fiscaux, où qu'ils se trouvent, doit rester un objectif extrêmement important. Nous devons faire l'objet, dans le cadre de nos relations avec les pays qui ont de telles pratiques, d'une très grande fermeté. Pour ma part, je n'ai aucun état d'âme à cet égard.
(...)
Q - Sur la Méditerranée, vous avez indiqué qu'il y avait des modalités à régler avec l'Allemagne. Est-ce que vous diriez que la tenue d'un sommet à Paris le 13 juillet en fait partie ?
R - Il est évident que la manière dont sont organisés les sommets est importante dans le cadre du dialogue que nous devons avoir avec l'ensemble de nos partenaires et la Commission européenne, qui a également un rôle important dans ce projet.
(...)
Q - Pensez-vous que les fonds souverains sont un défi pour la Présidence française de l'Union européenne ?
R - Il ne faut pas diaboliser les fonds souverains, parce qu'ils peuvent être utiles et que vous avez des fonds qui concourent à la stabilisation, à moyen et à long terme, d'un certain nombre d'entreprises. Lorsque vous avez des périodes d'instabilité financière, voir de nouveaux opérateurs intervenir à moyen et long terme peut dans certains cas être un avantage. La difficulté est de voir là où ils doivent intervenir. C'est-à-dire que cela doit s'arrêter à partir du moment où vous avez l'indépendance stratégique du secteur mise en cause ou de l'hostilité par rapport à un secteur qui se manifeste. Pour être clair, il faut regarder selon le caractère stratégique du secteur, en fonction des intentions des fonds et il faut qu'il y ait des mécanismes de transparence qui existent par rapport aux moyens d'intervention de ces fonds. Il faut avoir une réflexion sereine sur ce qu'apportent ou ce que n'apportent pas ces fonds. Ils doivent fonctionner de manière transparente, je pense que tout le monde s'accorde là-dessus. Je suis très satisfait des progrès qui ont été faits au niveau européen sur la prise de conscience commune en termes de régulation financière. Nous essayons d'avoir une approche de bon sens. Ce ne sont pas toujours et partout ces fonds qui concourent le plus à l'instabilité financière.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 février 2008
R - Pour que la France soit de retour en Europe, il faut aussi que l'Europe soit de retour en France, il ne faut pas l'oublier. C'est ce que nous essayons de faire. L'un de mes premiers gestes lorsque j'ai été nommé a été de faire flotter, de manière permanente, le drapeau européen sur le toit du ministère des Affaires étrangères. Ce n'était pas la tradition. Nous avons commencé par ce symbole de la présence européenne en France pour montrer que les symboles pouvaient exister, inscrits ou non dans le Traité.
La France est de retour en Europe, de manière simple et très marquée à la fois. Le premier point, c'est que le président de la République a pris une part importante, avec le concours d'Angela Merkel et tout son savoir-faire, dans la mise en place du nouveau Traité : il a proposé l'idée du Traité simplifié, qui est devenu ensuite le Traité de Lisbonne. Il a également proposé une méthode pour permettre à l'Europe de sortir de l'ornière sur le plan institutionnel.
Nous avons donc un nouveau cadre institutionnel à notre disposition. On peut discuter de ses avantages et de ses inconvénients mais l'immense mérite de l'approche qui a été suivie a été d'aboutir à un accord qui permet aux vingt-sept Etats membres, pour la première fois, d'avoir des mécanismes de décision efficaces et de rendre l'Europe plus visible, dans le cadre de sa politique étrangère, avec le président stable du Conseil européen et avec l'extension du vote à la majorité qualifiée. La politique est de retour en Europe, puisque nous avons la possibilité de mener, plus qu'auparavant, des politiques communes importantes pour notre avenir dans le cadre de cette Europe élargie.
Nous avons également, grâce à ce traité, un outil plus démocratique. Je ne reviens pas sur l'extension de la co-décision, ni sur le fait que le président de la Commission sera investi, de même que le Haut-Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité (qui est aussi vice-président de la Commission), par le Parlement européen. A la demande d'un certain nombre d'Etats membres, les Parlements nationaux auront une influence plus importante. C'est une bonne chose dans la mesure où, pour la première fois, il y a un rapprochement entre ceux qui représentent l'opinion publique et les institutions européennes. La coupure était trop importante. Ce traité à 27 est une oeuvre collective. Après le "non" au référendum de 2005, je crois que cela témoigne de ce retour de la France en Europe.
