Texte intégral
Q - Monsieur Bernard Kouchner, dans les années 1970-1980, votre engagement humanitaire, en tant que fondateur de Médecins sans Frontières et Médecins du Monde vous a valu le surnom de "French Doctor". Après, vous êtes devenu membre de plusieurs cabinets de gauche. Depuis à peu près un an, vous êtes ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Quelques semaines avant le début de la Présidence européenne de la France, quel est le diagnostic du "French doctor" sur l'état actuel de l'Union européenne étant donné que l'Union a été longtemps paralysée par un infarctus cérébral, par le non des Français et des Néerlandais à la Constitution européenne ?
R - Le diagnostic est plutôt favorable. Vous avez raison, il y a eu un accident vasculaire cérébral, pas seulement en France, en Hollande aussi, mais nous avons surmonté cela. Le malade va mieux. Aujourd'hui, j'ai été très fier d'être le seul invité officiel au Bundestag pour le vote historique, d'une certaine façon, du Traité de Lisbonne par nos amis allemands. Il y aura le Bundesrat dans un peu moins d'un mois. Cela va mieux. Nous étions bloqués, nous ne sommes plus bloqués.
Vous avez décrit un parcours assez chaotique mais je pense toujours sur la même idée. D'abord, la sincérité, nous avons besoin de sincérité en Europe. Et puis un idéal, nous avons besoin d'un idéal et nous pouvons enfin avoir des idéaux à proposer à nos enfants en Europe. S'intéresser aux autres, s'occuper, être aux côtés des autres, voilà ma ligne de conduite à travers tout ce que vous avez décrit : Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, les gouvernements de gauche.
Je crois que je suis encore un homme de gauche. Evidemment, là, je suis dans un gouvernement de droite représentant de l'ouverture, avec quelques-uns de mes amis. Si j'ai accepté la proposition de Nicolas Sarkozy, c'était, en particulier, pour l'Europe. L'Europe était bloquée. Nous l'avons débloquée avec ce Traité simplifié devenu aujourd'hui, ici en Allemagne, Traité de Lisbonne. Sans ce Traité, c'était très difficile, peut-être fichu.
Q - Vous l'avez dit, la relance de l'Europe a été aussi possible grâce à la bonne collaboration, coopération franco-allemande.
R - Bien sûr.
Q - Mais on a l'impression, dernièrement, que le moteur franco-allemand ne tourne plus aussi rond qu'avant.
R - Mauvaise impression, il tourne mieux qu'avant. Si vous vous renseignez - et vous êtes capable de le faire, vous êtes un intellectuel, vous avez le souvenir de l'Histoire -, à chaque fois, avec M. Giscard d'Estaing et M. Schmidt, M. Chirac et M. Kohl, avec M. Mitterrand, tous les chefs d'Etats français et allemands ont eu des rapports très difficiles au début, comme d'ailleurs Mme Angela Merkel et M. Nicolas Sarkozy. Et puis, après, cela s'arrange et c'est en train de s'arranger et cela va plutôt très bien.
Les groupes de travail franco-allemands pour la préparation de la Présidence française de l'Union européenne - qui ne sera pas une présidence française mais une présidence au nom des 26 pays - marchent bien maintenant. Je crois que cela va bien, cela va mieux. C'est indispensable que cela marche bien entre nos deux pays, c'est quand même cela le moteur. Cela n'empêche pas que nous sommes bien avec les Anglais, ce sont nos amis, mais le couple franco-allemand, c'est ce qui a fondé l'Europe.
Q - Justement, votre président cherchait à se rapprocher de l'Angleterre, les Britanniques. Il les veut au coeur de l'Europe. Le moteur franco-allemand est-il indispensable et suffisant pour l'Europe ou n'est-il pas suffisant pour l'Europe ?
R - Il est indispensable et il n'est pas suffisant. Donc, on ne peut pas s'en passer. Il faut absolument que cela continue. Et si nous avons d'autres grands pays à nos côtés, alors cela devient, pour le reste du monde et pas seulement pour l'Europe, une perspective exaltante, une perspective formidable.
Q - Les Anglais sont-ils vraiment au coeur de l'Europe ?
R - Oui, je ne les vois pas de la même manière que je vois les Allemands mais je les vois se rapprocher. Je les vois dans une atmosphère et une perspective qui sont, je crois, très positives. En tout cas, c'est l'impression que j'ai eue en accompagnant le président Sarkozy à Londres, dans un voyage vraiment plein de perspectives politiques. Je crois vraiment que nous avons débloqué l'Europe. On s'aperçoit que le monde entier - je vous assure -, aussi bien en Asie qu'en Afrique, qu'en Amérique latine, veut imiter l'Europe. Alors, cela nous donne, cela crée, cela nous oblige à des devoirs. Nous avons le devoir de réussir pour les générations qui viennent. La globalisation, l'aide au Tiers-monde, les Droits de l'Homme. Tout cela, nous avons le devoir de le réussir. Nous ne le ferons pas sans les Allemands.
Q - Vous avez parlé de sincérité et de vision pour l'Europe. Sincérité signifie-t-il dire que la constitution, le Traité constitutionnel, sont morts pour toujours, et que, deuxièmement, la Turquie n'a pas sa place au sein de l'Union européenne ?
R - Tout d'abord, le Traité constitutionnel a disparu, remplacé par le Traité simplifié. Cela ne veut pas dire que dans un avenir dont je ne connais pas évidemment la date exacte, on ne puisse pas reparler d'une Europe fédérale ou d'une Europe avec une Constitution différente. Mais nous n'en sommes pas là.
Q - Quelle est votre vision ?
