Texte intégral
Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les députés,
13 jours nous séparent de la convocation du Congrès.
Comme le prévoit l'article 89 de la Constitution, votre assemblée et le Sénat doivent au préalable voter un texte en des termes identiques.
C'est d'ores et déjà le cas pour un grand nombre de dispositions. Au terme d'un débat passionné et digne, l'Assemblée nationale et le Sénat se sont en effet accordés sur de très nombreux éléments du texte :
- accord sur les nouvelles méthodes de travail du Parlement avec le partage de la maîtrise de l'ordre du jour, l'examen en séance publique du texte adopté en commission, l'instauration de délais minima entre le dépôt d'un texte par le gouvernement et l'examen de celui-ci en séance publique ;
- accord sur l'augmentation du nombre de commissions permanentes des assemblées ;
- accord sur le plafonnement dans la Constitution du nombre de députés et de sénateurs ;
- accord sur le principe du renforcement de l'obligation d'assortir tous les projets de loi d'études d'impact ;
- accord sur l'autorisation par la loi de la prolongation des opérations militaires au-delà de quatre mois, et information du parlement lors de l'engagement des troupes ;
- accord sur l'encadrement du recours à l'article 16 ;
- accord sur la possibilité pour le Président de la République d'intervenir devant le Parlement réuni en Congrès ;
- accord sur le principe d'une limite du cumul des mandats du Président de la République dans le temps ;
- accord sur l'inscription dans la Constitution d'une trajectoire vertueuse des finances publiques ;
- accord sur l'obligation de ratifier expressément les ordonnances ;
- accord sur le principe de l'extension du principe de la parité aux responsabilités professionnelles et sociales...
Quant à l'instauration d'une exception d'inconstitutionnalité, nous sommes, je le crois, très proches d'un vote conforme.
Ce qui est possible pour un justiciable américain - depuis 1803 ! - le sera enfin pour un justiciable français. Ce droit est ouvert dans presque tous les pays européens : Italie, Allemagne, Autriche, selon des modalités variées.
Je précise à l'intention des parlementaires alsaciens mosellans, que je sais vigilants à cet égard, que l'exception d'inconstitutionnalité ne saurait déboucher sur une remise en cause du droit local dont l'existence fait partie de notre histoire juridique.
J'ajouterais un autre point d'accord qui, je le crois, fera l'unanimité : c'est l'hommage appuyé qu'il faut rendre à votre rapporteur, le président Jean-Luc Warsmann.
Avec un sens aigu des responsabilités, il a été l'artisan d'un consensus qui tient compte des préoccupations de chaque chambre.
Au nom de ce nécessaire consensus, nous devions et nous devons tous faire un pas vers l'autre.
Le Gouvernement au premier chef.
Le texte que vous retrouvez en deuxième lecture diffère sensiblement du projet de loi initial déposé sur votre bureau voici plusieurs semaines.
Nous avons renoncé au plafonnement du nombre de ministres dans la Constitution.
Nous avons accepté de réduire le délai au terme duquel votre autorisation était requise pour prolonger les opérations extérieures.
Nous avons donné notre aval au droit de veto des commissions parlementaires, à la majorité des trois cinquièmes, qui formuleront désormais un avis sur les nominations du Président de la République.
Nous nous sommes efforcés de dégager des compromis, avec l'aide des rapporteurs, sur l'encadrement du droit de grâce du chef de l'Etat et l'exercice de son droit de message devant les chambres.
Et nous avons considérablement augmenté les délais minima dont doit disposer le Parlement pour examiner les textes. Notre projet initial proposait un mois devant la première chambre et quinze jours devant la seconde.
Votre assemblée proposait six et trois semaines, le Sénat huit et cinq. Je crois qu'un accord est possible autour de six et quatre semaines.
L'essentiel, c'est que le Parlement a été entendu dans son souhait de disposer du temps nécessaire pour optimiser son travail en commission et tirer le meilleur parti des nouvelles règles d'examen instaurées par la réforme.
Enfin, le Gouvernement a été attentif à vos débats sur les équilibres au sein du conseil supérieur de la magistrature.
Sur ce sujet, nos convictions sont claires : il faut renforcer l'indépendance de cette institution, mais en même temps, il faut éviter l'écueil du corporatisme qui viderait de son sens le principe selon lequel la justice est « rendue au nom du peuple français ».
Pour autant, avec la Garde des Sceaux, nous avons été à votre écoute quant à la composition du conseil supérieur de la magistrature lorsqu'il statue en formation disciplinaire.