Le second point, c'est que la France exercera à partir du 1er juillet, après la Slovénie, la Présidence de l'Union européenne à une période importante. La Présidence slovène a des responsabilités extrêmement fortes. On l'a vu, il y a dix jours, avec les Balkans et l'indépendance du Kosovo. C'est un problème épineux, au coeur de l'Europe, que nous devons résoudre. On le voit aussi avec la préparation du Conseil de printemps qui, sur le plan économique et financier, avec la crise des subprimes, sera également un moment très important. On le voit enfin avec le suivi du processus de ratification dont nous espérons qu'il se passe le mieux possible. La présidence française interviendra donc après la présidence slovène, à un moment charnière et avant que les Présidences tchèques et suédoises prennent le relais.
Ce moment charnière suppose de combiner à la fois impulsion et continuité. Continuité sur le plan économique et social, sur l'enrichissement de l'agenda de Lisbonne et sur le plan de l'action extérieure de l'Europe. Et nécessité d'impulsion parce que l'Europe va se trouver confrontée à quatre grands défis.
Le premier, pour l'Union européenne, c'est le défi démographique. L'Europe comptait 490 millions d'habitants en 2006, elle en comptera 470 millions en 2050 alors que le monde sur cette même période passera de 6,5 à plus de 9 milliards d'habitants.
Ces projections cadrent bien le sujet et les enjeux : il y a pour l'Europe, comme pour les autres pays, une évolution démographique, et, partant, une gestion des flux migratoires à concevoir à vingt-sept selon une approche globale mêlant l'ensemble des dimensions : co-développement, intégration, facteurs économiques, sociaux et culturels. Il faut qu'il y ait, pour l'Europe, une approche plus convergente de ces sujets, et une approche qui soit équilibrée. C'est le sens du Pacte européen pour l'immigration et l'asile qui sera porté par la France pendant sa Présidence. En ce qui concerne la délivrance des visas, l'échange d'expérience en matière d'intégration ou le droit et les règles en matière de droit d'asile, nous souhaitons que ce ne soient plus seulement les aléas de la vie qui décident mais un certain nombre de procédures mieux coordonnées. Cela est particulièrement nécessaire après l'élargissement de l'espace Schengen.
Le second défi à relever est celui de la compétitivité. La Recherche et Développement représente moins de 2% du PIB en Europe, 1,86% exactement, alors que l'objectif prévu par la Stratégie de Lisbonne est de 3%. Un certain nombre de pays de l'Union européenne sont au-delà comme la Suède, qui est à 3,5%.
L'Europe dépense 8 000 euros par étudiant quand les Etats-Unis en dépensent 19 000 : il y a là plus qu'une question de moyens, c'est une affaire de politique. La mobilisation des connaissances et du capital humain, ainsi que l'Europe des universités et des compétences sont des priorités que nous devons avoir. Nous devons conforter et moderniser notre politique de formation et notre politique de recherche pour être sur un pied d'égalité face à nos grands partenaires. L'Europe doit demeurer un espace attractif, continuer à attirer les talents à un moment où l'espace devient de plus en plus global et où la compétitivité se joue autant sur les facteurs humains que sur les seuls facteurs productifs. Ce qui n'empêche pas l'Europe de devoir garder une base industrielle forte.
Le troisième défi est le défi du changement climatique. L'Europe émet 8,8 tonnes de CO2 par habitant quand les Etats-Unis en émettent 20,2 tonnes. Nous sommes également dans une situation favorable par rapport à d'autres pays émergents.
Nous nous sommes collectivement fixé, au niveau européen, une ambition forte en mars 2007 : celle d'être exemplaire dans la lutte contre le changement climatique. Nous tiendrons cet objectif et nous ferons en sorte, sous Présidence française, de concrétiser le paquet énergie-climat qui vient d'être mis sur la table par la Commission européenne. Il y a sans doute tel ou tel aspect national qui peut être critiqué dans ce paquet et nous savons que nous aurons à résoudre des questions comme celles des réductions de CO2 entre les différents Etats membres et entre les secteurs économiques. Nous savons également que nous aurons à discuter des objectifs de promotion des énergies renouvelables. Nous savons que nous aurons à concilier l'exemplarité en matière de lutte contre le changement climatique avec une compétitivité qui doit rester forte au niveau international. Mais globalement, le paquet qui a été conçu par la Commission est un bon paquet sur lequel nous devons trouver un accord d'ici la fin de l'année pour que nous puissions aborder les conférences ultérieures, notamment celle de Copenhague en 2009, dans les meilleures conditions. Je souhaite d'ailleurs saluer le travail de la Commission qui, en ce domaine, est extrêmement délicat. Elle a su développer une approche équilibrée et équitable, qui doit nous permettre d'avoir une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le dernier défi est celui de l'Union européenne comme acteur global. L'Europe représente 21% du PIB mondial et 17% des exportations mondiales : c'est une économie importante et ouverte. En comparaison, l'économie américaine représente un peu moins de 20% de l'économie mondiale et un peu moins de 12% des exportations mondiales. L'Europe, son modèle et son économie doivent peser sur la mondialisation. Nous devons nous interroger, compte tenu des progrès que nous avons faits avec le Traité de Lisbonne en matière institutionnelle pour voir comment l'Europe peut être plus présente dans les institutions multilatérales et parler d'une seule voix.
