Texte intégral
Intervention de Laurent Fabius
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
Première lecture devant l'Assemblée nationale du projet de loi
portant création d'une prime pour l'emploi
6 FÉVRIER 2001
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La politique que mène le Gouvernement est la politique économique de l'emploi. En trois ans, un million d'emplois ont été créés. L'activité revenue a créé du travail et voici que le travail retrouvé suscite, en retour, de l'activité. Si les baisses d'impôts ont favorisé la consommation et la production, un pouvoir d'achat en hausse et des carnets de commandes remplis ont contribué à la croissance. Tout est lié. La baisse de la fiscalité permet l'initiative et l'innovation, mais, de son côté, l'économie nouvelle produit des richesses et des recettes qu'il faut savoir partager et bien utiliser.
Ces bons résultats vont-ils se poursuivre ? Je le crois, malgré le ralentissement de l'économie américaine. Celui-ci aura certes des conséquences sur la croissance des autres pays ; mais, compte tenu de la qualité de la situation française et en particulier d'une demande intérieure solide du côté à la fois de la consommation et de l'investissement, nous devrions continuer à un rythme de croissance favorable, permettant la poursuite de la baisse du chômage avec une inflation maîtrisée. A condition que nous demeurions vigilants sur la maîtrise des dépenses publiques : j'insiste, particulièrement en ces périodes sur cette nécessaire vigilance. La politique économique de l'emploi ne pourra qu'être renforcée par une plus grande incitation au travail et une meilleure valorisation de celui-ci que va permettre la mesure dont nous discutons aujourd'hui, intitulée prime pour l'emploi.
Oui, ces résultats vont se poursuivre, à condition, bien évidemment, que chacun ait conscience que rien n'est totalement gagné, que la difficulté sociale est encore plus lourde pour ceux que l'abondance laisse au bord du chemin. C'est pourquoi il ne faut pas cesser de réformer, d'inciter, de faciliter. C'est le rôle de l'Etat partenaire. C'est la définition même de l'Etat utile. C'est pourquoi, j'ai l'honneur de défendre devant le Parlement le projet de loi créant une " prime pour l'emploi ".
Il y a un peu plus de huit mois, en mai 2000, nous avons eu dans cet hémicycle un débat d'orientation budgétaire. J'avais été frappé par une certaine convergence de vues. Chacun des orateurs reconnaissait en effet que le choix de l'emploi, l'intérêt pour l'emploi, la priorité à l'emploi, étaient souvent freinés, voire découragés par les gains trop faibles que procurait, dans un certain nombre de situations, le retour au travail. Dans un foyer allocataire du RMI, dont l'un des membres reprend une activité à plein temps rémunérée au SMIC, le gain réel n'est que de 4 F par heure travaillée ! Il faut alors avoir l'esprit bien étroit ou bien placide pour ne se poser aucune question sur la réalité de la justice sociale ou sur l'intérêt véritable du renoncement à un revenu de remplacement.
Face à cette difficulté de fond, diverses idées et solutions ont jailli. C'est la fonction même du débat démocratique. Ici, on a souhaité une réduction des charges sociales salariales, c'est-à-dire, en vérité, une diminution des cotisations d'assurance retraite, puisque au niveau du SMIC le prélèvement social se réduit pratiquement à cela : suggestion difficile, car l'universalité et le maintien d'un système d'assurance sociale comme la retraite implique que chacun y cotise, l'avenir de notre protection sociale n'étant, dans ce domaine, pas assez assuré pour se passer de cette ressource. D'autres ont souhaité une hausse du SMIC, soutenant que c'était une voie généreuse, mais en acceptant le principe d'une compensation de cette augmentation par la réduction des charges patronales, sans pour autant résoudre les différents problèmes que pouvait poser cette prise en charge directe ni pouvoir répondre aux aspirations des travailleurs payés à un niveau juste supérieur au SMIC.
