Texte intégral
Merci, Monsieur le Président,
Merci à chacun d'entre vous,
Merci d'avoir parlé de globalisation et du problème que pose à tous les citoyens européens la nécessité de faire face à un monde en mouvement qui, en particulier, remet parfois en question nos armatures sociales.
Il est excessif de dire que la France n'était pas préparée. Rarement une préparation a associé autant de gens. Les vingt-six autres pays, y compris l'Irlande, y ont été associés, ainsi que tous les groupes politiques, et nous avons mené de nombreuses discussions.
Il est un peu tôt aussi pour le dire, alors que la Présidence commence le 1er juillet. Nous jugerons des résultats.
Evidemment, la Présidence française doit faire face à ce que vous avez tous souligné : le "non" de l'Irlande. Ce n'est, à mon avis, pas seulement un "non" irlandais, c'est aussi un "non" européen.
C'est comme cela qu'il faut le prendre. Parce que ce "non" pose bien des questions, il nous faudra, tout en respectant profondément le vote du peuple irlandais, quelques semaines, quelques mois sans doute, peut-être plus, pour le décrypter.
De plus, un certain nombre des sujets qui devaient être abordés par la Présidence française ne le seront plus. Nous n'aurons pas, bien sûr, à nous occuper du service diplomatique extérieur, puisque, quoi qu'on en pense et quelles que soient les évolutions, que je souhaite positives, le Traité de Lisbonne n'est pas accepté.
Cela veut dire que nous devons poursuivre la ratification. Pourquoi ? Parce que rien dans le Traité de Lisbonne ne prescrit que nous devions arrêter dans leur tentative - et, je l'espère, dans leur succès - les pays qui n'y ont pas encore procédé. Donc, il faut continuer. Il n'empêche que, à moins d'initiatives venant probablement d'Irlande, mais aussi d'autres pays, qui nous permettraient d'inventer quelque chose pour remettre le train sur ses rails, le Traité de Lisbonne, pour l'heure, n'est pas accepté.
Il n'y a d'ailleurs pas lieu de s'en réjouir. Il n'y a pas lieu, du tout, de s'en réjouir. Je crois que cela restera un moment difficile dans l'histoire de l'Europe. Je n'ai pas le temps d'aligner les progrès à mettre à son actif, mais vous les connaissez tous. L'Europe nous a entraînés et a produit des résultats positifs. Personne ne songe à nier cela, malgré ses manques et malgré l'appel général à une plus grande compréhension des citoyens et une plus grande proximité - vous avez eu raison de le souligner.
Il est vrai que les débats institutionnels n'ont trouvé aucun écho, parce qu'ils étaient mal compris. Sans doute est-ce notre faute, en particulier à nous qui devions expliquer : les parlementaires, certes, mais plus encore les ministres. Sans doute les explications n'ont-elles pas été fournies de la bonne manière. Mais c'est aussi parce que la globalisation - je reprends le mot de M. Poniatowski - fait peur aux peuples de l'Europe. Et nous n'avons pas su leur prouver que l'Europe était un bouclier, une défense, qu'il y aurait peut-être une période difficile à traverser mais qu'ensuite - parce que nous consacrerions beaucoup d'argent à la recherche, à des démarches communes, à l'invention - notre place était assurée dans le monde, et la meilleure des places plus tard. Et pas dans si longtemps.
C'est une explication de ce refus, mais il y en a une autre dans ce que l'on peut déchiffrer pour le moment : bien que ce soit encore très partiel et que je n'aie pas à le commenter plus avant, on sait que les femmes et les jeunes, en Irlande, ont voté majoritairement "non", plus encore que les hommes. La jeunesse, les femmes : cela veut dire une inquiétude pour l'avenir. Je crois qu'il faut en tenir compte. Vous en avez tous tenu compte.
Energie, climat : on ne peut pas dire que ce soit une priorité allemande, c'est une priorité pour nous tous, et pour des dizaines d'années.
Il fallait que nous l'abordions. Je ne prétends pas que nous réglerons le problème dans les six mois de la Présidence française, mais c'était absolument indispensable.
Pour les émissions de gaz à effet de serre, il y avait une double exigence : comment ne pas pénaliser nos industries et permettre en même temps aux industries des pays en développement de progresser ? Pas facile ! A cet égard, la proposition française - que nos partenaires ont commencée à examiner - n'était pas si mauvaise.
Quant à l'immigration, je n'ai jamais été, pour ma part, partisan de l'immigration "choisie". Mais nous parlons maintenant d'une immigration "concertée", ce qui représente une belle et vraie différence. Avec les autres pays, Brice Hortefeux négocie non seulement sur les allées et venues, mais aussi sur les possibilités de travail et sur la prise en compte de la pauvreté et des exigences particulières des pays en développement. Nous découvrons que, dans les pays voisins de la France, quels que soient les gouvernements - de gauche comme de droite, ne me le faites pas dire -, le traitement de l'émigration est beaucoup plus rude que chez nous. Or, dans le pacte sur l'immigration, nous protégerons non seulement les Droits de l'Homme, mais aussi le droit d'asile. Ce n'était pas facile, car la position française était beaucoup plus souple et plus humaine.
