Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, Copenhague le 23 mai 2008.

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Circonstance : Voyage au Danemark et en Lettonie le 23 mai 2008, dans le cadre de la préparation de la présidence française de l'Union européenne-intervention au Danish Design Center à Copenhague

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord vous remercier de l'occasion que vous me donnez de venir exprimer devant vous, et pas seulement devant le gouvernement danois comme je viens de le faire à l'instant, les priorités de la présidence française de l'Union européenne.
Cette présidence française va s'ouvrir au 1er juillet dans un contexte qui est un contexte très largement renouvelé par rapport à la situation que connaît l'Union européenne depuis des années. Et je crois qu'il est nécessaire de bien se rappeler pourquoi est-ce que nous avons voulu ensemble construire cette association d'Etats, cette Union européenne, et pourquoi nous l'avons, au fur et à mesure des années, élargie ?
* Le premier objectif, c'était la construction de la paix après la Seconde Guerre mondiale. Cet objectif a été atteint. Il n'empêche qu'il est nécessaire, en permanence, de le préserver.
* Mais le deuxième objectif, c'était celui de la prospérité. Là encore, nous l'avons assez largement atteint, puisque l'Union européenne est une des zones les plus prospères du monde, c'est en tout cas une des zones les plus équilibrées du monde, et en particulier, c'est dans le monde, la zone géographique où les injustices sociales, même si elles existent, même si elles sont encore trop importantes, sont les moins criantes. Et c'est une zone dont nous constatons, à l'occasion de la crise économique internationale qui a suivi la crise des subprimes aux Etats-Unis, que cette zone européenne résiste mieux que les autres, ce qui est encore le signe que nous avons largement atteint les objectifs que nous nous étions fixés.
Mais en même temps, l'Union européenne est en permanence défiée par la mondialisation. Nous sommes défiés par les risques de délocalisations de nos industries et de nos services. Nous sommes défiés par la fragilité du système financier international, comme nous venons de le voir avec la crise des subprimes. Nous sommes défiés par l'augmentation massive de ce que l'on appelle "les fonds souverains". Nous sommes défiés par l'augmentation des flux migratoires. Nous sommes défiés par les questions de la sécurité énergétique. Et puis, naturellement, comme toutes les autres régions du monde, nous avons à faire face aux problèmes d'environnement et à la question du réchauffement climatique.
Plus que jamais, pour répondre à ces questions, nous avons besoin de l'Europe. Plus que jamais, nous avons besoin de regrouper nos forces et nos visions communes, à la fois pour protéger nos citoyens, mais aussi pour participer à la construction d'une mondialisation qui soit équilibrée, qui soit éthique, qui respecte les individus.
Nous avons connu une crise institutionnelle sérieuse avec le rejet du Traité constitutionnel en 2005. La France avait une responsabilité particulière dans cette crise, et c'est la raison pour laquelle nous avons voulu, avec le président Nicolas Sarkozy, dès l'élection présidentielle, prendre une initiative pour permettre de sortir l'Europe de l'impasse dans laquelle elle se trouvait. Cette initiative a été le Traité simplifié sur lequel le président de la République française s'était engagé vis-à-vis des Français, à ce que sa ratification ait lieu devant le Parlement, ce qui était pour nous une décision difficile, après le refus des Français lors du référendum sur le Traité constitutionnel.
Aujourd'hui, l'Europe est sortie de l'impasse dans laquelle elle se trouvait, et c'est dans ce contexte-là que nous abordons la présidence française.
Nos priorités vont de soi puisqu'elles s'inspirent des défis de la mondialisation. Il y a d'abord la mise en oeuvre - ce n'est pas un défi de la mondialisation - du Traité de Lisbonne ; ce Traité de Lisbonne modifie l'organisation des institutions européennes. La France aura pour une part, parce que tout ne se fera pas sous sa présidence, la responsabilité de régler un certain nombre de questions qui ne le sont pas aujourd'hui, comme par exemple l'équilibre des pouvoirs entre le futur président du Conseil européen et les présidences tournantes de l'Union européenne.
Nous aurons à discuter de l'organisation du Service européen d'action extérieure, qui va être mis en place. Nous aurons aussi à débattre des nouveaux droits que le Traité simplifié accorde aux Parlement nationaux dans le contrôle du fonctionnement de l'Union européenne.
Au-delà de ces sujets, nous avons retenu quatre grands défis qui sont quatre sujets de préoccupation pour nos concitoyens. Parce qu'il est nécessaire, non seulement de nous doter d'institutions qui fonctionnent, mais surtout de montrer aux citoyens de l'Union européenne, que les décisions que nous prenons sont des décisions efficaces pour répondre à leurs attentes.
