Texte intégral
Ce fut long mais c'était normal. Nous avions parlé du Kosovo tellement souvent et nous avions sinon aplani du moins réduit les difficultés au cours des séances précédentes. Ce n'est pas une décision facile et je voudrais surtout vous dire que ce n'est pas la victoire de l'un contre l'autre, ce n'est pas la victoire des Kosovars contre les Serbes, c'est la victoire de la paix, c'est la victoire du bon sens, et c'est certainement la victoire des deux populations parce que, séparément peut-être dans un premier temps mais ensemble demain, elles vont aller, sans nulle doute, vers l'Union européenne et vers un apaisement dans les Balkans.
Alors, ce qui me paraît extrêmement symbolique c'est que la Présidence slovène, c'est-à-dire le premier pays qui se soit détaché de la Fédération yougoslave, après tant d'années, maintenant Présidente de l'Union européenne, soit celle qui "accouche" si j'ose dire, celle qui permet au dernier pan, à la dernière région de cette Fédération yougoslave, d'être indépendante.
Vous savez que l'indépendance a été annoncée hier et la première phrase de déclaration des Vingt-Sept, et je voudrais, s'il vous plaît, souligner cela "des Vingt-Sept", il s'agit d'une victoire de l'Union européenne qui n'impose rien à personne, et je ne sais pas combien de pays reconnaîtront l'indépendance du Kosovo, les uns disent 16, les autres 19. Il y aura sûrement des reconnaissances plus tardives. Mais, en tout cas, la résolution, que vous aurez dans dix minutes, convient à tout le monde, a été discutée mot par mot.
Alors, pour ce qui concerne la France, nous avons l'intention de reconnaître l'indépendance du Kosovo, le président de la République a écrit en ce sens au président du Kosovo. La lettre va partir ce soir et, dès que cet échange aura eu lieu, la reconnaissance par la France de l'indépendance du Kosovo sera acquise.
Et si vous me permettez d'ajouter un mot très particulier venant de moi qui ai été responsable pendant deux ans de cette région de Serbie. Je voudrais adresser ce mot d'espoir aux Serbes : cela n'est pas leur défaite, c'est au contraire la possibilité pour eux, et ils l'ont exprimée, je crois, en votant pour M. Tadic, de s'approcher de l'Union européenne, d'y venir quand ils le souhaiteront, remplissant les conditions requises bien entendu, mais d'y venir quand ils le souhaiteront. Et je n'ai pas de doute : un jour, je ne connais pas la date, je ne connais pas l'année, les Kosovars et les Serbes seront à nouveau ensemble dans l'Union européenne. Et peut-être d'autres alliances balkaniques se noueront-elles.
En tout cas, pour moi, c'est la victoire du bon sens, de la paix, des populations, et c'est la fin des souffrances. Et, encore une fois, je pense aux Serbes, à la difficulté qu'ils ont eue et qu'ils auront sans doute à reconnaître qu'il s'agit maintenant, berceau pourtant de leur religion et d'une partie de leur civilisation, d'un pays indépendant.
Bien sûr, il faut souligner que le respect du document de base qui était celui des Nations unies, celui de M. Martti Ahtisaari, ce document sera mis en oeuvre et les résolutions qu'il contient amplifiées : accès à tous des lieux de religion, je parle des monastères qui ont tant d'importance pour la religion orthodoxe, je parle du respect des minorités, je parle de la protection des minorités. Toutes ces phrases, qui viennent du rapport de M. Ahtisaari et qui sont reproduites dans le document constitutionnel proposé hier par le Premier ministre au Parlement kosovar, M. Hashim Thaçi.
C'est la fin d'une crise très longue, d'une période de grande tension dans un endroit du monde qui en a connu d'autres, dont la tradition, même le nom, évoque ces troubles, les Balkans : "situation balkanique". J'espère que c'est fini et que la réconciliation commence dès maintenant même si je sais qu'elle sera longue. Même si je sais qu'il faudra plusieurs générations. Mais la première génération le sait déjà. Ceux qui sont nés, pas seulement aujourd'hui, mais ceux qui sont nés déjà depuis quelques années et qui ont connu l'administration des Nations unies, l'UNMIK, la résolution 1244, etc. Ceux-là iront plus vite pour tendre la main aux Serbes et la première occasion qu'ils ont c'est de tendre la main aux Serbes qui, courageusement, résistent et, j'espère, resteront au Kosovo.
