Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "France 2" le 29 juillet 2008, sur les mesures envisagées pour réduire le déficit de l'assurance maladie, sur le RSA (revenu de solidarité active) et sur l'affaire Tapie.

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Média : France 2

Texte intégral

A. Kara.- Vous êtes ministre du Budget. Et ce matin, vous annoncez une série de mesures pour réduire le déficit de l'assurance maladie. Alors comment, et surtout combien ?

Avec R. Bachelot, on a annoncé un certain nombre de mesures ce matin. Je pense que d'abord, il faut que nos téléspectateurs sachent que l'assurance maladie, c'est à peu près 4,5 milliards de déficit cette année, un peu moins l'année prochaine, je l'espère, enfin en 2007, un peu moins en 2008. Et puis, évidemment, une nécessité de réduction complète de ce déficit à l'horizon de 2011. Donc il faut faire quelque chose, si on ne bouge pas, c'est 2 milliards chaque année, le trou se creuse, et ça, ce n'est pas possible. Alors je sais bien que depuis longtemps, on dit ça, mais parce que c'est un organisme très vivant, la Sécurité sociale, c'est très énorme, c'est plus de 150 milliards d'euros de dépenses. Et il faut sans arrêt réajuster les choses, et c'est ce que nous faisons avec R. Bachelot. Alors, ce qu'on fait, c'est que dans un premier temps, il y a beaucoup de mesures de maîtrise médicalisée, un peu classiques d'une certaine façon, où on essaie de bien contingenter les choses : relation avec les médecins, relation avec toute une série de sujets, et ça, c'est la Caisse nationale d'assurance maladie qui nous propose des mesures, et nous allons les prendre. Je pense par exemple que des médecins doivent être sous entente préalable quand ils prescrivent trop ; un certain nombre de sujets comme ceux-là. Et puis, il y a des sujets plus financiers qui sont très importants et plutôt nouveaux, où nous considérons que, aujourd'hui, les organismes complémentaires, les mutuelles, les assureurs peuvent payer un peu plus à la Sécurité sociale pour décharger la Sécurité sociale de charges qui sont de plus en plus, année après année, de plus en plus lourdes. Il faut savoir que chaque année, il y a à peu près, compte tenu de l'organisation de notre système, plus de 600 millions d'euros de charges qui sont transférées du système des organismes complémentaires vers l'assurance maladie. Donc on demande aux organismes complémentaires de rectifier cela au travers d'une contribution d'à peu près un milliard d'euros, qui leur sera demandée cette année.

Alors concrètement, est-ce qu'il y aura par exemple une hausse du ticket modérateur ?

Non, il n'y aura pas de hausse du ticket modérateur. On a considéré que cette hausse serait injuste, en plus dans une période difficile aujourd'hui pour le pouvoir d'achat. Donc cette hausse n'aura pas lieu. C'est au contraire un système très financier, d'une certaine façon, où l'ensemble du système des organismes complémentaires contribuera à assurer un meilleur rééquilibrage financier de l'assurance maladie. Tout simplement parce que, comme je le disais - mais ce n'est pas très su et ce n'est pas très connu -, c'est parce que chaque année, en fait, le système des organismes complémentaires est déchargé de 600 millions - c'est le cas cette année - d'euros parce qu'il y a plus de gens qui rentrent en affections longue durée, donc qui sont pris en charge totalement par l'assurance maladie, alors qu'auparavant, ils étaient pris en charge par l'assurance maladie et par les organismes complémentaires. Donc un système de transfert financier qui ne devrait pas toucher, et qui ne touchera pas le malade ou l'assuré social, parce que nous demandons évidemment aux organismes complémentaires de ne pas augmenter les cotisations...

Oui, mais ils peuvent le faire. Ils annoncent déjà qu'ils vont augmenter. On donne même un chiffre de 12 à 16 % sur les cotisations...

Oui, mais laissons passer l'émotion. Nous en avons beaucoup discuté avec le patron de la Mutualité, monsieur Davant et avec beaucoup d'autres, avec les assureurs, nous avons beaucoup discuté avec R. Bachelot, avec évidemment l'ensemble des acteurs du système de Sécurité sociale. Evidemment, aujourd'hui, les assureurs comme les mutualistes, peuvent absorber un milliard d'euros sans augmentation des cotisations. En face de cela, nous leur disons : nous allons vous associer aussi à la gestion de l'assurance maladie, et nous allons définir les conditions de cette association dans des groupes de travail qui se réuniront - peu de temps d'ailleurs, parce qu'il faut aller vite - à partir de la rentrée, et nous ferons des propositions, là aussi, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Une meilleure association des complémentaires aux risques santé, et de l'autre côté, une contribution financière.

Les affections de longue durée, les ALD, on en avait parlé il y a quelques mois, sur une proposition qui avait un peu créé la polémique, est-ce que ça sera toujours remboursé à 100 % ?

Toujours remboursé à 100%, pas de difficulté là-dessus. Et puis, nous allons également, deuxième point, faire contribuer ce qu'on appelle "des niches sociales", c'est-à-dire des revenus qui ne sont pas soumis à cotisations sociales côté patronal. Nous l'avons fait sur les stockoptions et les distributions gratuites d'actions l'année dernière, et nous le ferons, nous proposerons de le faire cette année sur la participation et l'intéressement par exemple. Et c'est normal, plus on va développer la participation et l'intéressement, plus, à ce moment-là, il est assez naturel qu'évidemment, ces revenus contribuent à l'assurance maladie. Ça a été beaucoup demandé par les parlementaires, par Y. Bur par exemple, parlementaire très expert dans ce sujet, demandé par la Cour des comptes. Donc nous allons également le faire. Ce sera un forfait social d'un niveau bien sûr raisonnable.