R - Ma vision est celle d'une Europe politique renforcée. Ma vision, c'était celle d'une Europe plus fédérale. Mais voilà, en France, on a voté non. Il faut donc se rendre à l'évidence. Ce qui est formidable - je répondrai à la suite de votre question après -, c'est de penser qu'un pays comme la France, qui a voté non à l'Europe avec une majorité importante, puisse ensuite voter pour un président, Nicolas Sarkozy, qui lui a voté oui et qui proposait dans sa campagne le Traité simplifié et, donc, le dépassement du refus, du non français. Eh bien, c'est comme cela la France.
En France, on n'avait pas seulement voté contre l'Europe. Certains électeurs oui, bien sûr, mais on avait aussi voté pour des raisons de politique intérieure, pour une absence de perspective et pour exprimer un refus, une anxiété par rapport à la globalisation. Pour toutes ces raisons mêlées, ce pays qui a voté non, la France, est allé convaincre l'Espagne, qui avait voté oui dans un référendum, que l'on devait aller ensemble vers le Traité simplifié, c'était formidable. Cela a pu se faire grâce à l'Allemagne, à Mme Angela Merkel et à M. Frank-Walter Steinmeier et à tous les autres. Sans eux, il n'y aurait rien eu.
Q - Parlons de la seconde partie de ma question. La Turquie, dans votre vision, a-t-elle une place ?
R - Ma vision, tout le monde la connaît. J'ai toujours pensé que la Turquie était nécessaire à l'Europe et que c'était un pont entre le Moyen-Orient, avec un islam modéré, et l'Europe. Mais le président Sarkozy et l'électorat français a manifesté un certain refus. Alors, pour le moment, laissons du temps au temps, proposons d'ouvrir, c'est ce qu'a fait le président Sarkozy, trente chapitres encore de négociations. Trente, c'est beaucoup, on a du temps et puis nous verrons bien. Mais enfin, la position affirmée de la France par l'intermédiaire de son président élu, c'est le refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Q - Vous expliquez aussi cette idée de l'Union pour la Méditerranée par ce refus d'approcher la Turquie ?
R - Non, l'Union pour la Méditerranée est indispensable de toute façon. L'Union pour la Méditerranée ne comprend pas que la Turquie mais toute la rive Sud de la Méditerranée et, au-delà, l'ouverture vers l'Afrique. C'est une vision de l'avenir et des projets communs que deux civilisations qui se sont rencontrées dans l'Histoire, sur cette mer Méditerranée, puissent partager. Cela concerne toute l'Union européenne, pas seulement les pays de la rive Nord de la Méditerranée. Tous les pays de l'Union européenne, jusqu'en Suède, jusqu'en Finlande, s'ils le veulent peuvent participer au projet. Tout le monde, pour le moment, est d'accord autour de ce qui fût un grand document franco-allemand, entre Mme Merkel et M. Sarkozy. Cela a été difficile, j'ai assisté à des séances un peu vives et il a fallu convaincre les uns et les autres. Finalement, c'est comme cela que marche l'Europe. On dit non, non, non, jusqu'à dire oui.
Q - Quel rôle peut assumer l'Union pour la Méditerranée pour la résolution des conflits dans la région ? Je pense surtout au conflit palestino-israélien.
R - Il est en soi très difficile d'intervenir, que ce soit l'Allemagne ou la France, et la France en particulier qui entretient des liens historiques avec cette région qui sont très importants. Nous sommes dans un espoir de paix. Nous sommes dans un processus qui a commencé à Annapolis ; personne n'y croyait beaucoup. La France y croyait et elle a offert la Conférence de Paris, quelques semaines après. Nous avons réussi beaucoup, à la fois politiquement et financièrement ; il y a eu beaucoup d'argent. Nous voudrions bien, puisque cet argent appartient à tous ceux qui l'ont donné, le mettre à la disposition des projets pour la région qui concernent à la fois la Cisjordanie et Gaza. C'est très lent et très difficile.
Q - Dans ce contexte, qu'est-ce que vous attendez de la Conférence qui doit avoir lieu d'ici fin juin à Berlin, sur la Palestine ?
R - J'attends la même chose. Il va y avoir un projet allemand, un bon projet. Il s'agit d'un très important projet de surveillance des frontières - qui attend d'être mis en place depuis longtemps. J'en ai parlé avec mon ami Frank-Walter Steinmeier. Nous appuierons de toutes nos forces pour assurer la sécurité nécessaire à l'Etat palestinien.
La Conférence de Paris s'appelait "Conférence pour un Etat palestinien". L'argent allait à un Etat palestinien, c'est cela l'espoir. Tout ce qui fait que la sécurité soit renforcée dans l'Etat palestinien renforce la sécurité d'Israël. Nous y sommes très favorables. A l'occasion de rencontres internationales, les chefs d'Etat - puisqu'il y a un Etat palestinien rêvé -, M. Mazen, M. Olmert, Mme Livni et M. Ala, s'entretiennent et apparemment cela avance. Je les ai vus la semaine dernière et ils disent que cela avance, même si sur le terrain cela n'avance pas.
Q - Est-ce que vous avez l'intention d'inviter les Palestiniens autant que les Israéliens à adhérer à l'Union pour la Méditerranée ?
R - Bien sûr, tout le monde, y compris évidemment les Syriens et les Turcs. Je ne sais pas s'ils viendront mais, en tout cas, ils sont invités.
Q - Est-ce que vous avez déjà des idées plus concrètes sur la Présidence du côté des pays du sud de la Méditerranée ?
R - En ce qui concerne la Présidence, pour le moment, il est envisagé qu'il y ait une co-présidence Sud et Nord. Je pense que pour le Sud, les Egyptiens sont très indiqués. Je ne sais pas où sera le siège du Secrétariat qui est encore en discussion. J'étais au Maroc, il y a quelques jours et M. Moubarak a visité la France lundi ; tout cela avance.
Q - Serait-il un président potentiel ?
