Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "France Inter" le 9 avril 2008, sur l'augmentation du prix du gaz, sur le projet de loi sur la mobilité et les parcours professionnels de la Fonction publique et sur le revenu de solidarité active.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Bonjour E. Woerth.
R.- Oui bonjour !
Q.- Bienvenue sur France Inter. On l'apprend ce matin, le Gouvernement programme une hausse surprise des prix du gaz : plus 4 % en janvier, plus 5,5% désormais. Cela fait autant de pouvoir d'achat en moins, E. Woerth.
R.- Sur les conséquences de l'augmentation des prix du pétrole, vous savez que l'entreprise est indexée sur le cours du pétrole et donc elle répercute avec souvent un peu de temps d'une manière d'ailleurs inférieure aux indices de calcul - vous savez tout ça est calculé précisément et il faut bien, évidemment que l'entreprise aussi puisse faire face à ses engagements. Alors c'est évidemment toujours problématique l'augmentation des prix du gaz, mais c'est ainsi. On est dans un monde dans lequel les matières premières coûtent de plus en plus cher. C'est inutile de ne pas vouloir regarder les choses en face.
Q.- Et pourquoi cette annonce inopinée qui, dit la presse, ce matin, surprend même Gaz de France ?
R.- Pas inopinée, c'est une demande de Gaz de France, un peu systématique, les experts le savent bien, enfin ceux qui suivent tout ça, le savent bien. Donc il y a eu une augmentation il y a quelques mois, qui avait fait suite d'ailleurs à un gel des prix du gaz de, je crois 18 mois, ou presque 2 ans. L'entreprise a besoin aussi de vivre normalement et d'avoir des équilibres économiques si vous voulez. Donc, elle achète son gaz, elle l'achète de plus en plus cher et derrière...
Q.- C'est une entreprise florissante, Gaz de France !
R.- Oui, mais il y a beaucoup de salariés derrière, les 80 %, propriété de l'Etat, elle va se marier avec Suez bientôt, donc c'est une entreprise française dont on peut être fier. Mais le coût du gaz, le prix du pétrole, le prix des matières premières, on le sait bien, est en pleine augmentation, la rareté joue.
Q.- Vous présentez en tout cas ce matin, E. Woerth, le projet de loi sur la mobilité, les parcours professionnels de la Fonction publique, qui va permettre, je vais le dire dans mes mots, de moderniser, de fluidifier un peu les carrières dans la Fonction publique. Il y aura donc des primes de mobilité, le fameux pécule de départ, des primes de restructuration de service. Pour capter la philosophie du texte, est-ce qu'on peut dire que l'Etat va être géré un peu sur le modèle de l'entreprise ?
R.- La philosophie du texte c'est de permettre à quelqu'un qui est fonctionnaire d'avoir une carrière, d'avoir un parcours professionnel plus facile à réaliser. Il y a beaucoup de points de blocage, en fait ; quand vous êtes fonctionnaire, vous ne pouvez pas changer de "corps", vous êtes dans un "corps" dans lequel vous êtes et vous ne pouvez pas en changer si facilement que cela. Vous devez passer des concours à un moment donné ou si une administration veut vous recruter et que vous avez très envie d'être recruté par celle-là, c'est-à-dire que si finalement tout le monde est d'accord, votre administration d'origine peut aujourd'hui vous l'empêcher, c'est très classique. Lorsque vous êtes mieux rémunéré, quand vous allez travailler à un moment donné dans une autre administration, si vous revenez dans votre administration après, votre rémunération va de nouveau diminuer, vous n'avez pas de constance, il n'y a pas de continuité. Donc, moi j'avais demandé et je travaille là-dessus avec A. Santini, j'avais demandé aux gestionnaires, aux gens qui sont sur le terrain, aux patrons de ressources humaines des ministères de me faire la liste de tout ce qui empêchait en réalité quelqu'un d'accomplir sa vie professionnelle normalement ? Et puis en même temps, ce qui bloquait pour une administration, le fait d'avoir la bonne ressource humaine au bon moment. Et nous avons, comme ça, fait la liste d'une quinzaine de mesures et ces mesures nous les présentons ce matin au Conseil des ministres.