La première priorité de la présidence française - ce ne sera pas une surprise, parce qu'au fond c'est une priorité mondiale -, c'est une priorité qui doit s'imposer à tous les gouvernements, c'est la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut que l'Union européenne, pendant la présidence française, soit capable de se fixer des objectifs très ambitieux de réduction des émissions de gaz carbonique. Nous voulons, avec la Commission et l'ensemble des Etats membres, fixer ces objectifs à une réduction d'au moins 20 %, d'ici 2020, des émissions de gaz carbonique dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Je veux insister sur le fait que, plus l'Union européenne prendra des engagements ambitieux, plus il sera facile, ou moins il sera difficile, d'arriver à un accord à Copenhague en 2009, lors de la Convention mondiale sur le climat qui mettra en oeuvre la suite du protocole de Kyoto.
Pour que cette Conférence de Copenhague soit un véritable succès, il nous semble aussi nécessaire de proposer un dispositif de soutien, d'aide, aux pays les plus pauvres pour qu'ils puissent eux-mêmes faire un pas considérable en matière de lutte contre le réchauffement climatique, car on sait bien que toutes les régions du monde ne sont pas sur un plan d'égalité par rapport à cette question. Et nous avons proposé, avec la Commission, qu'une partie du produit des enchères européennes de quotas de CO2 soit affectée à l'aide aux pays en voie de développement pour leur permettre de bâtir des programmes d'économies d'énergie, de développement des énergies renouvelables, de modification de leur organisation énergétique pour qu'ils puissent satisfaire aux exigences de ce que nous espérons être le résultat de la conférence de Copenhague.
Enfin, il nous semble nécessaire que l'Europe prévoit de manière crédible ce qui arrivera si jamais certains Etats tiers, certains Etats hors de l'Union européenne, refusent systématiquement de s'engager sérieusement dans la lutte contre le changement climatique d'une manière qui soit adaptée à leur niveau de développement industriel. Et c'est la raison pour laquelle la proposition de la Commission de mettre en place un système d'ajustement aux frontières au cas où on n'arrive pas à un accord global à Copenhague nous paraît vitale pour, à la fois, la compétitivité des nos économies, mais aussi, au fond, pour disposer d'un instrument de pression pour que l'accord de Copenhague soit le plus global possible.
Nous avons d'ailleurs décidé avec Monsieur Rasmussen, ce matin, de mettre en place un groupe de travail franco-danois pour faire en sorte que les objectifs de la présidence française en matière de lutte contre le réchauffement climatique soit parfaitement coordonné avec le travail que fait le gouvernement danois pour préparer la conférence de Copenhague.
Le deuxième sujet qui fait partie de nos priorités, c'est la sécurité énergétique de l'Europe. C'est un sujet qui est assez largement négligé pour le moment par les institutions européennes, et pourtant, le baril de pétrole est à 135 dollars ; il n'y a aucune chance pour qu'il baisse dans un avenir proche, il y a plutôt des chances pour qu'il continue à monter, les perspectives de réduction, d'épuisement des ressources en carburants fossiles sont grosso modo connues, et en même temps, nous assistons à une croissance mondiale qui nécessite de plus en plus d'énergie. Il est donc nécessaire que l'Union européenne se préoccupe de la question de son indépendance énergétique. Et pour nous, cette question de l'indépendance énergétique passe par trois types de décisions, par trois types de politiques : d'abord par un effort massif d'économie d'énergie, parce que la meilleure façon de réduire notre dépendance vis-à-vis de l'extérieur, c'est de consommer moins ; nous voulons ensuite que soient mises en place des mesures d'urgence, au niveau européen, au cas où un Etat membre serait en difficulté en matière d'approvisionnements énergétiques ; et enfin, nous voulons conduire une politique d'investissement pour réduire notre fragilité en terme d'approvisionnements énergétiques. Ces mesures internes indispensables renforceront la crédibilité de l'action externe européenne vis-à-vis de nos grands fournisseurs énergétiques.
