Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'avenir de l'Alliance atlantique et la politique de sécurité européenne, Munich le 6 février 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 35ème conférence sur la politique de sécurité( Forum des ministres de la défense de l'Union européenne) du 5 au 7 février 1999 à Munich (Allemagne)

Texte intégral

En avril 1999, au Sommet de Washington, les chefs dEtat et de gouvernement des pays de lOTAN célébreront le cinquantième anniversaire de lAlliance atlantique, au lieu même où fut signé le Traité. Ce sera le premier des grands rendez-vous de 1999 et une étape essentielle de la relation transatlantique. Ce moment fort sera loccasion pour tous les Alliés de conforter lAlliance, transformée et élargie à trois nouveaux membres, à laube du XXIème siècle.
1) Tracer les contours de lAlliance du XXIème siècle revient dabord à sinterroger sur sa nature. LAlliance reste avant tout linstrument de défense collective des seize, et bientôt dix-neuf, alliés qui la composent. Cest là lobjet dun consensus entre ses membres : larticle 5 est le fondement de notre relation de défense et la clef de voûte de lédifice.
Certes, lenvironnement géostratégique a changé depuis une dizaine dannées et lAlliance a entrepris une profonde rénovation pour sy adapter. Elle prend désormais en compte de nouvelles missions de gestion de crises. En 1994, à loccasion dune réunion ministérielle à Bruxelles, nous en avons précisément tracé les contours juridiques et géographiques, en les limitant à la zone euro-atlantique et en les inscrivant, comme le Traité de Washington lui-même, dans le cadre de la Charte des Nations Unies.
Nous devons nous en tenir à cette base solide et aborder avec prudence toute formule nouvelle qui pourrait faire croire que lune des tâches essentielles de lAlliance serait dêtre « le gendarme du monde « , dont la mission serait de traiter des crises internationales. Nous restons fermement attachés à la légitimité que donne, pour toute opération non-article 5 impliquant le recours à la force, lautorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, seul organe légitime et incontestable pour recourir à la force armée et effectuer une délégation à une organisation régionale. Cette formule, conforme au droit international, a démontré sa souplesse puisquil a été possible dy inscrire notre action au Kosovo en 1998, preuve quelle nentraîne nullement la passivité, dès lors que nous savons lutiliser avec efficacité. Mais nous avons en loccurrence atteint les limites extrêmes de cette flexibilité, exceptionnellement car il sagissait dun cas durgence humanitaire.
Une Alliance ne peut être fondée que sur des bases solides, objectives et prévisibles. LAlliance du XXIème siècle en ce sens ne différera pas de celle que nous avons connue : son objectif principal sera dassurer la stabilité et la sécurité de la zone euro-atlantique si fortement identifiées par la solidarité qui unit le continent nord-américain au continent européen. Nous ne saurions nous disperser sans distendre cette dimension désormais inséparable de la sécurité de lEurope et qui continue de sillustrer par la présence de plus de 100 000 soldats américains. Cest dans ce cadre que le Conseil atlantique aura la charge didentifier, en fonction de circonstances concrètes, les cas où notre sécurité est en jeu et justifie des actions décidées collectivement.
Noublions pas à ce propos que de nombreuses menaces demeurent, certaines à nos portes, et que la force du lien transatlantique tient aussi à la permanence dune dissuasion crédible à laquelle la France contribue.
2) Sagissant des nouveaux risques, les pays membres de lAlliance prennent très au sérieux, et de longue date, la question de la prolifération des armes de destruction massive. Les ministres ont décidé à leur session de décembre dernier daccentuer ces travaux dans la perspective du Sommet de Washington. Au sein de lAlliance, on doit pouvoir continuer à évaluer la menace, avec le souci déchanger des informations fiables et diversifiées. Mais lAlliance ne saurait ignorer les efforts poursuivis à léchelle de la communauté internationale dans son ensemble, notamment dans le cadre des régimes de non-prolifération : ils sont universels et sinscrivent sur un continuum où la gamme de moyens sétend aussi à la maîtrise des armements et aux mesures de confiance. LAlliance soutient depuis toujours une telle approche.
Mais il faut aussi affronter, de façon politique, les origines de la prolifération. Les Etats et les organisations sy emploient parallèlement en apaisant les crises, en facilitant le dialogue, en promouvant le respect des droits de lhomme et la démocratie, en contribuant à lever des barrières qui entravent le développement et les échanges : lOTAN, lUnion européenne, les Nations Unies et lOSCE se complètent utilement. LAlliance naurait rien à gagner à alerter ex abrupto lopinion publique, en singularisant à lexcès un risque qui sinscrit en général dans un contexte politique complexe. Elle sera dautant plus crédible dans ce domaine quelle agira de façon méthodique à travers la gamme des moyens dont elle dispose, et en soutenant de manière appropriée les approches déjà éprouvées.
Pour répondre au nouvel environnement de risques, les pays de lAlliance doivent garder à lesprit la nécessité dadapter leur outil de défense, sans lequel elle se diluerait dans une approche politique à laquelle manquerait la crédibilité dune dissuasion. La France, pour sa part, a entrepris de réformer sa défense pour tenir compte de lévolution de lenvironnement stratégique et des risques. Elle met en oeuvre une importante restructuration de son outil de défense, qui confortera de façon très significative ses capacités opérationnelles, et notamment sa capacité de projection. La construction dune armée professionnelle, qui sera achevée comme prévu en 2002, la modernisation de ses armements, la réorganisation des structures de commandement et la mutation de lindustrie de défense en sont les axes essentiels. Ils donnent à notre politique toute sa cohérence. De son côté, lAlliance a poursuivi activement ses travaux sur le concept de groupement multilatéral de forces interarmées afin de proposer une gamme doptions adaptées à toutes les situations de crise impliquant des tailles dopérations diverses en fonction des choix de chacun de ses membres. Elle a aussi entrepris une réforme de fond de ses capacités de défense, en vue doptimiser linteropérabilité des forces et des équipements, si nécessaire aux opérations liées à la gestion de crise qui associent des forces dorigine variée.