Le gouvernement vous avait proposé et la majorité avait adopté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, une "ristourne", disons une suppression ou un allégement de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale (CSG et CRDS). Applicable dès janvier 2001, concernant les salariés comme les non salariés, se traduisant par une augmentation nette et immédiate de revenu, cette mesure devait avoir un effet particulièrement dynamique, attendu par neuf millions de Français, qui aurait bénéficié à l'ensemble de la collectivité. Saisi par cent-onze députés et cent-neuf sénateurs de l'opposition, le Conseil Constitutionnel le 19 décembre 2000 en a décidé autrement.
Le Gouvernement a accueilli cette décision comme il convenait : en en prenant acte. Le contrôle constitutionnel est un fondement de notre démocratie. Pour autant, cette censure nous a surpris. Par une jurisprudence établie, le Conseil avait, en effet, confirmé auparavant que le principe d'égalité devant l'impôt n'interdisait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories de contribuables ni la mise en place d'un dispositif ciblé sur certaines catégories de populations dès lors que ce choix répondait au but fixé par le législateur et n'était pas "manifestement inapproprié". Dans le cas présent, la rupture d'égalité censurée par le Conseil semblait en adéquation avec l'objectif poursuivi : favoriser la reprise d'activité et le retour à l'emploi. Quoiqu'il en soit, la décision du Conseil s'impose.
Le Gouvernement s'est remis aussitôt au travail afin d'offrir, par d'autres modalités, au même nombre de Français des avantages voisins. Le résultat que nous voulons atteindre, c'est-à-dire le maintien ou le retour dans l'emploi, mérite en effet tous les efforts. Cela d'autant plus que la prime pour l'emploi s'inscrit dans un dispositif plus vaste, dont les éléments se complètent. Dans le collectif budgétaire du printemps 2000, vous avez en effet adopté une réforme de la taxe d'habitation qui améliore les mécanismes d'allégement fonction du revenu, pour mieux tenir compte de la situation de ceux dont les rémunérations sont les plus faibles. Dans ce même collectif, puis dans la loi de finances pour 2001, vous avez baissé l'impôt sur le revenu, plus fortement pour les tranches les plus basses du barème, et vous avez modifié le système de la décote afin d'atténuer le poids de l'impôt pour ceux qui gagnent un peu plus que l'indispensable et auxquels, au regard de l'abondance dans laquelle certains prospèrent, il est normal de laisser ce minimum qui améliore leur vie. Dans la loi contre l'exclusion, vous avez permis que le RMI et les droits qui l'accompagnent soient conservés en même temps qu'un certain niveau de revenu d'activité, afin de ne pas placer nos concitoyens les plus exposés devant des choix impliquant de trop lourds sacrifices. Enfin, la récente réforme des allocations logement est le moyen, à partir de cette année, de ne plus pénaliser les petits revenus d'activité par rapport aux bénéficiaires des minima sociaux.
Dans cette continuité, est née l'idée d'une prime pour l'emploi. Elle ne porte pas atteinte à l'universalité de la CSG. Bénéficiant aux salariés comme aux indépendants, maximale au niveau du SMIC à temps plein puis dégressive jusqu'à 1,4 SMIC, la prime pour l'emploi procurera dès 2001, à près de dix millions de personnes, un supplément de rémunération du travail, pour monter en puissance en 2002 et en 2003, jusqu'à atteindre un versement annuel de 4 500 F au niveau du SMIC. Cette prime pour l'emploi pourra être acquise avec un niveau de revenu plus élevé quand la personne concernée a des enfants à charge. Elle sera par ailleurs augmentée à raison de ces mêmes enfants à charge, de même que lorsqu'un seul conjoint travaille dans un couple.
