Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'actualité européenne, l'amélioration de la compétitivité industrielle européenne, et sur les grandes priorités du 5ème Programme cadre de recherche et de développement de l'Union européenne, Grenoble le 1er février 1999.

Prononcé le 1er février 1999

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Circonstance : Déplacement à Grenoble le 1er février 1999-déjeuner-débat avec des représentants du monde de l'entreprise et de l'université sur le thème "Europe, recherche, développement"

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais, tout d'abord, vous dire, comme je lai fait ce matin, en visitant le projet de Cité scolaire internationale, tout le plaisir qui est le mien d'être aujourd'hui parmi vous, à Grenoble et dans sa région, dans un lieu où se trouvent rassemblés les centres de recherche les plus prestigieux, de très grandes universités, des entreprises de haute technologie, des dizaines de milliers d'étudiants, de professeurs et de chercheurs, bref, un site privilégié pour parler de ce qui nous réuni aujourd'hui, c'est à dire d'Europe, de recherche et de développement économique.
Je pense, toutefois, que vous attendez de moi, en tant que ministre chargé, au sein du gouvernement que dirige Lionel Jospin, des Affaires européennes, que je commence mon intervention par quelques propos sur l'actualité européenne, et ce d'autant plus que 1999 sera une année très importante pour l'Europe, c'est à dire pour tous ses citoyens.
Nous sommes entrés, avec la réussite technique que nous avons tous constatée, dans l'ère de l'euro le 1er janvier. Nous devons maintenant assurer le succès de l'euro, non pas comme une fin en soi mais comme le moyen de la reconquête par les Européens de leur souveraineté monétaire.
L'euro est un instrument de stabilité qui doit servir la croissance et l'emploi. Grâce en grande partie à la volonté politique du gouvernement français depuis juin 1997, nous sommes parvenus à l'euro dans des conditions qui rendent cette ambition réaliste : nous avons un euro large, qui na pas laissé les pays du Sud de côté - et je sais que c'est une question particulièrement importante ici, compte tenu de l'intensité des relations commerciales avec l'Italie. Une nouvelle instance, le Conseil de l'euro, ou Euro 11, s'est mis en place face à la Banque centrale européenne, dont il constitue l'interlocuteur politique, et qui a vocation a devenir le lieu de coordination des politiques économiques.
A vous qui êtes, pour beaucoup d'entre vous, des chefs d'entreprises dynamiques, de haute technologie, très tournées vers l'exportation, les enjeux et les grands avantages de l'euro n'auront pas échappé. Je suis persuadé que vous saurez en tirer le meilleur bénéfice.
Par ailleurs, nous avons, en 1998, poursuivi notre travail de réorientation de la politique européenne, de telle sorte quelle prenne mieux en compte la croissance, l'emploi, les préoccupations sociales. Le dernier Conseil européen, à Vienne, en décembre, a bien montré que ce thème faisait désormais l'objet d'un véritable consensus parmi nos partenaires. Ce n'est pas un mince acquis.
S'agissant de l'emploi, il est essentiel que les objectifs fixés fin 1997 à Luxembourg soient poursuivis : réduire le chômage des jeunes, le chômage de longue durée, augmenter l'effort de formation. Nous devons maintenant faire en sorte que le « Pacte européen pour l'emploi », dont le principe a été décidé à Vienne, prenne corps et marque une approche encore plus volontariste, avec des objectifs plus contraignants pour chacun des Etats membres. Nous souhaitons que le Conseil européen de Cologne, en juin prochain, permette l'adoption de ce Pacte.
Ainsi, nous avancerons de façon décisive vers l'Europe sociale que nous appelons de nos voeux. Donner un sens à l'Europe, c'est en faire le lieu où pourront le mieux s'affirmer les valeurs qui nous sont communes et qui peuvent forger notre identité, notamment, cette recherche permanente de la meilleure articulation entre performance économique et cohésion sociale.