R - Oui, tout à fait, un président potentiel, avec un président du Nord qui serait peut-être, dans un premier temps, la France. Mais il y aura des rotations et des changements.
Q - Pour revenir sur la vision d'une Europe aussi géographique, vous étiez aussi un temps le délégué de l'ONU au Kosovo. Quand est-ce que la Serbie et la Croatie peuvent adhérer ?
R - Hélas, j'aimerais bien qu'ils adhèrent tout de suite. La Croatie, c'est fait. La Croatie ce sera le prochain à rentrer dans l'Union européenne. La Serbie, hélas, nous leur tendons la main. Nous souhaitons qu'ils viennent. Leur avenir est dans l'Europe. Mais pour le moment, cela n'est pas encore possible car cet accord de stabilisation et d'association, qu'on appelle l'ASA, n'est pas accordable autrement qu'à l'unanimité qui n'est pas faite en Europe, pour les faire rentrer au plus vite. La reconnaissance du Kosovo ne doit pas être considérée comme une défaite de la Serbie mais au contraire comme une occasion de rebondir, de s'ouvrir. Il y a 90% des Serbes qui n'ont jamais vu l'Europe. Il faut qu'ils viennent. Leur destin, leur futur, leurs réalisations sont dans l'Union européenne.
Q - On parlait du Haut-représentant dans le contexte de la Présidence française qui veut préparer déjà l'après-Lisbonne. C'est une des priorités de la Présidence française ? Qu'est-ce que vous allez faire concrètement ?
R - Absolument. C'est nécessaire. C'est une des priorités imposées. Il nous faut d'abord travailler avec les groupes de travail franco-allemands. Rien, encore une fois, ne se ferait sans un partenariat franco-allemand solide. Mais pas seulement, avec les autres, il faut que l'on fasse preuve de l'imagination nécessaire autour de ce concept de service extérieur.
D'abord, qu'est-ce que c'est ? C'est la Commission qui se déplace vers l'extérieur ? Cela ne peut pas marcher, ce n'est pas suffisant. Il faut que ce soit quelque chose d'unique, de différent, peut-être même le lieu différent d'une réflexion politique et diplomatique européenne dont le monde a besoin - et nous aussi, l'Europe, nous avons besoin du monde.
S'agit-il simplement du transfert de centaines de fonctionnaires de la Commission vers des postes extérieurs ? Non. Cela doit être le transfert de membres de la Commission mais aussi de diplomates des 27 nations. C'est compliqué à mettre en oeuvre. Comment ? Qui paye ? Dans quel lieu ? Etc. Et puis, il y aura, bien entendu, ce Haut-représentant qui doit être désigné ensemble. Il faut qu'il y ait une unanimité ou au moins un consensus total. Nous allons y travailler parce qu'il faut que ce soit décidé vers la fin de l'année et, d'ailleurs, le président du Conseil aussi. Il y a un problème avec les élections du Parlement européen qui, vous le savez, viennent après, en juin ou en juillet 2009. Donc, il y aura toute une alchimie difficile, infiniment politique. Vous verrez, au début, personne ne sera d'accord et puis il y aura un compromis, au dernier moment - en général pour l'Europe, c'est comme cela que l'on procède, par sauts successifs.
Q - Monsieur le Ministre, à part la préparation de l'après-Lisbonne, je crois que les priorités de la Présidence française sont aussi la lutte contre le réchauffement et M. Sarkozy veut aussi un pacte sur l'immigration. Pour vous, homme de gauche, voyez-vous la possibilité d'un accord qui vise à restreindre plus l'immigration? L'Espagne a légalisé 700.000 immigrés et en France, chaque année, 25.000 immigrés clandestins retournent dans leur pays. Voyez-vous la possibilité d'un tel pacte ?
R - Non seulement je la vois mais je la sens. Elle va venir. D'abord, l'Espagne a légalisé. Nous aussi nous avions légalisé mais ce n'est pas une solution parce que cela recommence tout le temps. L'Espagne est d'accord et cela m'a surpris, justement comme homme de gauche, alors que je n'étais pas d'accord avec cette politique que je ne trouvais pas très attrayante et pas très juste parce que jamais nous n'arriverons au bout de la misère comme cela. Or, c'est la misère qui pousse les gens à venir chez nous et non la façon dont on les accueille. Ce n'est pas la grande chaleur qui préside à notre accueil, non. J'ai constaté que tous les pays, surtout les pays de gauche, vous savez les grands pays d'accueil que sont le Portugal, l'Espagne, la France et L'Italie - deux de ces grands étaient à gauche - qui exigeaient, qui souhaitaient qu'il y ait un pacte commun sur l'immigration.
Q - Mais c'est un pacte de quotas d'immigration ?
R - On ne sait pas, on va voir mais c'est en tout cas une position commune. Nous ne pouvons pas avoir Schengen, dans lequel tout le monde peut circuler librement et, en même temps, ne pas avoir une façon d'accueillir les gens, en particulier les travailleurs, légaux, quotas ou pas quotas. Il faut, en tout cas, les accueillir, offrir l'asile pour les réfugiés politiques et des conditions humaines satisfaisantes après l'accueil en France, en Italie, en Espagne ou ailleurs. Il y aura une position européenne commune, en tout cas elle se dessine et je crois que ce sera juste. Il ne faut pas qu'elle soit inhumaine. Il ne faut qu'elle soit un refus total mais vous ne pouvez pas, si vous avez la responsabilité d'un pays, dire : "Vous avez le droit d'entrer par la fenêtre, par la porte et sous le tapis". Vous ne pouvez pas.
Q - Et étant donné la situation alimentaire dans le monde actuel, ne faut-il pas aider plus ces pays pour éviter l'immigration ?
R - Mais c'est évident. C'est ce que j'ai fait toute ma vie. Alors je continue.