La prime constitue assurément une novation dans notre système fiscal, plus habitué à percevoir qu'à rendre. A-t-on, ce faisant, voulu embrasser une théorie économique illégitime ou suspecte ? Non. Certains ont soutenu que nous inciterions ainsi les employeurs à ne pas accorder à leurs ouvriers, à leurs employés, les salaires de base, voire les augmentations, qu'ils sont légitimement en droit d'attendre. J'en suis étonné. L'existence d'un SMIC, les droits des travailleurs, l'obligation de la négociation sont des garanties fondamentales que cette disposition ne fera pas disparaître : elles seront appliquées et respectées. J'ai cru noter aussi que, selon d'autres, cette mesure pourrait entraîner des distorsions dans le salariat, un chef d'entreprise n'accordant pas un avantage salarial au bénéficiaire de la prime et l'accordant à celui qui ne la touche pas. Ce que j'ai dit à l'instant sur l'existence du droit du travail dans notre pays vaut également ici. Quant à l'Etat, il est suffisamment soucieux des comptes publics pour veiller à ce que le travail soit rémunéré par celui qui l'utilise et non par la collectivité. Enfin, nul si ce n'est le bénéficiaire lui-même ne pourra connaître si l'intéressé perçoit ou ne perçoit pas la prime à l'emploi. Il ne s'agit donc pas d'exonérer la richesse de toute solidarité, mais au contraire de renforcer cette dernière pour qu'elle profite plus directement à l'emploi.
Une proposition avait été faite par la droite sénatoriale. Il existe des différences entre cette proposition et le projet présenté par le Gouvernement. La proposition de la haute assemblée était moins ambitieuse. Par construction, elle confondait en un seul compte les revenus des deux conjoints d'un foyer. En clair, elle risquait, sans doute involontairement, de dissuader un conjoint qui ne travaillerait pas de prendre un emploi. Et notre pays étant ce qu'il est, ce conjoint aurait été, le plus souvent, une femme. Dans une société où l'égalité professionnelle est encore à parfaire, cette proposition aurait pu la faire reculer. C'est pourquoi, dans le cadre que j'ai esquissé tout à l'heure, la prime pour l'emploi s'adresse distinctement à chaque revenu du travail dans un couple.
Je prendrai à cet égard un exemple simple. Si le revenu familial du travail est égal à deux fois le SMIC, la mesure n'aura pas la même application selon que ce revenu est le fruit des salaires des deux conjoints travaillant ou bien d'un seul, l'autre restant au foyer. Ainsi pour un couple où l'un des deux conjoints gagne le double du SMIC et où l'autre ne travaille pas, le niveau et la structure des rémunérations de ce couple ne justifieront pas que la prime pour l'emploi lui soit accordée, même si le projet tient compte d'une autre façon de sa situation puisqu'il prévoit, dans ce cas, qu'une somme forfaitaire sera allouée tenant compte du fait qu'une personne sur deux dans le foyer ne travaille pas. En revanche, lorsque chaque conjoint travaille et perçoit le SMIC, l'offre de travail du couple étant plus grande, ses contraintes matérielles et financières, transports, garde des enfants, le sont aussi ; ce sont des vraies sujétions pour une organisation familiale et y faire face présente un coût. C'est pourquoi, la prime pour l'emploi doit aller à chacun des deux salariés du couple. C'est la logique de cette prime et de sa fonction incitative que de l'augmenter lorsque l'on va du non-travail vers le travail, du temps partiel vers le temps plein.
Dans ce projet de loi comportant un seul article, les fondations sont posées pour 2001, et nous ajusterons si nécessaire pour 2002 dans le prochain projet de loi de finances. Les effets concrets seront les suivants : un smicard célibataire touchera cette année 1 500 F, l'an prochain 3 000 F et 4 500 F en 2003, cependant qu'un couple de smicards avec 2 enfants percevra à cet horizon 9 400 F. Cela nous paraît juste et efficace. Je parle de fondations, parce que si le travail est, depuis si longtemps, le socle d'une société, ce n'est pas seulement pour le revenu qu'il procure, mais aussi parce qu'il socialise les individus, leur donne une place, des droits et un statut. En agissant sur les leviers économiques du pays, nous pouvons contribuer à améliorer la donne sociale, ce qui n'est neutre ni en termes d'intégration ou de sécurité, ni d'aménagement du territoire et de croissance, ni de finances publiques.