La directive "retour" portait atteinte à la dignité humaine, en prévoyant qu'une personne en séjour irrégulier puisse être détenue pour une durée maximale de dix-huit mois. Ce n'est pas du tout le cas de la France - M. Hortefeux s'en est expliqué hier - puisqu'elle limite cette rétention à trente-deux jours, la durée moyenne étant même de douze jours.
Notre position ferme à cet égard nous a permis de discuter avec nos partenaires européens et de leur faire la proposition d'un pacte européen sur l'immigration. La France fera tout pour parvenir à une conclusion rapide en convainquant les Vingt-sept, y compris l'Irlande, car c'est ainsi que doit fonctionner l'Europe. Ce sera sans doute la première proposition de la Présidence française.
A propos de l'Europe sociale, Jacques Delors affirmait qu'il n'y a pas d'Europe sociale, mais seulement des améliorations sociales qui sont obtenues dans chacun des pays membres et qu'il faut harmoniser. Si nous proposons d'harmoniser l'âge de départ à la retraite à cinquante-sept ou cinquante-huit ans, les Allemands, qui l'ont fixé à soixante-sept ans, ne marcheront pas ! C'est cela le pacte social : à un moment donné, on ne peut pas être plus royaliste que le roi. Et il faut harmoniser à vingt-sept !
Concernant la directive "temps de travail", vous parliez de 63 heures par semaine. Je vous signale que la durée hebdomadaire est maintenant de 48 heures en Europe, avec des possibilités d'aménagement mieux encadrées au-delà. Cela ne correspond pas à notre législation, mais c'est une durée qui est néanmoins bien réduite. Les autres pays européens sont à 48 et nous, pour le moment encore, à 35.
L'année prochaine peut-être, nous occuperons notre place dans l'OTAN. Pour l'instant, rien n'est fait, aucune démarche n'a été entamée et, à la conférence de Bucarest, c'est un plutôt un refus européen qui a été opposé aux demandes de certains pays. Nous reprendrons notre place au comité des plans de défense - petit carré à gauche, alors que le petit carré à droite concerne l'activité nucléaire qui relève de notre souveraineté. Le président de la République a dit hier, très intentionnellement : "Dans mon esprit, il ne peut y avoir de progrès sur l'intégration de la France dans l'OTAN que s'il y a préalablement un progrès dans l'Europe de la défense". C'est assez clair.
Et le président Bush, à Bucarest, a clairement dit - et c'était toute la différence avec le gouvernement précédent - qu'il acceptait et comprenait le principe d'un pilier européen de la défense. Nous conditionnons l'accès à l'OTAN à un progrès en matière de défense européenne : c'est capital. Vingt et un pays européens font partie de l'OTAN. Il s'agit donc d'européaniser l'OTAN et c'est ce que nous faisons.
Au sujet du vote des Irlandais, ils ont dit que le "non" des Irlandais ne les isolait pas pour autant et qu'il fallait en faire un problème commun. C'est ce que, pour ma part, j'ai compris. En tout état de cause, nous allons écouter les Irlandais. Nous ne les blâmerons pas - même si, à nos yeux, ce n'est pas un événement réjouissant - car c'est leur affaire et nous devons respecter leur position.
Nous trouverons la solution à vingt-sept. Est-ce la fin du Traité ? Je l'ai, moi, envisagé ? En tout cas, eux ne l'ont pas dit. Pour ma part, je considère que, si cela continue ainsi, le traité n'existera pas, mais les Irlandais ne l'ont jamais affirmé. Il s'agit pour eux d'une étape, qu'ils pourraient dépasser. Quant au nouveau traité, ce n'est pas à l'ordre du jour et il faudra attendre bien longtemps.
M. Lecocq a souhaité une Union plus protectrice des peuples, il ne peut qu'avoir raison ; c'est, du reste, ce qui ressort de toutes les résolutions européennes, on ne peut affirmer le contraire ! Je rappellerai simplement la directive concernant la protection contre l'amiante. N'est-ce pas à l'Europe qu'on la doit ? Les parlements nationaux n'y sont pas parvenus, mais cela a été possible au niveau européen. Voilà une petite illustration !
Et si, lors de la Présidence française, nous mettions en oeuvre l'idée du président de la République en faveur d'une recherche commune sur la maladie d'Alzheimer, serait-ce une avancée sociale ? Bien sûr, et c'est possible.
Certes, ce n'est pas une directive qui harmoniserait les temps de travail, mais une recherche commune sur cette maladie représenterait une énorme avancée sociale. J'espère que nous y parviendrons lors de cette Présidence.
