Texte intégral
C. Barbier.- La flamme olympique est aujourd'hui à Paris, craignez-vous des débordements, comme à Londres, hier ?
R.- Des débordements, je ne les crains pas, je ne les souhaite pas, mais il y aura des manifestations, bien sûr.
Q.- Il y aura des manifestations sur le parcours de la flamme, malgré les mesures de sécurité ?
R.- Il y aura des manifestations autour ; je connais assez les gens qui dirigent les associations pour les savoir inventifs.
Q.- Alors, il y a une manifestation "officielle", si l'on peut dire, c'est sous la Tour Effel, c'est à midi. Vous souhaitez qu'il y ait du monde pour bien montrer qu'une partie de l'opinion française est choquée par ce qui se passe au Tibet ?
R.- Oui, je souhaite que l'on puisse informer, et pour cela, il nous faudrait connaître mieux ce qui se passe au Tibet. Oui, je souhaite que les journalistes, retournent, puissent normalement aller enquêter et nous fournir des informations. Les Chinois l'ont promis, les autorités chinoises ont organisé un groupe jusque-là, avec des diplomates et quelques journalistes, ça n'est pas suffisant. Oui, nous souhaitons savoir ce qui s'est passé, ce que l'on en connaît. Les récits que nous avons eus témoignent d'une très grande violence de la part des Tibétains contre les commerçants, en particulier chinois. Enfin, c'est une part de la vérité, le reste nous est peu connu.
Q.- Cette ouverture du Tibet aux journalistes, c'est une condition posée à la présence de N. Sarkozy à Pékin le...
R.- Pas ce mot, Monsieur, pas ce mot ! Il n'y a pas de "condition".
Q.- C'était le mot polémique du week-end ?
R.- Qui fait un peu de politique et de diplomatie ne pose aucune condition à un grand pays comme la Chine. Nous souhaitons, je vous l'ai dit, quand même que la lumière soit faite, que les journalistes reviennent, dès maintenant qu'ils puissent enquêter normalement. Nous souhaitons surtout que le dialogue reprenne entre un Dalaï-lama avec qui nous parlons souvent, et qui affirme qu'il n'a jamais demandé l'indépendance du Tibet, et qu'il ne veut pas boycotter les Jeux, et des autorités chinoises qui disent exactement la même chose. Alors qu'il y ait des groupes extrémistes, c'est possible. Mais en tout cas, entre le Dalaï-lama, qui nous est connu comme un homme pacifique, comme un homme en qui on a confiance, et les autorités chinoises, il faut que le dialogue reparte ou se poursuive, puisqu'il a déjà un peu existé, et nous sommes prêts, la France est prête à le faciliter, si possible. Et puis, surtout, nous voulons l'apaisement, en particulier à l'approche des Jeux olympiques.
Q.- S'il n'y a pas de conditions, qu'y a-t-il ? Des exigences de la France, des propositions ?
R.- De la France et des autres pays. J'essaie, je tente de convaincre la présidence slovène de l'Union européenne d'entendre le Dalaï-lama à 27 pays, les 27 ministres des Affaires étrangères pourraient entendre le Dalaï-lama, soit à Bruxelles, soit à Lubjana. Et puis évidemment, nous sommes en contact étroit avec les autorités chinoises. Est-ce qu'on ne pourrait pas se parler un petit peu ? C'est quand même assez simple. Se parler dans cet endroit où justement la sagesse bouddhiste devrait permettre des dialogues profonds.
Q.- N. Sarkozy sera président en exercice de l'Union européenne à partir du 1er juillet. Est-ce que la France pourrait accueillir, en tout cas à Lubjana, donc, à Paris un tel dialogue ?
R.- Mais bien sûr. Enfin, pour le moment, c'est la présidence slovène, je ne veux pas empiéter sur leurs prérogatives, ce n'est pas du tout notre genre.
Q.- Mais au moment des Jeux, ça sera la présidence française.
R.- Oui, mais c'est maintenant qu'il faut faire les choses, c'est maintenant que se développent un certain nombre d'incidents graves, avec des morts. Et donc, nous verrons bien, et nous avons encore trois mois devant nous pour tenter d'apaiser, de participer à un dialogue, d'apaiser le conflit.
Q.- N. Sarkozy ne sera-t-il pas obligé d'aller à Pékin quoi qu'il arrive, parce que, justement, il présidera l'Union européenne, il ne sera pas...