Mesdames et Messieurs les députés, la politique économique de l'emploi, je vous le disais au début de ce propos, est un tout. C'est au nom de cette priorité que je vous demande, au nom du Gouvernement, de voter ce projet de loi créant la prime pour l'emploi
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 février 2001)
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
Première lecture devant l'Assemblée nationale du projet de loi
portant création d'une prime pour l'emploi
6 FÉVRIER 2001
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La politique que mène le Gouvernement est la politique économique de l'emploi. En trois ans, un million d'emplois ont été créés. L'activité revenue a créé du travail et voici que le travail retrouvé suscite, en retour, de l'activité. Si les baisses d'impôts ont favorisé la consommation et la production, un pouvoir d'achat en hausse et des carnets de commandes remplis ont contribué à la croissance. Tout est lié. La baisse de la fiscalité permet l'initiative et l'innovation, mais, de son côté, l'économie nouvelle produit des richesses et des recettes qu'il faut savoir partager et bien utiliser.
Ces bons résultats vont-ils se poursuivre ? Je le crois, malgré le ralentissement de l'économie américaine. Celui-ci aura certes des conséquences sur la croissance des autres pays ; mais, compte tenu de la qualité de la situation française et en particulier d'une demande intérieure solide du côté à la fois de la consommation et de l'investissement, nous devrions continuer à un rythme de croissance favorable, permettant la poursuite de la baisse du chômage avec une inflation maîtrisée. A condition que nous demeurions vigilants sur la maîtrise des dépenses publiques : j'insiste, particulièrement en ces périodes sur cette nécessaire vigilance. La politique économique de l'emploi ne pourra qu'être renforcée par une plus grande incitation au travail et une meilleure valorisation de celui-ci que va permettre la mesure dont nous discutons aujourd'hui, intitulée prime pour l'emploi.
Oui, ces résultats vont se poursuivre, à condition, bien évidemment, que chacun ait conscience que rien n'est totalement gagné, que la difficulté sociale est encore plus lourde pour ceux que l'abondance laisse au bord du chemin. C'est pourquoi il ne faut pas cesser de réformer, d'inciter, de faciliter. C'est le rôle de l'Etat partenaire. C'est la définition même de l'Etat utile. C'est pourquoi, j'ai l'honneur de défendre devant le Parlement le projet de loi créant une " prime pour l'emploi ".
Il y a un peu plus de huit mois, en mai 2000, nous avons eu dans cet hémicycle un débat d'orientation budgétaire. J'avais été frappé par une certaine convergence de vues. Chacun des orateurs reconnaissait en effet que le choix de l'emploi, l'intérêt pour l'emploi, la priorité à l'emploi, étaient souvent freinés, voire découragés par les gains trop faibles que procurait, dans un certain nombre de situations, le retour au travail. Dans un foyer allocataire du RMI, dont l'un des membres reprend une activité à plein temps rémunérée au SMIC, le gain réel n'est que de 4 F par heure travaillée ! Il faut alors avoir l'esprit bien étroit ou bien placide pour ne se poser aucune question sur la réalité de la justice sociale ou sur l'intérêt véritable du renoncement à un revenu de remplacement.
Face à cette difficulté de fond, diverses idées et solutions ont jailli. C'est la fonction même du débat démocratique. Ici, on a souhaité une réduction des charges sociales salariales, c'est-à-dire, en vérité, une diminution des cotisations d'assurance retraite, puisque au niveau du SMIC le prélèvement social se réduit pratiquement à cela : suggestion difficile, car l'universalité et le maintien d'un système d'assurance sociale comme la retraite implique que chacun y cotise, l'avenir de notre protection sociale n'étant, dans ce domaine, pas assez assuré pour se passer de cette ressource. D'autres ont souhaité une hausse du SMIC, soutenant que c'était une voie généreuse, mais en acceptant le principe d'une compensation de cette augmentation par la réduction des charges patronales, sans pour autant résoudre les différents problèmes que pouvait poser cette prise en charge directe ni pouvoir répondre aux aspirations des travailleurs payés à un niveau juste supérieur au SMIC.