Encore une fois ce n'est la victoire de personne, c'est aussi quand même un peu la victoire de la communauté internationale, de ce qu'on appelle le multilatéralisme et c'est une énorme victoire pour les Nations unies. C'est la première fois dans l'histoire du monde qu'un tel conflit, non seulement voit la paix arriver au bout de quelques années, mais la solution, cette indépendance, qui est une exception. C'est contenu dans le texte que vous aurez. C'est une exception, qui ne doit pas servir d'exemple. Cette indépendance arrive au bout de 9 ans. Donc pour ceux qui ne croient pas aux Nations unies, c'est quand même un bel exemple à leur fournir.
Et pour moi, personnellement, qui ai été impliqué chaque heure et presque chaque minute, nuit et jour, pendant bien longtemps dans les meurtrissures, les crimes, les revanches au Kosovo et bien je suis très heureux pour l'ensemble des populations, pour l'ensemble des communautés et encore une fois c'est aux Serbes que je m'adresse en premier.
Q - (inaudible)
R - Ecoutez Madame, nos amis espagnols ont été très intelligents et très généreux. Nous avons refait ce texte, ils l'ont accepté. Ce texte contient toutes les notions de souveraineté et d'intégrité territoriale qu'ils ont demandées. C'est donc à eux qu'il faut poser la question. Moi, je suis très satisfait de la façon dont le texte espagnol a été adopté. Ce n'est pas le texte proposé par la Présidence qui a été adopté, ce sont certains éléments du texte de la Présidence qui sont venus dans le texte espagnol. Je remercie beaucoup Miguel Moratinos d'avoir permis que tout le monde s'y retrouve, y compris Chypre.
Il y a des pays qui ne reconnaîtront pas l'indépendance du Kosovo mais, depuis quelques séances, depuis plusieurs mois, nous le savions. Il s'agit, en général, d'un processus national : il n'y a pas d'obligation de reconnaissance, ni de non-reconnaissance, dans le texte européen. Certains voudront reconnaître, d'autres pas. La majorité des pays, je l'espère, je le crois, je le sais, reconnaîtront dans les jours qui viennent.
Q - La Russie et la Serbie disent que cette indépendance viole la loi internationale. Qu'en pensez-vous ?
R - Je réponds que c'est une interprétation que je comprends mais qui n'est pas juste. Il y avait des conditions très particulières dans ce pays.
D'abord, il y a eu un conflit très meurtrier. Il y a eu des protestations et des actions internationales et puis une intervention des Nations unies. Cette intervention des Nations unies, ce maintien du pays sous la tutelle, d'une certaine façon, des Nations unies et de la résolution 1244 ne devait pas, ne pouvait pas durer éternellement. C'est, bien entendu, ce qui fait la différence avec d'autres situations où, hélas, il y a eu des conflits, des exactions, des nettoyages ethniques - même très proches - dans cette région.
Nous avons d'autres exemples de la présence des troupes et la présence d'une administration des Nations unies : troupes de l'OTAN, administration des Nations unies, c'est cela qui a fait l'originalité de la position. Et je vous signale que le rapport de M. Martti Ahtisaari et les conclusions de son rapport étaient des conclusions des Nations unies. Nous devons les mettre en oeuvre à partir de maintenant.
Q - Vous parlez de la paix comme d'une perspective à long terme. Comment l'expliquerez-vous aux Serbes de Bosnie, aux Albanais de Macédoine ? Ont-ils le droit de s'autoproclamer ? Si oui, pourquoi ?
R - Je sais que cette reconnaissance n'est plus unilatérale à partir du moment où d'autres pays la reconnaissent. J'ai compris que les Etats-Unis avaient reconnu il y a une heure ou deux. Cette reconnaissance était inéluctable, les Serbes le savent très bien. Après mes conversations longues, multiples avec les Serbes, non seulement les Serbes du Kosovo mais aussi les Serbes de Serbie, à Belgrade, tout le monde savait qu'un jour il faudrait trouver une solution.
