Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les priorités de la présidence française de l'UE après le vote négatif de l'Irlande au Traité de Lisbonne, Paris le 25 juin 2008.

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Circonstance : Célébration du 60e anniversaire du Secrétariat général aux Affaires européennes (SGAE) à Paris le 25 juin 2008

Texte intégral

Monsieur le président du Parlement européen, mon cher Hans-Gert,
Mesdames et Messieurs les présidents des groupes politiques du Parlement européen, que nous sommes heureux d'accueillir à Paris, aujourd'hui et demain, puisque nous aurons l'occasion de travailler ensemble demain.
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les ministres, les ambassadeurs,
Monsieur le Secrétaire général des affaires européennes,
Mesdames et Messieurs,
Il y a des anniversaires qui tombent particulièrement bien, en tout cas qui tombent à des moments brûlants de l'actualité, et au moment aussi où de grands défis nous sont lancés.
C'est le cas de l'anniversaire que nous célébrons aujourd'hui, celui des 60 ans du Secrétariat général aux Affaires européennes.
Dans quelques jours, la France prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne.
J'ai eu l'occasion souvent, depuis plusieurs semaines, de dire que nous abordons cette présidence avec humilité et avec beaucoup de gravité.
Avec beaucoup d'humilité, parce que nous savons que ce n'est pas facile. Parce que nous savons qu'il n'est pas facile d'entraîner une organisation de 500 millions d'habitants, composée désormais de 27 Etats, chacun avec sa spécificité et avec son identité.
Certes, nous avons tout fait pour mettre la réussite de notre côté ; je veux dire par là que nous avons préparé cette Présidence avec beaucoup de soin.
Les ministres de mon Gouvernement, les parlementaires français, les agents de l'Etat et en particulier ceux du Secrétariat général aux Affaires européennes, présents ce soir, sont là pour en témoigner. Et je dois dire que j'ai eu beaucoup de bonheur à entendre des parlementaires européens, que je recevais il y a quelques jours, féliciter le Gouvernement français pour la préparation de la Présidence française, il se trouve en plus que c'était des membres du groupe des libéraux, et donc ils étaient moins suspects de vouloir faire preuve simplement d'amitié à l'égard du Gouvernement et de la majorité.
Nous savons que la Présidence de l'Union est de plus en plus difficile. Et nous savons que nous aurons besoin de l'appui de tous les Etats membres, que nous aurons besoin de l'appui de la Commission et du Parlement européen.
Et avec le président de la République, nous avons été particulièrement attentifs à développer notre coopération avec le Parlement européen, qui co-décide de l'ensemble des textes législatifs avec le Conseil. Le président de la République s'est déjà rendu au Parlement européen, je m'y suis moi-même rendu, la plupart des ministres s'y sont rendus plusieurs fois, nous avons reçu les bureaux des groupes, et le 10 juillet prochain, le président de la République ira présenter l'ensemble du programme de la Présidence française.
Mon cher Hans-Gert, nous savons que nous ne pouvons rien faire sans vous.
Et donc, nous avons décidé de réussir avec vous.
Mais nous abordons aussi cette Présidence avec beaucoup de gravité.
Le référendum irlandais n'y est pas pour rien. Au-delà même du référendum irlandais, nous avons le sentiment que les défis semblent s'accumuler sur la Présidence française : la conjoncture économique qui est, c'est le moins que l'on puisse dire, incertaine ; les marchés financiers mondiaux qui demeurent instables ; la flambée des prix de l'énergie qui handicape la croissance, et qui inquiète à juste titre les citoyens et les entreprises ; la tension sur le marché des biens alimentaires.
C'est dans cette Europe troublée que nous allons devoir exercer la mission qui nous est confiée pour six mois, avec l'aide de tous nos partenaires, et au premier rang desquels le Parlement européen.
Le Conseil européen nous a donné un mandat clair pour les six mois à venir.
Le dialogue avec l'Irlande va bien sûr être permanent. Le président de la République s'y rendra d'ailleurs au mois de juillet. Et le Conseil européen d'octobre, devra réexaminer la situation créée par le choix des Irlandais.