Q - Qu'est-ce que vous avez comme idée ?
R - L'idée, sur la sécurité alimentaire, c'est d'abord qu'il faut bien s'entendre sur la démographie, le nombre des gens à nourrir et puis, surtout, sur l'urgence. Il y a un "paquet urgence" qu'il faut absolument développer. Nous avons doublé notre aide au Programme alimentaire mondial, au "World Food Programme", mais ce n'est pas suffisant ; cela relève de l'urgence. Pour le reste, il faut absolument réfléchir à ce que les cultures vivrières, d'alimentation dans les pays soient développées et nous avons fait le contraire. Nous avons beaucoup trop barré l'accès des produits du Tiers-monde dans nos pays beaucoup plus riches par des barrières douanières. Cela ne veut pas dire que l'agriculture, aussi bien en Allemagne qu'en France, soit en bonne condition. L'histoire des quotas laitiers est ridicule, caricaturale.
Q - Vous êtes donc contre la position de la France ?
R - La position de la France, c'est l'ouverture des quotas. On vient de le dire. C'est parce que l'on a voulu restreindre les quotas que les prix sont montés et, maintenant, il n'y a pas d'offre suffisante. Il n'y a plus suffisamment de lait en Europe et il n'y a pas de lait non plus dans les pays en développement. Tout cela n'est pas coordonné, il faut absolument qu'on ait un fonds de réserve suffisant. Peut-être que les fonds souverains peuvent servir à cela, en tout cas une partie des fonds souverains ; il y en a tellement. Selon ce que recommandait la FAO, il faut absolument que l'agriculture et l'alimentation soient coordonnées. Il faut que l'on ait de l'argent pour les engrais, pour l'irrigation, pour proposer à des pays agricoles de vrais aides ciblées sur l'agriculture.
Q - Par une agence de l'ONU ?
R - La FAO est une agence de l'ONU ! Il faut travailler avec eux, bien sûr, mais il faut avoir aussi une position européenne commune avec la FAO, avec l'ONU, avec M. Ban Ki-moon. La FAO est faite pour cela.
Q - Il ne faut pas de nouvelles institutions ?
R - On ne va pas en faire tous les jours de nouvelles. On verra, mais il ne faut pas multiplier les structures ; sûrement pas. Il faut être plus efficace sur le terrain. Bien sûr, il faut aider plus si vous voulez restreindre le flot des migrants, il faut leur donner chez eux les capacités de nourrir leurs familles. C'est la première des choses, bien sûr. Il faut donc, notamment, favoriser le co-développement. Mais là vous allez être surpris par la position. Il y a une nécessaire politique commune quand il y a une circulation commune, c'est évident.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que le président Sarkozy doit participer à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques, sous les conditions actuelles, s'il n'y a pas de dialogue actuel entre le Dalaï-Lama et le gouvernement de Pékin ?
R - Il faut s'assurer qu'il y aura un dialogue. Nous y participons, nous tentons d'apporter quelques éléments pour que ce dialogue ait lieu. Le président Sarkozy a dit qu'il prendrait sa décision en fonction de ce dialogue.
Le dialogue ne s'est pas, pour le moment, présenté de bonne manière. J'espère que les conditions changeront. Nous avons reçu les envoyés des autorités chinoises. Nous avons des émissaires en Chine. J'espère que les trois conditions qui ont été proposées par les autorités chinoises au Dalaï-Lama rencontreront un accord et qu'une négociation s'engagera. C'est tout ce que nous pouvons faire. Il faut être positif. Ce n'est pas la peine de signer une pétition tout de suite. J'en ai signé beaucoup et écrit beaucoup mais, maintenant, il y a une responsabilité pour que le dialogue ait lieu et qu'il ait lieu politiquement. Je ne suis pas intéressé par l'expansion du bouddhisme à travers le monde mais par les Droits de l'Homme.
Q - Le fait que le Dalaï-Lama soit déclaré citoyen d'honneur de la ville de Paris, c'était une provocation ?
R - Ecoutez, je suis citoyen d'honneur de Sarajevo, de Pristina. Ce n'est pas une provocation. Le Maire de Paris a le droit de faire ce qu'il veut.
Q - C'était quand même un moment mal choisi...
R - Pourquoi ? Le Maire de Paris n'est pas un responsable politique de ce gouvernement et il a le droit d'avoir, sur les Droits de l'Homme, une position qui est quand même celle de bien des millions de personnes à travers le monde. Maintenant, que le moment soit mal choisi pour notre dialogue avec les autorités, bien sûr, c'est toujours comme cela.
Q - Mais vous n'avez pas l'impression comme ancien combattant pour les Droits de l'Homme, qu'on sacrifie les Droits de l'Homme ?
R - Mais je ne suis pas un ancien combattant, je suis un combattant actuel et vigoureux ! Mais bien sûr que j'ai cette impression ! Et vous, vous avez l'impression qu'il faut arrêter le commerce avec la Chine ? Voyons, si vous êtes responsable politique, vous n'êtes pas seulement un militant, vous êtes responsable d'un pays et, à votre petite mesure, vous devez quand même être attentif à d'autres facteurs que les Droits de l'Homme. Personne n'a jamais dit, pas même moi, dans ma grande illusion militante, que les Droits de l'Homme représentaient l'ensemble de la politique internationale. Ce n'est pas vrai, c'est un facteur essentiel, nous devons en tenir compte très largement, même dans la politique d'un pays, bien sûr, mais cela n'est pas le facteur unique. Il faut, lorsque l'on est ministre des Affaires étrangères, entretenir pour d'autres raisons, qui sont économiques, culturelles, historiques, des relations avec le plus grand nombre de pays.