Nous avons tout essayé pendant de longs mois. Rien n'est intervenu qui puisse nous faire croire que dans un avenir proche, dans quelques mois ou dans quelques années, le dialogue allait se nouer. Il fallait trancher. Je dirais donc à mes amis serbes, qui le savaient et s'y attendaient, que je pense, que je crois, que je suis décidé à tout faire pour que cette décision puisse arranger les rapports entre les Serbes et les Kosovars et les rapports entre tous les peuples de la région, et ne pas les empirer.
Je n'annonce pas la paix pour demain. La paix, c'est tout de suite, la paix c'est maintenant. C'est déjà la paix depuis quelques mois grâce à l'intervention des Nations unies, grâce à ce multilatéralisme et grâce au fait que l'on préfère une situation calme aux exactions, que l'on préfère la paix à la guerre. A travers les siècles, de génération en génération, les Serbes et les Kosovars ne pouvaient pas se parler. Nous espérons que cela va changer avec des situations nouvelles qui feront que, nécessairement, ils iront ensemble vers l'Europe. Vous allez voir, cela va aller plus vite que l'on croit. Il y aura très vite des projets communs. Vous savez, avec les gens qui font des affaires, la sphère privée, tout cela va très vite. Cela commence déjà.
Q - Vous ne craignez pas l'"effet dominos" ?
R - Non, je ne le crains pas beaucoup. De toutes les façons, je sais que nous n'avions pas besoin de ce texte pour le craindre déjà. Je sais qu'en Macédoine, au contraire - puisque vous parlez d'un certain nombre de minorités en Macédoine -, c'est parce qu'il y a eu une intervention de la communauté internationale, qui fut cette fois préventive, qu'il n'y a pas eu de guerre. Et je ne pense pas qu'il y en aura maintenant, tout comme je ne pense pas qu'au Monténégro il y en aura non plus. Ce que je crois, c'est que toutes ces populations serbes iront ensemble quelque part et ce sera l'Union européenne. Ce seront des projets communs, ce sera une vie culturelle qui continuera ensemble.
Q - Comment demain l'Union européenne pourra-t-elle signer un Accord d'association et de stabilisation avec le Kosovo si certains Etats ne le reconnaissent pas ?
R - N'allez pas trop vite en besogne. Il n'est pas question de signer avec le Kosovo tout de suite. Il y a une perspective historique et, pour le moment, ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait un accord pour que la Serbie devienne un jour un pays candidat à l'Union européenne. N'allons pas trop vite, cela prendra des années, même si déjà les populations, les projets, la politique s'en mêlent. Les gens le savent, cela n'est pas une surprise.
Toute la presse d'hier disait : "l'Europe, désunion", "l'Europe, la fracture". Eh bien non ! C'est le contraire. Il y a un texte commun et personne n'a jamais dit - sauf dans une illusion, pas même lyrique - que nous allions avoir obligatoirement la même position. Il y a des pays, encore une fois, qui sont loin de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et d'autres qui sont prêts. Mais nous avons décidé, ensemble, que l'Europe maintiendrait sa cohésion en dépit de ses différences : c'est cela qui est essentiel. Maintenant, vous allez voir, les Serbes ne vont pas se précipiter vers l'Union européenne. Demain, malheureusement, la Serbie ne va pas dire : "je suis candidate à l'Union européenne", mais après-demain, oui, j'en suis sûr.
Q - Y a-t-il d'autres pays qui reconnaîtront le Kosovo ?
R - Je ne vais pas vous en faire la liste, c'est à eux de le faire, mais je crois que beaucoup de pays reconnaîtront le Kosovo ensemble à partir d'aujourd'hui. Nous avons dit, et ce n'est un secret pour personne, que nous allions reconnaître le Kosovo. Ce qui compte, ce n'est pas celui qui reconnaîtra le premier. Ce qui compte, c'est que cela ne soit pas pris comme une pression, comme une espèce de victoire de l'un sur l'autre. Nous avons dépassé ce stade et je crois que les populations et les gouvernements ont dépassé ce stade. Je crois, et j'en suis même sûr, que les gouvernements de part et d'autre de la rivière Iban et même la frontière au nord, se parleront bientôt s'ils ne l'ont pas fait. Je l'espère en tout cas.
Q - Certains à Belgrade pensent que l'Union européenne jette la Serbie dans les bras de la Russie ?