Je remercie M. Sauvadet de soutenir les priorités du gouvernement pour la Présidence française, mais ce n'est pas suffisant. Souhaiter une présidence à l'écoute et qui agisse par consensus, c'est plus facile à dire qu'à faire. Nous allons devoir prendre sur nos épaules l'anxiété ambiante, tout le monde est concerné. Les ministres des Affaires étrangères se sont réunis lundi à Luxembourg. Nous avons écouté l'intervention du ministre irlandais avec beaucoup d'intérêt et d'attention, sans aucune commisération ni agressivité. Nous devons nous sortir ensemble de la situation créée par le "non" irlandais.
Vous avez également évoqué l'immigration "concertée" et non "choisie", je vous remercie d'avoir employé cet adjectif.
Vous verrez que, demain, la France demandera que l'on discute à vingt-sept l'idée du président de la République - maintenant partagée par d'autres pays et non des moindres - de plafonner la TVA en cas de montée trop forte du prix du pétrole. Non seulement nous allons le faire mais cela suscitera beaucoup d'intérêt, parce que cette question concerne tout le monde. Ce sera une façon de montrer que nous avons entendu la leçon.
Je tiens à remercier Jean-François Copé pour le soutien qu'il a apporté à nos priorités. Comme il l'a dit, nous devons agir plus encore. Nous allons pousser les idées du président de la République, notamment la taxation de l'énergie qu'il a eu le mérite d'aborder, le pacte sur l'immigration et l'Union pour la Méditerranée.
S'agissant de l'Union pour la Méditerranée, je vous remercie d'avoir relevé qu'elle serait un pont entre le Nord et le Sud. De nombreux pays - Tunisie, Maroc, Algérie - trouveront au sein de cette Union une occasion supplémentaire de se parler.
Il y a entre les pays que j'ai cités une des frontières les plus hermétiques du monde, ce qui est pour le moins étonnant. Le jour où ces pays se retrouveront - comme les Israéliens et les Syriens - ce sera un grand progrès pour notre diplomatie et pour la France !
M. Copé a souligné le rôle des députés. Pourquoi, en effet, ne pas se réunir à vingt-sept UMP, vingt-sept socialistes etc.
Quant au rôle des parlements nationaux, je suis heureux d'entendre que nous les impliquerons davantage, et non à moitié comme nous le faisions jusque-là. Il est impératif que les parlements nationaux soient impliqués avec le Parlement européen. A cet égard, l'élection des députés au Parlement européen sera un événement majeur. Je ne sais pas si d'ici là il y aura eu des propositions, mais cette campagne sera très importante. Je souhaiterais d'ailleurs que l'on invente, avec les parlements nationaux, une façon d'y participer ensemble. Ce serait la meilleure réponse au désamour des citoyens envers l'Europe, ou en tout cas à leur sentiment d'éloignement.
Avec M. Poniatowski et M. Lequiller, je réfléchis sur les frontières de l'Union. Sous la direction de Felipe Gonzalez, le comité des sages aura à y travailler et à produire des idées.
Nous devons tous - avec le Parlement européen et la Commission - répondre aux angoisses suscitées par la globalisation. Il est certain que le "non" irlandais a été conditionné par cette inquiétude. Certes, ils ont progressé sur le plan économique grâce à l'Europe. Ils en étaient conscients, mais ils craignaient de perdre sur ce tableau : c'est une évidence qui vaut pour chaque nation. Nous devons donc inventer une réponse plus lisible, notamment à la crise de l'alimentation et aux famines qui se préparent. L'Europe y a déjà répondu en distribuant un peu d'argent, en abondant, dans l'urgence, le programme alimentaire mondial, pour faire face à cette augmentation des prix. Mais nous n'avons apporté aucune réponse qui permettrait à l'agriculture des pays en difficulté de se développer selon des modalités différentes. Il n'y a pas eu de réponse européenne au congrès de la FAO qui s'est tenu à Rome. Pas plus qu'il n'y a eu de réponse suffisante au problème du prix du pétrole.
Nous devons tirer les leçons de ces événements. L'Europe citoyenne que vous appelez de vos voeux, M. Lequiller, doit être plus attirante et plus évidente pour chacun. Nous tenons des réunions à Bruxelles ou à Luxembourg - et personne ne sait pourquoi Luxembourg plutôt que Bruxelles ! Peut-être faudrait-il que l'on explique ce qu'on y fait. Or il n'est pas évident de faire passer les rares décisions qui s'y prennent dans l'opinion publique. Je compte sur vous et les parlements nationaux autant que sur le Parlement européen de Strasbourg, mais je ne veux pas susciter un débat, qui n'existe pas d'ailleurs !
Bref, le fonctionnement de l'Europe est mal connu et beaucoup de choses sont mal comprises, surtout par la jeune génération. Pour la génération précédente, c'était évident. Elle savait bien qu'il fallait éviter la guerre et c'est la raison pour laquelle l'Europe est née. La génération actuelle ne le sait pas et n'a pas assez de goût pour la belle aventure européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2008