R.- Ah, non, Monsieur Barbier, non ! Il fera exactement ce qu'il voudra. La politique de la France est très claire, c'est pour cela la polémique autour du mot "conditions" n'a plus lieu d'être. N. Sarkozy a dit, président de la République française, que toutes les hypothèses étaient ouvertes, tous les chemins pouvaient être parcourus, en fonction d'une évolution, que nous suivons tous les jours. Et encore une fois, je parle, j'ai parlé une heure avec M. Yang, le ministre des Affaires étrangères chinois, hier ; j'ai parlé avant hier avec le Dalaï-lama ; je fais cela souvent.
Q.- D. Douillet estime qu'on a donné trop rapidement les Jeux à la Chine, à Pékin. C'est votre sentiment aujourd'hui ?
R.- C'est difficile à dire. Ce que dit D. Douillet... En même temps, d'autres disent qu'ils sont très contents. J.-C. Killy dit qu'il est très content, c'était une ouverture. Vous savez, fermer la porte ne sert à rien, au contraire ça empire les choses. Il nous a semblé, mais ce n'est pas moi qui ait choisi, c'est le Comité olympique, bien sûr, que ce serait une ouverture supplémentaire, qu'on pourrait accéder plus facilement aux Chinois, à ceux que l'on ne voit pas beaucoup dans le monde des affaires, et que, de leur côté, ils pourraient être mieux informés. Et puis, il y a un événement sportif, n'exagérons rien ! Ne faisons pas payer les sportifs. Je crois que c'est en ouvrant les portes que l'on change la situation. Songez, vous avez, vous, vous êtes un historien, vous êtes quelqu'un qui réfléchit sur le passé quand même. Il y a 20 ans, c'était impossible à envisager, les choses vont très vite. Ne vont-elles pas un peu trop vite, même ?
Q.- Et en 1968, le jeune B. Kouchner, qu'aurait-il pensé de Jeux à Pékin ?
R.- En 1968, le jeune B. Kouchner était très actif et ne le regrette pas du tout. Mais même, en 1980, j'ai participé au boycott des Jeux de Moscou parce qu'il y avait l'invasion en Afghanistan. On s'en souvient, la Chine boycottait aussi. Qu'est-ce que cela a donné ? Rien.
Q.- Y a-t-il un problème R. Yade au Gouvernement ? C'est d'elle qu'est venue la polémique sur le mot « condition ».
R.- Oui, mais enfin bon, elle a dit ça puis elle a retiré ce mot. Il n'y a pas de problème lorsqu'on est ministre des Droits de l'homme. C'est ma secrétaire d'Etat, je m'entends très bien avec elle, elle est tout à fait dans ce rôle. Vous savez, c'est très difficile, soyons honnêtes, entre l'excès de générosité ou la générosité toute crue et la prudence par rapport à la politique, à l'économie, au fait qu'on ne veut rien endommager. L'équilibre est difficile.
Q.- Vous êtes en train de dire que tout cela est concerté, qu'il y a une répartition des rôles ? Elle va devant avec la flamme de la générosité et vous, vous passez derrière avec, un peu, l'arrosoir de la raison ?
R.- En tout cas, moi, je ne la condamne pas. Je dis que le mot « condition » n'est pas dans le vocabulaire du président de la République. Si on fait un peu de diplomatie, je le répète, on n'impose pas des conditions à un pays comme la Chine. Pour le reste, oui, nous voulons, je le répète et le président de la République aussi, que les journalistes reviennent, qu'on sache ce qui s'est passé, que le dialogue reprenne et que les violences cessent.
Q.- Vous vous êtes expliqué avec elle, Matignon s'est expliqué avec elle, tout cela s'organise à l'Elysée dans des réunions où on met tout sur la table ?
R.- Bien entendu, ce n'est pas la première fois qu'il y a, non pas une cacophonie, le mot toujours employé. C'est difficile, dans des conditions... rien n'est plus difficile. D'abord, se référer aux Droits de l'homme est difficile, malaisé. Penser que la politique étrangère se résume à une attitude stricte de suivi des Droits de l'homme, c'est une illusion. Il faut même dire à la population que, moi qui ai passé ma vie dans les Droits de l'homme et qui suis très attentif, qui suis un forcené des Droits de l'homme, ce n'est pas comme ça qu'on dirige un pays, pas seulement comme ça, il faut le comprendre. Il y a aussi beaucoup d'enjeux économiques qui entraînent, évidemment, ou du travail ou du chômage en France, qui entraînent un élan économique dont nous avons besoin. Ce n'est pas seulement ça. Ce sont les deux à la fois. Regardez le Président Bush. Lui, il a dit : « j'irai, de toutes façons. » Mais tous les autres dirigeants européens sont dans cette non cacophonie, mais dans cette discussion, dans ce conflit qui nous traverse nous-mêmes. Vous croyez que ça m'amuse, moi, de ne pas pouvoir dénoncer tout ce que je sais ? Eh bien, c'est comme ça, il faut prendre sur soi.