R - Cela n'est vraiment pas le cas. Nous ne souhaitons pas du tout cela.
Q - Ce serait une contre-réaction ?
R - J'espère que la logique de contre-réaction sera contrebattue par l'intelligence politique et par l'appétit d'une certaine culture européenne. Je pense que la Serbie, très naturellement - et elle le fait déjà -, va pencher non pas vers la Russie mais vers l'Europe qui l'attire. Nous avons tenté de convaincre nos amis russes de ne pas s'opposer. Vous avez vu, au Conseil de sécurité des Nations unies, hier, la Russie était très isolée. Regardez ceux qui ont pris la parole, ceux qui se manifestent. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose d'essayer d'attirer nos amis serbes dans cette direction. Il faut qu'ils s'ouvrent aux droits à la modernité, aux Droits de l'Homme, et qu'ils fassent ce travail nécessaire, s'il le souhaite - nous ne les forçons pas -, avec l'Union européenne. En tout cas, c'est ce que j'espère profondément. Ne croyez pas qu'en procédant ainsi, nous nous manifestions contre les Serbes. Non, au contraire, nous sentions bien qu'il fallait prendre une décision, nous le sentons depuis des mois.
Q - En quoi le projet de déclaration préparé par la Présidence slovène posait autant de problèmes ?
R - En fait, si on regarde les détails, il y avait des choses qui ont disparu, qui n'étaient pas utiles. Il y avait peut être moins de références à l'intégrité territoriale et à l'indépendance des Etats telles que contenues dans la charte des Nations unies. C'était cette proposition espagnole qui était à la fois ramassée et qui permettait à tout le monde de s'entendre. Vous pouvez comparer l'une et l'autre, tous les éléments importants se retrouvent dans la déclaration espagnole, amendée mais très peu. Elle est plus courte, elle est plus simple et elle est, je crois, pratiquement de la même nature. Il y a quelques phrases importantes que nous avons acceptées parce qu'il nous semblait, très sincèrement, qu'il nous fallait un texte commun. Nous savons cela depuis longtemps, c'est toujours une discussion difficile à vingt-sept, tout le monde prend la parole, personne ne l'évite. C'est un problème moralement difficile, politiquement très difficile, psychologiquement pas simple. Personne ne veut découper aux ciseaux les pays sur la carte. Il a fallu bien des exactions, bien des difficultés, bien des combats, bien des souffrances, bien des pleurs pour en arriver là.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2008
Alors, ce qui me paraît extrêmement symbolique c'est que la Présidence slovène, c'est-à-dire le premier pays qui se soit détaché de la Fédération yougoslave, après tant d'années, maintenant Présidente de l'Union européenne, soit celle qui "accouche" si j'ose dire, celle qui permet au dernier pan, à la dernière région de cette Fédération yougoslave, d'être indépendante.
Vous savez que l'indépendance a été annoncée hier et la première phrase de déclaration des Vingt-Sept, et je voudrais, s'il vous plaît, souligner cela "des Vingt-Sept", il s'agit d'une victoire de l'Union européenne qui n'impose rien à personne, et je ne sais pas combien de pays reconnaîtront l'indépendance du Kosovo, les uns disent 16, les autres 19. Il y aura sûrement des reconnaissances plus tardives. Mais, en tout cas, la résolution, que vous aurez dans dix minutes, convient à tout le monde, a été discutée mot par mot.
Alors, pour ce qui concerne la France, nous avons l'intention de reconnaître l'indépendance du Kosovo, le président de la République a écrit en ce sens au président du Kosovo. La lettre va partir ce soir et, dès que cet échange aura eu lieu, la reconnaissance par la France de l'indépendance du Kosovo sera acquise.
Et si vous me permettez d'ajouter un mot très particulier venant de moi qui ai été responsable pendant deux ans de cette région de Serbie. Je voudrais adresser ce mot d'espoir aux Serbes : cela n'est pas leur défaite, c'est au contraire la possibilité pour eux, et ils l'ont exprimée, je crois, en votant pour M. Tadic, de s'approcher de l'Union européenne, d'y venir quand ils le souhaiteront, remplissant les conditions requises bien entendu, mais d'y venir quand ils le souhaiteront. Et je n'ai pas de doute : un jour, je ne connais pas la date, je ne connais pas l'année, les Kosovars et les Serbes seront à nouveau ensemble dans l'Union européenne. Et peut-être d'autres alliances balkaniques se noueront-elles.