Le gouvernement vous avait proposé et la majorité avait adopté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, une "ristourne", disons une suppression ou un allégement de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale (CSG et CRDS). Applicable dès janvier 2001, concernant les salariés comme les non salariés, se traduisant par une augmentation nette et immédiate de revenu, cette mesure devait avoir un effet particulièrement dynamique, attendu par neuf millions de Français, qui aurait bénéficié à l'ensemble de la collectivité. Saisi par cent-onze députés et cent-neuf sénateurs de l'opposition, le Conseil Constitutionnel le 19 décembre 2000 en a décidé autrement.
Le Gouvernement a accueilli cette décision comme il convenait : en en prenant acte. Le contrôle constitutionnel est un fondement de notre démocratie. Pour autant, cette censure nous a surpris. Par une jurisprudence établie, le Conseil avait, en effet, confirmé auparavant que le principe d'égalité devant l'impôt n'interdisait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories de contribuables ni la mise en place d'un dispositif ciblé sur certaines catégories de populations dès lors que ce choix répondait au but fixé par le législateur et n'était pas "manifestement inapproprié". Dans le cas présent, la rupture d'égalité censurée par le Conseil semblait en adéquation avec l'objectif poursuivi : favoriser la reprise d'activité et le retour à l'emploi. Quoiqu'il en soit, la décision du Conseil s'impose.
Le Gouvernement s'est remis aussitôt au travail afin d'offrir, par d'autres modalités, au même nombre de Français des avantages voisins. Le résultat que nous voulons atteindre, c'est-à-dire le maintien ou le retour dans l'emploi, mérite en effet tous les efforts. Cela d'autant plus que la prime pour l'emploi s'inscrit dans un dispositif plus vaste, dont les éléments se complètent. Dans le collectif budgétaire du printemps 2000, vous avez en effet adopté une réforme de la taxe d'habitation qui améliore les mécanismes d'allégement fonction du revenu, pour mieux tenir compte de la situation de ceux dont les rémunérations sont les plus faibles. Dans ce même collectif, puis dans la loi de finances pour 2001, vous avez baissé l'impôt sur le revenu, plus fortement pour les tranches les plus basses du barème, et vous avez modifié le système de la décote afin d'atténuer le poids de l'impôt pour ceux qui gagnent un peu plus que l'indispensable et auxquels, au regard de l'abondance dans laquelle certains prospèrent, il est normal de laisser ce minimum qui améliore leur vie. Dans la loi contre l'exclusion, vous avez permis que le RMI et les droits qui l'accompagnent soient conservés en même temps qu'un certain niveau de revenu d'activité, afin de ne pas placer nos concitoyens les plus exposés devant des choix impliquant de trop lourds sacrifices. Enfin, la récente réforme des allocations logement est le moyen, à partir de cette année, de ne plus pénaliser les petits revenus d'activité par rapport aux bénéficiaires des minima sociaux.
Dans cette continuité, est née l'idée d'une prime pour l'emploi. Elle ne porte pas atteinte à l'universalité de la CSG. Bénéficiant aux salariés comme aux indépendants, maximale au niveau du SMIC à temps plein puis dégressive jusqu'à 1,4 SMIC, la prime pour l'emploi procurera dès 2001, à près de dix millions de personnes, un supplément de rémunération du travail, pour monter en puissance en 2002 et en 2003, jusqu'à atteindre un versement annuel de 4 500 F au niveau du SMIC. Cette prime pour l'emploi pourra être acquise avec un niveau de revenu plus élevé quand la personne concernée a des enfants à charge. Elle sera par ailleurs augmentée à raison de ces mêmes enfants à charge, de même que lorsqu'un seul conjoint travaille dans un couple.