Quand on fait de la diplomatie, je ne sais pas si c'est un bon mot, mais en tout cas, cela signifie que nous devons entretenir les meilleurs rapports en fonction de la paix, du développement nécessaires et des Droits de l'Homme. Pour ma part, je rêve que chaque ambassade de France soit un "show room" des possibilités de la France : une rencontre interministérielle sous l'égide de l'ambassadeur et une Maison des Droits de l'Homme.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2008
R - Le diagnostic est plutôt favorable. Vous avez raison, il y a eu un accident vasculaire cérébral, pas seulement en France, en Hollande aussi, mais nous avons surmonté cela. Le malade va mieux. Aujourd'hui, j'ai été très fier d'être le seul invité officiel au Bundestag pour le vote historique, d'une certaine façon, du Traité de Lisbonne par nos amis allemands. Il y aura le Bundesrat dans un peu moins d'un mois. Cela va mieux. Nous étions bloqués, nous ne sommes plus bloqués.
Vous avez décrit un parcours assez chaotique mais je pense toujours sur la même idée. D'abord, la sincérité, nous avons besoin de sincérité en Europe. Et puis un idéal, nous avons besoin d'un idéal et nous pouvons enfin avoir des idéaux à proposer à nos enfants en Europe. S'intéresser aux autres, s'occuper, être aux côtés des autres, voilà ma ligne de conduite à travers tout ce que vous avez décrit : Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, les gouvernements de gauche.
Je crois que je suis encore un homme de gauche. Evidemment, là, je suis dans un gouvernement de droite représentant de l'ouverture, avec quelques-uns de mes amis. Si j'ai accepté la proposition de Nicolas Sarkozy, c'était, en particulier, pour l'Europe. L'Europe était bloquée. Nous l'avons débloquée avec ce Traité simplifié devenu aujourd'hui, ici en Allemagne, Traité de Lisbonne. Sans ce Traité, c'était très difficile, peut-être fichu.
Q - Vous l'avez dit, la relance de l'Europe a été aussi possible grâce à la bonne collaboration, coopération franco-allemande.
R - Bien sûr.
Q - Mais on a l'impression, dernièrement, que le moteur franco-allemand ne tourne plus aussi rond qu'avant.
R - Mauvaise impression, il tourne mieux qu'avant. Si vous vous renseignez - et vous êtes capable de le faire, vous êtes un intellectuel, vous avez le souvenir de l'Histoire -, à chaque fois, avec M. Giscard d'Estaing et M. Schmidt, M. Chirac et M. Kohl, avec M. Mitterrand, tous les chefs d'Etats français et allemands ont eu des rapports très difficiles au début, comme d'ailleurs Mme Angela Merkel et M. Nicolas Sarkozy. Et puis, après, cela s'arrange et c'est en train de s'arranger et cela va plutôt très bien.
Les groupes de travail franco-allemands pour la préparation de la Présidence française de l'Union européenne - qui ne sera pas une présidence française mais une présidence au nom des 26 pays - marchent bien maintenant. Je crois que cela va bien, cela va mieux. C'est indispensable que cela marche bien entre nos deux pays, c'est quand même cela le moteur. Cela n'empêche pas que nous sommes bien avec les Anglais, ce sont nos amis, mais le couple franco-allemand, c'est ce qui a fondé l'Europe.
Q - Justement, votre président cherchait à se rapprocher de l'Angleterre, les Britanniques. Il les veut au coeur de l'Europe. Le moteur franco-allemand est-il indispensable et suffisant pour l'Europe ou n'est-il pas suffisant pour l'Europe ?
R - Il est indispensable et il n'est pas suffisant. Donc, on ne peut pas s'en passer. Il faut absolument que cela continue. Et si nous avons d'autres grands pays à nos côtés, alors cela devient, pour le reste du monde et pas seulement pour l'Europe, une perspective exaltante, une perspective formidable.
Q - Les Anglais sont-ils vraiment au coeur de l'Europe ?
R - Oui, je ne les vois pas de la même manière que je vois les Allemands mais je les vois se rapprocher. Je les vois dans une atmosphère et une perspective qui sont, je crois, très positives. En tout cas, c'est l'impression que j'ai eue en accompagnant le président Sarkozy à Londres, dans un voyage vraiment plein de perspectives politiques. Je crois vraiment que nous avons débloqué l'Europe. On s'aperçoit que le monde entier - je vous assure -, aussi bien en Asie qu'en Afrique, qu'en Amérique latine, veut imiter l'Europe. Alors, cela nous donne, cela crée, cela nous oblige à des devoirs. Nous avons le devoir de réussir pour les générations qui viennent. La globalisation, l'aide au Tiers-monde, les Droits de l'Homme. Tout cela, nous avons le devoir de le réussir. Nous ne le ferons pas sans les Allemands.
Q - Vous avez parlé de sincérité et de vision pour l'Europe. Sincérité signifie-t-il dire que la constitution, le Traité constitutionnel, sont morts pour toujours, et que, deuxièmement, la Turquie n'a pas sa place au sein de l'Union européenne ?
R - Tout d'abord, le Traité constitutionnel a disparu, remplacé par le Traité simplifié. Cela ne veut pas dire que dans un avenir dont je ne connais pas évidemment la date exacte, on ne puisse pas reparler d'une Europe fédérale ou d'une Europe avec une Constitution différente. Mais nous n'en sommes pas là.
Q - Quelle est votre vision ?
R - Ma vision est celle d'une Europe politique renforcée. Ma vision, c'était celle d'une Europe plus fédérale. Mais voilà, en France, on a voté non. Il faut donc se rendre à l'évidence. Ce qui est formidable - je répondrai à la suite de votre question après -, c'est de penser qu'un pays comme la France, qui a voté non à l'Europe avec une majorité importante, puisse ensuite voter pour un président, Nicolas Sarkozy, qui lui a voté oui et qui proposait dans sa campagne le Traité simplifié et, donc, le dépassement du refus, du non français. Eh bien, c'est comme cela la France.
