Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RTL le 8 avril 2008, sur la question des droits de l'homme en Chine, l'affaire de l'Arche de Zoé, les relations judiciaires avec le Tchad et la lutte contre les actes racistes et xénophobes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, R. Dati.
 R.- Bonjour.
 Q.- Avez-vous été choquée, hier, par l'interruption du parcours de la flamme olympique ?
 R.- Hier, j'étais en déplacement à Valence. Je n'ai pas vu la totalité des images. J'en ai vues qu'une partie. Moi ce qui me trouble, c'est que le Comité Olympique avait choisi... le lieu étant la Chine. Les valeurs du sport et de l'olympisme, pour moi c'est les valeurs de la tolérance, les valeurs du respect des uns des autres. Alors, on peut protester pour ce qui se passe évidemment au Tibet ; mais est-ce qu'on doit aussi manifester et protester et gâcher des manifestations sportives ? Il y a, comme l'a rappelé d'ailleurs le président de la République, il y a encore quelques mois, à l'organisation de ces JO, il y a des évolutions à attendre, il y a des demandes qui ont été faites. S'agissant du Tibet, on peut aussi respecter, d'une part, l'organisation de ces Jeux Olympiques qui ne sont pas que pour les autres pays du monde. C'est aussi un événement important pour les Chinois eux-mêmes. Vous savez quand pour ce type de pays, quand il y a ce type d'événements qui est un événement mondial, c'est un peu une ouverture sur le monde aussi pour les Chinois, ils attendent cet événement aussi pour être un peu ouverts sur le monde.
 Q.- Un jeune Chinois de 34 ans, Hun Jia, a été condamné, la semaine dernière, à trois ans et demi de prison pour avoir publié cinq articles sur Internet où il réclamait davantage de libertés dans son pays. Vous qui êtes ministre de la Justice, R. Dati, comment vous réagissez à une telle information ?
 R.- A une telle information, détenir ou incarcérer quelqu'un simplement parce qu'il a manifesté une opinion politique, bien sûr qu'on ne peut pas s'en satisfaire ; mais il faut dire aussi avec la Chine, lorsque je me suis déplacée en Chine, nous avons des coopérations judiciaires avec la Chine que nous essaierons aussi de faire évoluer, notamment...
 Q.- Mais pour ce jeune homme, est-ce que vous essayez d'obtenir sa libération ? Est-ce que vous vous indignez, vous ministre de la Justice ? Trois ans et demi de prison parce qu'il réclame davantage de libertés ?
 R.- Moi je vous dis simplement que quand on est condamné pour une expression politique ou une manifestation ou une protestation, on ne peut pas s'en contenter, s'en satisfaire.
 Q.- La Chine est-elle une dictature, R. Dati ?
 R.- Je n'emploierai pas ces termes.
 Q.- Lequel emploieriez-vous ?
 R.- Je n'emploierai pas ces termes, voilà M. Aphatie.
 Q.- Et lequel emploieriez-vous ?
 R.- Je n'emploierai pas ces termes, parce que ce n'est pas parce que vous me donnez un cas précis, qu'on puisse qualifier un pays d'une dictature.
 Q.- E. Breteau, fondateur de l'Arche de Zoé, sorti de prison la semaine dernière, est également sorti de son silence, hier. Dans une interview au figaro.fr, il déclare ceci : "Il était prévu que Cécilia Sarkozy et R. Dati se déplacent en personne pour accueillir les 103 enfants que nous aurions ramenés du Darfour". Confirmez-vous cette information, R. Dati ?
 R.- C'est totalement faux et infondé. Je ne connais pas ce M. Breteau, je ne connaissais pas l'Arche de Zoé. Le premier contact que j'ai eu avec cette association, c'est lorsque j'ai demandé au Parquet de Paris d'ouvrir une enquête préliminaire quand on a été informé et quand on nous a signalé l'opération qui allait être mise en oeuvre. Je vous rappelle qu'il y a eu, certes une grâce, sur une condamnation qui a été prononcée au Tchad mais il y a aussi une enquête judiciaire qui est ouverte en France sur une activité illégale d'intermédiaires en vue de placement d'enfants.
 Q.- Vous n'avez jamais eu de contacts, R. Dati, avec E. Breteau et aucun membre de votre cabinet, non plus ?
 R.- Je ne le connais pas et je ne l'ai jamais rencontré. Et je vous dis, le seul contact... mon contact, il est dans le cadre d'une enquête préliminaire qui a été ouverte dans un premier temps en juillet 2007 ; et le deuxième, il y a une enquête judiciaire, une information qui a été ouverte dans le cadre de leur activité d'intermédiaires en vue d'un placement illégal d'enfants.
 Q.- Et votre cabinet n'a pas eu de contact non plus avec lui ?
 R.- Non.
 Q.- Vous avez reçu à la fin de l'année dernière - c'est Le Figaro qui le révélait la semaine dernière - un courrier de votre homologue tchadien, le ministre de la Justice, qui vous rappelait qu'au terme de la convention judiciaire qui existe entre la France et le Tchad depuis 1976, l'Etat français, il l'écrivait comme ça, "garantit le paiement des intérêts civils" c'est-à-dire 630 millions d'euros auxquels ont été condamnés les membres de l'Arche de Zoé. Confirmez-vous l'existence de cette garantie, R. Dati ?
 R.- Il n'y a aucune garantie. Et vous savez, en tant que ministre de la Justice, je suis quelqu'un de responsable et j'applique le droit. Il y a eu d'abord la grâce. Quand il y a une grâce sur une condamnation, les effets de la grâce sont uniquement sur la condamnation pénale. Quelqu'un qui est incarcéré, il y a une grâce : il est mis en liberté. Ca n'emporte pas d'effet sur la condamnation civile.
