Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, à France 2 le 12 juin 2008, sur le projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

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Texte intégral

R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour, J.-L. Borloo !
 
Oui, bonjour !
 
Avant de parler d'écologie et d'environnement, on va parler de ce qui se passe aujourd'hui en Irlande. Il y a un référendum sur les institutions européennes, les sondages disent que ça pourrait être « non » ; si c'est « non » qu'est-ce qui se passe ?
 
Écoutez, d'abord il faut respecter les Irlandais. Et puis je pense que le grand mouvement européen ne peut pas s'arrêter simplement là, il faudra probablement voir avec les Irlandais et l'ensemble des pays comment on continue à avancer. Mais je crois que le président de la République, c'est vraiment de son niveau, s'exprimerait dans une hypothèse de ce genre.
 
C'est-à-dire N. Sarkozy s'exprimerait ?
 
Oh oui, je pense, oui ! Parce que d'abord il est bientôt Président de l'Union...
 
Le 1er juillet.
 
Le 1er juillet, donc ça sera un évènement... Vous savez, la politique ce n'est pas qu'il n'y ait pas de problèmes, c'est de savoir les résoudre et je suis convaincu qu'il trouvera les solutions.
Mais est-ce que justement le problème ce n'est pas qu'on n'a pas tenu vraiment compte de ce qui s'est passé en France et en Hollande, quand les Français et les Hollandais ont dit "non", parce que le texte qui est proposé aujourd'hui, il ressemble beaucoup au texte qui avait été refusé ?
 
Oh, écoutez, non, il y a quand même des modifications assez substantielles. Maintenant, écoutez, laissons les Irlandais se prononcer avec affection, respect, retenue, voilà.
 
Sur l'environnement, hier, vous avez présenté le projet de loi qui découle du Grenelle de l'environnement. N. Hulot dit que ce sont de vraies avancées mais il dit : "il n'y a pas la taxe au carbone que je réclamais". Pour quelle raison ?
 
Non, en fait... D'abord il va y avoir une taxe carbone sur les industries et sur l'énergie, je rappelle, qui est une taxe européenne, si du moins la directive passe sous présidence française. Toute personne qui pollue, qui émet des CO² dans l'atmosphère, devra sur un marché - ça s'appelle les quotas d'émissions - acheter ce, entre guillemets, « droit à polluer », de telle manière qu'il y ait des investissements pour réduire la pollution. Et puis on espère pouvoir mettre un dispositif d'ajustement aux frontières, de façon à ce que ça ne soit pas de nature à encourager d'aller faire des cimenteries ailleurs, ce qui polluerait tout autant la planète. Alors l'autre question, c'est est-ce qu'il faut faire la même chose pour les particuliers en réalité...
 
C'est ce que propose N. Hulot.
 
Oui, c'est ce que propose N. Hulot... Vous savez, il y a 250 propositions dans le cadre du Grenelle de l'environnement, on va y travailler, on va regarder, on n'est pas tout à fait au clair sur ce point, mais enfin on avait dit qu'on le regarderait au deuxième semestre. Moi ce que je voudrais surtout c'est qu'on parle du fond, c'est-à-dire de ce qu'il y a dans ce texte, parce qu'il faut bien qu'on prenne la mesure...
 
Qu'est-ce qui va changer ? Qu'est-ce qui va changer concrètement ?
 
D'abord c'est un texte, je dis aux Français, qui essaie de répondre au grand sujet du siècle, il y en a un, c'est l'énergie, voilà.
 
Tout le monde s'en aperçoit à la pompe à essence.
 
Le siècle qui s'ouvre là ne se terminera pas avec la même énergie, les mêmes énergies, avec le même prix de l'énergie et en continuant à émettre du gaz carbonique comme ça sur la planète. Ça, c'est une hypothèse qui n'existe pas. Donc le sujet du siècle, comme celui de l'eau et de la faim, c'est d'abord un sujet d'énergie. Alors que veut ce texte, que veulent les Français, c'est quoi notre nouveau deal économique et écologique ? C'est de réduire considérablement le gâchis énergétique, de modifier notre mixte, c'est-à-dire la forme d'énergie qu'on va utiliser. Alors réduire, faire des économies d'énergie massives dans le bâtiment, les nouvelles normes de construction...
 
On isole.
 
