Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, sur la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien, à l'Assemblée nationale le 18 janvier 2001.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Vous êtes appelés à examiner, aujourd'hui, dans le cadre de l'ordre du jour réservé à l'initiative parlementaire, la proposition de loi votée le 8 novembre 2000 par le Sénat et dont l'article unique dispose que " la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ".
Le 28 mai 1998, votre Assemblée s'est prononcée à l'unanimité des députés présents sur une proposition de loi identique dont le rapporteur était Monsieur René ROUQUET.
Dans les deux cas, le Gouvernement a pris acte de ces initiatives parlementaires.
Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cet hémicycle, le 14 novembre dernier, en réponse à une question au Gouvernement, ces votes ont donné l'occasion à chaque assemblée d'exprimer la profondeur des sentiments qui animent l'ensemble de la représentation nationale sur la tragédie qui s'est abattue sur les Arméniens au début du siècle.
Au lendemain de la décision du Sénat, les autorités françaises ont fait savoir, dans un communiqué commun du Président de la République et du Premier ministre, que ce vote, intervenu à l'initiative du pouvoir parlementaire et qui relève de sa seule responsabilité, ne constitue pas une appréciation sur la Turquie d'aujourd'hui.

Mesdames et Messieurs les députés,
Les massacres d'Arméniens commis en 1915 dans l'ancien Empire ottoman ont douloureusement marqué l'histoire du XX ème siècle. Le souvenir des victimes de cette barbarie organisée qui a laissé dans la mémoire collective une blessure ineffaçable est toujours très vivant en France.
Notre pays, fidèle à sa tradition d'asile, s'honore d'avoir été l'une des grandes terres d'accueil des rescapés de ces atrocités, dont les descendants sont aujourd'hui pleinement intégrés dans la communauté nationale qu'ils ont enrichie de leurs talents.
Ces rescapés ont su, par leur travail, par le sens de la famille et des valeurs communes s'installer dans notre pays et y construire leur avenir. Leurs descendants restent fidèles aux sacrifices de leurs parents et à une culture qu'ils ont su faire vivre loin de ses terres d'origine.
Le Gouvernement est convaincu que les représentants des Français d'origine arménienne qui militent depuis de nombreuses années pour la reconnaissance par la France du génocide arménien ne sont pas animés d'un désir de vengeance ou de revanche. Simplement, ces enfants et ces petits-enfants de déracinés ne peuvent oublier.
Tous les 24 avril, dans les villes de France, la communauté arménienne se rassemble pour exprimer sa douleur et demander que la vérité historique soit reconnue. Nous sommes nombreux à l'accompagner dans cette journée du souvenir et du recueillement.
Nous ne pouvons, quant à nous, oublier que, au cours des deux guerres mondiales, les Français d'origine arménienne ont payé le prix du sang pour défendre la liberté de leur patrie d'adoption. Le sacrifice de ces fils et filles de la République dans le combat pour la dignité humaine mérite l'hommage de notre pays.

Mesdames et messieurs les députés,
Aujourd'hui, à travers un acte législatif de portée symbolique, la communauté arménienne souhaite que s'accomplisse pleinement le devoir de mémoire.
Le respect des sentiments éprouvés par les descendants des rescapés des massacres et l'horreur de la tragédie qui les inspire ne nous exonère pas d'une interrogation : s'il prend force de loi, quelle sera la portée concrète, juridique, d'un texte dont chacun admet le caractère déclaratif ?
Interrogé par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 4 octobre 2000, le ministre des affaires étrangères, Monsieur Hubert VEDRINE a exprimé, au nom des autorités françaises, des réserves quant à l'opportunité d'une démarche législative. Il a invité le Parlement à tenir compte de ses incidences sur la politique de la France dans cette région.
La conduite de la politique extérieure a ses propres exigences. Elle doit être menée au regard de l'histoire, de ses tragédies, mais en tenant compte aussi de la réalité du monde d'aujourd'hui. Dans la conduite de sa politique extérieure, le Gouvernement uvre à la stabilité entre les Etats, il encourage la réconciliation entre les peuples, sans jamais transiger sur les valeurs qui sont celles de la République.
C'est ce qu'il fait dans cette région du monde comprise ente la Méditerranée et la mer Caspienne, région au destin tourmenté où affleurent en permanence les conflits entre nations. La politique de la France vise à éradiquer les causes des conflits, à surmonter les antagonismes, à faire progresser la coexistence et la coopération entre les peuples concernés.
Les autorités françaises l'ont réaffirmé le 8 novembre dernier : la France poursuivra vis-à-vis de tous les pays de la région, en particulier du Caucase, une politique de paix fondée sur le dialogue et la compréhension mutuelle.

Mesdames et Messieurs les députés
La France souhaite la réconciliation entre la Turquie et l'Arménie. Elle souhaite aussi la réconciliation entre l'Arménie et ses autres voisins.
La France est l'amie de l'Arménie. Elle recevra prochainement en visite d'Etat, Monsieur Robert KOTCHARIAN, Président de la République d'Arménie. Elle est aussi l'amie de la Turquie moderne, qui ne peut être tenue pour responsable de faits survenus dans les convulsions de la fin de l'Empire ottoman.
Ces relations d'amitié avec l'ensemble des pays de la région fondent le rôle que la France a été invitée à jouer au sein du groupe de Minsk, avec la Russie et les Etats-Unis, dans le règlement des crises qui affectent cet espace géographique travaillé par les démons du nationalisme.
La France est l'un des premiers pays à avoir reconnu la République d'Arménie. Les intérêts bien compris de l'Arménie sont dans l'instauration de liens de coopération et de compréhension mutuelle avec ses voisins, notamment la Turquie et l'Azerbaïdjan.
Ces liens doivent favoriser le rapprochement des peuples et le développement de l'économie et de la démocratie.
Avec la Turquie, la France entretient depuis longtemps des relations fortes et suivies, dans de nombreux domaines. Le 8 novembre dernier, les autorités françaises ont réaffirmé que notre pays souhaitait développer avec ce pays des relations de coopération étroite dans tous les domaines.
Il est de l'intérêt de la France et de l'Europe que la Turquie consolide son évolution dans le sens de l'ouverture et de la modernité.La France et l'Europe doivent y être attentifs et l'y aider.
La France continuera à oeuvrer pour l'approfondissement du dialogue entre la Turquie et l'Union européenne dans le cadre du " partenariat d'adhésion " adopté, lors du sommet de Nice, en décembre dernier. Ce texte définit les priorités et les étapes à court et à moyen terme du rapprochement entre la Turquie et l'Union.
Cette décision prise par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union est un geste envers la Turquie pour qu'elle s'engage avec détermination sur la voie de la consolidation de la démocratie et du respect des droits de l'homme. De leur côté, les autorités turques ont accepté et doivent mettre en uvre les réformes exigeantes dans ces domaines, qe le rapprochement avec l'Union implique.

Mesdames et messieurs les députés,
Le vote que vous allez émettre aujourd'hui se prononce sur un passé douloureux. Il ne vaut ni pour le présent ni pour l'avenir. Il ne peut être un acte d'accusation.
Je le réaffirme, au nom du gouvernement, notre amitié tant avec le peuple arménien qu'avec le peuple turc est profonde.
La voix de la France est écoutée dans la région où vivent ces peuples et elle doit le rester. Loin de stigmatiser, elle doit chercher à apaiser. Tel est le message de réconciliation et de paix, que, au nom du gouvernement, je souhaitais aussi exprimer devant vous à l'occasion de ce débat.

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 avril 2001)