En France, on n'avait pas seulement voté contre l'Europe. Certains électeurs oui, bien sûr, mais on avait aussi voté pour des raisons de politique intérieure, pour une absence de perspective et pour exprimer un refus, une anxiété par rapport à la globalisation. Pour toutes ces raisons mêlées, ce pays qui a voté non, la France, est allé convaincre l'Espagne, qui avait voté oui dans un référendum, que l'on devait aller ensemble vers le Traité simplifié, c'était formidable. Cela a pu se faire grâce à l'Allemagne, à Mme Angela Merkel et à M. Frank-Walter Steinmeier et à tous les autres. Sans eux, il n'y aurait rien eu.
Q - Parlons de la seconde partie de ma question. La Turquie, dans votre vision, a-t-elle une place ?
R - Ma vision, tout le monde la connaît. J'ai toujours pensé que la Turquie était nécessaire à l'Europe et que c'était un pont entre le Moyen-Orient, avec un islam modéré, et l'Europe. Mais le président Sarkozy et l'électorat français a manifesté un certain refus. Alors, pour le moment, laissons du temps au temps, proposons d'ouvrir, c'est ce qu'a fait le président Sarkozy, trente chapitres encore de négociations. Trente, c'est beaucoup, on a du temps et puis nous verrons bien. Mais enfin, la position affirmée de la France par l'intermédiaire de son président élu, c'est le refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Q - Vous expliquez aussi cette idée de l'Union pour la Méditerranée par ce refus d'approcher la Turquie ?
R - Non, l'Union pour la Méditerranée est indispensable de toute façon. L'Union pour la Méditerranée ne comprend pas que la Turquie mais toute la rive Sud de la Méditerranée et, au-delà, l'ouverture vers l'Afrique. C'est une vision de l'avenir et des projets communs que deux civilisations qui se sont rencontrées dans l'Histoire, sur cette mer Méditerranée, puissent partager. Cela concerne toute l'Union européenne, pas seulement les pays de la rive Nord de la Méditerranée. Tous les pays de l'Union européenne, jusqu'en Suède, jusqu'en Finlande, s'ils le veulent peuvent participer au projet. Tout le monde, pour le moment, est d'accord autour de ce qui fût un grand document franco-allemand, entre Mme Merkel et M. Sarkozy. Cela a été difficile, j'ai assisté à des séances un peu vives et il a fallu convaincre les uns et les autres. Finalement, c'est comme cela que marche l'Europe. On dit non, non, non, jusqu'à dire oui.
Q - Quel rôle peut assumer l'Union pour la Méditerranée pour la résolution des conflits dans la région ? Je pense surtout au conflit palestino-israélien.
R - Il est en soi très difficile d'intervenir, que ce soit l'Allemagne ou la France, et la France en particulier qui entretient des liens historiques avec cette région qui sont très importants. Nous sommes dans un espoir de paix. Nous sommes dans un processus qui a commencé à Annapolis ; personne n'y croyait beaucoup. La France y croyait et elle a offert la Conférence de Paris, quelques semaines après. Nous avons réussi beaucoup, à la fois politiquement et financièrement ; il y a eu beaucoup d'argent. Nous voudrions bien, puisque cet argent appartient à tous ceux qui l'ont donné, le mettre à la disposition des projets pour la région qui concernent à la fois la Cisjordanie et Gaza. C'est très lent et très difficile.
Q - Dans ce contexte, qu'est-ce que vous attendez de la Conférence qui doit avoir lieu d'ici fin juin à Berlin, sur la Palestine ?
R - J'attends la même chose. Il va y avoir un projet allemand, un bon projet. Il s'agit d'un très important projet de surveillance des frontières - qui attend d'être mis en place depuis longtemps. J'en ai parlé avec mon ami Frank-Walter Steinmeier. Nous appuierons de toutes nos forces pour assurer la sécurité nécessaire à l'Etat palestinien.
La Conférence de Paris s'appelait "Conférence pour un Etat palestinien". L'argent allait à un Etat palestinien, c'est cela l'espoir. Tout ce qui fait que la sécurité soit renforcée dans l'Etat palestinien renforce la sécurité d'Israël. Nous y sommes très favorables. A l'occasion de rencontres internationales, les chefs d'Etat - puisqu'il y a un Etat palestinien rêvé -, M. Mazen, M. Olmert, Mme Livni et M. Ala, s'entretiennent et apparemment cela avance. Je les ai vus la semaine dernière et ils disent que cela avance, même si sur le terrain cela n'avance pas.
Q - Est-ce que vous avez l'intention d'inviter les Palestiniens autant que les Israéliens à adhérer à l'Union pour la Méditerranée ?
R - Bien sûr, tout le monde, y compris évidemment les Syriens et les Turcs. Je ne sais pas s'ils viendront mais, en tout cas, ils sont invités.
Q - Est-ce que vous avez déjà des idées plus concrètes sur la Présidence du côté des pays du sud de la Méditerranée ?
R - En ce qui concerne la Présidence, pour le moment, il est envisagé qu'il y ait une co-présidence Sud et Nord. Je pense que pour le Sud, les Egyptiens sont très indiqués. Je ne sais pas où sera le siège du Secrétariat qui est encore en discussion. J'étais au Maroc, il y a quelques jours et M. Moubarak a visité la France lundi ; tout cela avance.
Q - Serait-il un président potentiel ?
R - Oui, tout à fait, un président potentiel, avec un président du Nord qui serait peut-être, dans un premier temps, la France. Mais il y aura des rotations et des changements.
Q - Pour revenir sur la vision d'une Europe aussi géographique, vous étiez aussi un temps le délégué de l'ONU au Kosovo. Quand est-ce que la Serbie et la Croatie peuvent adhérer ?