En attendant, le Conseil européen a validé la réponse politique que la France suggérait : le plus important aujourd'hui c'est que l'Europe prenne des décisions - et si possible des décisions sur des questions qui intéressent les citoyens européens.
Nous pensons que c'est une nécessité si l'on veut regagner la confiance des peuples européens. Nous devons regarder la vérité en face. La vérité, c'est que le référendum irlandais pose à l'Europe un défi, bien sûr c'est un défi institutionnel. Mais je crois que nous devons être vigilants parce que ce défi prend, jour après jour, un caractère existentiel.
Que l'Europe, qui est l'une des entreprises les plus audacieuses de notre histoire contemporaine, qui est l'une des oeuvres politiques les plus bénéfiques pour notre continent, une oeuvre que plusieurs régions du monde observent avec beaucoup d'envie, que cette Europe là soit si peu considérée, cela révèle un problème de sens.
Il faut que nous ayons la lucidité de le reconnaître : si l'Europe est mal aimée, c'est parce qu'elle est devenue le bouc émissaire de tous nos maux, dont certains d'ailleurs ont bien peu à voir avec l'Union.
Mais il faut aussi le courage de l'avouer : si l'Europe est mal comprise, c'est aussi parce que l'Union n'a pas su trouver les mots et les actes pour susciter une adhésion plus puissante que la somme des contestations. Le "non" irlandais peut être considéré comme "injuste". Moi, je pense qu'il doit être analysé, qu'il doit être respecté et qu'il doit être considéré comme un appel supplémentaire à l'action et à la conviction.
Toute une génération d'après-guerre a vécu dans l'évidence de la construction européenne : la réconciliation, la paix, la reconstruction, la prospérité.
Malgré le succès indiscutable sur tous ces plans de l'Union européenne, aujourd'hui l'évidence n'est plus là. Et dès qu'on interroge les peuples européens par référendum, la réponse est rarement enthousiaste, elle est même parfois, nous l'avons vu, négative.
Certes, l'Union a toujours prouvé sa faculté à surmonter les difficultés. Mais nous ne devons pas sous-estimer le danger que recèle ce doute permanent.
Après ce troisième "non" d'un peuple en quelques années, il faut regagner la confiance des citoyens. Et l'urgence pour cela est d'agir dans les domaines qui les concernent, ces domaines ou chacun sait qu'il ne peut y avoir que des réponses collectives.
Qui pense qu'un Etat membre peut aujourd'hui agir seul et efficacement pour combattre le réchauffement climatique ? Personne !
Or l'Europe peut, dès cette année, prendre les décisions sur la limitation des émissions de CO2 qui permettront d'aboutir en 2009 à un accord mondial crédible limitant le réchauffement climatique. Pour cela, il faut du courage politique, il faut la mobilisation de tous. Je sais que nous pourrons compter sur le ferme appui du Parlement européen.
Qui ignore, alors que le prix du pétrole atteint des sommets, que la crise énergétique appelle des réponses, y compris des réponses européennes ? L'Europe ne peut pas rester inerte face à cet enjeu.
C'est la raison pour laquelle le président de la République a demandé que soit étudiée la possibilité de plafonner les ressources additionnelles de TVA au-delà d'un certain seuil de prix du baril.
Le Conseil européen a confié à la Présidence française le mandat d'examiner cette proposition, ainsi que d'autres mesures proposées par nos partenaires, visant à limiter les effets de la flambée des prix du pétrole et du gaz. Il faudra ensuite prendre des décisions. Sur le moyen et sur le long terme, la hausse des prix de l'énergie impose un profond changement. C'est pourquoi la Présidence française proposera à ses partenaires un plan très ambitieux de sécurité énergétique, avec au premier rang des mesures immédiates d'économies d'énergie.
Qui croit encore que l'immigration soit un phénomène purement national ?
Avec la coopération de tous, nous pourrons dès le mois d'octobre adopter un Pacte européen sur l'immigration et l'asile, qui permettra de coordonner l'action des Etats membres et de l'Union européenne.