Q.- Que s'est-il dit hier, à l'Elysée, dans la réunion consacrée au détournement du voilier Ponant, au large la Somalie ? Y a-t-il une demande de rançon, y a-t-il un assaut qui est envisagé par les soldats français ?
R.- Il s'est dit des choses nécessaires dans un cas comme celui-là, où des Français ont été enlevés, enfin enlevés, ils sont otages sur leur propre bateau. Il y en a 22. Un contact a été établi. Les choses vont évoluer. C'est une affaire grave. Dans cette région, il y a eu, je crois, 23 ou 36, je ne me souviens plus, détournements l'année dernière dans cette région, autour du Puntland, de la Somaliland, et toutes ces affaires se sont soldées par des règlements et sans effusion de sang.
Q.- Cela prend du temps ?
R.- Enormément de temps.
Q.- Cela demande de l'argent ?
R.- Cela demande de l'argent, il y a des bateaux assurés.
Q.- Forte mobilisation, hier, en faveur d'I. Betancourt et des otages des Farc.
R.- Pardonnez-moi d'insister, nous recevrons les familles. Les familles sont évidemment légitimement inquiètes. Je parle du Ponant, je parle de ce trois-mâts qui est en train de se diriger vers la côte du Puntland et nous les assurons d'abord, évidemment, de notre sollicitude, nous les recevrons demain. Nous prenons toutes les précautions mais l'Etat est en alerte.
Q.- Sur l'affaire Betancourt, la mission humanitaire française est-elle lente, encore en vigueur ou est-ce que vous allez l'annuler, puisqu'elle est bloquée ?
R.- Elle n'est pas bloquée, Monsieur Barbier. Comment peut-on, alors qu'il y a 6 ans que cette pauvre femme est enchaînée, qu'on la torture pratiquement moralement tous les jours et, probablement, on la malmène ? On ne va pas s'en aller au bout de 24 heures ? Comment peut-on penser cela ?
Q.- Alors, faut-il reprendre la proposition du sénateur ex-otage qui dit qu'il faut accueillir les guérilleros en France ?
R.- Mais c'est une part de la solution, une part des négociations. Il y en a eu 50 et nous poursuivons chacune des pistes. Oui, nous avons dit que ça n'était pas inenvisageable, que si certains prisonniers étaient libérés par Monsieur Uribe, c'est-à-dire en Colombie, nous pouvions servir d'intermédiaires pendant un temps et les prendre comme garantie pendant que nos otages, si j'ose dire, c'est-à-dire I. Betancourt et les autres otages, seraient libérés. La France est prête à tout, elle a remué ciel et terre. Hier, dans la manifestation, j'étais à côté de Madame Kirchner, de la Présidente nouvellement élue de l'Argentine. C'était inimaginable il y a quelques semaines, quelques mois. Toute l'Amérique latine bouge. Hier, grande manifestation à Bogota, ça ne s'était pas vu depuis très longtemps. Monsieur Chavez et monsieur Uribe qui travaillent. Et puis, c'est peut-être qu'il n'y aura pas de signal de Farc. Qu'est-ce que nous attendons maintenant ? Nous attendons ce signal des Farc. Les Farc ont été très choqués et, certainement, très désorganisés par les attaques qui ont été portées par le gouvernement et l'armée colombienne. Alors il faudra plus de temps, nous attendons toujours.
Q.- Compte tenu de vos informations, êtes-vous sûr qu'elle est encore en vie ?
R.- Je le souhaite infiniment, je le souhaite et ce que nous connaissons par rapport aux mauvaises nouvelles sur son état de santé qui doit être dégradé, bien sûr, nous avons le sentiment, non seulement qu'elle est en vie mais qu'elle se porte mieux qu'on ne l'avait dit. Mais je peux, hélas, me tromper. En tout cas, nous faisons tout comme si nous devions la libérer immédiatement et chaque seconde.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 avril 2008
R.- Des débordements, je ne les crains pas, je ne les souhaite pas, mais il y aura des manifestations, bien sûr.