En tout cas, pour moi, c'est la victoire du bon sens, de la paix, des populations, et c'est la fin des souffrances. Et, encore une fois, je pense aux Serbes, à la difficulté qu'ils ont eue et qu'ils auront sans doute à reconnaître qu'il s'agit maintenant, berceau pourtant de leur religion et d'une partie de leur civilisation, d'un pays indépendant.
Bien sûr, il faut souligner que le respect du document de base qui était celui des Nations unies, celui de M. Martti Ahtisaari, ce document sera mis en oeuvre et les résolutions qu'il contient amplifiées : accès à tous des lieux de religion, je parle des monastères qui ont tant d'importance pour la religion orthodoxe, je parle du respect des minorités, je parle de la protection des minorités. Toutes ces phrases, qui viennent du rapport de M. Ahtisaari et qui sont reproduites dans le document constitutionnel proposé hier par le Premier ministre au Parlement kosovar, M. Hashim Thaçi.
C'est la fin d'une crise très longue, d'une période de grande tension dans un endroit du monde qui en a connu d'autres, dont la tradition, même le nom, évoque ces troubles, les Balkans : "situation balkanique". J'espère que c'est fini et que la réconciliation commence dès maintenant même si je sais qu'elle sera longue. Même si je sais qu'il faudra plusieurs générations. Mais la première génération le sait déjà. Ceux qui sont nés, pas seulement aujourd'hui, mais ceux qui sont nés déjà depuis quelques années et qui ont connu l'administration des Nations unies, l'UNMIK, la résolution 1244, etc. Ceux-là iront plus vite pour tendre la main aux Serbes et la première occasion qu'ils ont c'est de tendre la main aux Serbes qui, courageusement, résistent et, j'espère, resteront au Kosovo.
Encore une fois ce n'est la victoire de personne, c'est aussi quand même un peu la victoire de la communauté internationale, de ce qu'on appelle le multilatéralisme et c'est une énorme victoire pour les Nations unies. C'est la première fois dans l'histoire du monde qu'un tel conflit, non seulement voit la paix arriver au bout de quelques années, mais la solution, cette indépendance, qui est une exception. C'est contenu dans le texte que vous aurez. C'est une exception, qui ne doit pas servir d'exemple. Cette indépendance arrive au bout de 9 ans. Donc pour ceux qui ne croient pas aux Nations unies, c'est quand même un bel exemple à leur fournir.
Et pour moi, personnellement, qui ai été impliqué chaque heure et presque chaque minute, nuit et jour, pendant bien longtemps dans les meurtrissures, les crimes, les revanches au Kosovo et bien je suis très heureux pour l'ensemble des populations, pour l'ensemble des communautés et encore une fois c'est aux Serbes que je m'adresse en premier.
Q - (inaudible)
R - Ecoutez Madame, nos amis espagnols ont été très intelligents et très généreux. Nous avons refait ce texte, ils l'ont accepté. Ce texte contient toutes les notions de souveraineté et d'intégrité territoriale qu'ils ont demandées. C'est donc à eux qu'il faut poser la question. Moi, je suis très satisfait de la façon dont le texte espagnol a été adopté. Ce n'est pas le texte proposé par la Présidence qui a été adopté, ce sont certains éléments du texte de la Présidence qui sont venus dans le texte espagnol. Je remercie beaucoup Miguel Moratinos d'avoir permis que tout le monde s'y retrouve, y compris Chypre.
Il y a des pays qui ne reconnaîtront pas l'indépendance du Kosovo mais, depuis quelques séances, depuis plusieurs mois, nous le savions. Il s'agit, en général, d'un processus national : il n'y a pas d'obligation de reconnaissance, ni de non-reconnaissance, dans le texte européen. Certains voudront reconnaître, d'autres pas. La majorité des pays, je l'espère, je le crois, je le sais, reconnaîtront dans les jours qui viennent.
Q - La Russie et la Serbie disent que cette indépendance viole la loi internationale. Qu'en pensez-vous ?