R - Hélas, j'aimerais bien qu'ils adhèrent tout de suite. La Croatie, c'est fait. La Croatie ce sera le prochain à rentrer dans l'Union européenne. La Serbie, hélas, nous leur tendons la main. Nous souhaitons qu'ils viennent. Leur avenir est dans l'Europe. Mais pour le moment, cela n'est pas encore possible car cet accord de stabilisation et d'association, qu'on appelle l'ASA, n'est pas accordable autrement qu'à l'unanimité qui n'est pas faite en Europe, pour les faire rentrer au plus vite. La reconnaissance du Kosovo ne doit pas être considérée comme une défaite de la Serbie mais au contraire comme une occasion de rebondir, de s'ouvrir. Il y a 90% des Serbes qui n'ont jamais vu l'Europe. Il faut qu'ils viennent. Leur destin, leur futur, leurs réalisations sont dans l'Union européenne.
Q - On parlait du Haut-représentant dans le contexte de la Présidence française qui veut préparer déjà l'après-Lisbonne. C'est une des priorités de la Présidence française ? Qu'est-ce que vous allez faire concrètement ?
R - Absolument. C'est nécessaire. C'est une des priorités imposées. Il nous faut d'abord travailler avec les groupes de travail franco-allemands. Rien, encore une fois, ne se ferait sans un partenariat franco-allemand solide. Mais pas seulement, avec les autres, il faut que l'on fasse preuve de l'imagination nécessaire autour de ce concept de service extérieur.
D'abord, qu'est-ce que c'est ? C'est la Commission qui se déplace vers l'extérieur ? Cela ne peut pas marcher, ce n'est pas suffisant. Il faut que ce soit quelque chose d'unique, de différent, peut-être même le lieu différent d'une réflexion politique et diplomatique européenne dont le monde a besoin - et nous aussi, l'Europe, nous avons besoin du monde.
S'agit-il simplement du transfert de centaines de fonctionnaires de la Commission vers des postes extérieurs ? Non. Cela doit être le transfert de membres de la Commission mais aussi de diplomates des 27 nations. C'est compliqué à mettre en oeuvre. Comment ? Qui paye ? Dans quel lieu ? Etc. Et puis, il y aura, bien entendu, ce Haut-représentant qui doit être désigné ensemble. Il faut qu'il y ait une unanimité ou au moins un consensus total. Nous allons y travailler parce qu'il faut que ce soit décidé vers la fin de l'année et, d'ailleurs, le président du Conseil aussi. Il y a un problème avec les élections du Parlement européen qui, vous le savez, viennent après, en juin ou en juillet 2009. Donc, il y aura toute une alchimie difficile, infiniment politique. Vous verrez, au début, personne ne sera d'accord et puis il y aura un compromis, au dernier moment - en général pour l'Europe, c'est comme cela que l'on procède, par sauts successifs.
Q - Monsieur le Ministre, à part la préparation de l'après-Lisbonne, je crois que les priorités de la Présidence française sont aussi la lutte contre le réchauffement et M. Sarkozy veut aussi un pacte sur l'immigration. Pour vous, homme de gauche, voyez-vous la possibilité d'un accord qui vise à restreindre plus l'immigration? L'Espagne a légalisé 700.000 immigrés et en France, chaque année, 25.000 immigrés clandestins retournent dans leur pays. Voyez-vous la possibilité d'un tel pacte ?
R - Non seulement je la vois mais je la sens. Elle va venir. D'abord, l'Espagne a légalisé. Nous aussi nous avions légalisé mais ce n'est pas une solution parce que cela recommence tout le temps. L'Espagne est d'accord et cela m'a surpris, justement comme homme de gauche, alors que je n'étais pas d'accord avec cette politique que je ne trouvais pas très attrayante et pas très juste parce que jamais nous n'arriverons au bout de la misère comme cela. Or, c'est la misère qui pousse les gens à venir chez nous et non la façon dont on les accueille. Ce n'est pas la grande chaleur qui préside à notre accueil, non. J'ai constaté que tous les pays, surtout les pays de gauche, vous savez les grands pays d'accueil que sont le Portugal, l'Espagne, la France et L'Italie - deux de ces grands étaient à gauche - qui exigeaient, qui souhaitaient qu'il y ait un pacte commun sur l'immigration.
Q - Mais c'est un pacte de quotas d'immigration ?
R - On ne sait pas, on va voir mais c'est en tout cas une position commune. Nous ne pouvons pas avoir Schengen, dans lequel tout le monde peut circuler librement et, en même temps, ne pas avoir une façon d'accueillir les gens, en particulier les travailleurs, légaux, quotas ou pas quotas. Il faut, en tout cas, les accueillir, offrir l'asile pour les réfugiés politiques et des conditions humaines satisfaisantes après l'accueil en France, en Italie, en Espagne ou ailleurs. Il y aura une position européenne commune, en tout cas elle se dessine et je crois que ce sera juste. Il ne faut pas qu'elle soit inhumaine. Il ne faut qu'elle soit un refus total mais vous ne pouvez pas, si vous avez la responsabilité d'un pays, dire : "Vous avez le droit d'entrer par la fenêtre, par la porte et sous le tapis". Vous ne pouvez pas.
Q - Et étant donné la situation alimentaire dans le monde actuel, ne faut-il pas aider plus ces pays pour éviter l'immigration ?
R - Mais c'est évident. C'est ce que j'ai fait toute ma vie. Alors je continue.
Q - Qu'est-ce que vous avez comme idée ?