Mais franchement, quand on voit qu'au premier semestre 2008, les dépenses de santé ont encore augmenté de 3,5 %, est-ce que c'est réaliste d'espérer l'équilibre en 2011 ? C'est un peu utopique, non ?

Oui, bien sûr que c'est réaliste. Les dépenses de santé, elles continueront à progresser plus vite que notre richesse nationale, c'est normal. On vit de plus en plus longtemps, etc., et tout ça, on peut s'en réjouir. Cela a des conséquences financières, il faut les affronter, cela ne sert à rien de les cacher, il faut les affronter telles qu'elles sont, dans le respect de ce qui fonde notre Sécurité sociale. Simplement, ce qui fonde notre Sécurité sociale, ce n'est pas de transférer à des générations futures le prix de notre santé. Le prix de notre santé, c'est nous, nos générations qui doivent absolument l'assumer et l'assurer, et on doit le faire en toute justice. Ce plan n'est pas un énième plan, c'est normal de revenir régulièrement et réajuster ce système de Sécurité sociale, parce qu'il est très lourd, et c'est naturel de le faire. Et derrière les mesures que j'ai proposées, derrière l'ensemble de ces mesures, il y a aussi toute une vision nouvelle que développe R. Bachelot. Donc il y a bien des perspectives à moyen terme, il y a des perspectives à court terme, il y a du redressement financier, et il y a aussi, évidemment, une évolution dans le monde tel qu'il est et dans le modèle français tel qu'il est, de notre système d'assurance maladie. Donc c'est, je pense, une réforme à la fois juste et efficace.

On l'a bien compris, c'est vous qui tenez les cordons de la bourse au Gouvernement. Comment on finance par exemple la loi Boutin sur le logement, qui a été présentée hier ? Et puis, quid du RSA, le Revenu solidarité active, qui est repoussé semestre après semestre - maintenant, on en parle pour 2010 ?

Vous savez, les dépenses de l'Etat, elles sont extraordinairement contraintes et serrées. Le budget que je présenterai cet automne sera un budget qui n'aura jamais autant serré les dépenses. La loi Boutin, qui a été présentée hier en Conseil des ministres, est une loi qui renforce tout ce qui relève de l'habitat insalubre, tout ce qui permet aux sans domicile fixe de retrouver un logement...

Il faut de l'argent pour ça...

Oui, on redéploie. Vous avez remarqué que C. Boutin est en train de négocier le redéploiement d'une partie des fonds du 1 % logement, qu'on considérait comme mal employés ou pas suffisamment bien gérés. Donc une partie de ces fonds ira au financement de cet habitat. Et c'est de la bonne gestion que de redéployer des fonds. En ce qui concerne le Revenu de solidarité active, qui est activement défendu par M. Hirsch, évidemment, il sera mis en oeuvre, le président de la République et le Premier ministre s'y sont engagés. Nous verrons à quel moment. Et puis, on est en train d'en définir les modalités techniques. Ça coûtera un milliard ou un milliard et demi de plus, c'est ce qu'a souhaité le président de la République, c'est l'enveloppe qu'il a fixée, de plus que l'ensemble du système qu'il remplacera. Il remplacera un certain nombre de systèmes d'allocations aujourd'hui pour essayer de faire en sorte qu'on puisse lutter mieux contre la pauvreté, et mieux lutter contre les trappes à inactivité. Nous financerons cela, d'abord au travers de redéploiements, et puis nous en discuterons, bien évidemment, au moment où les modalités seront définies...

Très vite, pour finir : dans l'affaire Tapie, vous parlez de "bonne gestion", mais est-ce que, aujourd'hui, donner de l'argent à B. Tapie, ce n'est pas un peu l'Etat qui se tire une balle dans le pied ?

D'abord, je trouve que les socialistes ne manquent pas d'air là-dessus. J'entends beaucoup de cris d'orfraies, c'est vraiment assez incroyable, parce que monsieur Tapie a été ministre d'un gouvernement socialiste, d'une certaine façon, on solde les comptes des années Mitterrand au travers de cela ; je voudrais quand même le rappeler en faisant cette parenthèse. Et deuxième point, dans cette affaire, l'Etat est inattaquable, l'Etat a fait ce qu'il devait faire. Il y a une quinzaine d'années de procédures derrière nous, il fallait mettre un terme à cela, parce que chaque jour qui passe, c'est des intérêts qui courent, et ça charge la barque de l'Etat. Il a été décidé de faire appel à de l'arbitrage, c'est une solution très classique, c'est une solution très efficace, c'est une solution bien connue. Alors ce que peuvent reprocher les socialistes, c'est que cet arbitrage n'a pas été totalement favorable à l'Etat, mais un jugement ne l'aurait peut-être pas été non plus dans deux ou trois ans, personne ne peut le dire. Donc là-dessus, assumons nos responsabilités. Monsieur Tapie, c'est un justiciable comme un autre, pas plus mais pas moins. L'Etat devra évidemment faire face. Je dis simplement que sur toutes ces sommes énormes qui sont jetées en pâture, la plupart de ces sommes reviendra en fait à l'Etat, tout simplement parce que monsieur Tapie a beaucoup de dettes, et tout simplement parce que monsieur Tapie a aussi beaucoup de dettes fiscales, et comme ministre de la Fiscalité, évidemment, on recouvrira - j'aime autant vous le dire - l'ensemble des dettes fiscales qu'a monsieur Tapie vis-à-vis de l'Etat. Donc un peu de rigueur sur le sujet.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 juillet 2008