3) Mais une Alliance plus forte nest pas seulement techniquement mieux préparée mais aussi une Alliance mieux équilibrée et plus efficace, dans laquelle les Européens jouent tout leur rôle. Nul ne conteste en effet quune plus grande implication des Européens est de nature à renforcer la sécurité de tous. Sans lEurope, lAlliance ne sera plus, et il ny a là ni concurrence, ni hiérarchisation. LAlliance future devra donc avoir une plus grande implication des Européens dans lOTAN, ce qui suppose quils disposeront à la fois dun poids accru dans les postes de décision et de la capacité de mener des opérations autonomes, si possible avec des moyens issus de lOTAN. Ainsi, dans léventualité de nouvelles crises, lAlliance disposera dune palette plus large pour réagir.
Mais le renforcement de « pilier européen « népuise pas cette identité de sécurité et de défense que lAlliance a reconnue nécessaire dès 1991. Or, le développement dune politique européenne de défense commune dans le cadre de lUnion européenne, telle quelle est inscrite dans les Traités de Maastricht et dAmsterdam, est aujourdhui un objectif que nous identifions mieux. Linitiative franco-britannique de Saint-Malo a relancé la réflexion. Laccueil positif qui en est fait parmi les Alliés est encourageant. Mais il sagit dun objectif de longue haleine, à construire progressivement, dans la concertation et la transparence, objectif appelé de leurs voeux par lensemble des alliés depuis le début de cette décennie et identifié depuis un tiers de siècle par nos amis américains.
Dans limmédiat, il importe de bien tirer toutes les conséquences des dispositions arrêtées à Berlin de telle sorte que le pilier européen voit le jour et que lIESD [Identité Européenne de Sécurité et de Défense] sen trouve crédibilisée dans sa dimension atlantique tandis que se profilent par ailleurs les perspectives ouvertes à Amsterdam, notamment vis-à-vis de lUEO.
4) Le Sommet de Washington en avril prochain sera le premier Sommet de lAlliance élargie à trois nouveaux membres. Dans toutes nos capitales, le processus de ratification de lélargissement sest déroulé dans un climat de large consensus, marquant le soutien des opinions publiques aux objectifs poursuivis par lélargissement de lAlliance : nous sommes sur la bonne voie, tant est sûre lintuition qui guide nos opinions.
Cette politique douverture à légard dautres pays européens ne doit pas sarrêter là. LAlliance a le devoir de poursuivre, de façon graduelle et continue, un processus propre à assurer la stabilité du continent et à éviter lapparition de nouvelles fractures. Tout pays européen susceptible de favoriser le développement des principes du Traité et de contribuer à la sécurité de la zone euro-atlantique, doit pouvoir, sil le désire et sil remplit des conditions définies quant à ses capacités de défense, rejoindre lAlliance. La France est pour sa part attachée à ce que lAlliance tienne les engagements qui ont été collectivement pris au Sommet de Madrid en 1997 et nous entendons quà loccasion du Sommet de Washington, soit lancé un nouveau signal politique fort marquant notre attachement à la vision politique qui nous a guidés jusqualors.
Cependant, louverture de lAlliance vers lextérieur ne sarrête pas à laccession formelle de nouveaux membres. Les relations de confiance et de coopération que lAlliance a nouées avec la Russie et lUkraine, et le développement de la coopération avec les Partenaires constituent les trois cercles prioritaires de sa politique de sécurité coopérative.
Concernant le premier cercle, la chance dancrer fermement une Russie démocratique dans une nouvelle Europe est une occasion que les Alliés ont su saisir lorsquils ont signé lActe fondateur OTAN/Russie. Depuis, par le biais du Conseil permanent conjoint, le travail sest intensifié dans tous les domaines intéressant les deux parties : maintien de la paix, maîtrise des armements, prolifération darmes de destruction massive, sécurité et sûreté des armes nucléaires, terrorisme international, environnement, secours en cas de catastrophe... Sur tous ces thèmes, le développement de relations de confiance et de transparence permettra de conserver à la Russie son statut de partenaire essentiel pour la sécurité et la stabilité du continent.
Le même effort de consultation a été fait avec lUkraine, tandis que, progressivement, le Partenariat pour la paix, réunissant près de trente pays autour de lAlliance, crée les conditions dun renforcement des relations qui soutiennent la sécurité européenne. Son rôle est à cet égard complémentaire de celui de lOSCE. Des synergies doivent peut-être être recherchées dans ce contexte.
Enfin, lAlliance continuera à développer, en complémentarité dautres organismes, en particulier européens, une politique contribuant à la stabilité et la sécurité en Méditerranée par le biais du dialogue méditerranéen.
Ainsi, sans renoncer à sa nature essentielle et historique, lAlliance peut devenir, au XXIème siècle, un puissant facteur de stabilité dans un environnement international imprévisible et toujours plus complexe. Fondée sur les ruines de la 2ème guerre mondiale, lAlliance est en cours de re-fondation sur les décombres de la guerre froide. Clairement identifiée dans le monde bipolaire, elle ne peut courir le risque de se diluer dans un monde multipolaire aujourdhui en gestation : il y a tant à faire sur notre continent désormais sans frontière, avec les Européens et dans un partenariat renouvelé entre les Etats-Unis et lEurope.
(Source http://www.defense.gouv.fr, février 1999)