Q.- Je vous repose la question de l'entreprise, c'est un modèle pour vous dans cette réforme des carrières dans la Fonction publique ?
R.- Vous savez, enfin, l'Etat ce n'est pas une entreprise, parce qu'on ne produit pas du service public comme on produit des biens, c'est évidemment très différent. Et en même temps, si on retient de l'entreprise qu'il faut mieux gérer les ressources humaines, c'est être plus attentif aux gens quoi. Alors que souvent dans l'Etat, avec beaucoup de fonctionnaires, depuis beaucoup d'années, il n'y a pas vraiment d'outil de gestion des ressources humaines. Il y a des gestions de carrière, des gestions individuelles, mais enfin tout ça, n'est quand même pas, vraiment si formidable que ça. Il faut mieux tenir compte de la ressource humaine, d'autant plus que si l'on veut diminuer le nombre de fonctionnaires, ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part en retraite, il faut être encore plus attentiste aux talents. Cela veut dire aussi que l'on va beaucoup recruter, l'Etat, il va recruter des dizaines de milliers de fonctionnaires dans les années qui viennent, il faut aussi attirer les meilleurs.
Q.- Alors sur quel type de contrat va-t-il les recruter ? Des contrats plus courts, de l'intérim éventuellement, c'est fini l'engagement à vie ?
R.- Non, non, on travaille toujours sous un statut, on va rénover aussi, en liaison avec les organisations syndicales, le statut de la Fonction publique, au fur et à mesure du temps. Mais on continue à travailler sous statut et pas sous contrat. Il y a 15 à 16 % de fonctionnaires qui sont aujourd'hui... ou d'agents publics qui sont aujourd'hui contractuels, cela veut dire, avec une mission déterminée et un contrat de droit public ou privé.
Q.- Les syndicats s'inquiètent de l'augmentation éventuelle de ce genre de choses. Vous pouvez les rassurer ?
R.- Oui, effectivement, les syndicats n'aiment pas tellement ça, mais je les rassure en disant, qu'il y aura toujours un statut de la Fonction publique, heureusement, mais qu'il doit évidemment évoluer pour tenir compte des valeurs d'aujourd'hui et ça, on est en train de travailler là-dessus.
Q.- Cela veut dire quoi, vous êtes l'homme des chiffres, cela veut dire quoi ?
R.- Cela veut dire qu'il faut de plus en plus adapter la qualité de la ressource humaine aux besoins. Quand il y a des besoins de service public, il ne faut pas hésiter à le faire. Je vous prends un exemple, quand un fonctionnaire n'est pas là, aujourd'hui, dans l'Etat, on ne peut pas avoir recours à un contractuel. Dans ce projet de loi, on propose qu'on ait recours à un contractuel, parce que cela va beaucoup plus vite pour un temps déterminé. C'est possible dans la Fonction publique territoriale, ce n'est pas possible dans la Fonction publique d'Etat. Ou, deuxième exemple, on ne peut pas s'adresser à une société d'intérim pour recruter quelqu'un pendant un certain temps, par principe d'une manière intérimaire. Nous permettons cette possibilité dans le projet de loi, alors cela ne plaît pas toujours mais...
Q.- Ce sera quoi la proportion entre fonctionnaires normaux E. Woerth, les nouveaux fonctionnaires avec ce statut plus... ?
R.- Ah, ce n'est pas le statut d'intérim, c'est d'un côté le statut, c'est-à-dire que vous ne travaillez pas avec un contrat, mais vous travaillez sous finalement la protection de la loi d'une manière générale, de texte. Et puis de l'autre, c'est le statut de contractuel qui se développera au fur et à mesure dans la Fonction publique. Je crois que d'un côté il y a le statut, modernisé, rénové, avec des fonctionnaires mieux payés, et puis de l'autre des contractuels. Il y a 15 % de contractuels aujourd'hui, je ne sais pas à combien il faut aller ? La question n'est pas là d'ailleurs, la question, elle est de savoir comment bien adapter la qualité d'une ressource humaine, heureuse d'être dans la Fonction publique, c'est-à-dire, pouvant faire une mobilité. Il y a 5 % des gens qui font une mobilité, il y a 5 % des fonctionnaires aujourd'hui qui changent de poste. Ce n'est pas assez, il faut évidemment fluidifier tout cela, c'est bon pour le service public surtout et bon pour les fonctionnaires.