 Q.- Ca, nous sommes d'accord.
 R.- Donc, les membres de l'Arche de Zoé sont tenus...
 Q.- ... doivent cet argent.
 R.- ... de payer aux parties civiles la somme à laquelle ils ont été condamnés.
 Q.- Et s'ils ne le font pas, vous dit le ministre de la Justice tchadienne dans ce courrier, c'est l'Etat au terme de la convention franco-tchadienne qui date de 1976, il cite l'article 29 de cette convention : "C'est l'Etat français qui garantit le paiement des intérêts civils".
 R.- L'Etat français ne se substitue pas à une condamnation civile à l'égard d'un ressortissant français.
 Q.- Donc le ministre tchadien de la Justice se trompe.
 R.- La lettre que je lui ai réécrite était tout à fait claire.
 Q.- Ah ! Mais on ne la connaît pas. Elle n'a pas été publiée.
 R.- Si, si... La lettre a été diffusée. Vous savez, tout est dit...
 Q.- Et donc, vous lui avez dit qu'en aucun cas, l'Etat français ne garantissait la dette civile ?
 R.- Je lui ai dit que les parties qui ont été condamnées, les membres de l'Arche de Zoé, sont tenus de payer les dommages et intérêts qu'ils doivent aux parties civiles.
 Q.- Et s'ils ne le font pas, ils retournent en prison au Tchad ?
 R.- Non, mais il y a une condamnation civile, c'est aux parties civiles tchadiennes de pouvoir saisir la justice tchadienne ou pour pouvoir saisir la justice française, pour mettre à exécution cette condamnation civile. Vous savez, la France n'est pas responsable des infractions que commettent ses ressortissants dans d'autres pays ; sinon...
 Q.- Et le ministre de la Justice tchadien lit mal la convention qui nous lie à eux ?
 R.- Je vous dis tel que le droit est en vigueur actuellement.
 Q.- 148 tombes musulmanes ont été profanées dans la nuit de samedi à dimanche dans le cimetière Notre-Dame-de-Lorette, près d'Arras, dans le Nord. Votre nom a été inscrit par ces profanateurs sur certaines stèles. Comment avez-vous réagi à cette nouvelle, R. Dati ?
 R.- Le sujet, ce n'est pas ma personne.
 Q.- Mais c'est votre nom qui était sur ces tombes-là.
 R.- Vous savez... Profaner et s'attaquer à des morts, je trouve que c'est l'acte de plus grande lâcheté qui puisse exister. Deuxième chose, c'est un cimetière d'anciens combattants qui ont donné leur vie pour la France et pour la Liberté. Quand on s'engage pour la France, quand on s'engage pour la Liberté, on ne demande pas la religion des personnes qui combattent pour un pays. Alors, moi je suis profondément scandalisée par ce qui s'est passé et je rappelle que tous les actes de racisme, d'antisémitisme ou de discrimination, ce ne sont pas des problèmes de comportement, ce sont des infractions. Pendant trop longtemps, je pense qu'on a laissé faire, on a un peu banalisé. Et là-dessus, je ne faiblirai pas.
 Q.- On a banalisé les actes de racisme ? On n'a pas réagi assez fort ?
 R.- Parfois, parfois, on a laissé dire. Je reconnais. J'ai pu constater que parfois, on banalise. Non. Non, ce n'est pas un comportement. C'est une infraction. Moi j'ai donné des instructions claires pour qu'il y ait poursuites et sanctions sévères. D'ailleurs dès mon arrivée au ministère de la Justice, j'ai créé dans tous les parquets de France, des pôles anti-discrimination. Il y a un magistrat référent et un délégué du procureur qui est issu du milieu associatif, ou sensible à ces questions. Donc, c'est une vraie politique publique mais c'est d'abord une politique pénale.
 Q.- Etes-vous souvent confrontée, R. Dati, dans l'exercice de vos fonctions, à des manifestations de racisme ?
R.- Je le répète, le sujet n'est pas ma personne.
Q.- Mais ça l'est aussi, vous représentez quelque chose R. Dati ?
R.- Justement, si je représente quelque chose, ça permet aussi peut-être de faire avancer cette lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination.
 Q.- Vous évoquiez la banalisation. Si vous-même, vous ne parlez pas de ça, est-ce que vous ne participez pas de cette banalisation ?
 R.- Non, parce que je ne faiblis pas face à ces actes ; et je donne toutes les instructions en ce sens ; et je suis très mobilisée pour lutter contre toutes les formes de racisme et de discrimination et d'antisémitisme.
 
Q.- On a dit que de ce point de vue, votre campagne dans le 7ème arrondissement de Paris, avait révélé des comportements qui s'apparentaient à du racisme ?
 R.- Toutes les campagnes sont difficiles. Certaines sont parfois plus difficiles que d'autres ; mais compte tenu de mon parcours, et la vie que j'ai eue, je ne vais pas me plaindre aujourd'hui. Je ne me suis jamais victimisée. Je ne vais pas commencer aujourd'hui. Et puis, le résultat est là. Vous savez, on a fait près de 60%, on a amélioré le score du VIIe arrondissement de douze points. Là aussi, c'est une victoire.
Q.- R. Dati, ministre de la Justice, qui a répondu E. Breteau et aussi au ministre tchadien de la Justice qui lit mal, visiblement, les conventions internationales. Et c'était sur RTL ce matin. Bonne journée. Source :  Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 avril 2008