Q.- Il y aura des manifestations sur le parcours de la flamme, malgré les mesures de sécurité ?
R.- Il y aura des manifestations autour ; je connais assez les gens qui dirigent les associations pour les savoir inventifs.
Q.- Alors, il y a une manifestation "officielle", si l'on peut dire, c'est sous la Tour Effel, c'est à midi. Vous souhaitez qu'il y ait du monde pour bien montrer qu'une partie de l'opinion française est choquée par ce qui se passe au Tibet ?
R.- Oui, je souhaite que l'on puisse informer, et pour cela, il nous faudrait connaître mieux ce qui se passe au Tibet. Oui, je souhaite que les journalistes, retournent, puissent normalement aller enquêter et nous fournir des informations. Les Chinois l'ont promis, les autorités chinoises ont organisé un groupe jusque-là, avec des diplomates et quelques journalistes, ça n'est pas suffisant. Oui, nous souhaitons savoir ce qui s'est passé, ce que l'on en connaît. Les récits que nous avons eus témoignent d'une très grande violence de la part des Tibétains contre les commerçants, en particulier chinois. Enfin, c'est une part de la vérité, le reste nous est peu connu.
Q.- Cette ouverture du Tibet aux journalistes, c'est une condition posée à la présence de N. Sarkozy à Pékin le...
R.- Pas ce mot, Monsieur, pas ce mot ! Il n'y a pas de "condition".
Q.- C'était le mot polémique du week-end ?
R.- Qui fait un peu de politique et de diplomatie ne pose aucune condition à un grand pays comme la Chine. Nous souhaitons, je vous l'ai dit, quand même que la lumière soit faite, que les journalistes reviennent, dès maintenant qu'ils puissent enquêter normalement. Nous souhaitons surtout que le dialogue reprenne entre un Dalaï-lama avec qui nous parlons souvent, et qui affirme qu'il n'a jamais demandé l'indépendance du Tibet, et qu'il ne veut pas boycotter les Jeux, et des autorités chinoises qui disent exactement la même chose. Alors qu'il y ait des groupes extrémistes, c'est possible. Mais en tout cas, entre le Dalaï-lama, qui nous est connu comme un homme pacifique, comme un homme en qui on a confiance, et les autorités chinoises, il faut que le dialogue reparte ou se poursuive, puisqu'il a déjà un peu existé, et nous sommes prêts, la France est prête à le faciliter, si possible. Et puis, surtout, nous voulons l'apaisement, en particulier à l'approche des Jeux olympiques.
Q.- S'il n'y a pas de conditions, qu'y a-t-il ? Des exigences de la France, des propositions ?
R.- De la France et des autres pays. J'essaie, je tente de convaincre la présidence slovène de l'Union européenne d'entendre le Dalaï-lama à 27 pays, les 27 ministres des Affaires étrangères pourraient entendre le Dalaï-lama, soit à Bruxelles, soit à Lubjana. Et puis évidemment, nous sommes en contact étroit avec les autorités chinoises. Est-ce qu'on ne pourrait pas se parler un petit peu ? C'est quand même assez simple. Se parler dans cet endroit où justement la sagesse bouddhiste devrait permettre des dialogues profonds.
Q.- N. Sarkozy sera président en exercice de l'Union européenne à partir du 1er juillet. Est-ce que la France pourrait accueillir, en tout cas à Lubjana, donc, à Paris un tel dialogue ?
R.- Mais bien sûr. Enfin, pour le moment, c'est la présidence slovène, je ne veux pas empiéter sur leurs prérogatives, ce n'est pas du tout notre genre.
Q.- Mais au moment des Jeux, ça sera la présidence française.
R.- Oui, mais c'est maintenant qu'il faut faire les choses, c'est maintenant que se développent un certain nombre d'incidents graves, avec des morts. Et donc, nous verrons bien, et nous avons encore trois mois devant nous pour tenter d'apaiser, de participer à un dialogue, d'apaiser le conflit.
Q.- N. Sarkozy ne sera-t-il pas obligé d'aller à Pékin quoi qu'il arrive, parce que, justement, il présidera l'Union européenne, il ne sera pas...