Le véritable défi auquel nous sommes confrontés est de mieux organiser, de mieux penser l'Europe comme acteur global tout en gardant nos responsabilités régionales. Quelle est l'efficacité de voisinage de l'Union européenne à l'égard de l'Asie centrale, de la Turquie, de la Méditerranée ? Jusqu'à présent, l'élargissement a été la réponse. Est-ce que l'élargissement est encore la bonne réponse ? Jusqu'où doit-il aller ? C'est l'une des questions importantes posées à l'Europe, qui sera traitée par le Groupe présidé par Felipe Gonzalez, mis en place lors du dernier Conseil européen.
L'Europe en tant qu'acteur global doit exercer ses responsabilités dans ses rapports avec les grands pays émergents. C'est particulièrement important cette année, avec les nombreux sommets qui seront organisés au second semestre 2008, avec la Chine, la Corée, l'Afrique du Sud, le Brésil, la Russie ou l'Inde. Qu'est-ce que l'Europe peut apporter ? Qu'est-ce que ces puissances émergentes représentent comme défis à relever pour nous, Européens ? Quels sont les sujets de discussions horizontaux que nous devons privilégier ? La propriété intellectuelle, la régulation économique et financière ? Quels changements doivent être envisagés dans nos relations en terme de politique industrielle et de politique agricole ? Nous avons matière à dialogue, au moment où les Etats-Unis choisiront un nouveau président ou une nouvelle présidente. Ce sera à l'Europe de jouer et il ne faudra pas nous exonérer de nos responsabilités, ni nous empêcher de faire valoir notre modèle et nos intérêts.
Q - Vous avez évoqué la Présidence française. Comme vous le savez sûrement, il y a beaucoup d'attentes, peut-être trop de votre point de vue. Ce qui impressionne, c'est le budget que le gouvernement français a décidé de consacrer à la Présidence, 190 millions d'euros. C'est une somme importante. Je crois que les Anglais il y a trois ans ont donné 12,5 ou 13 millions d'euros. Comment allez-vous dépenser une somme pareille pour pousser l'Europe dans un sens positif, dans les 9 mois qui viennent ?
R - Ce budget peut paraître important. Pour être concret, il correspond à la Présidence d'une Europe élargie, donc toute comparaison avec notre dernière présidence ne serait pas parlante. Ce budget, celui de la Présidence d'une Europe à 27, doit permettre la tenue des sommets que je viens de lister. Pendant ce second semestre 2008, un certain nombre de responsabilités échoient à la présidence et non à la France en tant que telle. L'essentiel de ce budget est donc lié à l'organisation des sommets et à la sécurité de ces réunions. Cela représente plus de la moitié de ce budget, qui est comparable à celui de la Présidence allemande. Nous nous sommes fondés sur les standards existants pour fixer ce budget.
(...)
Q - Quels sont les projets de la France sur l'Union méditerranéenne ? Est-ce que ce serait une institution ? Est-ce que cela inclura d'autres Etats membres ? Est-ce qu'il y aura une entente communautaire ? Comment allez-vous faire en sorte de contenter les autorités allemandes, la Grande-Bretagne ou les autres ?
R - En ce qui concerne l'Union pour la Méditerranée, et non pas l'Union méditerranéenne... On ne parle pas d'Union méditerranéenne mais de projet d'Union pour la Méditerranée et le glissement sémantique n'est pas neutre. La Méditerranée est aujourd'hui une frontière déterminante pour l'Union européenne. L'élargissement vers l'Europe centrale et orientale a modifié la donne. La politique de voisinage devient importante avec l'Asie centrale. J'étais moi-même à Kiev, la semaine dernière, pour une réunion très importante avec les pays de la Mer Noire.