R - Je réponds que c'est une interprétation que je comprends mais qui n'est pas juste. Il y avait des conditions très particulières dans ce pays.
D'abord, il y a eu un conflit très meurtrier. Il y a eu des protestations et des actions internationales et puis une intervention des Nations unies. Cette intervention des Nations unies, ce maintien du pays sous la tutelle, d'une certaine façon, des Nations unies et de la résolution 1244 ne devait pas, ne pouvait pas durer éternellement. C'est, bien entendu, ce qui fait la différence avec d'autres situations où, hélas, il y a eu des conflits, des exactions, des nettoyages ethniques - même très proches - dans cette région.
Nous avons d'autres exemples de la présence des troupes et la présence d'une administration des Nations unies : troupes de l'OTAN, administration des Nations unies, c'est cela qui a fait l'originalité de la position. Et je vous signale que le rapport de M. Martti Ahtisaari et les conclusions de son rapport étaient des conclusions des Nations unies. Nous devons les mettre en oeuvre à partir de maintenant.
Q - Vous parlez de la paix comme d'une perspective à long terme. Comment l'expliquerez-vous aux Serbes de Bosnie, aux Albanais de Macédoine ? Ont-ils le droit de s'autoproclamer ? Si oui, pourquoi ?
R - Je sais que cette reconnaissance n'est plus unilatérale à partir du moment où d'autres pays la reconnaissent. J'ai compris que les Etats-Unis avaient reconnu il y a une heure ou deux. Cette reconnaissance était inéluctable, les Serbes le savent très bien. Après mes conversations longues, multiples avec les Serbes, non seulement les Serbes du Kosovo mais aussi les Serbes de Serbie, à Belgrade, tout le monde savait qu'un jour il faudrait trouver une solution.
Nous avons tout essayé pendant de longs mois. Rien n'est intervenu qui puisse nous faire croire que dans un avenir proche, dans quelques mois ou dans quelques années, le dialogue allait se nouer. Il fallait trancher. Je dirais donc à mes amis serbes, qui le savaient et s'y attendaient, que je pense, que je crois, que je suis décidé à tout faire pour que cette décision puisse arranger les rapports entre les Serbes et les Kosovars et les rapports entre tous les peuples de la région, et ne pas les empirer.
Je n'annonce pas la paix pour demain. La paix, c'est tout de suite, la paix c'est maintenant. C'est déjà la paix depuis quelques mois grâce à l'intervention des Nations unies, grâce à ce multilatéralisme et grâce au fait que l'on préfère une situation calme aux exactions, que l'on préfère la paix à la guerre. A travers les siècles, de génération en génération, les Serbes et les Kosovars ne pouvaient pas se parler. Nous espérons que cela va changer avec des situations nouvelles qui feront que, nécessairement, ils iront ensemble vers l'Europe. Vous allez voir, cela va aller plus vite que l'on croit. Il y aura très vite des projets communs. Vous savez, avec les gens qui font des affaires, la sphère privée, tout cela va très vite. Cela commence déjà.
Q - Vous ne craignez pas l'"effet dominos" ?
R - Non, je ne le crains pas beaucoup. De toutes les façons, je sais que nous n'avions pas besoin de ce texte pour le craindre déjà. Je sais qu'en Macédoine, au contraire - puisque vous parlez d'un certain nombre de minorités en Macédoine -, c'est parce qu'il y a eu une intervention de la communauté internationale, qui fut cette fois préventive, qu'il n'y a pas eu de guerre. Et je ne pense pas qu'il y en aura maintenant, tout comme je ne pense pas qu'au Monténégro il y en aura non plus. Ce que je crois, c'est que toutes ces populations serbes iront ensemble quelque part et ce sera l'Union européenne. Ce seront des projets communs, ce sera une vie culturelle qui continuera ensemble.
Q - Comment demain l'Union européenne pourra-t-elle signer un Accord d'association et de stabilisation avec le Kosovo si certains Etats ne le reconnaissent pas ?
R - N'allez pas trop vite en besogne. Il n'est pas question de signer avec le Kosovo tout de suite. Il y a une perspective historique et, pour le moment, ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait un accord pour que la Serbie devienne un jour un pays candidat à l'Union européenne. N'allons pas trop vite, cela prendra des années, même si déjà les populations, les projets, la politique s'en mêlent. Les gens le savent, cela n'est pas une surprise.