La seconde priorité de la présidence française, c'est l'avenir de la politique agricole commune. Je sais que c'est un sujet qui est souvent l'objet de discussions passionnées entre le Danemark et la France. Je veux tout de suite vous rassurer, nous ne voulons pas conserver la politique agricole commune telle qu'elle fonctionne. Nous pensons qu'il faut d'abord faire un état des lieux, un bilan de santé de la politique agricole commune. C'est-à-dire se mettre d'accord sur le bilan exact de la politique qui a été conduite en Europe en matière agricole depuis la réforme de la politique agricole commune. Qu'est-ce qui fonctionne ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Qu'est-ce qui coûte trop cher ? Qu'est-ce qui a des effets pervers par rapport au commerce international, par rapport au développement des pays tiers. Une fois que nous aurons réalisé ce bilan de santé de la politique agricole commune, nous voudrions engager une discussion européenne sur les principes d"une nouvelle politique agricole pour l'après-2013, qui tienne compte à la fois des défauts de la politique actuelle, naturellement de son coût élevé, du prix des produits alimentaires, des produits agricoles, qui ont beaucoup augmenté, mais aussi de la question de la pénurie de produits alimentaires, qui est aujourd'hui une réalité à laquelle nous devons faire face. A moyen terme, nous pensons qu'il faut remettre l'agriculture au coeur des politiques de développement. L'action de l'Union et de ses Etats membres, qui donnent aujourd'hui 60 % de l'aide publique au développement dans le monde, peut être déterminante. Le président de la République française proposera d'ailleurs, dans quelques jours à Rome, devant la FAO, un Pacte mondial pour l'agriculture et l'alimentation, pour essayer de mieux faire travailler ensemble tous ceux qui apportent leur aide aux pays en voie de développement. Enfin, la politique agricole commune elle-même a certainement un rôle considérable pour répondre à la crise alimentaire actuelle. Elle doit garantir les productions nécessaires à l'Europe et au monde, pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale sans fragiliser les pays pauvres. On a déjà beaucoup fait évoluer cette politique. La protection douanière de l'Europe a pratiquement disparu vis-à-vis des pays les plus pauvres ; la réforme de 2003 a profondément modifié les soutiens de la politique agricole commune pour qu'ils ne perturbent pas les marchés mondiaux. Il faut aller plus loin, mais il faut aller plus loin sans oublier que dans beaucoup d'Etats tiers, le problème majeur n'est pas celui de la concurrence avec les importations en provenance d'Europe, c'est celui de la pénurie alimentaire mondiale. Et il me semble que la politique commerciale de l'Union doit cesser de considérer la production agricole européenne comme un problème, mais au contraire comme une solution à la pénurie actuelle.
La troisième priorité de la présidence française, c'est la question des flux migratoires. C'est une conséquence de la mondialisation, c'est une conséquence aussi des bons résultats des économies européennes, nous sommes amenés à accueillir un nombre croissant d'immigrants sur nos territoires. Nous pensons que nos sociétés ne peuvent pas ne pas prendre les mesures nécessaires pour maîtriser ces flux migratoires et faire en sorte que ceux qui viennent sur nos territoires soient accueillis dignement et puissent s'intégrer normalement dans nos sociétés. L'ambition de la présidence française est d'aboutir, au Conseil européen, à un Pacte européen sur l'immigration. Il ne s'agit pas de transférer à l'Europe les politiques d'immigration. En aucun cas ! En aucun cas et la France serait le dernier pays à le souhaiter, mais il s'agit simplement d'essayer de voir comment on peut harmoniser nos législations et nos réglementations pour, d'abord, mieux contrôler les frontières extérieures de l'Europe. L'une des causes du refus de certains Européens, de certains citoyens européens de l'Union européenne, c'est le sentiment qu'ils ont qu'il ne peut pas y avoir de relation de confiance parce qu'on leur promet des choses qui ne sont jamais mises en oeuvre. Quand on a créé l'espace de Schengen, on a promis aux Européens qu'il y aurait un contrôle extérieur aux frontières. Et en réalité, ce contrôle extérieur aux frontières n'a pas été mis en place. Eh bien, il faut maintenant le mettre en oeuvre. Il faut mieux organiser l'immigration légale et professionnelle, il faut organiser l'éloignement effectif hors de l'Union européenne des étrangers qui sont en situation irrégulière, il faut essayer d'harmoniser les règles en matière d'asile, et enfin, nous voudrions que l'Europe ait une approche commune du co-développement, parce que l'Europe ne peut pas seulement se protéger contre les flux migratoires, il faut qu'elle contribue aussi à en réduire les causes.