Les bâtiments anciens, on isole de manière majeure, changer les infrastructures françaises, faire des grands canaux, faire des lignes TGV partout, multiplier par six les offres de tramways dans toutes les villes pour qu'on décongestionne complètement, c'est modifier l'agriculture française en faisant des audits énergétiques pour réduire les besoins, faire l'audit puis réduire les besoins en eau, en énergie. Une exploitation agricole, elle peut être un formidable endroit pour produire de l'énergie plutôt que d'utiliser l'énergie. La révolution sur les prix. Vous avez vu qu'on avait lancé le bonus/malus écologique pour les voitures ; si vous achetez une voiture peu polluante et peu consommatrice, vous avez une prime, c'est le bonus, qui est payé par le malus, c'est-à-dire l'Etat n'intervient pas.
 
Et ça existe aussi pour l'alimentaire maintenant ?
 
Alors dans le Grenelle, dans la loi, il est demandé à la distribution de mettre pour les différents produits son prix écologique, c'est-à-dire de combien d'énergie et d'émissions de CO² a produit...
 
Donc ça, ça figure sur la boîte.
 
Absolument. Alors dans sa fabrication, dans son mode de transport, dans son mode d'emballage. Et donc les Français vont avoir- là c'était une première mondiale -, l'indice carbone intégral de leur produit. Vous voyez, ce produit, par exemple, son indice carbone quand il arrive dans le magasin, il aura émis 205 grammes de CO². L'idée c'est de proposer aux Français, à chaque fois qu'ils ont un produit, quelle est l'émission de CO² ou besoins énergétiques pour avoir fabriqué ce produit. Il va y avoir des écarts extraordinaires, parce que quand vous allez prendre un produit qui aura fait 2.500 kilomètres en camion et un produit qui aura été produit à proximité, à la ferme ou dans la PME du coin, les écarts de CO² seront tels que quand même les gens vont se dire... Et l'idée qui est derrière, ça c'est d'aller vers le juste prix. Le juste prix.
 
Comme à la télé !
 
Comme pour la voiture, c'est-à-dire qu'on ait un prix écologique qui ne soit pas seulement le prix du marché, mais qui soit modifié, comme pour les voitures, qui soit modifié en fonction de sa valeur écologique.
 
Le Grenelle c'est très ambitieux, mais quels sont les moyens financiers qui sont derrière ?
 
Mais c'est les vôtres.
 
Est-ce qu'il y a les moyens ?
 
C'est un système qui est à 50 % autofinancé. Quand vous faites le bonus/malus écologique, c'est financé par son propre système, quand vous décidez de faire des TGV, vous faites moins de route évidemment puisqu'on choisit de manière...
 
Oui, mais ça coûte cher.
 
Mais non, ça ne coûte pas cher, c'est de l'investissement. Lorsqu'on décide, l'Etat exemplaire doit dans les trois ans avoir rénové thermiquement - hein, les économies d'énergie de - tous ses bâtiments publics. Comment ça se passe ? Vous dépensez un peu d'argent pour rénover, mais vous faites des économies d'énergie absolument considérables. On le fait dans mon propre ministère. Et c'est l'entreprise qui vous fait les travaux, le prestataire qui vous les fait - ça s'appelle des contrats de performance énergétique - qui sur les économies que vous lui restituez vous finance les travaux. Donc on est dans un système auto...
 
A propos...
 
Il y a quelques points, attendez ; il y a quelques points qui sont de la vraie dépense, de la vraie dépense, c'est notamment en matière de recherche...
 
C'est financé ça ?
 
...On prévoit 1 milliard. C'est la régénération, c'est-à-dire...
 
C'est financé ?
 
Oui, bien sûr, c'est financé, c'est dans le programme. C'est, par exemple, indépendamment des lignes à grande vitesse, il faut absolument qu'on remette au niveau l'ensemble du réseau SNCF, enfin de Réseau Ferré de France. Là on prévoit 400 millions d'euros de régénération etc.
 
Juste un mot sur les biocarburants...
 
Oui.
 
Il y a six mois, on disait les biocarburants c'est la solution, aujourd'hui on dit plus de biocarburants ; est-ce que c'est abandonné ?
 
Il faut toujours se méfier des effets d'emballement. Dans ce domaine, c'est très frappant. Alors sur les biocarburants, la position française est claire : oui, il y a eu un programme d'accélération extraordinaire en 2005. Aujourd'hui, on dit on n'agrée plus de nouvelles exploitations, pourquoi, parce qu'on voit qu'il y a un risque de conflit avec la partie alimentaire. Ça ne veut pas dire qu'on arrête, simplement on se pose et on ne veut investir que dans la nouvelle génération, celle qui en gros n'aura pas de conflit avec l'alimentaire.
 
Merci, J.-L. Borloo !
 
Je vous en prie.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 juin 2008