L'amélioration de la compétitivité de l'industrie européenne, l'efficacité du Marché unique comme instrument d'insertion réussie dans l'économie mondiale, doivent aller de paire avec l'enrichissement et la défense de ce modèle social européen.
L'autre chantier immédiat, c'est la ratification du Traité d'Amsterdam. Vous le savez, le Congrès réuni à Versailles a adopté, à une très large majorité, la révision constitutionnelle qui était nécessaire avant de passer à la ratification proprement dite. Je me félicite de ce résultat. La procédure va maintenant se poursuivre, en vue dune ratification au début du printemps.
Le traité d'Amsterdam n'est pas parfait, nous le savons tous. Il est largement insuffisant sur le chapitre institutionnel, car il ne prévoit pas les adaptations nécessaires dans la perspective de l'élargissement.
Il comporte néanmoins des avancées substantielles dans plusieurs domaines importants, à commencer par l'emploi et les droits sociaux. Nous allons notamment, grâce à ce traité, transformer le protocole social en un chapitre social qui sera désormais partie intégrante des textes communautaires fondamentaux. D'autres dispositions concernent aussi la lutte contre l'exclusion sociale ou encore l'application du principe d'égalité des chances et d'égalité de traitement.
Ce traité comporte aussi des avancées dans le domaine des droits et les libertés des citoyens européens, et dans celui, au combien important, de la politique étrangère et de sécurité commune. C'est pour informer nos concitoyens de ces apports que j'ai lancé, il y a tout juste quelques jours, une campagne de communication sur la construction européenne à l'étape d'Amsterdam, avec le soutien du Parlement européen et de la Commission européenne. Une petite brochure explicative, avec une présentation attrayante, vient d'être réalisée.
Au delà de ces deux domaines, de nombreux chantiers importants nous attendent dans les prochains mois.
Je pense bien sur au dossier dit de « l'Agenda 2000 », celui du financement de l'Union pour les années à venir et des réformes des politiques structurelles, y compris de la PAC. Nous faisons confiance à la présidence allemande pour parvenir à un accord équilibré, selon le calendrier agréé au Conseil européen de Cardiff. Mais les discussions sont très difficiles, les positions de départ éloignées les unes des autres. Le risque d'un échec existe, il doit être pris au sérieux, pour être écarté.
Mais nous devons, plus globalement, relever maintenant le défi qui nous est posé par l'Europe de l'après-euro : convaincre les citoyens européens de la légitimité de la construction européenne, lui redonner un sens politique.
Je crois que, sans doute trop absorbés par les contingences quotidiennes de la gestion de la machinerie européenne, sans doute, également, du fait de la méthode qui a présidé à la construction européenne depuis 50 ans, très pragmatique, privilégiant l'économique par rapport au politique, nous avons un peu perdu de vue le but final de l'entreprise. D'où les interrogations et les doutes, en France comme chez nos voisins.
Je voudrais seulement évoquer quelques pistes de réflexion pour cette Europe du XXIème siècle.
La première piste est celle des institutions. Il n'y aura pas d'Europe forte avec des institutions faibles ; il n'y aura d'adhésion réelle et durable des citoyens européens à l'Europe qu'avec des institutions plus démocratiques et transparentes.
Plutôt que de s'embarquer dans un débat formel, et quelque peu artificiel, sur le fédéralisme, tâchons de travailler à une articulation heureuse, pragmatique, entre des nations préservées, et même confortées, et une Europe forte, qui offre aux Etats membres un espace commun d'ambitions.
Nous devons ensuite répondre au défi de la réunification de l'Europe, car c'est plus dune réunification que d'un élargissement supplémentaire qu'il s'agit. Je suis persuadé que ce mouvement est, fondamentalement, au-delà des difficultés qu'il ne s'agit pas de masquer, une chance pour l'Europe. Non seulement pour nos partenaires d'Europe centrale et orientale, mais pour nous tous. L'Europe réunifiée, rapprochée de ses frontières naturelles, pourra mieux affirmer sa cohérence, son identité. L'attitude de la France dans les négociations qui se poursuivront en 1999 est sans ambiguïtés : nous ne sommes pas réservés mais volontaires, nous ne sommes pas démagogues mais réalistes et exigeants.