Toute la presse d'hier disait : "l'Europe, désunion", "l'Europe, la fracture". Eh bien non ! C'est le contraire. Il y a un texte commun et personne n'a jamais dit - sauf dans une illusion, pas même lyrique - que nous allions avoir obligatoirement la même position. Il y a des pays, encore une fois, qui sont loin de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et d'autres qui sont prêts. Mais nous avons décidé, ensemble, que l'Europe maintiendrait sa cohésion en dépit de ses différences : c'est cela qui est essentiel. Maintenant, vous allez voir, les Serbes ne vont pas se précipiter vers l'Union européenne. Demain, malheureusement, la Serbie ne va pas dire : "je suis candidate à l'Union européenne", mais après-demain, oui, j'en suis sûr.
Q - Y a-t-il d'autres pays qui reconnaîtront le Kosovo ?
R - Je ne vais pas vous en faire la liste, c'est à eux de le faire, mais je crois que beaucoup de pays reconnaîtront le Kosovo ensemble à partir d'aujourd'hui. Nous avons dit, et ce n'est un secret pour personne, que nous allions reconnaître le Kosovo. Ce qui compte, ce n'est pas celui qui reconnaîtra le premier. Ce qui compte, c'est que cela ne soit pas pris comme une pression, comme une espèce de victoire de l'un sur l'autre. Nous avons dépassé ce stade et je crois que les populations et les gouvernements ont dépassé ce stade. Je crois, et j'en suis même sûr, que les gouvernements de part et d'autre de la rivière Iban et même la frontière au nord, se parleront bientôt s'ils ne l'ont pas fait. Je l'espère en tout cas.
Q - Certains à Belgrade pensent que l'Union européenne jette la Serbie dans les bras de la Russie ?
R - Cela n'est vraiment pas le cas. Nous ne souhaitons pas du tout cela.
Q - Ce serait une contre-réaction ?
R - J'espère que la logique de contre-réaction sera contrebattue par l'intelligence politique et par l'appétit d'une certaine culture européenne. Je pense que la Serbie, très naturellement - et elle le fait déjà -, va pencher non pas vers la Russie mais vers l'Europe qui l'attire. Nous avons tenté de convaincre nos amis russes de ne pas s'opposer. Vous avez vu, au Conseil de sécurité des Nations unies, hier, la Russie était très isolée. Regardez ceux qui ont pris la parole, ceux qui se manifestent. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose d'essayer d'attirer nos amis serbes dans cette direction. Il faut qu'ils s'ouvrent aux droits à la modernité, aux Droits de l'Homme, et qu'ils fassent ce travail nécessaire, s'il le souhaite - nous ne les forçons pas -, avec l'Union européenne. En tout cas, c'est ce que j'espère profondément. Ne croyez pas qu'en procédant ainsi, nous nous manifestions contre les Serbes. Non, au contraire, nous sentions bien qu'il fallait prendre une décision, nous le sentons depuis des mois.
Q - En quoi le projet de déclaration préparé par la Présidence slovène posait autant de problèmes ?
R - En fait, si on regarde les détails, il y avait des choses qui ont disparu, qui n'étaient pas utiles. Il y avait peut être moins de références à l'intégrité territoriale et à l'indépendance des Etats telles que contenues dans la charte des Nations unies. C'était cette proposition espagnole qui était à la fois ramassée et qui permettait à tout le monde de s'entendre. Vous pouvez comparer l'une et l'autre, tous les éléments importants se retrouvent dans la déclaration espagnole, amendée mais très peu. Elle est plus courte, elle est plus simple et elle est, je crois, pratiquement de la même nature. Il y a quelques phrases importantes que nous avons acceptées parce qu'il nous semblait, très sincèrement, qu'il nous fallait un texte commun. Nous savons cela depuis longtemps, c'est toujours une discussion difficile à vingt-sept, tout le monde prend la parole, personne ne l'évite. C'est un problème moralement difficile, politiquement très difficile, psychologiquement pas simple. Personne ne veut découper aux ciseaux les pays sur la carte. Il a fallu bien des exactions, bien des difficultés, bien des combats, bien des souffrances, bien des pleurs pour en arriver là.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2008