Grâce au travail de vos rapporteurs, nous avons réussi à concilier les préoccupations des uns et des autres, en ménageant l'ouverture de l'institution et la parité en matière disciplinaire. Le compromis que nous avons trouvé est satisfaisant, et je vous propose de l'entériner.
Le Gouvernement n'a pas seulement retouché sa première mouture pour répondre à vos recommandations, il s'est également montré, par la voix de Rachida Dati et de Roger Karoutchi, résolument ouvert à plusieurs de vos propositions.
Vous avez, Mesdames et messieurs les députés, nourri le débat à travers la référence aux langues régionales, l'extension de la parité au-delà de la vie politique, le renforcement de l'obligation d'instaurer des études d'impact pour tous les projets de loi, la mise en exergue de l'évaluation des politiques publiques par le Parlement...
L'opposition, a, elle aussi, été entendue : sa suggestion d'introduire dans la Constitution un mécanisme novateur dans notre tradition juridique, celui du référendum d'initiative populaire, a notamment été retenue. En réalité, une vingtaine de modifications réclamées par la gauche et soutenue par la majorité a été adoptée de façon consensuelle.
Quant au Sénat, nous lui devons la notion de pluralisme et de respect des groupes politiques minoritaires, le renforcement du défenseur des droits des citoyens et la référence à la francophonie dans notre Constitution.
La Haute assemblée nous a en outre donné l'occasion d'avoir un débat stimulant sur l'enrichissement de l'article 34 de la Constitution.
Le Sénat a tenu à y faire figurer des principes comme l'indépendance des médias, les Français établis hors de France, ou l'exercice des mandats électoraux.
En droit pur, une telle clarification ne s'imposait pas dans le corps de la Constitution. Mais le Gouvernement a été sensible à la volonté du Sénat de mettre ces principes en valeur.
C'est pourquoi, dans la mesure où ces mentions ne modifient pas les champs respectifs de la loi et du règlement, je souhaite qu'elles soient maintenues.
Mesdames et messieurs les députés,
Au cours des débats, nous avons pris la mesure de ce qui nous rapproche, mais aussi de ce qui nous distingue. Je le redis avec force : toutes les opinions, quel que soit le banc dont elles émanent, sont respectables.
Mais aujourd'hui, il faut avoir le courage de se rassembler autour de l'essentiel. Et l'essentiel, c'est la revalorisation du Parlement que consacre ce projet. Sur la plupart des points que je viens d'évoquer, nous avons travaillés ensemble de manière constructive.
Il faut aller au bout de cette démarche, et, pour cela, il y a des dissonances qui nous restent à harmoniser entre les deux chambres.
L'encadrement de l'article 49-3, tout d'abord.
Je reste attaché à cet outil essentiel du parlementarisme rationalisé.
Mais la vérité, c'est que son usage a été progressivement dévoyé pour le transformer en outil de lutte contre l'obstruction parlementaire.
L'article 49-3 doit rester un instrument préventif, en évitant une banalisation excessive dédiée au seul confort du gouvernement. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé une limitation de son usage à un seul texte par session et aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
Cette proposition a été supprimée par le Sénat, certains nous reprochant de ne pas aller assez loin, tandis que d'autres nous demandent de le supprimer purement et simplement.
Entre ces deux extrêmes, notre solution constitue le meilleur compromis.
Le droit pour les assemblées de voter des résolutions, ensuite.
Vous avez souhaité le supprimer ; les sénateurs ont voulu le restaurer.
Il y a ceux qui redoutent qu'un tel outil - mal encadré - fragilise les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement prévu par l'article 49 de la Constitution. Et il y a ceux qui ne voient pas pourquoi le parlement français serait privé d'un instrument dont sont dotés la plupart des parlements des pays développés. Là encore, le gouvernement privilégie une solution de compromis.
Il laisse clairement au parlement la faculté d'exercer son droit de résolution, mais en confiant au gouvernement l'appréciation du risque de mise en cause de sa responsabilité politique.
Faut-il laisser au Conseil constitutionnel le soin de trancher un éventuel désaccord à ce sujet ? Je ne le crois pas !
Cette appréciation n'a rien de juridique. Par ailleurs, le conflit peut être résolu très simplement : il suffira que l'auteur de la résolution litigieuse dépose une motion de censure dans les formes prévues par l'article 49 de la Constitution.