L'Europe doit aussi être capable de s'affirmer dans le monde, à la fois avec force et générosité, afin d'être en mesure de répondre à un réel besoin d'Europe qui se fait sentir dans un univers dominé par une seule hyper-puissance. Les prochaines négociations commerciales, notamment, seront un test important de la détermination européenne à peser, ensemble, dans un sens conforme à nos intérêts et à nos valeurs.
Surtout, ce devra être le but de la politique étrangère et de sécurité commune, qui se met en place, non sans difficultés, et de la future défense européenne. Les crises actuelles, en Iraq comme au Kossovo, montrent à la fois l'ampleur du chemin qui reste à parcourir et la nécessité absolue daller dans cette voie, faute de quoi la construction européenne resterait toujours inachevée.
Nous devons, enfin, et peut être surtout, réfléchir à tout ce qui peut renforcer la naissance dune véritable identité européenne, d'un sentiment européen. « L'Europe devra être d'abord culturelle », disait Robert Schuman, il est temps d'agir concrètement en ce sens. J'ai moi-même proposé, je l'évoquais ce matin à la Cité scolaire internationale, l'idée d'un « Acte unique de l'Europe de la connaissance », pour que l'Europe de l'éducation, à travers la mobilité des étudiants, des professeurs, à travers l'harmonisation des cursus universitaires en Europe, à travers une amélioration de la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles, devienne une réalité.
L'Europe de la recherche, qui elle, existe déjà, participe de la même démarche. Vous le savez, la politique de l'Union européenne en matière de recherche constitue, en termes budgétaires, la troisième politique communautaire, après la Politique agricole commune et la politique des fonds structurels.
Le 5ème Programme cadre de recherche et de développement, le PCRD, qui a été récemment adopté, et qui porte sur la période 1999 - 2002, a vu son budget sensiblement augmenter par rapport au 4ème PCRD, pour atteindre désormais pratiquement 15 milliards d'euros, ce qui est considérable.
Le 5ème PCRD, à la demande, notamment, de la France, a été, par rapport à son prédécesseur, recentré sur quelques grandes priorités. Il sera articulé autour de quatre programmes thématiques - gestion des ressources du vivant, société de l'information, développement durable des moyens de production et de transport, énergie et environnement - et de trois programmes horizontaux - coopération internationale, promotion de l'innovation en particulier dans les PME, développement des ressources humaines par la formation et la mobilité des chercheurs.
Je suis persuadé que les centres de recherche, les entreprises, les universités de l'agglomération grenobloise sauront profiter au mieux des opportunités qui seront offertes par ce 5ème PCRD, et que de fortes retombées en terme de croissance et d'emplois pourront en être retirées.
Cette région démontre en effet dune façon exemplaire comment peuvent s'opérer, de la façon la plus efficace, et Michel Destot le sait lui-même particulièrement bien, les transferts de technologies des centres de recherches et des universités, travaillant eux-mêmes ensemble, vers les entreprises.
J'ai été particulièrement heureux d'apprendre, de ce point de vue, que Grenoble a été sélectionnée par la Commission européenne, aux côtés de Lyon et dans le cadre du réseau de villes Rhône-Alpes, comme site pilote européen pour la création d'entreprises innovantes fondé sur deux technologies clés, le numérique et les biotechnologies.
Cela illustre bien la dynamique de développement fondée sur l'innovation, la recherche et le transfert de technologie qui a été initiée ici, et je m'en réjouis.
Je m'en tiendrai là pour ce propos introductif, car je souhaite aussi, et même surtout, vous entendre et débattre avec vous de ce sujet, plutôt que de dérouler un long monologue. J'attends donc vos réflexions, vos remarques et vos questions, et je vous remercie, en attendant, de votre attention./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)