R.- Ah, non, Monsieur Barbier, non ! Il fera exactement ce qu'il voudra. La politique de la France est très claire, c'est pour cela la polémique autour du mot "conditions" n'a plus lieu d'être. N. Sarkozy a dit, président de la République française, que toutes les hypothèses étaient ouvertes, tous les chemins pouvaient être parcourus, en fonction d'une évolution, que nous suivons tous les jours. Et encore une fois, je parle, j'ai parlé une heure avec M. Yang, le ministre des Affaires étrangères chinois, hier ; j'ai parlé avant hier avec le Dalaï-lama ; je fais cela souvent.
Q.- D. Douillet estime qu'on a donné trop rapidement les Jeux à la Chine, à Pékin. C'est votre sentiment aujourd'hui ?
R.- C'est difficile à dire. Ce que dit D. Douillet... En même temps, d'autres disent qu'ils sont très contents. J.-C. Killy dit qu'il est très content, c'était une ouverture. Vous savez, fermer la porte ne sert à rien, au contraire ça empire les choses. Il nous a semblé, mais ce n'est pas moi qui ait choisi, c'est le Comité olympique, bien sûr, que ce serait une ouverture supplémentaire, qu'on pourrait accéder plus facilement aux Chinois, à ceux que l'on ne voit pas beaucoup dans le monde des affaires, et que, de leur côté, ils pourraient être mieux informés. Et puis, il y a un événement sportif, n'exagérons rien ! Ne faisons pas payer les sportifs. Je crois que c'est en ouvrant les portes que l'on change la situation. Songez, vous avez, vous, vous êtes un historien, vous êtes quelqu'un qui réfléchit sur le passé quand même. Il y a 20 ans, c'était impossible à envisager, les choses vont très vite. Ne vont-elles pas un peu trop vite, même ?
Q.- Et en 1968, le jeune B. Kouchner, qu'aurait-il pensé de Jeux à Pékin ?
R.- En 1968, le jeune B. Kouchner était très actif et ne le regrette pas du tout. Mais même, en 1980, j'ai participé au boycott des Jeux de Moscou parce qu'il y avait l'invasion en Afghanistan. On s'en souvient, la Chine boycottait aussi. Qu'est-ce que cela a donné ? Rien.
Q.- Y a-t-il un problème R. Yade au Gouvernement ? C'est d'elle qu'est venue la polémique sur le mot « condition ».
R.- Oui, mais enfin bon, elle a dit ça puis elle a retiré ce mot. Il n'y a pas de problème lorsqu'on est ministre des Droits de l'homme. C'est ma secrétaire d'Etat, je m'entends très bien avec elle, elle est tout à fait dans ce rôle. Vous savez, c'est très difficile, soyons honnêtes, entre l'excès de générosité ou la générosité toute crue et la prudence par rapport à la politique, à l'économie, au fait qu'on ne veut rien endommager. L'équilibre est difficile.
Q.- Vous êtes en train de dire que tout cela est concerté, qu'il y a une répartition des rôles ? Elle va devant avec la flamme de la générosité et vous, vous passez derrière avec, un peu, l'arrosoir de la raison ?
R.- En tout cas, moi, je ne la condamne pas. Je dis que le mot « condition » n'est pas dans le vocabulaire du président de la République. Si on fait un peu de diplomatie, je le répète, on n'impose pas des conditions à un pays comme la Chine. Pour le reste, oui, nous voulons, je le répète et le président de la République aussi, que les journalistes reviennent, qu'on sache ce qui s'est passé, que le dialogue reprenne et que les violences cessent.
Q.- Vous vous êtes expliqué avec elle, Matignon s'est expliqué avec elle, tout cela s'organise à l'Elysée dans des réunions où on met tout sur la table ?
R.- Bien entendu, ce n'est pas la première fois qu'il y a, non pas une cacophonie, le mot toujours employé. C'est difficile, dans des conditions... rien n'est plus difficile. D'abord, se référer aux Droits de l'homme est difficile, malaisé. Penser que la politique étrangère se résume à une attitude stricte de suivi des Droits de l'homme, c'est une illusion. Il faut même dire à la population que, moi qui ai passé ma vie dans les Droits de l'homme et qui suis très attentif, qui suis un forcené des Droits de l'homme, ce n'est pas comme ça qu'on dirige un pays, pas seulement comme ça, il faut le comprendre. Il y a aussi beaucoup d'enjeux économiques qui entraînent, évidemment, ou du travail ou du chômage en France, qui entraînent un élan économique dont nous avons besoin. Ce n'est pas seulement ça. Ce sont les deux à la fois. Regardez le Président Bush. Lui, il a dit : « j'irai, de toutes façons. » Mais tous les autres dirigeants européens sont dans cette non cacophonie, mais dans cette discussion, dans ce conflit qui nous traverse nous-mêmes. Vous croyez que ça m'amuse, moi, de ne pas pouvoir dénoncer tout ce que je sais ? Eh bien, c'est comme ça, il faut prendre sur soi.