Qui peut nier le rôle de l'Europe pour répondre à la crise alimentaire ?
Nous avons l'ambition d'adapter dès cette année certaines règles de la politique agricole commune à travers son "bilan de santé" et de tracer les voies pour l'agriculture européenne de l'avenir.
Qui conteste que la lutte contre l'instabilité des marchés financiers passe par des mesures européennes, que ce soit pour les agences de notation financière ou pour les règles prudentielles des banques ?
Là encore, des décisions peuvent être prises dès cette année. A nous de réussir à mobiliser la Commission, le Conseil, le Parlement sur ces objectifs.
Qui ne voit pas que l'emploi est un combat de niveau continental ?
La Commission propose des mesures concrètes pour aider le développement des PME européennes, source principale d'emploi en Europe. Eh bien, il faut maintenant traduire ces propositions en décisions.
Qui accepte encore que l'Europe manque cruellement des capacités d'action civiles et militaires pour assurer dans le monde ses missions de maintien de la paix et de protection de la démocratie et des droits de l'Homme ? Nous proposerons des moyens pragmatiques pour remédier aux déficits de capacités civiles et militaires, identifiées depuis longtemps mais pour lesquelles peu de chose n'ont été faites jusqu'à présent.
Nous essaierons d'être concrets, c'est la méthode que nous nous sommes fixée, avec le président de la République ; c'est le sens des priorités de la Présidence française.
Mesdames et Messieurs,
Pour relever ce défi, pour préparer cette Présidence, et plus en encore pour la conduire, il faut des agents de l'Etat dévoués et compétents.
A toute l'équipe du Secrétariat général aux Affaires européennes ici présente, autour de son secrétaire général, je veux dire que vous pouvez être fiers de votre institution. C'est une administration d'excellence, et elle le doit au travail de chacun d'entre vous. Dans la préparation de la Présidence française, votre rôle a été essentiel.
Vous avez maintenant une lourde charge de coordination qui vous attend. J'ai la conviction, j'ai la certitude, que vous serez à la hauteur de votre responsabilité.
Lorsque le SGCI a été crée en 1948, la grande affaire du moment, c'était la reconstruction de la France et de l'Europe.
C'était la mise en place du Plan MARSHALL. L'OECE - c'est-à-dire l'ancêtre de l'OCDE - était chargée de répartir les fonds, d'élaborer et d'exécuter un programme commun aux pays participants.
Il fallait alors coordonner les positions françaises, pour dialoguer avec les autorités américaines, et pour agir au sein de cette organisation.
Dans la foulée, votre administration s'est vue confier la coordination des positions françaises pour la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), et puis bien sûr, à partir de 1957, la coordination pour la Communauté européenne.
Depuis, cette administration de mission a grandi et elle a fait ses preuves.
Certes, beaucoup de choses ont changé depuis la création du secrétariat général en 1948.
D'abord, en tout cas, je l'espère, l'implication du Premier ministre.
L'un des fondateurs du secrétariat général du comité interministériel expliquait que ce fameux comité interministériel ne se réunissait en fait jamais auprès du Président du Conseil, toutes les décisions étant tranchées par le SGCI !
J'avoue avoir une vision un peu différente des choses, et le comité interministériel sur l'Europe se réunit, désormais, régulièrement sous ma présidence.
Il l'a fait encore hier soir sur deux sujets importants : le dossier climat/énergie et les questions sociales. Et j'ai décidé de le réunir tous les mardis pendant la Présidence française pour assurer, avec les ministres compétents, un suivi politique du déroulement de cette Présidence.
Ce qui a changé aussi - et je sais que ceci a été au centre de votre colloque - c'est qu'on ne peut plus gérer les affaires européennes comme on le faisait autrefois. Il y a 15 ou 20 ans, on considérait que les positions des entreprises françaises sur un dossier européen étaient énoncées par le ministère de l'Industrie ou par celui des Finances, que les positions des collectivités locales l'étaient par le ministère de l'Intérieur, que les positions des partenaires sociaux l'étaient par le ministère des Affaires sociales...