A cet égard, nous ne faisons que reprendre la solution qui avait été imaginée en 1959 lors de l'élaboration de votre règlement, et in fine annulée par le Conseil constitutionnel faute de point d'accroche dans la Constitution.
Troisième dissonance entre votre Assemblée et le Sénat qu'il nous faut résoudre : c'est la composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du Président de la République.
Sur ce sujet, un accord semble proche, puisque votre rapporteur a oeuvré avec talent à l'élaboration d'un compromis original et pragmatique. Celui-ci conserve la réunion des deux commissions compétentes (que vous aviez voté en première lecture), tout en ménageant la spécificité de chacune des assemblées.
Les modalités de ratification des traités d'élargissement de l'Union européenne sont encore un point d'achoppement. Parlons en franchement.
En première lecture, vous aviez manifesté votre attachement au référendum pour les élargissements les plus importants, en avançant l'idée d'un seuil de population.
Cette idée était originale et non dépourvue de logique, mais elle n'a pas été comprise par tous, certains y voyant une stigmatisation des pays les plus importants. Les sénateurs ont préféré revenir au texte du gouvernement, c'est-à-dire l'article 89, qui offre la possibilité au Président de choisir entre le référendum ou la voie du congrès.
Aujourd'hui, un consensus se dégage autour d'une solution intermédiaire.
Le référendum resterait de droit pour tout élargissement. Mais une majorité qualifiée de parlementaires pourrait autoriser le Président, s'il le juge utile, à emprunter la voie du congrès pour lui demander de ratifier, à la majorité qualifiée, le traité d'adhésion.
Cet amendement nous parait tenir compte des différentes sensibilités qui se sont exprimées sur ce sujet. Le gouvernement y sera favorable.
Sur la question du mode de scrutin sénatorial, nous n'avons pu trouver de compromis.
Dès lors, il nous a paru plus sage d'en rester au droit actuel, qui n'interdit pas d'envisager une réforme et un rééquilibrage de ce mode de scrutin.
Sur ce sujet, des propositions ont été formulées il y a quelques années.
Le gouvernement considère qu'il s'agit d'une bonne base de travail susceptible de recueillir un consensus. Mais ces propositions ne sont pas du ressort de la Constitution !
Enfin, je voudrais insister sur un dernier sujet introduit par votre Assemblée : il s'agit du dualisme juridictionnel, autrement dit la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif.
L'idée de votre chambre est de permettre à la loi de déroger aux règles d'attribution des contentieux à l'un ou l'autre des ordres de juridiction. Le Sénat a supprimé la disposition à la quasi unanimité.
Je me permets de vous demander de ne pas y revenir afin de permettre la convergence entre les deux assemblées et assurer ainsi la bonne fin de la révision constitutionnelle. Nous pourrions, certes, débattre longuement du sujet sur le fond car je sais que la position de votre assemblée était nourrie d'une véritable analyse de votre rapporteur...
Mais je pense qu'il convient d'aller à la rencontre de la position du Sénat, quitte à ce que la réflexion et la discussion soient reprises par la suite en évaluant ce que sont les besoins d'une bonne administration de la Justice. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, la démarche constructive qui nous a mutuellement guidé jusqu'à présent, et je vous propose de la prolonger au cours de cette seconde lecture.
Nos débats sont désormais concentrés sur les dispositions les plus sensibles... Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue l'objectif central vers lequel nous devons tendre et aboutir : il s'agit de donner des droits nouveaux au Parlement afin de moderniser notre démocratie.
Au regard de cet objectif, il vous revient de répondre à des questions simples : vais-je me saisir de ces droits ou vais-je y renoncer ? Vais-je contribuer à un compromis historique où vais-je me réfugier dans des objections politiques ?
Chacun est maître de sa réponse, mais chacun doit bien en mesurer les conséquences.
Dire « non » à ce projet, ce sera dire « oui » au statu quo, et cela pour de longues années, car les révisions constitutionnelles d'une telle ampleur sont rares. Dire « non », ce sera en définitive choisir l'immobilisme institutionnel plutôt que le renouveau politique.
J'ai la conviction que la majorité se sent en mesure d'assumer ce renouveau. Et je souhaite que l'opposition puisse trouver la force de se rallier à ce mouvement de modernité qui transcende les clivages.
Le Président de la République vous propose de donner plus de souffle à notre démocratie : l'enjeu est suffisamment élevé pour se rassembler et aller de l'avant.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 juillet 2008