Enfin, quatrième priorité de la présidence française, c'est la question de la sécurité et de la défense. Pendant très longtemps, on a, en Europe, considéré que la politique de défense de l'OTAN était en concurrence avec celle de l'Union européenne, ou plus exactement qu'on ne pouvait pas renforcer une politique européenne de défense sans affaiblir l'Alliance atlantique. Nous avons voulu, avec le président de la République française, sortir de ce débat. Et pour sortir de ce débat, nous avons proposé que la France réintègre intégralement les instances de l'Alliance atlantique. Mais nous voulons en même temps que les pays européens acceptent de considérer plusieurs sujets. D'abord celui du volume des forces que chaque pays peut mettre en oeuvre au profit d'opérations militaires, qui sont le plus souvent des opérations de maintien de la paix, pour lesquelles le concours de l'Europe est demandé. Aujourd'hui, de plus en plus de régions du monde font appel à nos forces pour du maintien de la paix. Nous sommes dans les Balkans, nous sommes en Afghanistan, nous sommes dans plusieurs régions africaines, nous sommes au Moyen-Orient ; ça ne peut pas être seulement deux ou trois pays européens qui assument seuls la responsabilité de cette demande. Or c'est la réalité de la situation aujourd'hui. Donc, nous voulons qu'une première réflexion s'engage sur ce que les pays européens sont capables de faire comme efforts pour augmenter un peu les capacités militaires, qui restent naturellement nationales, mais qui pourraient être mises au service d'opérations conduites dans le cadre européen.
Deuxièmement, nous souhaitons qu'il y ait une meilleure coordination entre les interventions européennes et celles de l'OTAN. Voilà, mesdames et messieurs, les quatre priorités de la présidence française. Naturellement, ces priorités viendront s'ajouter à tous les sujets qui sont en cours d'examen dans le cadre des processus européens et dans le cadre de la mise en oeuvre du traité de Lisbonne.
Nous pensons que, à travers toutes ces politiques, l'essentiel c'est de restaurer la confiance des habitants de l'Union européenne dans l'Union européenne et dans ses institutions. Et pour cela, il y a deux choses qui me paraissent très, très importantes. La première c'est qu'il faut rassurer les citoyens sur le rôle de leur Etat, sur le rôle de leur Etat-Nation.
J'ai été formé dans la famille gaulliste, dans la famille politique gaulliste, en France. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'Union européenne doit aboutir à l'effacement des Etats-Nations. Je viens au Danemark défendre une vision de l'Union européenne qui est celle d'un association d'Etats-Nations. Le niveau national est encore le plus souvent le principal niveau d'adhésion politique et d'identité collective. Il faut convaincre les citoyens européens que la construction européenne respecte l'identité des Etats, et que le Traité de Lisbonne le fait de manière indiscutable. Et d'ailleurs, dans cet esprit, le principe de subsidiarité doit plus que jamais être la règle, et je me réjouis que les Parlements nationaux puissent, demain, obliger les institutions européennes à respecter le principe de subsidiarité grâce aux nouveaux pouvoirs qui leur sont donnés par le Traité de Lisbonne.
Ensuite, il faut renforcer les politiques européennes dans les secteurs qui intéressent le plus les citoyens européens. Je pense que l'équilibre que nous avons atteint avec le Traité de Lisbonne devrait permettre de mettre fin à dix ans de querelles institutionnelles, et si on a mis fin à dix ans de querelles institutionnelles, eh bien cela nous donne de l'énergie et du temps pour s'occuper des politiques européennes. Et ce débat-là est un débat qui intéressera les citoyens, alors que celui sur les institutions les intéressait assez peu.
L'Europe est d'autant plus légitime qu'elle agit là où sa plus-value est indiscutable, c'est-à-dire là où une action au niveau européen est immédiatement comprise par le plus grand nombre.
C'est le cas en matière d'immigration ;
C'est le c'est le cas en matière d'environnement ;
C'est le cas en matière de sécurité alimentaire ;
C'est le cas en matière de développement ; de promotion de la paix ;
de recherche dans les secteurs d'avenir ;
de lutte contre le terrorisme, contre le trafic de drogue, contre l'exploitation des êtres humains ;
dans le cadre de l'accès aux soins ou encore de la stabilisation des marchés financiers.
Nous veillerons, dans le cadre de la présidence française, à ne négliger aucun de ces sujets.
Voilà, Mesdames et Messieurs, dans quel esprit ou dans quel état d'esprit la France aborde sa présidence. Elle l'aborde avec beaucoup d'humilité, en sachant qu'il est très difficile de convaincre tous les Etats membres et tous les peuples qui les composent d'adhérer aux mêmes politiques et aux mêmes objectifs, mais en même temps, elle est confiante dans l'objectif final qui est celui de l'Union européenne, et qui est celui d'apporter à nos concitoyens la paix et la prospérité.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 mai 2008