Ces ministères jouent encore bien sûr un rôle majeur. Mais, vous savez bien que la consultation directe des acteurs de la société civile est devenue une obligation si l'on veut avoir une idée exacte des attentes de la société française face aux projets européens.
Le SGAE doit savoir ce qui se cache derrière les positions de chacun des ministères.
Il doit, par exemple, se demander quelle entreprise française est favorisée par rapport à d'autres quand une position française est proposée sur un projet de directive économique.
Il doit aussi se demander si les difficultés de mise en oeuvre d'une directive environnementale pour les petites communes ont bien été évaluées par les ministères.
La France n'a pas assez l'habitude de tenir des débats contradictoires et transparents avec l'ensemble des acteurs concernés par un projet de texte européen. Trop souvent, la coordination interministérielle laisse de côté certains d'entre eux, qui se sentent alors ignorés par l'administration française. Ces derniers réagissent en se désolidarisant de la position française exprimée à Bruxelles, voire en la combattant !
Trop de différends qui opposent Bruxelles et la France ont en fait à l'origine des différends franco-français trop vite ou top mal arbitrés.
Si nous voulons combattre la méfiance persistante des peuples à l'égard de l'Union, nous devons avoir ce dialogue permanent avec chacun, qui permet d'éviter ces blocages.
La Commission et le Parlement européen font désormais des efforts de consultation dans l'élaboration des réglementations.
Je ne suis pas sûr que tous les Etats membres en fassent de même.
Et en France aussi, je crois que nous avons le devoir d'aller plus loin.
C'est donc une véritable révolution qui doit s'opérer au SGAE. Je sais qu'elle a déjà commencé, sous l'impulsion de ses dirigeants, et je veux vous encourage à continuer dans cette voie.
Enfin, et c'est probablement le plus important, la grande différence par rapport aux années passées, c'est que désormais la construction européenne ne va plus de soi pour les citoyens.
Le "non" irlandais nous rappelle que l'Union européenne reste une construction fragile. Elle a besoin du soutien des peuples. Et les peuples la soutiendront quand ils auront le sentiment qu'elle travaille pour eux.
Qu'elle travaille pour leurs intérêts. Qu'elle travaille pour les protéger d'un monde en pleine évolution.
Qu'elle travaille pour les aider à relever les défis de ce monde.
Présider l'Union, Mesdames et messieurs, c'est d'abord savoir rassembler !
Rassembler en écoutant les opinions des Etats membres.
Rassembler en associant le Parlement européen.
Rassembler en identifiant les pistes probables d'accord.
Rassembler en testant ces pistes auprès de nos partenaires.
Rassembler en convaincant les Etats hésitants ou opposés à accepter d'inévitables compromis.
Rassembler en étant, nous même, inspirés et totalement engagés au service de l'Europe.
Ce sera un travail intense, c'est naturellement aux agents du SGAE que je m'adresse, ce sera un travail difficile, ce sera un travail parfois risqué.
Mais ce sera aussi une tâche exaltante. Avec à la clé les premières solutions pour relancer le projet européen. L'Europe a besoin de retrouver un dessein politique, et, pour ce faire, elle a besoin d'être portée par des projets.
Il faut faire l'Europe autrement. Et, pour cela, il convient de démontrer que l'Union ne se résume pas à des débats institutionnels.
Tous les agents de l'Etat, et en particulier ceux du Secrétariat général aux Affaires européennes auront, dans cette tâche, un rôle essentiel à jouer.
Ce soixantième anniversaire, me donne donc l'occasion de féliciter tous ceux qui ont participé à la préparation de cette Présidence. Je veux y associer tous ceux qui ont participé depuis 60 ans à l'aventure européenne. Je souhaite aussi encourager les agents du secrétariat général, les mobiliser parce que les défis qui nous attendent sont immenses, et qu'au fond, beaucoup de la réussite de la Présidence française dépendra de votre engagement, dépendra de votre compétence, dépendra de notre capacité commune à nous mobiliser, en faveur de la plus belle, et de la plus grande aventure de ce siècle.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 juin