Mais personne ne peut nier aujourd'hui qu'il faut porter une attention particulière à l'espace méditerranéen. Personne ne peut nier que les enjeux géostratégiques, démographiques ou les défis en terme de développement se trouvent autour de cet espace. Nous devons et nous pouvons faire plus que ce qui est fait dans le cadre du processus de Barcelone ou d'Euromed pour relever les défis qui s'imposent au sud de la Méditerranée, en terme démographique, de dialogue des civilisations et de stabilité du continent. Nous voulons utiliser l'approche qui a prévalu au niveau européen, c'est-à-dire encourager le développement économique pour aller vers plus de paix. Nous devons favoriser des projets concrets, tels ceux autour du charbon et l'acier que nous avons connus en Europe, qui entraînent la stabilisation et permettent de favoriser la coopération entre les pays du sud de la Méditerranée eux-mêmes. C'est la seule zone au monde où l'intégration régionale est aussi peu développée. Nous souhaitons que l'espace d'intégration soit à la hauteur des défis du monde méditerranéen.
Maintenant, il est clair que nous devons faire cela en associant pleinement tous les membres de l'Union européenne qui souhaitent participer à cette aventure. Dans le cadre des projets qui seront conduits, et qui pourront être à géométrie variable, nous devrons associer riverains et non riverains, ceux qui souhaitent compléter ce qui existe dans le cadre du processus Euromed. Ensuite, pour être clair, dès lors qu'il y a recours à des financements communautaires, cela ne peut pas se faire en dehors des règles de l'Union européenne et cela doit être conçu dans le strict respect de l'Union européenne en matière décisionnelle ou que ce soit en matière de financement. Je suis, pour ma part, optimiste sur le fait qu'avec nos partenaires et notamment avec nos amis allemands, nous trouverons les justes modalités pour mener à bien ce grand projet. Il s'agit plus d'ajustements que de véritables questions de fond. Nous en sommes là aujourd'hui, je suis optimiste.
(...)
Q - Une rude bataille oppose actuellement l'Allemagne et le Liechtenstein sur la question de l'évasion fiscale. On sait que les services de renseignement allemands sont allés jusqu'à acheter une liste de comptes. Est-ce que la France soutient ce genre de méthode forte envers les places financières considérées comme des paradis fiscaux ? Est-ce que pour vous la Suisse fait partie de ces destinations ?
R - Je ne connais pas précisément les méthodes utilisées par nos amis allemands au Liechtenstein. Compte tenu de l'ampleur de la fraude, il me paraît normal que les autorités allemandes aient réagies avec vigueur. A cette échelle, cela me paraît normal et souhaitable de continuer à moraliser les comportements financiers et le fonctionnement du capitalisme. Parce que vous ne pourrez pas, dans des périodes qui sont difficiles pour tout le monde, voir un certain nombre de personnalité qui doivent donner l'exemple, quel que soit le pays, s'adonner à de telles pratiques. La lutte contre les paradis fiscaux, où qu'ils se trouvent, doit rester un objectif extrêmement important. Nous devons faire l'objet, dans le cadre de nos relations avec les pays qui ont de telles pratiques, d'une très grande fermeté. Pour ma part, je n'ai aucun état d'âme à cet égard.
(...)
Q - Sur la Méditerranée, vous avez indiqué qu'il y avait des modalités à régler avec l'Allemagne. Est-ce que vous diriez que la tenue d'un sommet à Paris le 13 juillet en fait partie ?
R - Il est évident que la manière dont sont organisés les sommets est importante dans le cadre du dialogue que nous devons avoir avec l'ensemble de nos partenaires et la Commission européenne, qui a également un rôle important dans ce projet.
(...)
Q - Pensez-vous que les fonds souverains sont un défi pour la Présidence française de l'Union européenne ?
R - Il ne faut pas diaboliser les fonds souverains, parce qu'ils peuvent être utiles et que vous avez des fonds qui concourent à la stabilisation, à moyen et à long terme, d'un certain nombre d'entreprises. Lorsque vous avez des périodes d'instabilité financière, voir de nouveaux opérateurs intervenir à moyen et long terme peut dans certains cas être un avantage. La difficulté est de voir là où ils doivent intervenir. C'est-à-dire que cela doit s'arrêter à partir du moment où vous avez l'indépendance stratégique du secteur mise en cause ou de l'hostilité par rapport à un secteur qui se manifeste. Pour être clair, il faut regarder selon le caractère stratégique du secteur, en fonction des intentions des fonds et il faut qu'il y ait des mécanismes de transparence qui existent par rapport aux moyens d'intervention de ces fonds. Il faut avoir une réflexion sereine sur ce qu'apportent ou ce que n'apportent pas ces fonds. Ils doivent fonctionner de manière transparente, je pense que tout le monde s'accorde là-dessus. Je suis très satisfait des progrès qui ont été faits au niveau européen sur la prise de conscience commune en termes de régulation financière. Nous essayons d'avoir une approche de bon sens. Ce ne sont pas toujours et partout ces fonds qui concourent le plus à l'instabilité financière.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 février 2008