R - L'idée, sur la sécurité alimentaire, c'est d'abord qu'il faut bien s'entendre sur la démographie, le nombre des gens à nourrir et puis, surtout, sur l'urgence. Il y a un "paquet urgence" qu'il faut absolument développer. Nous avons doublé notre aide au Programme alimentaire mondial, au "World Food Programme", mais ce n'est pas suffisant ; cela relève de l'urgence. Pour le reste, il faut absolument réfléchir à ce que les cultures vivrières, d'alimentation dans les pays soient développées et nous avons fait le contraire. Nous avons beaucoup trop barré l'accès des produits du Tiers-monde dans nos pays beaucoup plus riches par des barrières douanières. Cela ne veut pas dire que l'agriculture, aussi bien en Allemagne qu'en France, soit en bonne condition. L'histoire des quotas laitiers est ridicule, caricaturale.
Q - Vous êtes donc contre la position de la France ?
R - La position de la France, c'est l'ouverture des quotas. On vient de le dire. C'est parce que l'on a voulu restreindre les quotas que les prix sont montés et, maintenant, il n'y a pas d'offre suffisante. Il n'y a plus suffisamment de lait en Europe et il n'y a pas de lait non plus dans les pays en développement. Tout cela n'est pas coordonné, il faut absolument qu'on ait un fonds de réserve suffisant. Peut-être que les fonds souverains peuvent servir à cela, en tout cas une partie des fonds souverains ; il y en a tellement. Selon ce que recommandait la FAO, il faut absolument que l'agriculture et l'alimentation soient coordonnées. Il faut que l'on ait de l'argent pour les engrais, pour l'irrigation, pour proposer à des pays agricoles de vrais aides ciblées sur l'agriculture.
Q - Par une agence de l'ONU ?
R - La FAO est une agence de l'ONU ! Il faut travailler avec eux, bien sûr, mais il faut avoir aussi une position européenne commune avec la FAO, avec l'ONU, avec M. Ban Ki-moon. La FAO est faite pour cela.
Q - Il ne faut pas de nouvelles institutions ?
R - On ne va pas en faire tous les jours de nouvelles. On verra, mais il ne faut pas multiplier les structures ; sûrement pas. Il faut être plus efficace sur le terrain. Bien sûr, il faut aider plus si vous voulez restreindre le flot des migrants, il faut leur donner chez eux les capacités de nourrir leurs familles. C'est la première des choses, bien sûr. Il faut donc, notamment, favoriser le co-développement. Mais là vous allez être surpris par la position. Il y a une nécessaire politique commune quand il y a une circulation commune, c'est évident.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que le président Sarkozy doit participer à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques, sous les conditions actuelles, s'il n'y a pas de dialogue actuel entre le Dalaï-Lama et le gouvernement de Pékin ?
R - Il faut s'assurer qu'il y aura un dialogue. Nous y participons, nous tentons d'apporter quelques éléments pour que ce dialogue ait lieu. Le président Sarkozy a dit qu'il prendrait sa décision en fonction de ce dialogue.
Le dialogue ne s'est pas, pour le moment, présenté de bonne manière. J'espère que les conditions changeront. Nous avons reçu les envoyés des autorités chinoises. Nous avons des émissaires en Chine. J'espère que les trois conditions qui ont été proposées par les autorités chinoises au Dalaï-Lama rencontreront un accord et qu'une négociation s'engagera. C'est tout ce que nous pouvons faire. Il faut être positif. Ce n'est pas la peine de signer une pétition tout de suite. J'en ai signé beaucoup et écrit beaucoup mais, maintenant, il y a une responsabilité pour que le dialogue ait lieu et qu'il ait lieu politiquement. Je ne suis pas intéressé par l'expansion du bouddhisme à travers le monde mais par les Droits de l'Homme.
Q - Le fait que le Dalaï-Lama soit déclaré citoyen d'honneur de la ville de Paris, c'était une provocation ?
R - Ecoutez, je suis citoyen d'honneur de Sarajevo, de Pristina. Ce n'est pas une provocation. Le Maire de Paris a le droit de faire ce qu'il veut.
Q - C'était quand même un moment mal choisi...
R - Pourquoi ? Le Maire de Paris n'est pas un responsable politique de ce gouvernement et il a le droit d'avoir, sur les Droits de l'Homme, une position qui est quand même celle de bien des millions de personnes à travers le monde. Maintenant, que le moment soit mal choisi pour notre dialogue avec les autorités, bien sûr, c'est toujours comme cela.
Q - Mais vous n'avez pas l'impression comme ancien combattant pour les Droits de l'Homme, qu'on sacrifie les Droits de l'Homme ?
R - Mais je ne suis pas un ancien combattant, je suis un combattant actuel et vigoureux ! Mais bien sûr que j'ai cette impression ! Et vous, vous avez l'impression qu'il faut arrêter le commerce avec la Chine ? Voyons, si vous êtes responsable politique, vous n'êtes pas seulement un militant, vous êtes responsable d'un pays et, à votre petite mesure, vous devez quand même être attentif à d'autres facteurs que les Droits de l'Homme. Personne n'a jamais dit, pas même moi, dans ma grande illusion militante, que les Droits de l'Homme représentaient l'ensemble de la politique internationale. Ce n'est pas vrai, c'est un facteur essentiel, nous devons en tenir compte très largement, même dans la politique d'un pays, bien sûr, mais cela n'est pas le facteur unique. Il faut, lorsque l'on est ministre des Affaires étrangères, entretenir pour d'autres raisons, qui sont économiques, culturelles, historiques, des relations avec le plus grand nombre de pays.
Quand on fait de la diplomatie, je ne sais pas si c'est un bon mot, mais en tout cas, cela signifie que nous devons entretenir les meilleurs rapports en fonction de la paix, du développement nécessaires et des Droits de l'Homme. Pour ma part, je rêve que chaque ambassade de France soit un "show room" des possibilités de la France : une rencontre interministérielle sous l'égide de l'ambassadeur et une Maison des Droits de l'Homme.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2008