Q.- Que s'est-il dit hier, à l'Elysée, dans la réunion consacrée au détournement du voilier Ponant, au large la Somalie ? Y a-t-il une demande de rançon, y a-t-il un assaut qui est envisagé par les soldats français ?
R.- Il s'est dit des choses nécessaires dans un cas comme celui-là, où des Français ont été enlevés, enfin enlevés, ils sont otages sur leur propre bateau. Il y en a 22. Un contact a été établi. Les choses vont évoluer. C'est une affaire grave. Dans cette région, il y a eu, je crois, 23 ou 36, je ne me souviens plus, détournements l'année dernière dans cette région, autour du Puntland, de la Somaliland, et toutes ces affaires se sont soldées par des règlements et sans effusion de sang.
Q.- Cela prend du temps ?
R.- Enormément de temps.
Q.- Cela demande de l'argent ?
R.- Cela demande de l'argent, il y a des bateaux assurés.
Q.- Forte mobilisation, hier, en faveur d'I. Betancourt et des otages des Farc.
R.- Pardonnez-moi d'insister, nous recevrons les familles. Les familles sont évidemment légitimement inquiètes. Je parle du Ponant, je parle de ce trois-mâts qui est en train de se diriger vers la côte du Puntland et nous les assurons d'abord, évidemment, de notre sollicitude, nous les recevrons demain. Nous prenons toutes les précautions mais l'Etat est en alerte.
Q.- Sur l'affaire Betancourt, la mission humanitaire française est-elle lente, encore en vigueur ou est-ce que vous allez l'annuler, puisqu'elle est bloquée ?
R.- Elle n'est pas bloquée, Monsieur Barbier. Comment peut-on, alors qu'il y a 6 ans que cette pauvre femme est enchaînée, qu'on la torture pratiquement moralement tous les jours et, probablement, on la malmène ? On ne va pas s'en aller au bout de 24 heures ? Comment peut-on penser cela ?
Q.- Alors, faut-il reprendre la proposition du sénateur ex-otage qui dit qu'il faut accueillir les guérilleros en France ?
R.- Mais c'est une part de la solution, une part des négociations. Il y en a eu 50 et nous poursuivons chacune des pistes. Oui, nous avons dit que ça n'était pas inenvisageable, que si certains prisonniers étaient libérés par Monsieur Uribe, c'est-à-dire en Colombie, nous pouvions servir d'intermédiaires pendant un temps et les prendre comme garantie pendant que nos otages, si j'ose dire, c'est-à-dire I. Betancourt et les autres otages, seraient libérés. La France est prête à tout, elle a remué ciel et terre. Hier, dans la manifestation, j'étais à côté de Madame Kirchner, de la Présidente nouvellement élue de l'Argentine. C'était inimaginable il y a quelques semaines, quelques mois. Toute l'Amérique latine bouge. Hier, grande manifestation à Bogota, ça ne s'était pas vu depuis très longtemps. Monsieur Chavez et monsieur Uribe qui travaillent. Et puis, c'est peut-être qu'il n'y aura pas de signal de Farc. Qu'est-ce que nous attendons maintenant ? Nous attendons ce signal des Farc. Les Farc ont été très choqués et, certainement, très désorganisés par les attaques qui ont été portées par le gouvernement et l'armée colombienne. Alors il faudra plus de temps, nous attendons toujours.
Q.- Compte tenu de vos informations, êtes-vous sûr qu'elle est encore en vie ?
R.- Je le souhaite infiniment, je le souhaite et ce que nous connaissons par rapport aux mauvaises nouvelles sur son état de santé qui doit être dégradé, bien sûr, nous avons le sentiment, non seulement qu'elle est en vie mais qu'elle se porte mieux qu'on ne l'avait dit. Mais je peux, hélas, me tromper. En tout cas, nous faisons tout comme si nous devions la libérer immédiatement et chaque seconde.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 avril 2008