Q.- Alors Monsieur le ministre du Budget, est-ce que le Revenu de solidarité actif de M. Hirsch va se faire et combien allez-vous mettre ?
R.- Ecoutez, le Revenu de solidarité actif, c'est une bonne idée, tout le monde ne sait pas ce que c'est, puisque l'on en parle, comme ça, mais franchement ce n'est pas toujours facile de le présenter.
Q.- On l'a dit à plusieurs reprises dans les journaux ce matin.
R.- Mais je suis sûr que vous avez fait de la pédagogie là-dessus...
Q.- Alors faites-en encore ? Mais sur le budget ! ...
R.- L'idée de départ - mais je ne vais pas éluder, ne vous inquiétez pas - c'est l'idée toute simple qui est de dire : on doit quand même gagner plus quand on travaille que quand on bénéficie à un moment donné d'un revenu de solidarité. Très souvent, quand on reprend un travail, tout compris, avec la garde des enfants etc., tout compris, on gagne parfois presque moins à travailler qu'à rester chez soi et à toucher à un moment donné...
Q.- Conclusion : c'est une très bonne idée, mais sera-t-elle mise en pratique ?
R.- Donc c'est une bonne idée qui est prônée par M. Hirsch et qui avait été reprise d'ailleurs par le président de la République dans sa campagne à plusieurs reprises. Nous on dit, enfin moi je dis, j'apporte une vision qui est celle de mon travail, qui n'est pas un travail facile. Donc je dis, il faut que tout ça soit dans un environnement budgétaire compatible, compatible avec nos finances publiques. Donc, moi je pense que ce type de réforme qui doit se veut faire à volume de crédits constant. Vous avez un volume de crédits très important, et c'est tant mieux, dans le domaine de ce qu'on appelle les transferts sociaux, de prestations sociales. Aujourd'hui la France, c'est le pays, qui, avec la Suède - je ne sais pas exactement qui est en tête, je pense qu'aujourd'hui c'est la France - qui est le plus élevé en terme de dépenses, en pourcentage du PIB sur les revenus sociaux. Donc il faut juste se poser la question de savoir, nous avons beaucoup de déficit, les Français doivent plus travailler, on doit inciter au travail et en même temps, on ne doit pas charger la dépense publique, il faut économiser. Il faut économiser sur la dépense publique, parce que trop de dépense publique c'est moins de croissance.
Q.- Un, deux, trois milliards, combien pour le RSA ?
R.- Ah, moi je n'ai pas à me prononcer là-dessus, ce sera au président de la République et au Premier ministre in fine d'arbitrer. Moi, la position que j'ai...
Q.- Je suis sûr que vous avez la réponse !
R.- La position que j'ai... j'ai plein de réponses personnelles à ce sujet, mais vous me permettrez de les conserver au sein de l'équipe gouvernementale. Moi je pense que vraiment,...
Q.- Un, deux, trois ?
R.- ...Il faut que l'on travaille sur une vision à volume constant de crédits, parce que ces crédits sont très importants, s'ils ne l'étaient pas ! Mais ils sont très importants, tant mieux, on a construit un système social extrêmement performant. Il faut à un moment donné que ce système social il ne soit pas "désincitatif", c'est-à-dire qu'il n'empêche pas quelqu'un de travailler. Il faut donc monter autre chose, d'autres mécanismes, mais ils ne doivent pas être plus coûteux, c'est ce que je crois profondément. Parce que, parce que... Même la Suède a diminué les dépenses de cette nature, tous les pays l'ont fait, donc nous devons, ce n'est pas ce que je demande, mais je demande simplement qu'on ne les augmente pas, parce que cela ne serait pas compatible. Pas compatible avec le déficit et le déficit, les déficits publics, la somme des déficits publics, c'est la meilleure façon d'affaiblir la France et donc les Français.
Q.- Encore beaucoup de questions, E. Woerth, qu'on va aborder avec les auditeurs et la rédaction de France Inter dans Interactive, d'ici une petite dizaine de minutes.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 avril 2008