La prime constitue assurément une novation dans notre système fiscal, plus habitué à percevoir qu'à rendre. A-t-on, ce faisant, voulu embrasser une théorie économique illégitime ou suspecte ? Non. Certains ont soutenu que nous inciterions ainsi les employeurs à ne pas accorder à leurs ouvriers, à leurs employés, les salaires de base, voire les augmentations, qu'ils sont légitimement en droit d'attendre. J'en suis étonné. L'existence d'un SMIC, les droits des travailleurs, l'obligation de la négociation sont des garanties fondamentales que cette disposition ne fera pas disparaître : elles seront appliquées et respectées. J'ai cru noter aussi que, selon d'autres, cette mesure pourrait entraîner des distorsions dans le salariat, un chef d'entreprise n'accordant pas un avantage salarial au bénéficiaire de la prime et l'accordant à celui qui ne la touche pas. Ce que j'ai dit à l'instant sur l'existence du droit du travail dans notre pays vaut également ici. Quant à l'Etat, il est suffisamment soucieux des comptes publics pour veiller à ce que le travail soit rémunéré par celui qui l'utilise et non par la collectivité. Enfin, nul si ce n'est le bénéficiaire lui-même ne pourra connaître si l'intéressé perçoit ou ne perçoit pas la prime à l'emploi. Il ne s'agit donc pas d'exonérer la richesse de toute solidarité, mais au contraire de renforcer cette dernière pour qu'elle profite plus directement à l'emploi.
Une proposition avait été faite par la droite sénatoriale. Il existe des différences entre cette proposition et le projet présenté par le Gouvernement. La proposition de la haute assemblée était moins ambitieuse. Par construction, elle confondait en un seul compte les revenus des deux conjoints d'un foyer. En clair, elle risquait, sans doute involontairement, de dissuader un conjoint qui ne travaillerait pas de prendre un emploi. Et notre pays étant ce qu'il est, ce conjoint aurait été, le plus souvent, une femme. Dans une société où l'égalité professionnelle est encore à parfaire, cette proposition aurait pu la faire reculer. C'est pourquoi, dans le cadre que j'ai esquissé tout à l'heure, la prime pour l'emploi s'adresse distinctement à chaque revenu du travail dans un couple.
Je prendrai à cet égard un exemple simple. Si le revenu familial du travail est égal à deux fois le SMIC, la mesure n'aura pas la même application selon que ce revenu est le fruit des salaires des deux conjoints travaillant ou bien d'un seul, l'autre restant au foyer. Ainsi pour un couple où l'un des deux conjoints gagne le double du SMIC et où l'autre ne travaille pas, le niveau et la structure des rémunérations de ce couple ne justifieront pas que la prime pour l'emploi lui soit accordée, même si le projet tient compte d'une autre façon de sa situation puisqu'il prévoit, dans ce cas, qu'une somme forfaitaire sera allouée tenant compte du fait qu'une personne sur deux dans le foyer ne travaille pas. En revanche, lorsque chaque conjoint travaille et perçoit le SMIC, l'offre de travail du couple étant plus grande, ses contraintes matérielles et financières, transports, garde des enfants, le sont aussi ; ce sont des vraies sujétions pour une organisation familiale et y faire face présente un coût. C'est pourquoi, la prime pour l'emploi doit aller à chacun des deux salariés du couple. C'est la logique de cette prime et de sa fonction incitative que de l'augmenter lorsque l'on va du non-travail vers le travail, du temps partiel vers le temps plein.
Dans ce projet de loi comportant un seul article, les fondations sont posées pour 2001, et nous ajusterons si nécessaire pour 2002 dans le prochain projet de loi de finances. Les effets concrets seront les suivants : un smicard célibataire touchera cette année 1 500 F, l'an prochain 3 000 F et 4 500 F en 2003, cependant qu'un couple de smicards avec 2 enfants percevra à cet horizon 9 400 F. Cela nous paraît juste et efficace. Je parle de fondations, parce que si le travail est, depuis si longtemps, le socle d'une société, ce n'est pas seulement pour le revenu qu'il procure, mais aussi parce qu'il socialise les individus, leur donne une place, des droits et un statut. En agissant sur les leviers économiques du pays, nous pouvons contribuer à améliorer la donne sociale, ce qui n'est neutre ni en termes d'intégration ou de sécurité, ni d'aménagement du territoire et de croissance, ni de finances publiques.
Mesdames et Messieurs les députés, la politique économique de l'emploi, je vous le disais au début de ce propos, est un tout. C'est au nom de cette priorité que je vous demande, au nom du Gouvernement, de voter ce projet de loi créant la prime pour l'emploi
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 février 2001)